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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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II / Une argumentation au sein de la philosophie du langage.

« THOUGHT IS LOGICALLY PRIOR TO SOCIETY ».

i. Introduction.

Quelle est l'essence de la société ? Est-elle plus que la somme des individus qui la composent ? L'homme peut-il exister en dehors de la société ? Est-il autre chose que ce que la société le fait devenir ? Ces quatre questions, qui en suscitent évidemment d'autres toutes aussi cruciales, font l'objet d'un travail philosophique des plus intenses depuis que sont parues les Recherches Philosophiques de Wittgenstein (1953). Ce dernier, pourtant, n'a jamais formulé à proprement parler une thèse philosophique quant à la nature du langage et de la pensée humaine. Ses travaux sont essentiellement constitués de remarques, dont le sens est parfois évident et parfois obscure. Les interprétations qui en sont faites, de leur côté, sont multiples et diffèrent même quant à l'intention de Wittgenstein qu'elles font valoir.

Essayons de situer l'enjeu pour l'ontologie sociale du débat autour de Wittgenstein. Les deux thèses qu'on attribue généralement à celui-ci sont les suivantes : (1) Le langage est de nature sociale, et (2) Il est impossible de penser sans langage. De ces prémisses, Peter Winch tire la conclusion que (3) L'homme ne peut exister qu'au sein de diverses relations sociales. Peter Winch est l'auteur d'un ouvrage intitulé The Idea of a Social Science and its relation to Philosophy (1958)19(*), dans lequel il prétend tirer les conclusions authentiques des arguments avancés par Wittgenstein, arguments qu'il ne discute pas et accepte en l'état20(*). Le raisonnement de Winch peut être résumé de la façon suivante :

1) La pensée a besoin d'un langage pour exister en tant que telle,

Et 2) L'argument de Wittgenstein contre la possibilité d'un langage privé est juste,

Alors 3) Tout comportement intentionnel doit être de nature sociale.

On peut dans un second temps mettre à jour les présupposés ontologiques (1, 2 et 3) d'un tel raisonnement :

1) Le mode d'existence qui caractérise l'homme en tant que tel est la pensée.

Or,

a) La pensée est un phénomène linguistique (l'intentionnalité requiert un langage),

b) La formation d'un langage privé est impossible,

c) Le langage est par conséquent un phénomène social en son essence,

d) La pensée est donc elle aussi un phénomène social.

2) L'homme ne peut exister en tant que tel qu'au sein d'une société.

3) La société préexiste toujours à l'homme.

Il y va d'une version du holisme qui ne laisse aucune place aux intentions des individus en tant que tels. Selon cette conception, l'essence de la société ne saurait résider dans des conventions passées entre les individus. Car les individus sont incapables de passer des conventions sans d'abord se trouver dans une société. Si donc la société peut être caractérisée dans son essence, celle-ci sera à chercher dans la nature du langage lui-même : Quelle est l'origine du langage ? Quel est le mode d'existence du langage ? sont alors les deux questions clefs que doit se poser un philosophe s'enquérant de l'ontologie implicite des travaux de Wittgenstein. L'ontologie sociale consiste alors en l'étude des institutions linguistiques.21(*)

Margaret Gilbert s'oppose à un tel programme de recherche philosophique. Malgré sa volonté de reconnaître au langage sa très forte capacité instituante, elle refuse de lui attribuer l'institution de la société elle-même. Ce sont bel et bien des individus, défend-elle, qui constituent ensemble la société. Que ces individus se succèdent par générations tout en laissant quasiment intactes la majorité des institutions n'implique pas que la société réside plus dans ces institutions que dans les individus eux-mêmes. Au contraire, il convient de déterminer de quelle façon les intentionnalités individuelles se combinent afin de faire exister les collectivités (ou du moins afin de maintenir leur existence). Car, si les individus refusaient subitement d'assurer la pérennité de leur pays ou de quelque collectivité, alors les institutions auraient beau posséder le caractère fondateur qu'on leur attribue, la société n'en cesserait pas moins d'exister. Une telle possibilité suffit à justifier la thèse selon laquelle l'essence de la société ne peut pas se trouver dans le langage et doit par conséquent renvoyer à la manière dont les individus vivent et agissent ensemble. L'essence de la société doit résider dans les vécus individuels et non dans les « institutions du sens. » Pour autant, ces deux programmes de recherches ne paraissent pas contradictoires. Chercher à comprendre comment fonctionne le langage en tant que tel n'est pas incompatible avec le fait de chercher le fondement ontologique de la société. Ce n'est que lorsque ces deux axes philosophiques se situent tous deux sur le plan ontologique que la contradiction advient, comme c'est le cas lors de la juxtaposition des ouvrages de Margaret Gilbert et de Peter Winch.

Contre l'idée que la pensée est un phénomène essentiellement linguistique, Gilbert va affirmer que l'homme est capable de former des intentions sans posséder préalablement aucun langage. Contre l'idée que le langage présuppose toujours une structure sociale, elle va soutenir la possibilité logique d'un langage individuel. Si les phénomènes de langage ne dénotent pas l'essence de l'existence humaine, pourra-t-elle affirmer en conclusion, alors nous devons rechercher celle-ci ailleurs, à savoir dans l'intention des individus de former des collectivités.

ii. Le raisonnement de Peter Winch.

La thèse générale de Winch est que : « tout comportement porteur de signification doit être social. » Cette thèse s'oppose littéralement à celle de Gilbert, qui soutient que « la pensée prime sur la société d'un point de vue logique. » Si le premier affirme que toute pensée humaine ne peut advenir qu'au sein d'une structure sociale, la seconde défend au contraire qu'il est possible qu'un homme n'ayant jamais rencontré aucune société humaine forme un langage individuel et, par conséquent, pense. Pourquoi Winch croit-il, de son côté, en la dépendance de la pensée vis-à-vis de la société ? Parce que, selon lui :

1) Il n'existe pas de signification qui se passe de règles de signification

Or, 2) Les règles présupposent toujours une structure sociale

Donc, 3) Par conséquent, tout comportement porteur de signification présuppose une

structure sociale. Gilbert nomme cette thèse de Winch la « thèse de la dépendance

la société » (society-dependance thesis)

La signification renvoie, selon Winch, à la possession de concepts, laquelle implique la saisie de certaines règles. Pour que mon comportement soit porteur de signification, il faut d'abord que je sois capable de lui en attribuer une. Autrement dit, je ne peux pas agir de manière significative sans d'abord posséder le concept qui confère sa signification à mon acte. Par exemple, un homme ne peut pas aller se promener s'il ne possède aucun concept de «ce que c'est que d'aller se promener». Or pour savoir cela, il faut préalablement que l'individu en question se soit trouvé au sein d'une structure sociale où il ait appris le concept « se balader. » On peut alors demander de quelle manière l'homme apprend les concepts. Car, si la seule façon d'apprendre des concepts est de se les faire enseigner par autrui, alors il est certain que la possession de concepts implique bien l'existence préalable d'une structure sociale. Et même, s'il est possible d'apprendre en imitant, il faut bien, pour qu'une telle activité soit possible, que l'individu concerné vive dans une société humaine, entouré d'autres individus qui possèdent déjà des règles et des concepts et qui se laissent observer.

iii. Règles de signification - critères d'assertabilité.

L'argumentation de Gilbert contre Winch va consister à expliquer pourquoi il est logiquement possible qu'un individu apprenne un langage individuel. La question à partir de laquelle les opinions de Winch et Gilbert divergent trouve sa formulation initiale dans les Recherches Philosophiques de Wittgenstein : « Ce que nous appelons «suivre une règle», est-ce quelque chose qu'un seul homme pourrait faire une seule fois dans sa vie ? »22(*) Gilbert commente ainsi ce passage : « La question est de nature rhétorique et Wittgenstein a l'intention d'y apporter une réponse négative. Mais pourquoi ? (...) Est-il impossible de concevoir qu'un être pensant créé pour un seul instant de vie regarde un magnifique coucher de soleil et pense : «Ah, c'est beau !» ? Si jamais quelqu'un affirmait que cela s'était vraiment produit, serions-nous contraints de lui rire au nez sous prétexte que les conditions d'assertabilité associées à notre jeu de langage ont été violées ? »23(*) De quoi un individu né seul sur une île et qui fut toujours coupé de la société est-il capable ? « Il est logiquement possible qu'un individu qui n'a jamais fait l'expérience de la société tape du pied dans un caillou ou recherche volontairement de la nourriture. »24(*) La thèse intentionnaliste de Gilbert consiste d'abord à affirmer que l'homme est susceptible de former des intentions sans avoir jamais fait l'expérience de la société. Mais aussi plus : cet homme est susceptible de saisir des concepts et de se constituer un langage individuel. Car, si la société fournit les règles qui permettront de juger comme correct ou incorrect l'usage des mots par un individu, elle ne lui fournit pas sa capacité à nommer les choses selon des règles privées.

« Supposons que nous commencions par accepter que la règle gouvernant l'usage du mot «zod» détermine quelles sont les choses que je pourrai correctement appeler «zods». Des contraintes seront alors appliquées à un tel comportement. Nous imaginons ensuite une personne se baladant et nommant certaines choses qu'il rencontre «zods». Nous demandons : Qu'est-ce qui décide de la justesse d'un tel emploi ? Qu'est-ce qui constitue le standard ? Voici, selon mon point de vue, le point crucial des arguments de Winch. »25(*)

L'idée de Gilbert est la suivante : l'usage des concepts est encadré par deux types de règles : les règles de sa définition ostensive, qui interviennent autant dans un langage individuel que dans un langage de groupe ; et les règles publiques de son usage, qui dénotent l'accord de communauté sur lequel repose l'usage en tant que social ou commun. Ces deux types de règles nous apprennent comment utiliser les mots, quels en sont les usages possibles. Mais le second type de règles, à la différence du premier, n'est pas indispensable à toute forme de langage. Un Crusoé peut très bien exister qui invente différents mots pour nommer les choses qui l'entourent sans par ailleurs disposer de critère public d'usage de ces mots. Son unique règle d'usage sera alors la définition ostensive du mot.

« Considérons Maude qui, par hypothèse, naît sur une île déserte. Celle-ci se met un jour à utiliser le mot «noum» dans le sens de montagne. Pour que ce puisse être le cas, il faut qu'elle ait saisi une règle encadrant l'usage de «noum». Mais est-ce possible ? ça l'est. (...) Maude a saisi un concept, le concept d'une montagne. Ceci signifie qu'elle a saisi une règle qui peut effectivement déterminer en quel cas le mot «noum» donne lieu à un usage correct et quel cas l'usage est incorrect. Autrement dit, si Maude souhaite continuer à utiliser le mot «noum» pour exprimer ce concept, ce que celui-ci désigne et ne désigne pas fait déjà l'objet d'une détermination. Nous pouvons par conséquent très bien «demander à propos de ce qu'elle est en train de faire si elle le fait correctement ou non». Le concept en question établit ce qui est correct - et qu'elle utilise correctement le mot ou qu'elle fasse une erreur ne dépend pas d'elle, c'est une fonction de la nature de ce concept. Il semble alors que Maude peut très bien avoir un langage (...). »26(*) « Il suit de là que la société n'est pas la seule source possible du standard sur la base duquel le comportement linguistique d'un individu peut être jugé comme correct ou incorrect. »27(*)

Nous résumons la position de Gilber comme suit. Elle retient les interprétations de Wittgenstein que produisent d'une part Winch et d'autre part Saül Kripke. Ces deux interprétations concordent en ce qu'elles situent l'essence du langage dans les conditions du juste usage des mots. C'est-à-dire que tout langage, selon eux, renvoie nécessairement à des règles publiques qui déterminent à l'avance quels sont les usages corrects et incorrects des mots. Partant de cette interprétation, l'argument que Gilbert se donne pour but de dépasser est celui qui affirme que seules des règles publiques sont susceptibles de déterminer les usages corrects et incorrects. Son contre-argument consiste simplement en ceci que des règles privées peuvent jouer le même rôle que des règles publiques : lorsque Maude associe le mot «noum» à l'entité qu'il désigne, à savoir la montagne qu'elle a devant les yeux, elle se donne une règle qui détermine à l'avance son usage du mot «noum». La seule différence existant entre un langage individuel et un langage de groupe est que « le premier n'a pas besoin d'être relié à un système de décisions conjointes qui statue a priori sur l'usage correct et incorrect des mots. »28(*) L'association de mots à des concepts suffit à constituer un langage : aucun corrélat extérieur d'aucune sorte n'est requis lors de la mise en place d'un tel langage.

iv. ...

En montrant que l'existence d'un langage individuel est logiquement possible, Gilbert échappe à l'argument de Winch selon lequel la possession d'un langage présuppose toujours une structure sociale. L'homme, démontre-t-elle par-là, est capable d'exister indépendamment de toute société. Son mode d'existence n'est pas nécessairement social. Dès lors, on ne peut réduire la dimension sociale de la vie humaine à sa dimension linguistique. Quelque chose d'autre doit intervenir et participer de la constitution des phénomènes sociaux. Or derrière le langage, nous dit Gilbert, se trouve la pensée individuelle en tant que telle : l'intentionnalité des individus en tant qu'elle ne nécessite pas de structure sociale. Si donc nous devons déterminer l'élément non-linguistique qui est cause de l'existence des phénomènes sociaux, il s'agira des intentions des individus. Nous retrouvons ainsi le raisonnement qu'abrite la position intentionnaliste : « la vue selon laquelle, en accord avec nos concepts ordinaires de collectivité, les êtres humains individuels doivent se concevoir eux-mêmes d'une manière spécifique afin de constituer une collectivité. » Si la société ne précède pas toujours les hommes, alors les hommes font exister la société par leurs intentions respectives de faire société, de vivre ensemble. En accordant leurs intentions mutuelles, ils constituent ce que Gilbert nomme des sujets pluriels. Si donc nous désirons comprendre le point de vue philosophique de Gilbert quant à l'essence de la société et des phénomènes sociaux en général, nous devons rendre compte du concept de sujet pluriel.

* 19 Ouvrage non traduit en français. Dernière édition disponible : Routledge, 2001.

* 20 Winch formule fréquemment sa thèse en commençant par dire « Si les arguments de Wittgenstein son valables, alors... »

* 21 Il s'agit de déterminer comment fonctionne ce que Vincent Descombes nomme les « institutions du sens ». - Descombes 1996.

* 22 Recherches Philosophiques, § 199, 1953.

* 23 On Social Facts, p. 127.

* 24 Id, p. 59.

* 25 Id, p. 93.

* 26 Id. p. 98.

* 27 Id. p. 99.

* 28 Id. P. 143.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway