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Leibniz et la physique quantique

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par Mathieu Néhémie
Université de Clermont-Ferrand - Master 1 de Philosophie 2006
  

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2.3.2. Les problèmes ontologiques

Le concept de corps matériel

Quel que soit l'objectif du physicien, qu'il ait une véritable volonté théorique visant à décrire les choses en soi ou qu'il se cantonne à un travail opératoire et à l'établissement de règles de prédiction efficaces, certaines questions d'ordre ontologique ne peuvent être ignorées car elles doivent inévitablement se poser au scientifique qu'il soit d'inspiration plutôt réaliste ou plutôt positiviste. Ainsi la question de savoir si le concept de corps matériel doit être conservé en physique quantique est inévitablement posée car quelle que soit l'obédience du discours, il fait invariablement référence à des objets précis dont la nature doit, à un moment ou à un autre, être traitée. Même si l'on estime que la nature des objets étudiés en physique quantique ne peut être fixée, on a d'ores et déjà admis que le concept de corps matériel n'y a plus l'évidence qu'il revêt dans la physique classique.

Pour reprendre le propos de l'épistémologue Michel Bitbol, en toute rigueur il n'est pas possible de retrouver en physique quantique le type d'invariants dont l'on dispose en physique classique comme dans la vie courante et qui nous permettent de faire usage en toute légitimité du concept de corps matériel. Si l'on définit comme lui un corps matériel comme « un secteur d'espace tridimensionnel objectivé par la détermination d'effets locaux invariants sous un ensemble de changements réglés », ni une localisation précise ni aucun effet particulier ne nous sont disponibles pour justifier l'usage en mécanique quantique d'une telle notion corpusculaire. De même, quelle que soit la théorie de la référence utilisée, les conditions nécessaires à une objectivation ne sont pas réunis, que ce soit des procédures de suivi ou des modalités trans-temporelles de réidentification. Mais les pères fondateurs de la microphysique ne s'y sont pas trompés en faisant preuve d'une grande prudence, dés la naissance de la physique quantique, quand à la nature des entités étudiées. Ainsi Schrödinger abandonna très tôt le concept de corpuscules dés lors qu'il n'était plus possible d'avoir de position et de trajectoire clairement définies. Ce sera Bohr qui ira le plus loin en affirmant que l'on est réduit à décrire des dispositifs et des résultats expérimentaux et que les hypothétiques propriétés de corps existant indépendamment de toute observation nous sont inaccessibles et n'ont même aucun sens.

Cependant, malgré son caractère particulièrement opératoire, la théorie quantique, dans sa formulation orthodoxe, n'est pas exempte de considérations corpusculaires. Il y est constamment fait référence à des particules mais dont on n'exige pas que leur description réunisse tous les éléments nécessaires à une objectivation rigoureuse du type de celle d'un corps matériel et dont on ne s'attend pas à ce qu'elles reproduisent tous les comportements généralement associés à une entité corpusculaire. Ainsi une particule possède une position et une vitesse bien définies, mais uniquement lors d'une mesure et jamais simultanément. Cet usage d'une notion très proche de l'idée d'un corps matériel mais qui n'en présente que peu de caractéristiques est symptomatique, non seulement du flou qui caractérise les objets étudiés dans la physique quantique conventionnelle, mais également de l'impossibilité d'y utiliser le concept intuitif de corps matériel dont nous disposons.

En général les théories à variables supplémentaires s'attachent à restaurer pleinement toutes les conditions nécessaires à l'usage d'un tel concept. Cependant cela se paye d'un coût épistémologique très lourd car, outre la non-localité qui doit être admise, des variables inobservables empiriquement doivent être acceptées pour que l'on puisse continuer à parler des particules comme de petits corps matériels disposant en permanence d'une position, d'une vitesse, d'une trajectoire, etc. Cela se rajoute aux difficultés que nous avons traitées précédemment et nuit grandement à leur crédibilité car c'est par des invariants qui ne correspondent à aucune donnée observable, donc à aucune modalité référentielle, qu'une stabilité suffisante est trouvée pour redonner du sens au concept de corps matériel. Pourtant, dans nombre d'expériences, il est possible d'effectuer des observations enchaînées ou des détections coordonnées de sortes que l'on puisse constater des impressions de trajectoire concernant une particule, mais, en raison des relations d'incertitude d'Heisenberg, seule l'introduction de données supplémentaires non-empiriques permettent d'en conclure logiquement à la présence localisée, même en l'absence de mesure, de la particule en chacun des moments de la trajectoire. Cette survie artificielle de notions corpusculaires inutiles au formalisme, pour son efficacité prédictive, peut alors rapidement passer pour une simple astuce conceptuelle, voire un vulgaire réflexe défensif, de la part des ultimes partisans de la réalité fondamentale des corps matériels. Nous avons cependant déjà remarqué que même si l'on n'admet aucune théorie à variables supplémentaires, il est possible de leur trouver une grande utilité épistémologique. Quoiqu'il en soit, même un modèle à variables cachées est obligé d'admettre le comportement souvent fort contre intuitif des particules et la présence d'autres entités réelles et non corpusculaire comme des potentiels ou champs quantiques pour rendre compte de ces bizarreries.

Il arrive que les interprétations de la théorie quantique dites statistiques ou stochastiques soient présentées comme résolvant la question de la nature des entités du monde microscopique. Une telle interprétation part du fait que le formalisme du vecteur d'état et de l'espace de Hilbert est une description complète et adéquate d'ensembles statistiques de systèmes physiques. La parfaite prédictibilité dont fait preuve le formalisme quantique au sujet de distributions statistiques suscite en effet l'unanimité, pourtant diverses interprétations basées sur cette certitude sont envisageables. Ainsi on ne peut considérer ni les vecteurs d'état ni les ensembles statistiques comme réels tout en leur restituant la complète validité opératoire qui leur est due, ou considérer le formalisme quantique comme une description complète et adéquate de la réalité à condition que ces ensembles statistiques constituent des entités réelles. Dans le cadre de la première hypothèse il est alors possible, dans une optique réaliste, de construire sur cette base une théorie à variables supplémentaires qui assigne à chaque système individuel toutes les propriétés d'un corps matériel en considérant qu'ils ne sont pas soumis individuellement aux étrangetés de ce formalisme. Mais il est également acceptable, sur la même base, de tenir un discours d'inspiration positiviste où cette seule efficacité opératoire est considérée comme suffisante et où le concept de corps matériel n'est plus alors nécessaire. La seconde hypothèse, si elle n'établit pas quelle est la nature des entités qui composent les ensembles statistiques, a cependant le mérite de sauvegarder le déterminisme, car s'il ne s'applique pas aux systèmes individuels, il reste complètement opérant au sujet de ces ensembles. Il faut tout de même remarquer qu'une interprétation positiviste qui ne se prononce pas sur la nature des entités individuelles, contrairement à une théorie stochastique à variables supplémentaires, reste condamnée à invoquer le principe de réduction du paquet d'ondes pour rendre compte qu'à chaque mesure on observe sur chaque système individuel des valeurs bien définies. Dans tout les cas, si les interprétations statistiques du formalisme quantique permettent de construire de cohérentes théories à variables supplémentaires et peuvent expliquer l'efficacité opératoire de la physique quantique concernant des distributions statistiques, elles n'apportent pas vraiment de réponse au problème ontologique posé quand au maintien ou non du concept de corps matériel pour le monde microscopique.

Ainsi on peut voir clairement que pour expliquer la théorie quantique comme pour prouver son efficacité, celle-ci n'a absolument pas besoin de notions corpusculaires. Cependant, comme Bitbol le suggère, si de telles notions sont maintenues dans le langages de la plupart des physiciens c'est peut-être parce qu'elles sont nécessaires pour conserver un lien entre ce formalisme si particulier et l'expérience commune qui est la nôtre et dans laquelle nous pouvons en général toujours compter sur des entités spatialement bien localisées et dont le suivi ne pose guère de problème.

Le statut de la conscience

Il nous faut maintenant revenir au problème de la mesure que nous n'avons fait que poser précédemment et notamment sur le statut particulier que le principe de réduction du paquet d'ondes semble donner à l'observation et donc à la conscience. Dans une perspective réaliste ce problème du statut de la conscience est très grave car il devient alors très complexe de construire une description objective de la réalité indépendante. Mais le physicien positiviste doit également être gêné par ce statut très particulier et très important qui est donné à l'influence de l'observateur dans toute opération de mesure car il empêche à première vue de trouver une équation prédictive purement déterministe concernant les résultats de mesures possibles sur un système individuel. La question est donc de savoir si la théorie quantique donne vraiment un statut exceptionnel à la conscience ou s'il est possible de retrouver une description purement physicaliste du réel qui réutilise le même formalisme.

Dans un premier temps il faut remarquer que la plupart des théories à variables supplémentaires, dans l'optique d'une description cohérente du réel, évacuent complètement le principe de réduction du paquet d'ondes, et donc toute intervention de la conscience. Pour cela elles supposent généralement que toutes les observables d'un système ont toujours des valeurs bien définies bien qu'elles ne soient pas données par son vecteur d'état. Dans ce cas l'opération de mesure, comme dans toutes les autres sciences, ne fait que dévoiler une donnée préexistante et le vecteur d'état, qui n'est pas plus une description complète du système, n'est actualisé que grâce à l'apport de cette nouvelle donnée comme dans tout fonctionnement probabilistique en physique classique. Cependant nous avons déjà assez précisé les problèmes épistémologiques que soulèvent les théories à variables cachées pour que nous ne nous suffisions pas des solutions qu'elles proposent et qui ne sont de toute manière pas admissibles dans une optique positiviste.

Nous devons tenter d'éclaircir le problème posé par le statut de la conscience dans le strict cadre de la théorie quantique conventionnelle. Partons pour cela de la célèbre théorie des états relatifs proposée par Hugh Everett. Celle-ci évacue complètement le principe de réduction du paquet d'ondes mais d'une manière très particulière : il n'est pas question de supposer pour cela des valeurs prédéterminées aux observables du système, bien au contraire, même après la mesure, ces observables ne sont toujours pas considérées comme ayant des valeurs déterminées. Pour se passer ainsi de la réduction du paquet d'ondes et résoudre le problème de la mesure, la théorie des états relatifs se propose de traiter la conscience comme une propriété purement physique de l'observateur, lui-même conçu comme un automate de sorte qu'il n'y ait aucune différence entre lui et n'importe quel autre instrument de mesure. Ainsi, après l'interaction, entre un observateur et un système étudié, que nous appelons communément opération de mesure, le grand système composé de leur combinaison se trouve dans un état enchevêtré, et superposé car il n'y a pas eu réduction du paquet d'ondes. L'observateur, comme tout système quantique dans la théorie orthodoxe, est alors considéré comme étant dans plusieurs états en même temps. Mais comment expliquer alors l'unicité que nous observons perpétuellement à propos de la valeur d'une observable mesurée aussi bien qu'au sujet de notre propre conscience ? La théorie des états relatifs montre comment il découle directement des règles de la mécanique quantique que les différentes `'branches'' du vecteur d'état du système total, qui correspondent chacune à un état précis, ne communiquent pas entre elles et sont individuellement cohérentes. En réalité, selon cette théorie, lors d'une mesure, nous observons toutes les valeurs possibles de l'observable considérée mais dans autant d'états de conscience qui ne communiquent pas entre eux. On comprend alors bien comment la théorie de Everett a pu être à la base de la tout aussi célèbre théorie des mondes multiples de Bryce De Witt. Toute opération de mesure crée plusieurs ramifications qui peuvent cohabiter sans encombre en raison du cloisonnement qui les caractérise. Etant donné le nombre de consciences et de mesures effectuées dans l'univers on peut imaginer un nombre astronomique et en augmentation constante pour ces ramifications. Le concept des mondes multiples vient tout simplement de l'idée, que l'on ne peut ni réfuter ni prouver, qu'à la création d'une ramification doit correspondre celle d'un univers correspondant de sorte que le nombre des univers parallèles doit lui aussi être dans une augmentation constante. Aussi étrange qu'elle puisse paraître, la théorie des états relatifs est logiquement très cohérente et permet d'expulser efficacement le principe de réduction du paquet d'ondes sans introduire de données inobservables. Que l'on considère son modèle comme valide ou non, le coup de génie d'Everett demeure qu'il ait songé à faire glisser le problème de la mesure de considérations physiques à une conception davantage psychologique, tout en admettant comme valide l'essentiel des règles de la mécanique quantique conventionnelle. Cependant, dans l'analyse que d'Espagnat a pu en proposer, il est possible de remarquer que la théorie des états relatifs peine quelque peu à donner un statut à la mémoire de l'observateur et qu'il est nécessaire pour régler ce point de retomber sur un certain dualisme car l'état de conscience de l'observateur est alors une propriété particulière soumise à un régime spécial. Dans ce dernier cas, si la théorie des états relatifs a le mérite de refuser à la conscience une quelconque influence lors de l'opération de mesure, elle ne parvient pas tout à fait à lui enlever son statut particulier.

Quelle que soit la tournure dans laquelle nous prenons le formalisme quantique orthodoxe, on doit inévitablement constater que les notions d'observation et d'observateur ne peuvent en être expulsées. Etant donné que toute forme d'observation suppose une conscience correspondante et que toute formulation de loi en physique quantique conventionnelle ne peut manquer de faire appel à ce concept d'observation, une vision matérialiste de la théorie quantique du type de celle habituellement adoptée en physique classique, c'est-à-dire éjectant complètement toute référence à l'esprit humain, n'est tout simplement pas envisageable. Et cela est tout à fait indépendant du problème posé par la réduction du paquet d'ondes car par exemple la règle de Born, qui sert à calculer la probabilité que telle valeur soit mesurée sur telle observable, ne peut être transformée en une règle nous permettant de déterminer la valeur que telle observable a avant la mesure que si l'on se place dans le cadre d'une théorie à variables supplémentaires. Donc soit on prend le formalisme dans sa mouture orthodoxe et on est alors dans l'incapacité de tenir l'habituel discours scientifique et physicaliste, soit on adhère à l'une des théories à variables cachées mais, en admettant ainsi des données non-empiriques, on s'expose à l'accusation scientiste, habituellement réservée aux théories les moins matérialistes, d'accepter des hypothèses métaphysiques. Comme le remarque Bitbol, cette irréductible présence de l'expérimentateur dans la formulation de la théorie quantique fera rappeler à Bohr ce fait, pourtant déjà remarqué par la tradition philosophique mais oublié dans la construction de la méthode scientifique, que « nous sommes aussi bien acteurs que spectateurs dans le grand drame de l'existence ».

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle