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Naturalisme et philosophie de l'esprit

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par Lucas GUILLEMOT
Université de Provence - Maitrise de philosophie 2002
  

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3. LE NATURALISME EVOLUTIONNISTE

Avant d'entrer dans le détail d'un naturalisme évolutionniste, nous nous proposons de nous interroger sur l'usage qu'une science fait de concepts ou d'entités mentales. Pour éclairer les questions relatives aux relations qu'entretiennent les états mentaux et les comportements, nous pouvons faire une incursion dans la science du comportement : l'éthologie. Comment cette branche de la biologie explique-t-elle les comportements animaux et humains ? Cette réflexion sur l'éthologie est intéressante, parce que si les concepts mentaux sont considérés par les éthologistes comme des concepts scientifiques, il n'y a plus lieu de les naturaliser. Il faut donc que nous montrions que ce n'est pas le cas.

Dans leur livre intitulé L'éthologie1(*), RENCK et SERVAIS la présentent ainsi : «  l'éthologie a dans ses objectifs et sa pratique, une approche mécaniste, mais elle ne défend pas de dogmes, en principe, quant au degré de vie psychique chez l'animal ou aux opérations qui en procèderaient - simplement, Niko Tinbergen a souligné la difficulté de les explorer et de les justifier objectivement. ». Beaucoup d'éthologistes font preuve de réserve, voire s'opposent à l'attribution d'états mentaux aux animaux parce qu'il y a des « risques d'interprétation erronée dès lors qu'on vise à identifier, chez un animal, des états mentaux et des raisonnements que l'on veut tenir pour causes de ses comportements ».2(*) Dès lors, la plupart des éthologistes se sont rangés au « canon de Morgan » qui proposait « qu'on ne rattache plus le comportement animal à des causes vagues telles que l'intelligence ou le raisonnement si une interprétation plus simple s'avérait suffisante... »3(*). Cela rappelle étrangement la démarche béhavioriste, mais les éthologistes et les béhavioristes se distinguent par le fait que chez les seconds les comportements se mettent en place essentiellement par voie d'apprentissage, alors que chez les premiers, ils sont issus de la sélection naturelle, certains comportements pouvant être innés. Ils se distinguent aussi sur d'autres points que nous n'aborderons pas ici parce qu'ils ne concernent pas directement notre problème.

Dans leurs explications, les éthologistes rejettent les états mentaux, et cela vient peut-être du fait que l'on veut considérer ceux-ci comme des causes du comportement, alors que les éthologistes semblent se préoccuper davantage de leurs conséquences ou effets, et du rôle qu'ils jouent pour la survie de l'espèce. L'étude éthologique serait-elle plus fonctionnelle que causale ?

Définissons d'abord ce que nous entendons par « études fonctionnelles » : ce sont des études qui visent « à peser les bénéfices et les coûts associés à un comportement ou à un ensemble de comportements constituant une stratégie comportementale. ».1(*) Nous pouvons voir en fait que l'on ne peut considérer l'étude fonctionnelle comme étant indépendante de l'analyse causale, étant donné que l'étude fonctionnelle porte sur des conséquences, c'est-à-dire sur des effets. La détermination des causes du comportement est néanmoins extrêmement complexe : « nous sommes bien en peine de mettre en évidence quoi que ce soit de vraiment spécifique dans l'organisation d'un crabe qui le mène à se conduire comme tel, hors de son organisation d'ensemble. »2(*) ; « les systèmes biologiques responsables du comportement sont moins des réalités localisables que l'effet de processus multiples, diffus. » 3(*) ; et encore : « ...les ponts établis entre l'éthologie, la neurobiologie, l'endocrinologie, et la génétique ont considérablement étendu notre vision des déterminants immédiats des comportements, à défaut de leur « cause », qui souvent entremêle les stimulations de l'environnement et les dispositions internes du moment chez l'organisme. »4(*).

L'invocation de gènes pour expliquer les comportements semble tout autant poser problème, et bien qu'on ait pu « amener par des greffes de tissu cérébral de caille, des poussins à vocaliser et à hocher la tête à la manière des cailles. » 5(*), nous sommes encore dans l'ignorance concernant la « manière » dont « les greffons imposent leur programmation », et « nous ne sommes donc pas plus près avec cette expérience, de reconnaître en quoi un ensemble de neurones induit une conduite spécifique. ». 6(*)

Si les gènes sont « impliqués dans la genèse des comportements », certains « aspects du comportement nécessitent pour leur plein développement des interactions avec l'environnement social, biologique ou physique. »7(*).

Il y a une différence entre :  « supposer une influence génétique » et « reconnaître quel gène est impliqué et surtout de quelle manière il intervient » 8(*). Dans le premier cas, nous sommes dans ce que nous pourrions appeler le génétisme, alors que dans le second nous sommes en présence d'une véritable démarche scientifique. RENCK et SERVAIS résument très justement cette question en une phrase : « soutenir la primauté de l'acquis ou du génétique dans la mise en place des comportements s'apparente à se demander : « quelle est, dans un applaudissement, le son produit par une main ? »1(*). Cela invalide sans doute aussi la démarche qui consisterait à faire des seuls états mentaux des causes de nos comportements.

Nous voyons donc que la détermination des causes du comportement est loin d'être aisée.

Indépendamment du fait de concevoir les états mentaux comme des causes, leur simple attribution à des animaux est considérée par beaucoup de chercheurs en éthologie comme de l'anthropomorphisme, qui peut être défini comme l' « attribution de caractéristiques humaines aux animaux. »2(*). Mais « est-ce anthropomorphique d'attribuer une personnalité à un chimpanzé, des émotions à un chien, ou des intentions à un dauphin ?  Ce n'est évidemment une erreur que si les animaux considérés ne possèdent ni personnalité, ni intention, ni émotion. »3(*).

Ne fait-on pas une pétition de principe lorsque l'on suppose a priori que les animaux n'ont pas d'états mentaux ? Autrement dit, l'attribution d'états mentaux à des animaux est-elle anthropomorphique ?

Il y a une différence entre supposer a priori que les animaux n'ont pas d'états mentaux et tester l'hypothèse selon laquelle ils en possèdent.

Mais peut-être cherchons-nous du mauvais côté en voulant à tout prix obtenir comme résultat de notre analyse des causes du comportement.

En effet, les explications visant à faire des états mentaux des causes de nos comportements paraissent déboucher sur le problème quasi-insoluble de la causalité mentale, et les explications scientifiques cherchant les causes physiques de nos comportements semblent devoir en partie y renoncer, étant donné l'enchevêtrement de celles-ci, comme nous l'ont déjà fait remarquer RENCK et SERVAIS. Cet enchevêtrement est une des raisons qui justifierait que nous renoncions à la notion de causalité pour analyser les états mentaux. Faut-il alors privilégier une étude fonctionnelle des états mentaux par rapport à une étude causale ? Mais comme nous l'avons vu, celle-ci n'est pas totalement indépendante de celle-là.

Il nous paraît donc justifié de laisser de côté cette question de la causalité supposée des états mentaux sur les comportements, étant donné qu'elle ne concerne pas directement le problème qui nous occupe. Remarquons aussi que ceux qui refusent d'attribuer des états mentaux aux animaux ne prennent pas nécessairement conscience que nous n'avons pas plus de raisons d'attribuer de tels états aux individus de notre espèce qu'aux animaux ou à d'autres entités.

Indépendamment de la question de savoir si les animaux ont réellement des états mentaux, et si ceux-ci doivent être décrits en termes de cause ou de fonction, il peut être fructueux d'en attribuer à diverses entités. L'insertion d'états mentaux dans les descriptions que nous faisons des comportements des animaux peut avoir une valeur heuristique, indépendamment de l'existence et de la possession réelle de ce niveau d'organisation par les entités en question.

Cette démarche de mettre en exergue le caractère heuristique de ce niveau de description est recommandé par Daniel DENNETT sous le nom de « stratégie intentionnelle » ou « posture intentionnelle » ; celle-ci « doit s'appliquer, même lorsque nous avons affaire à des créatures dont le comportement est moins que rationnel, ou apparemment non rationnel comme des animaux. »1(*), et « ...elle n'a pas à être vraie d'états réels de l'organisme, mais seulement d'états que l'on pose, à titre instrumental, pour des fins de l'explication du comportement. »2(*).

La démarche de DENNETT « consiste à prendre le contre-pied du canon de parcimonie, et à supposer que les comportements observés doivent en principe être susceptibles d'une interprétation d'ordre supérieur, et d'essayer, à partir de là, de prédire les séquences comportementales qui devraient s'ensuivre. Si les données empiriques confirment ces prédictions, les animaux étudiés seront promus à la possession de facultés supérieures. Sinon, ils en seront déchus. (...) C'est une stratégie que Dennett prescrit non seulement pour l'attribution de croyances à des humains, mais aussi à des systèmes artificiels, tels que des ordinateurs... » 3(*). Nous voyons donc que nous pouvons attribuer des états mentaux à d'autres entités que les seuls humains, et que cette démarche a un sens et un intérêt, même si nous ne considérons pas que les états mentaux sont des causes. DENNETT est en effet plus normativiste que causaliste, mais il n'hésite pas pour autant à recourir à la science et aux données empiriques pour éclairer les problèmes que posent les états mentaux, au contraire des wittgensteiniens et normativistes classiques comme DESCOMBES.

Mais bien que la posture intentionnelle puisse avoir une valeur heuristique, elle ne nous dit rien sur l'existence et la réalité des états mentaux, et se situe d'emblée dans une conception non-naturaliste, puisqu'au lieu de tenter de décrire ou de définir des états mentaux par des concepts scientifiques, elle cherche à faire accepter et à introduire des concepts intentionnels dans des explications scientifiques, en leur accordant une légitimité qui leur est déniée. L'utilisation de concepts mentaux dans les explications scientifiques est néanmoins très débattue au sein de la communauté des éthologues, ce qui fait que ces concepts n'ont pas encore acquis un statut scientifique ; les entreprises de naturalisation ne sont donc pas menacées par cette éventualité.

Rappelons aussi que le problème qui nous occupe n'est pas tant celui de l'explication de nos comportements, mais celui de l'éventuelle réduction, explication, ou description de nos états mentaux eux-mêmes, et c'est pour cette raison que nous pouvons en fait laisser de côté pour l'instant cette question de la modification de nos énoncés comportant des états mentaux, et visant à expliquer nos comportements, car elle dépend en fait de la pertinence d'une telle naturalisation.

Nous avons montré que la réalité d'une croyance, d'une intention, d'un désir ou de tout autre état mental ne peut être mise sur le même plan que la réalité d'un elfe ou d'une sorcière, et nous pouvons maintenant nous demander quel type de réalité peuvent avoir les états mentaux.

Il est en effet possible de soutenir un réalisme modéré concernant les états mentaux, comme nous y invite ENGEL. Celui-ci « peut être caractérisé ... par des analogies, plus qu'il ne peut être véritablement défini. »1(*). Ce réalisme modéré ne peut être assimilé à une identification de l'esprit au cerveau, ou à une identification des propriétés mentales à des propriétés physiques ou neurophysiologiques. Celle-ci se heurte en effet à deux objections : « la première a trait à la relation d'identité elle-même. Si cette relation est entendue en son sens strict, elle doit être symétrique : si a=b, alors b=a. Mais d'une manière ou d'une autre, la théorie est supposée montrer que le terme physique des énoncés d'identité est plus important, explicativement, que le terme mental.. » La seconde tient à la relation d'identité elle-même qui « doit respecter la « Loi de Leibniz » où le principe d' « indiscernabilité des identiques » : toutes les propriétés vraies de x doivent être vraies de tout ce qui est identique à x (...) Mais si c'est le cas, une propriété mentale, par exemple une sensation de rouge, ou une pensée obscène, ne peut être identique à une propriété physique de mon cerveau, car les états de mon cerveau ne sont pas rouges, ni obscènes, et inversement ces états ont des propriétés spatiales, chimiques, électriques, que l'on ne peut attribuer à des états mentaux. » 1(*).

Les propriétés mentales ne pourront pas non plus être réduites à des propriétés physiques, ce que nous verrons tout à l'heure. Il faut accepter l'idée d'un niveau d'organisation ontologiquement irréductible, et possédant une réalité propre, parce que s'il est fondé de dire que les états mentaux d'autrui peuvent être des causes de son comportement, notre description ou interprétation des comportements d'autrui en termes d'états mentaux ne peut jamais être une cause de son comportement. Afin d'examiner celle-ci, revenons sur les analogies proposées par ENGEL : « soit, par exemple, un centre de gravité. C'est un point mathématique, un objet abstrait, et pas une entité physique. Mais s'ensuit-il qu'il n'y ait pas de centres de gravité, que ce soit une pure fiction ? Non. Le statut de tels objets abstraits n'est pas tout à fait à mettre sur le même plan que celui des nombres ou des objets mathématiques, car un centre de gravité se définit par rapport à un objet physique. » 2(*). Il en est de même de la croyance ou d'autres états mentaux qui sont ici conçus comme des propriétés d'un ou de plusieurs états du cerveau. D'autres analogies peuvent être fructueuses : « Dennett compare encore les croyances à des entités telles que des voix ou des fatigues. »3(*). La voix est en effet « un ensemble de sons, doués de caractéristiques physiques, sans que pour autant il y ait un ensemble défini de ces caractéristiques physiques à laquelle se réduise la voix. » 4(*).

Il en est de même des buissons de QUINE « que l'on taille de manière à leur donner la forme d'éléphants, mais dans lesquels les détails anatomiques de feuilles et des branches diffèrent dans chaque cas » ; on peut remarquer avec ENGEL que : « toutes ces analogies sont destinées à suggérer que aussi indéterminées que soient ces trames ou structures ... il existe cependant une structure ou trame réelle qui est là. » 5(*).

Pareillement, « divers schèmes de mesures peuvent être utilisés, par exemple en degrés Celsius et en degrés Fahrenheit pour la température. Mais le fait que divers schèmes alternatifs soient possibles n'implique pas qu'il n'y ait pas quelque chose à mesurer, la température, qui est parfaitement réel. (...) En d'autres termes, la pluralité des schèmes d'interprétation d'une structure physique quelconque n'implique pas l'irréalité de la structure en question. » 1(*). Ces différentes analogies nous permettent de mieux saisir le type de réalité que pourraient posséder les états mentaux.

ENGEL évoque aussi la métaphore de RAMSEY qui consiste à se représenter les croyances comme des « cartes de l'espace environnant qui nous servent à nous diriger » et continue comme suit : « cette analogie contient en germes toutes celles que nous avons rencontrées. D'un coté, les croyances ont une certaine fonction (de direction), de l'autre, en tant que « cartes », elles représentent quelque chose. Ceci prend en compte le profil fonctionnel et le contenu représentatif. D'un autre côté une carte n'a pas besoin de représenter de manière exacte un territoire, elle peut être à diverses échelles, utiliser diverses notations conventionnelles (couleurs) pour représenter des montagnes, des villes, etc. En ce sens, il n'y a pas lieu de supposer que ces cartes sont des représentations internes « réelles » : dans une large mesure, l'usage que l'on fait d'une carte dépend de la manière dont on l'interprète. La carte peut ne représenter rien de réel. Mais la carte n'est pas pour autant une fiction : même si c'est une carte de l'île au Trésor, elle est réelle dans notre esprit, et demeure telle, comme le dit RAMSEY, « quelle que soit la manière dont nous la compliquons ou en complétons les détails. » »2(*). Notons bien que toute carte, et donc par assimilation toute croyance, est censée représenter un territoire, qu'il soit réel (la France), ou imaginaire (l'île au Trésor).

Les expressions « naturalisation de l'esprit » ou « naturalisation de l'intentionnalité » peuvent être comprises comme le programme visant à « réduire l'intentionnel à du physique », ce à quoi nous invitait Joëlle PROUST dans Comment l'esprit vient aux bêtes3(*). Cela peut être interprété de deux façons : c'est juste si l'on considère que l'état mental ou intentionnel a été réduit en tant qu'état à un état physique ; mais c'est faux si l'on considère que les propriétés mentales ou intentionnelles ont été réduites à des propriétés physiques.

De plus, cette définition est incomplète car on peut comprendre la naturalisation de l'esprit ou de l'intentionnalité comme autre chose qu'une simple réduction. Mais faisons pour l'instant comme si nous la jugions correcte, et examinons le programme réductionniste.

Rappelons la définition proposée par ATLAN que nous mentionnons à nouveau pour la clarté de notre exposition : « la pratique réductionniste consiste à séparer un tout en ses constituants, avec l'espoir de trouver dans les propriétés des constituants de quoi expliquer celles du tout »1(*).

Il ne s'agit pas pour autant de supposer des micro-unités mentales qui seraient censées expliquer l'émergence des propriétés mentales. Cette démarche pourrait au premier abord apparaître comme un réductionnisme. Mais il faut concevoir les propriétés intentionnelles ou mentales comme une émergence ou survenance à partir de constituants non intentionnels. Analyser le mental en le « découpant » simplement en parties mentales ne nous en apprend pas plus sur les propriétés mentales que si nous cherchions à analyser les propriétés gustatives d'un cake en supposant qu'elles sont la résultante de l'assemblage de ses morceaux ou parties. Les propriétés gustatives d'une partie ou d'un morceau de cake sont la même chose que les propriétés gustatives du tout du gâteau, et cela même s'il peut y avoir une légère variation entre les propriétés gustatives des parties de celui-ci. Une « analyse » des propriétés gustatives du cake consiste notamment à mettre en évidence non pas les parties, mais les ingrédients qui le constituent ; les parties du gâteau étant déjà un tout du point de vue de leurs propriétés gustatives. Cela peut être remarqué par le fait que goûtés un à un, les ingrédients du gâteau (farine/sucre/beurre) n'ont pas les mêmes propriétés gustatives que le gâteau, alors que les différentes parties du gâteau ont quasiment les mêmes propriétés gustatives que le gâteau (sauf exception).

La division en parties est une pseudo-analyse qui repose sur l'erreur consistant à faire des propriétés du tout des propriétés des « parties », qui peuvent elles-mêmes être fictives : la définition du psychisme par FREUD en termes de relations entre Ca, Moi et Surmoi est un bon exemple de ce type de pseudo-analyse qui amène à produire une pseudo-explication.

Nous avons bien conscience que nous ne devons pas analyser de la même manière les propriétés gustatives et les propriétés mentales, étant donné que les premières se satisfont d'une analyse en termes d'ingrédients, alors que les secondes réclament une analyse en termes d'entités ou constituants présents dans les sciences de la nature, et de concepts scientifiques naturels, si l'on se situe dans le cadre d'une naturalisation stricto sensu.

Une véritable analyse du mental consistera donc à considérer des relations entre différents états ou constituants physiques pour expliquer ensuite la production des propriétés mentales par les interactions de ces états physiques ou constituants. La pratique réductionniste appliquée à l'esprit ou au mental devra donc considérer l'esprit comme un tout séparable en des constituants. Le réductionnisme pourra être dit « fort » ou « faible ». Dans le premier, « s'exprime une métaphysique matérialiste » alors que le second est « limité à une pratique sans laquelle la démarche scientifique ne pourrait pas exister »1(*). Toujours selon ATLAN, « le premier est intenable car il est contredit dès qu'on dépasse un certain seuil de complexité, alors même qu'on reste dans le cadre du fonctionnement de systèmes physico-chimiques artificiels. Le second est correct mais dans le cas d'une machine trivial, car il ne dit pas grand chose de plus au-delà du constat que le fonctionnement de la machine est limité par les contraintes qu'imposent les constituants. Le réductionnisme fort admet que l'analyse qui sépare le tout en ses parties suffit à la compréhension des propriétés du tout, dans une reconstruction mentale où celle-ci découle, en quelque sorte automatiquement, des propriétés des parties. Or, ce n'est que dans des organisations simples, où les parties sont associées les unes aux autres de façon additive et linéaire, telle qu'une propriété du tout peut être conçue immédiatement, par le bon sens, comme une addition des propriétés des parties, que le postulat réductionniste peut se vérifier. ... Autrement dit on rencontre ... de grandes difficultés à prédire le comportement du tout à partir des propriétés des parties, comme dans le cas d'une cellule qui serait réduite à ses molécules ou d'un cerveau à ses neurones. » 2(*). Les « parties » telles qu'ATLAN les entend sont en fait assimilables logiquement aux constituants ou ingrédients dont nous avons précédemment parlé.

Le réductionnisme fort semble donc, par ce qui vient d'être dit, infondé scientifiquement.

De plus, l'argument de la probable réalisabilité multiple des fonctions (et des états mentaux lorsqu'ils sont conçus comme des fonctions) pose problème à un physicalisme radical : « pour accomplir une même fonction à un niveau global d'organisation, une machine ou un programme peut utiliser des substrats physiques très différents obéissant à des lois physiques différentes (valves, ressorts et mécanique d'horlogerie, diodes, semi-conducteurs, molécules enzymatiques, cellules nerveuses). Inversement, une même machine électronique (un ordinateur programmable), obéissant au niveau de ses composants aux mêmes lois physiques, pourra être programmée à accomplir des tâches extrêmement diverses décrites en termes d'instructions logiques n'ayant que des rapports extrêmement lointains avec l'état physique des composants. »1(*).

Il y aurait en fait une irréductibilité à la fois du niveau d'organisation et du niveau de description : « c'est pourquoi chaque niveau, alors même qu'il existe des langages de traduction (tels que les compilateurs) permettant de passer d'un niveau à l'autre jusqu'à celui du langage-machine, est, dans une certaine mesure, irréductible, en fait sinon en droit, aux niveaux précédents. »2(*).

S'agissant de la réduction d'un langage scientifique à un autre langage scientifique, ainsi que de la réduction des entités auxquelles les concepts de ces langages se réfèrent, est-elle possible sans perte d'information ? En parlant de la psychologie, de la neurophysiologie, de la biochimie, de la mécanique quantique et de la réduction des unes aux autres, ATLAN fait la remarque suivante : « en fait ces réductions ne manquent pas de poser beaucoup de problèmes, et elles posent beaucoup plus des hypothèses de travail, bases de programmes de recherche, que de véritables théories complètes et cohérentes. Celles-ci devraient permettre un cheminement causal inverse du physique au psychique tel que la composition d'une symphonie ou la découverte d'une loi scientifique puissent être décrites de façon suffisante dans le langage de la neurophysiologie, puis que cette description soit traduite complètement dans le langage de la biochimie et enfin celui-ci, lui aussi complètement, en formules de mécanique quantique. »3(*).

A cette réflexion fait suite une mise en garde : « le fait qu'il n'en est rien, mais que, pourtant, il ne peut pas y avoir de science sans postuler qu'il doive en être ainsi, et qu'enfin ce postulat, si l'on y croit, porte avec lui un danger de dogmatisme et d'illusion au moins aussi grand que la théologie et le spiritualisme, c'est ce que je voudrais essayer d'exposer ici. »1(*). Sans doute nous parle-t-il ici de ce qu'il appelle le « réductionnisme fort ».

D'autres penseurs comme WITTGENSTEIN nous mettent en garde contre la tentation réductionniste et la fascination que ce type d' « explication » peut exercer : « certains types d'explications exercent une attraction irrésistible. A un moment donné, l'attraction d'un certain type d'explication est plus grande que tout ce que vous pouvez concevoir. En particulier, une explication du type : « Ceci est en réalité seulement cela. » »2(*). Un peu plus loin, il revient sur ce type d'énoncé : « ces phrases ont particulièrement la forme de la persuasion, qui disent : « Ceci est en réalité ceci .» »3(*). Cela revient à affirmer comme il le dit auparavant que « le meilleur parfum n'est qu'acide sulfurique »4(*), même s'il le formule comme une question.

Le réductionnisme faible est par contre une pratique scientifique ou méthodologie acceptable et sans doute recommandée à titre d'hypothèse de travail. Mais il n'est pas nécessairement évident que le philosophe doive se prêter à une telle pratique.

Appliqué aux propriétés mentales, il pose en effet un certain nombre de problèmes : ontologiquement, il semble difficile de soutenir que les propriétés mentales doivent se réduire à leurs constituants, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la propriété mentale peut être judicieusement comparée à la propriété non-physique qu'a une automobile de braquer. Et comme l'affirme ENGEL à qui nous reprenons cette analogie : « on ne peut assimiler la propriété qu'a une auto de braquer avec les états particuliers du moteur. Si la voiture braque, c'est parce qu'une quantité de pièces entrent en interaction par rapport auxquelles le braquage est une propriété « survenante ». Cela ne veut pas dire que les pièces qui sous-tendent le fait de braquer n'existent pas. Au contraire, sans elles il n'y aurait pas de braquage. Mais les états physiques de la voiture ne sont pas nécessairement la même chose que les propriétés dont nous avons besoin pour caractériser ses performances. »5(*).

Le réductionnisme vis-à-vis des propriétés mentales est aussi problématique en ce qu'il ne sait pas à quels constituants réduire les états mentaux, ni même à quels constituants et à quelle activité physique ou neuronale de ces constituants correspond tel ou tel état mental, à moins de procéder à un pré-découpage intentionnel (cette objection semble s'appliquer au matérialisme éliminatif aussi bien qu'à toute tentative de réductionnisme); en effet, comme le dit ATLAN : « le fait d'affirmer que le comportement du cerveau dans ses activités de penser est la conséquence de l'état d'activité de ses neurones et que toute pensée ou sensation qui peut être décrite sous la forme d'un de ces états est une affirmation évidente mais vide tant que nous ne connaissons pas cette description. »1(*).

En admettant que nous connaissions les différents constituants physiques de nos états mentaux (sans doute variables du fait de la plasticité du cerveau), cette connaissance étant une condition nécessaire mais non suffisante à la réduction de ceux-ci, et que nous acceptions l'analogie que nous a proposé Pascal ENGEL, nous devrions concevoir l'esprit ou les propriétés mentales comme une organisation survenant de l'agencement de différents constituants physiques. Il ne s'ensuit pas pour autant que nous devions réduire cette survenance à ses constituants physiques, étant donné qu'il semble qu'elle puisse pareillement survenir sur d'autres constituants physiques, en vertu de la probable réalisabilité multiple des états mentaux.

Etant donné que le concept d'organisation est un concept issu des sciences de la nature, cette façon de décrire les propriétés mentales ou l'esprit, satisferait aux exigences d'une naturalisation stricto sensu. Nous reviendrons sur cette question importante tout à l'heure.

Plutôt que de réduire, expliquer ou décrire chaque entité mentale à/par une entité physique, les philosophes naturalistes se sont proposé de s'intéresser uniquement à ce qui caractérisait tous les états mentaux, à savoir l'intentionnalité. Mais quelques philosophes, dont certains sont naturalistes, ont soutenu que tous les états mentaux ne sont pas intentionnels. SEARLE, qui définit l'intentionnalité comme « la propriété en vertu de laquelle toutes sortes d'états et d'événements mentaux renvoient à ou concernent ou portent sur des objets et des états de choses du monde », affirme que « l'Intentionalité  n'appartient pas à tous les états ou événements mentaux, mais seulement à certains d'entre eux. » 2(*). Alors que les croyances ou les désirs renverraient toujours à quelque chose, l'état de trouble ou d'inquiétude ne renverrait pas pareillement à quelque chose.1(*)

Nous voudrions au contraire défendre l'idée que tout état mental a pour fonction d'indiquer ou de nous informer sur quelque chose, un « territoire », autrement dit possède la propriété d'intentionnalité, et que lorsque ce n'est pas le cas, il s'agit d'un dysfonctionnement de l'état mental, comme nous l'avons soutenu dans notre seconde partie avec l'exemple de la douleur. Nous pouvons tout d'abord compléter notre réflexion en montrant que les états que SEARLE pense être non-intentionnels sont en fait intentionnels. Sans rentrer dans le détail de cette question, on peut considérer que le trouble ou l'inquiétude sont des émotions, et à ce titre peuvent être conçues comme des perceptions. En tant que perceptions, elles sont nécessairement intentionnelles puisqu'il faut qu'il y ait quelque chose qui soit perçu. SEARLE aurait donc raison de nous demander : « de quoi les états d'inquiétude et de trouble sont-ils la perception ? ». On peut répondre à cette question avec DAMASIO que « la perception des émotions ne porte sans doute pas sur des entités psychologiques fugitives, mais qu'elle correspond à la perception directe d'un paysage particulier : celui du corps. »2(*). Autrement dit, les états d'inquiétude et de trouble seraient des perceptions des états du corps : « en gros, la perception d'une émotion donnée correspond à l'information sensorielle provenant d'une certaine partie du paysage corporel à l'instant t. Elle a un contenu spécifique (c'est l'état du corps) ... »3(*).

S'il n'est pas évident que l'émotion ne soit que perception d'un état du corps, il paraît probable que l'émotion implique une perception d'un état de choses intérieur et/ou extérieur. Nous aurions plutôt tendance à soutenir que l'émotion est avant tout une perception d'un état de choses extérieur qui se manifeste ensuite sous la forme d'un état du corps.

Résumons ce que nous avons acquis : nous comprenons à peu près ce que pourrait être un état mental lorsque nous le concevons comme une carte ayant, comme toute carte, la propriété d'intentionnalité qui consiste à indiquer ou à représenter un certain territoire. Nous avons vu que la naturalisation conçue comme une réduction se heurtait à un certain nombre de difficultés, qu'il s'agisse d'un réductionnisme fort comme d'un réductionnisme faible. La réduction ontologique des propriétés mentales à leurs constituants ne peut avoir lieu car nous n'avons pas une connaissance suffisante de ceux-ci, c'est-à-dire de ce qui pourrait être la référence de nos croyances par exemple, et la réduction dans notre langage ordinaire, comme à l'intérieur même des sciences, entre un niveau de description et un autre, ne peut se faire sans perte d'information. La tâche que nous nous proposons maintenant d'accomplir est une description/définition de l'intentionnalité en utilisant des concepts issus des sciences naturelles, dont celui de fonction fait partie.

Nous voudrions auparavant examiner ce que recouvre l'expression « causes de l'intentionnalité ». Il semble qu'il y ait deux principaux schèmes explicatifs causaux concernant l'intentionnalité des états mentaux : le premier postulé comme pouvant être à l'origine de celle-ci est l'apprentissage par le conditionnement opérant, le second par la sélection naturelle. Quant aux états cérébraux, il semble qu'ils soient plutôt une condition des états mentaux qu'une cause de ceux-ci. Joëlle PROUST, dans son livre Comment l'esprit vient aux bêtes, s'emploie à réfuter la première affirmation. Nous nous attacherons plutôt à la seconde en examinant si l'intentionnalité des états mentaux des organismes peut être conçue comme une fonction sélectionnée par le processus biologique que l'on appelle l'évolution. Mais auparavant il nous faut justifier le fait que nous ne nous servions pas du concept d'organisation pour décrire et éventuellement définir les états mentaux. L'organisation est en effet un concept bien établi en biologie, comme on peut le voir par la lecture de La logique du vivant 1(*), qui consacre un chapitre entier à cette notion. Définir ou décrire l'esprit en termes d'organisation consisterait à le concevoir comme un tout immatériel survenant sur des constituants physiques, tout immatériel à cause du fait que des relations entrent en compte dans sa définition. Il est intéressant de se le représenter ainsi, mais cela ne rendrait pas compte de la propriété possédée par cette organisation spécifique désignée par le terme d' « esprit ». Autrement dit, si nous définissions simplement les propriétés mentales comme une organisation, nous nous priverions de cette propriété singulière qui paraît les caractériser, et que nous avons jusqu'à présent appelée l'intentionnalité, qui est la propriété de porter, d'indiquer, ou de représenter (nous distinguerons ces concepts plus tard), des états de choses du monde. Le seul concept usité dans les sciences de la nature (notamment en biologie) pouvant peut-être rendre compte de cette relation est celui d'information.

Nous allons traiter le détail de cette question dans le cadre du problème général que nous nous posons : l'intentionnalité est-elle une fonction issue du processus biologique que l'on appelle l'évolution ? Mais il nous faut auparavant examiner cette question : que nous apporte une analyse de l'intentionnalité en termes de fonction ?

Cette idée de concevoir le fait de se représenter comme une fonction apparaît notamment chez Joëlle PROUST : « ... le concept de fonction permet... de déterminer la capacité représentationnelle comme une fonction biologique parmi d'autres. » 1(*).

Ici intervient le problème de la scientificité des énoncés téléologiques : en effet, « c'est le maillon considéré comme le plus faible, le plus éloigné de recevoir un traitement scientifique, à savoir le caractère téléologique, finalisé, des attributions intentionnelles, qui allait offrir aux naturalistes en philosophie l'un des instruments conceptuels les plus pertinents pour conférer aux contenus mentaux le statut scientifique « le plus strict ». » 2(*). Et « un organisme recueille une information, forme des croyances, désire et planifie son action pour atteindre certaines fins. »3(*). Ces dernières réflexions peuvent paraître paradoxales parce qu'il semble qu'on veuille réintroduire la notion de finalité dans les explications scientifiques, ce qui serait le contraire d'une démarche naturaliste, qui présuppose, nous le rappelons, que nous ne nous servions que de concepts scientifiques dans nos descriptions des phénomènes. Mais il s'agit bien en fait d'une naturalisation au sens où l'on cherche à rendre compte du concept de fonction en extirpant de celui-ci toute idée de finalité. Il y a en effet deux façons de comprendre la téléologie : « on entend en effet par là tantôt une explication qui invoque les buts ou les fins d'un processus à titre de facteur causal expliquant ce processus, tantôt une explication en termes de fonction, qui ne présuppose nullement l'hypothèse selon laquelle la structure considérée aurait un but ou un objectif particulier. Ne retenons donc pour le mot « téléologique » que le sens où l'on cherche à déterminer la fonction d'une structure ; et demandons-nous si les explications téléologiques ne peuvent pas être formulées en des termes non-téléologiques, sans rien perdre du contenu de ces explications. »4(*). Notre démarche sera donc une démarche téléologique au sens second.

Rappelons comment une analyse du comportement en termes de fonction était caractérisée par RENCK et SERVAIS : elle consiste à observer les conséquences d'un comportement, et à en « peser les bénéfices et les coûts ... »1(*). De la même façon, pour NAGEL, cité par Joëlle PROUST l' « explication téléologique en biologie se borne à « indiquer les conséquences qu'ont pour un système biologique donné une partie constitutive ou un processus » appartenant à ce système ... »2(*). La difficulté est que concevoir l'explication téléologique comme une simple étude des conséquences de fait d'une structure semble rendre impossible la détermination de sa fonction. La fixation de la fonction ne semble pas en effet dépendre uniquement des conséquences de fait auxquelles a donné lieu une structure :  « le coeur est censé faire circuler le sang, un marteau est censé permettre d'enfoncer des clous, le perçoir percer des matériaux, un mot du langage peut avoir une contribution sémantique déterminée. Il se peut que le coeur échoue à faire circuler le sang, le marteau à enfoncer un clou, le perçoir à percer, le mot du langage à communiquer son sens. Mais on ne dit pas dans ces circonstances, que l'élément ou la structure considérés ont perdu leur fonction, on dit qu'ils ont mal fonctionné...Lorsque l'on compare un énoncé causal et un énoncé fonctionnel, on voit en effet que le premier s'intéresse aux corrélations statistiquement pertinentes entre des faits, tandis que l'énoncé fonctionnel pose une relation normative indifférente aux corrélations statistiques entre la structure fonctionnelle et ses effets. »3(*).

Relevons pour l'instant simplement les remarques d'HEMPEL : pour lui, le raisonnement de NAGEL qui procède à une analyse téléologique est faux, et n'est pas une explication. Selon HEMPEL, l'analyse fonctionnelle peut être formulée comme suit, en ayant présent à l'esprit que l'on cherche à expliquer « l'occurrence d'un trait I dans un système S »4(*) :

« (1) A t, S fonctionne adéquatement dans un contexte de type C (C est un ensemble de conditions internes à S et externes).

(2) S fonctionne adéquatement dans un contexte de type C seulement si une condition nécessaire donnée N, est satisfaite.

(3) La présence du trait I en S aurait pour effet de satisfaire la condition N.

(4) Donc, à t, le trait I est présent dans S. »1(*).

Or, selon HEMPEL, ce raisonnement n'est pas valable, notamment à cause de l'étape (3) qui poserait problème. Nous n'entrerons pas dans le détail de cette objection à laquelle NAGEL nous semble répondre de façon satisfaisante2(*). Le problème le plus important soulevé par HEMPEL dans le raisonnement (1-4) est qu'il « pèche en ce qu'il n'existe aucun moyen de passer déductivement de (1-3) à (4). Etant donné I, on peut déduire que N est satisfait ; mais si N est satisfait, on ne peut déduire logiquement que I est présent dans S. »3(*). La condition N pourrait en effet être satisfaite par d'autres traits (J, K...). Remarquons que si l'on ajoute l'énoncé « s'il n'y a que I qui satisfasse N » à (4), le raisonnement est correct. 

Pour mieux comprendre ce raisonnement, examinons l'énoncé suivant : « la fonction de la chlorophylle des plantes est de leur permettre d'effectuer la photosynthèse ». Selon Joëlle PROUST, « cet énoncé affirme que ce qui explique la présence de la chlorophylle dans les plantes (soit un certain type de systèmes ayant tel et tel type de constituants et d'organisation), c'est qu'elle fournit l'un des moyens (en présence d'eau, de soleil et de gaz carbonique) nécessaires à la photosynthèse et à la production d'amidon, dont on suppose qu'il est indispensable à la survie-reproduction de la plante. »4(*).

Le fait qu'il est possible que la fonction que remplit la chlorophylle ait pu être remplie par d'autres substances, n'implique pas que cette substance (la chlorophylle) n'ait pas la fonction de permettre la photosynthèse. On peut même peut-être inférer du fait de sa présence que cette substance a en fait été sélectionnée par l'évolution, parce qu'elle était la plus apte à remplir cette fonction.

Mais à ce type de raisonnement semble s'appliquer une objection soulevée par RENCK et SERVAIS : ce raisonnement serait circulaire parce qu'il reviendrait en fait à la thèse suivante qui a été dénommée le « paradigme de Pangloss » : « ... si un trait existe, il possède forcément une valeur adaptative »5(*). Procède-ton à ce raisonnement circulaire lorsque l'on dit que « si la chlorophylle est présente, c'est qu'elle remplit une certaine fonction » ?

Il ne semble pas, car sa fonction (permettre la photosynthèse) semble déterminée, et l'hypothèse consistant à dire que la chlorophylle a cette fonction et que cette fonction contribue à la survie-reproduction de la plante a sans doute été mise à l'épreuve et vérifiée.

Néanmoins, la remarque de RENCK et SERVAIS sur le raisonnement erroné selon lequel « si un trait existe, il possède une valeur adaptative », est intéressante parce qu'elle nous permet de comprendre que tout trait existant à un moment t n'est pas le résultat d'une adaptation, ou n'a pas une valeur adaptative du fait qu'il existe. Notre appendice, par exemple, ne semble plus avoir de fonction ni de valeur adaptative ou bénéfice quelconque, bien qu'il soit toujours présent dans notre organisme, et que l'évolution ne l'ait pas encore éliminé.

Remarquons que si nous voulons comprendre la valeur adaptative de la propriété d'intentionnalité, c'est-à-dire à la fois sa fonction et les conséquences bénéfiques auxquelles sa présence donne lieu, il faut préalablement fixer sa fonction ; dans le cas contraire, notre démarche se conformerait bien maladroitement au « paradigme de Pangloss ». Autrement dit, il ne faut pas postuler que si l'intentionnalité existe, c'est qu'elle possède une valeur adaptative. Il nous faudra examiner cette hypothèse.

Revenons pour l'instant à notre thèse : l'intentionnalité pourrait avoir pour fonction de nous informer sur des états de choses du monde, cette information nous permettant d'adapter notre comportement à ces états de choses, ou à ce « territoire ».

Avant d'aborder certains aspects de la théorie de DRETSKE qui cherche à résoudre cette question, nous pouvons exposer en quelques mots la façon dont Edgar MORIN expose le concept d'information : « l'information a toujours besoin d'une organisation néguentropique pour avoir existence et effet. Une inscription n'existe comme information que si elle est lue ... »1(*), et « ... l'information n'est pas une chose inscrite dans un signe, mais une relation active qui n'existe que dans et par un processus computationnel / organisationnel. »2(*).

Nous n'avons pas ici pour ambition d'exposer dans le détail l'intégralité de la théorie de DRETSKE, mais simplement de nous arrêter sur certains points pouvant éclairer notre problème, et de répondre aux objections qui lui ont été faites, dans la mesure où elles seraient susceptibles d'affecter la thèse que nous défendons. Edgar MORIN et DRETSKE se distinguent notamment sur la nécessaire présence d'un interprète pour que l'on puisse parler d'information : si l'on en croit ENGEL, l'information est pour DRETSKE, « une notion naturelle, une « ressource objective », dont l'existence est indépendante de l'activité d'un interprète qui impose des significations à des événements. C'est de plus une notion nomologique, formulée en termes de lois exemplifiées par des événements naturels. »1(*). ENGEL nous fournit l'exemple suivant : « le fait qu'il y ait des boutons rouges sur la figure de Jojo véhicule l'information que Jojo a la rougeole parce qu'il y a une régularité nomologique (non-unique) entre les boutons et la rougeole, et le fait qu'un tronc de sequoia ait un ensemble donné d'anneaux véhicule l'information que le sequoia a tant d'années, parce qu'il y a une corrélation nomologique entre le nombre d'anneaux et l'âge de l'arbre, etc... » 2(*). Il s'ensuit que « la notion d'information sera donc une propriété d'un certain signal et de ce que ce signal indique objectivement. »3(*). Il semblerait que le nombre d'anneaux ne puisse indiquer (au sens de DRETSKE) l'âge de l'arbre que s'il n'y a pas d'autre fait que le nombre des cycles de croissance qui puisse être causalement responsable de la production de ces anneaux. Il y a une difficulté dans cette façon de concevoir les choses : tout d'abord, lorsque l'on dit « il n'y a pas d'autre fait qui puisse être causalement responsable de la production de ces anneaux », on dit en fait que nous n'en connaissons pas, et on fait comme si aucun lien de causalité nouveau ne pouvait être découvert. Nous ne voyons pas en effet quelle nécessité il pourrait y avoir à ce que seuls les cycles de croissance puissent donner lieu à tel ou tel nombre d'anneaux (il pourrait en effet y avoir une maladie X causalement responsable de la formation de ceux-ci).

Grossièrement, le projet de DRETSKE est de décrire et définir des états tels que la croyance comme des états informationnels. ENGEL en parle en ces termes : « si l'on résume l'analyse de la croyance de Dretske, on dira qu'un agent a une croyance que p (a) s'il y a un état neuronal S de l'agent véhiculant l'information i et qui joue un rôle approprié d'indication dans l'organisation fonctionnelle de l'agent, et si (b) à la fin d'une certaine période d'apprentissage de S, S acquiert le contenu sémantique que p. »4(*). Autrement dit : « ... la croyance qu'il y a une mouche dans son environnement immédiat s'identifie à une structure interne de la grenouille ayant acquis une fonction d'indication et véhiculant le contenu sémantique qu'il y a une mouche dans l'environnement immédiat. »1(*).

Parmi les nombreuses difficultés que pose ce type de théorie, nous pouvons en relever une toute simple : la définition qui nous est donnée ne nous permet pas de faire la différence entre une sensation/perception et une croyance, la sensation/perception pouvant elle aussi être définie comme une structure interne ayant acquis une fonction d'indication et véhiculant le contenu sémantique qu'il y a une mouche dans l'environnement immédiat.

ENGEL affirme que « la difficulté principale d'une analyse de la croyance en termes de la notion de contenu informationnel est que les contenus des croyances sont individualisés de manière plus fine que les contenus informationnels. »2(*). En fait, DRETSKE distinguerait un contenu de croyances et un contenu informationnel, ceux-ci différant « quant à leur « ordre d'intentionnalité » »: « un état S doué d'un contenu a une « intentionnalité de premier ordre » si et seulement si : (a) tous les F sont G, (b) S a le contenu que t est F, (c) S n'a pas le contenu que t est G. Une intentionnalité de second ordre est exemplifiée quand (a) est remplacé par la condition (a') selon laquelle c'est une loi naturelle que les F soient G ; on a une intentionnalité de troisième ordre s'il est (a'') nomologiquement nécessaire que les F soient G. »3(*).

DRETSKE paraît donc résoudre la difficulté exposée par ENGEL.

Parmi les autres objections que l'on a fait à ce type de théorie, il y a celle-ci : on ne pourrait assimiler l'information que véhicule une certaine structure physique (la température fournie par le thermomètre, ou l'âge de l'arbre fourni par le nombre d'anneaux) avec l' «information » qui serait véhiculée par une croyance, pour la bonne raison que cette dernière peut véhiculer un contenu intentionnel faux, et qu'une information ne peut avoir cette propriété : en effet, « un signal r véhicule l'information que s est F seulement si s est F. »4(*). Tout contenu intentionnel ne serait donc pas une information, puisqu'une croyance peut véhiculer que s est F alors que s n'est pas F. Si l'on reformule avec l'exemple d'ENGEL5(*), la grenouille apprendrait que tous les objets noirs passant alentour ont la propriété d'être des mouches, et croit donc que cet objet noir passant alentour est une mouche, alors que cet objet noir passant alentour n'en est pas une.

Il y a plusieurs façons de répondre à cette objection. On peut dire que le contenu intentionnel que tout objet noir passant alentour est une mouche est une information parce que c'était vrai jusqu'à ce que l'expérimentateur introduise un objet noir passant alentour qui n'est pas une mouche, c'est-à-dire modifie artificiellement l'environnement de la grenouille, d'après lequel elle avait acquis cette information. Dans ce cas de figure, s'il n'est pas vrai en général que tout objet noir passant alentour est une mouche, cela est vrai dans l'environnement de la grenouille. On peut remarquer au passage qu'une information n'a de rôle pour la survie de l'organisme que si elle porte sur lui-même ou sur son environnement (il n'y aurait en effet pas d'intérêt a ce que la grenouille possède une information concernant l'environnement d'un autre organisme). Dans le second cas de figure, qui est plus vraisemblable, il existe dans l'environnement naturel de la grenouille des objets noirs passant alentour qui ne sont pas des mouches ; et le contenu intentionnel peut donc dans certains cas être considéré comme faux et non-informationnel. Mais cela n'est pas une objection à la thèse que nous avançons, car nous ne soutenons pas que tout contenu intentionnel est une information, mais simplement que tout contenu intentionnel a pour fonction d'être informationnel. Si la grenouille a le contenu intentionnel que tout objet noir passant alentour est une mouche, ce contenu peut être faux et non-informationnel la plupart du temps, et alors la grenouille ne parviendra pas à se nourrir et mourra ; il peut aussi remplir sa fonction informationnelle, même si tout objet noir passant alentour n'est pas une mouche. Comment cela peut-il se faire ? On peut postuler que si la grenouille a un tel contenu, c'est que cela lui est avantageux et qu'il y a sans doute en proportion plus d'objets noirs passant alentour qui sont des mouches que d'objets noirs passant alentour qui n'en sont pas, en vertu de la sélection des états mentaux porteurs d'information opérée par l'évolution. Il est tout à fait plausible que le contenu intentionnel, même s'il n'est pas systématiquement informationnel, est adapté ou s'adapte à l'environnement de l'organisme qui le possède. Le fait que l'information ait pour propriété d'être analytiquement vraie n'implique donc pas que le contenu intentionnel n'ait pas pour fonction d'être informationnel. Les états mentaux peuvent être dits informationnels seulement s'ils remplissent la fonction qui est la leur. La fonction informationnelle serait donc une norme vers laquelle tendraient les états mentaux, par les bénéfices que cette information apporte à l'organisme ; mais tous les états mentaux n'y souscriraient pas : une défaillance ou un dysfonctionnement occasionnels du système représentationnel sont toujours possibles.

Mais ici surgit une première difficulté : du fait que le nombre d'anneaux nous indique l'âge de l'arbre, nous n'inférons pas qu'ils ont pour fonction d'indiquer l'âge de l'arbre, et il serait sans doute erroné de procéder à une telle inférence si nous n'avons aucune raison de le faire. En quoi serions-nous fondés à passer du fait que le nombre d'anneaux indique l'âge de l'arbre au fait que le nombre d'anneaux ait pour fonction d'indiquer l'âge de l'arbre ?

La réponse pourrait être la suivante : nous ne voyons pas en quoi nous serions fondés à croire que l'indication de l'âge de l'arbre puisse apporter une quelconque contribution à la survie de cet organisme. Alors qu'il semble bien que les états mentaux en tant qu'ils sont porteurs d'une information permettent dans beaucoup de cas à l'organisme de maintenir son homéostasie.

A ceux qui nous diraient que nous commettons une erreur de raisonnement assimilable au « paradigme de Pangloss », nous pouvons répondre que l'assignation d'une telle fonction ne va évidemment pas de soi, mais que nous ne devons l'écarter a priori que lorsque son absurdité est flagrante. Par exemple, nous pourrions supposer que l'arbre produit chaque année un anneau parce qu'il a l'espoir qu'il sera épargné lorsque les bûcherons viendront l'abattre et constateront son âge avancé et respectable. Cette expérience de pensée consiste à considérer quel bénéfice l'arbre pourrait trouver à la production de tels anneaux, et nous ne voyons pas quelle autre contribution la production de ceux-ci pourrait apporter à la survie de l'arbre (il n'y aurait en effet aucun bénéfice à ce qu'il soit informé de son âge). Mais nous devons écarter cette hypothèse absurde parce que la production d'anneaux ne peut remplir une telle fonction, étant donné que nous ne pouvons être informés précisément de l'âge de l'arbre qu'une fois qu'il a été tronçonné. Il n'est par contre pas absurde d'affirmer que l'intentionnalité de nos états mentaux contribue pour une large part à notre survie, et aurait été sélectionnée par l'évolution pour cette raison.

Ici encore, nous pouvons nous référer à DAMASIO et à ses réflexions sur les émotions : « par elle-même, la réponse émotionnelle peut remplir quelques utiles fonctions : par exemple, elle peut permettre de se dissimuler rapidement à la vue d'un prédateur, ou de montrer à un concurrent que l'on est en colère. Le processus ne s'arrête pas avec les changements corporels qui caractérisent une émotion cependant. Il se poursuit - en tout cas, on en est certain chez les êtres humains - et son stade suivant correspond à la perception de l'émotion en rapport avec le phénomène qui l'a déclenchée, autrement dit à la prise de conscience qu'il existe un rapport entre un phénomène donné et un état du corps marqué par une certaine émotion. »1(*). En plus de confirmer ce que nous venons de dire sur la fonction pouvant être assurée par nos états mentaux, nous voyons que les émotions ne sont pas simplement des états du corps (ce qui suffit à en faire des états intentionnels), mais que la perception de l'émotion à son stade le plus avancé semble aussi établir l'existence d'un rapport entre un certain phénomène et l'émotion considérée. De là à dire que l'émotion puisse aussi avoir pour fonction d'indiquer ou de nous informer d'un phénomène réel extérieur, il n'y a qu'un pas qu'il nous semble justifié de franchir. Nous pouvons néanmoins émettre une réserve quant au fait que le type de rapport que nous établissons avec le phénomène en question soit d'ordre conscient, comme le soutient DAMASIO. La peur peut en effet nous faire fuir ou éviter un obstacle avant même que nous n'ayons pris conscience du danger.

Nous voyons donc qu'un état mental tel que l'émotion peut avoir une valeur informationnelle ; mais avons-nous pour autant déterminé sa fonction ?

Ici surgit ce qu'on appelle le problème de l'indétermination fonctionnelle. ENGEL l'expose de la façon suivante : « De même la grenouille qui tire sa langue en direction des mouches : a t-elle un dispositif interne qui commande à la capture de mouches ou bien la capture d'objets noirs passant alentour ? Si on lui envoie des balles de plomb, le dispositif « fonctionne » identiquement. Il est indéniable qu'il malfonctionne, puisque la grenouille aura une indigestion, mais relativement à quel contenu informationnel ? ». 3(*) Nous voyons ici que ce qui est appelé l' « indétermination fonctionnelle » est en fait l'indétermination du contenu informationnel de la fonction. Nous allons tenter de montrer dans ce qui suit que le contenu informationnel est en fait déterminé.

Si la fonction du dispositif interne de la grenouille est de commander à la capture des F (ou objets noirs passant alentour), c'est qu'il n'y a pas ou peu d'F qui ne possèdent pas la propriété g (être nutritif), car l'évolution ne sélectionne une fonction que si elle a des conséquences bénéfiques, et il n'y a pas de bénéfice à ce qu'une grenouille ingère des F-g, c'est-à-dire des F privés de la propriété g. On peut donc en déduire que si l'évolution n'a pas fait en sorte que le dispositif interne de la grenouille distingue les Fg de F-g, c'est parce que la plupart des F présents dans l'environnement de la grenouille sont des Fg, ou qu'il y a suffisamment de Fg en proportion parmi les F ingérés par la grenouille pour satisfaire la condition N (nourrir la grenouille). Dans ce contexte, il n'y a pas de sens à distinguer la fonction de commander à la capture des Fg de la fonction de commander à la capture des F-g, puisque la plupart des F ont la propriété g et que l'ingestion de F en masse suffit à satisfaire la condition N, étant donné qu'il y a proportionnellement plus de Fg que de F-g à l'intérieur des F.

On peut donc considérer que le contenu informationnel de la fonction du dispositif interne de la grenouille est déterminé et consiste à commander la capture des F. En effet, si le contenu informationnel de la fonction du dispositif interne de la grenouille commandait à la capture des F ayant la propriété g, alors la grenouille ne pourrait pas prendre des F-g pour des Fg.

Remarquons aussi que si l'environnement de la grenouille se modifie, au sens où la proportion de F-g deviendrait supérieure à la proportion de Fg, il est probable que l'évolution ferait en sorte que les grenouilles distinguant un trait spécifique des Fg soient sélectionnées. Si aucune n'en devenait capable, l'espèce de grenouille en question serait menacée de disparition.

Il n'y a donc pas d'objection à ce que les états mentaux aient pour fonction d'être informationnels, ni à ce que nous puissions déterminer le contenu informationnel de cette fonction, comme il semble que nous ayons réussi à le faire pour le contenu informationnel de la fonction du dispositif interne de la grenouille.

Il convient maintenant de revenir sur la sélection de cette fonction et de nous interroger sur le concept d'évolution. Voyons ce que nous en dit François JACOB : « la théorie de l'évolution se résume essentiellement en deux propositions. Elle dit d'abord que tous les organismes, passés, présents ou futurs, descendent d'un seul, ou de quelques rares systèmes vivants qui se sont formés spontanément. Elle dit ensuite que les espèces ont dérivé les unes des autres par la sélection naturelle des meilleurs reproducteurs. »1(*). La seconde est celle qui nous intéresse, mais nous pouvons remarquer qu'elle nous renvoie en fait au concept de sélection naturelle. F.JACOB cite à ce propos le DARWIN de L'origine des espèces :  « c'est à la « conservation des variations favorables ... et à la destruction de celles qui sont nuisibles que j'ai appliqué le nom de « sélection naturelle » ou de « survivance du plus apte ». Les variations indifférentes, ni utiles ni nuisibles, n'étant pas effectuées par la sélection » peuvent demeurer ou non. » 1(*).

Remarquons que cette définition de la sélection naturelle évoque le fait que certaines variations puissent être « indifférentes », c'est-à-dire « ni utiles ni nuisibles », et ne fait donc pas de tout trait un trait ayant valeur adaptative, inférence dénommée le « paradigme de Pangloss ».

Etant donné que nous avons montré en quoi l'intentionnalité pouvait être « utile » à la survie de l'individu et de l'espèce, nous pouvons la considérer comme une « variation favorable » qui aurait été conservée par la sélection naturelle qui « est à chaque instant et dans l'univers entier occupée à scruter les moindres variations ; rebutant celles qui sont mauvaises, conservant et additionnant celles qui sont bonnes ; travaillant inlassablement et sans bruit, partout et toutes les fois que l'occasion s'en présente, à l'amélioration de chaque être organisé, dans ses rapports tant avec le monde organique qu'avec les conditions inorganiques. »2(*)

Deux objections peuvent encore nous être faites : la première est que d'une certaine manière, tout recours à la fonction dans nos descriptions ou définitions dématérialise l'esprit, par le fait que différentes structures matérielles peuvent accomplir une même fonction.

Remarquons que c'est une chose de dire que la fonction peut se réaliser dans différentes structures matérielles ou physiques, et que c'en est une autre de dire que la fonction n'a besoin d'aucune structure matérielle ou physique pour se réaliser. Si le « fonctionnalisme conduit à séparer l'esprit du cerveau » 3(*), donc à une « décérébralisation »4(*), le fonctionnalisme et le matérialisme sont tout à fait compatibles, sous la forme d'un matérialisme non-réductionniste par exemple. Autrement dit, nous ne soutenons pas que les propriétés mentales se réduisent à telles ou telles propriétés physiques, mais défendons l'idée déjà exposée que toute propriété mentale est une propriété d'une substance physique, qui n'est pas nécessairement le cerveau. Comme le dit DESCOMBES : « on ne confondra pas le fait pour la pensée d'être rattachée à un cerveau et le fait d'être rattachée à un système vivant. »5(*).

La seconde objection, déjà en partie traitée dans notre première partie, est que nous confondrions le descriptif et le normatif dans notre  « description » des états mentaux. DESCOMBES le formule ainsi : « un tel partage de la description et de l'évaluation est pleinement justifié, et il l'est par le précepte suivant : on ne doit pas introduire, dans notre description de la réalité, des éléments qui n'appartiendraient pas à cette réalité elle-même, mais plutôt à notre réalité... » 1(*), et « l'opposition du normatif et du descriptif signifie que nous tenons à distinguer ce que la chose est en elle-même et ce qu'elle est pour nous. » 2(*). Peut-être devons-nous donc renoncer à l'utilisation du concept de description pour qualifier notre entreprise ; nous aurions en fait simplement fourni une définition fonctionnelle des états mentaux. Mais il faudra alors dire la même chose des sciences naturelles lorsqu'elles emploient des concepts normatifs (celui d'homéostasie par exemple). Remarquons néanmoins avec DESCOMBES que « les normes en question sont celles du système dont on s'occupe et non celles de l'observateur » 3(*), et que «... le point de vue qui nous permet d'étudier le système ne s'occupe pas de la rationalité que présente ce système pour nous, mais de la rationalité qu'il présente pour soi. »4(*). Pareillement, les états mentaux de la grenouille (si elle en a) sont informationnels pour elle et pas pour nous, et il en est de même des états mentaux que nous avons : ils sont informationnels pour soi. On peut considérer le système étudié non pas simplement comme un système matériel isolé de son environnement, mais comme un système intégré dans ce dernier : « le système adaptatif tient compte de son milieu, faute de quoi il est condamné à périr ou à décliner. »5(*). On ne peut pour autant opposer les « sciences naturelles » et les « sciences de l'artificiel », les premières portant sur le système matériel isolé de son environnement, les secondes portant sur le système adaptatif intégré à son milieu ; en effet, il n'y a pas de démarcation stricte entre les deux, la biologie étant une science naturelle qui étudie aussi bien l'aspect matériel que l'aspect adaptatif/fonctionnel du système (c'est-à-dire aussi l'environnement dans lequel il s'intègre). Les concepts de milieu ou de biotope nous le montrent, ainsi que les expérimentations étudiant l'influence du milieu ou de l'environnement sur le plein développement des dispositions de l'organisme.

Nous avons donc tenté d'étudier les propriétés mentales du système comme pouvant elles-mêmes être adaptées par l'information qu'elles lui procurent. Nous n'avons néanmoins fait qu'une partie du travail en montrant que notre tentative de naturalisation de l'esprit n'est pas absurde, du fait des bénéfices que l'organisme peut tirer des informations véhiculées par ses représentations. Il faudrait encore montrer comment lesdites représentations peuvent orienter ou modifier le comportement, c'est-à-dire nous intéresser de plus prés à la question de la causalité mentale ; mais cela est un autre problème qui nécessiterait une réflexion à part entière.

* 1 (p.30 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil)

* 2 (p.52 / idem)

* 3 (p.53 / idem)

* 1 (p.102-103 / L'éthologie)

* 2 (p.116 / idem)

* 3 (p.116 / idem)

* 4 (p.118 / idem)

* 5 (p.127 / idem)

* 6 (p.127 / idem)

* 7 (p.137 / idem)

* 8 (p.150 / idem)

* 1 (p.146 / L'éthologie)

* 2 (p.261 / idem)

* 3 (p.261 / idem)

* 1 (p.64 / IPE)

* 2 (p.64 / IPE)

* 3 (p.104 / IPE)

* 1 (p.116 / IPE)

* 1 (p.26 / IPE)

* 2 (p.116 / IPE)

* 3 (p.116 / IPE)

* 4 (p.116 / idem)

* 5 (p.117 / idem)

* 1 (p.117 / IPE)

* 2 (p.119 / IPE)

* 3 (p.62 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 1 (p.65 / ATR)

* 1 (p.58 / ATR)

* 2 (p.69-70 / ATR)

* 1 (p.72-73 / ATR)

* 2 (p.73 / ATR)

* 3 (p.54-55 / ATR)

* 1 (p.55 / ATR)

* 2 (p.57-58 / Leçons et conversations - chapitre : Leçons sur l'esthétique / Wittgenstein / éd. Gallimard / coll. Folio-essais)

* 3 (p.62 / idem)

* 4 (p.57 / idem)

* 5 (p.118 / IPE)

* 1 (p.71-72 / ATR)

* 2 (p.15 / L'Intentionalité / Searle / éd. de Minuit)

* 1 (p.16 / idem)

* 2 (p.11 / L'erreur de Descartes / Damasio / éd. Poche Odile Jacob)

* 3 (p.12 / idem)

* 1 (La logique du vivant / François Jacob / éd. Gallimard / coll. TEL)

* 1 (p.101 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 2 (p.100 / idem)

* 3 (p.100 / idem)

* 4 (p.101-102 / idem)

* 1 (p.102-103 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil)

* 2 (p.103 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust/ éd. Gallimard)

* 3 (p.215 / idem)

* 4 (p.102 / idem)

* 1 (p.103 / Comment l'esprit vient aux bêtes)

* 2 (p.103 / idem)

* 3 (p.104 / Comment l'esprit vient aux bêtes)

* 4 (p.102 / idem)

* 5 (p.289 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil / coll. Point-Sciences)

* 1 (p.344 / La méthode 1- La nature de la nature / éd. du Seuil / coll. Point-essais)

* 2 (p.133 / La méthode 2 / La vie de la vie / éd. du Seuil / coll. Point-essais)

* 1 (p.123 / IPE)

* 2 (p.123-124 / idem)

* 3 (p.124 / idem)

* 4 (p.129 / IPE)

* 1 (p.130 / IPE)

* 2 (p.127 / IPE)

* 3 (p.128 / IPE)

* 4 (p.124 / IPE)

* 5 (p.135 / IPE)

* 1 (p.185 / L'erreur de Descartes)

* 3 (p.135 / IPE)

* 1 (p.21 / La logique du vivant)

* 1 (p.188 / La logique du vivant)

* 2 (Darwin cité par F. Jacob / p.189 / La logique du vivant)

* 3 (p.213 / DM)

* 4 (p.213 / DM)

* 5 (p.213 / DM)

* 1 (p.199 / DM)

* 2 (p.199 / DM)

* 3 (p.199 / DM)

* 4 (p.200 / DM)

* 5 (p.203 / DM)

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon