B. Considérations théoriques
1 - La
problématique
La problématique dit Madeleine
GRAWITZ « répond à un besoin de cohérence
logique, met en oeuvre un ensemble de problèmes qui orientent la
recherche et un corps de concepts qui, directement ou indirectement,
débouchent sur des hypothèses rendant compte d'un contenu riche
de conflits. » (GRAWITZ, 1993 :4). Le 11 septembre 2001 a
révélé aux yeux du monde que la sécurité
nationale dans un monde de plus en plus globalisé ne relève plus
seulement de la capacité d'un Etat à garantir sa
souveraineté ; tant il est vrai que la souveraineté est de
tout temps et aujourd'hui plus encore une illusion, une fiction (BADIE,
1999 ; KRASNER, 2001). L'ordre intérieur dépend donc
désormais de la maîtrise des facteurs de puissance qui se trouvent
au-delà des frontières nationales. La «guerre
préventive » engagée contre le terrorisme par le
président G.W. BUSH au lendemain du 11 septembre 2001 suppose que par
l'usage du « hard power » et du « soft
power »(NYE, Op. cit.), les Etats-Unis devront s'assurer le
contrôle des pivots stratégiques du globe. Cependant, les
Etats-Unis, dans leur entreprise de promotion de la démocratie au
Cameroun, font prévaloir que l'absence de démocratie dans ce pays
est à l'origine du retard accusé dans le développement
économique. Etudier la politique américaine de promotion de la
démocratie au Cameroun après le 11 septembre 2001 c'est donc
s'interroger sur les fondements de cette politique, c'est s'interroger sur le
rôle que le Cameroun peut jouer dans la Nouvelle Stratégie de
Sécurité Nationale américaine. C'est enfin se demander si
le choix du cadre stato-national camerounais est fortuit.
2 - Hypothèses de
la recherche
Vouloir ressortir le lien existant entre la promotion de la
démocratie au Cameroun par les USA après le 11 septembre 2001 et
l'intérêt national américain c'est penser que la politique
africaine des Etats-Unis a été modifiée après les
attentats du 11 septembre 2001. C'est également penser que le choix du
Cameroun se fonde sur une conjugaison de facteurs exogènes et
endogènes. Cependant, la promotion de la démocratie est d'abord
une expansion de la civilisation américaine qui se justifie par la
mondialisation. Il s'agit de dire que cette entreprise de projection de la
culture américaine a pris une coloration stratégique au lendemain
des attentats du 11 septembre 2001. Le Cameroun deviendrait ainsi un
théâtre d'opération où se jouent des
intérêts vitaux relevant de la sécurité nationale
américaine, mais où la tactique employée est la promotion
de la démocratie. Ainsi, dans une première partie, la promotion
de la démocratie au Cameroun par les Etats-Unis sera lue comme une
exigence de la mondialisation économique et politique. Ensuite, elle
sera perçue comme une entreprise stratégique au regard des
intérêts américains à l'intérieur et autour
du Cameroun.
3 - Propos
théorique sur l'objectif de la recherche
Le postulat du réalisme fait de l'Etat l'acteur
prioritaire sinon, l'unique acteur des relations internationales. En cela, il
s'appuie sur les thèses souverainistes. Jean BODIN dans les six
livres de la République (1576) définissait la
souveraineté comme la capacité à contraindre et à
commander sans être ni contraint, ni commandé. La
souveraineté bodinienne est donc une « puissance
perpétuelle » et elle appartient à la
République. L'Etat a la souveraineté sur une double dimension .A
l'intérieur, il a les pleins pouvoirs sur les populations. WEBER le
présentera comme le détenteur du monopole de la violence
légitime (WEBER, 1971). A l'extérieur, l'Etat est garant des
mouvements à ses frontières et parce que souverain, il ne
reçoit d'ordre d'aucun autre Etat. Et, inversement, il
n'interfère pas dans les affaires internes des autres.
S'appuyant sur ces traditions bodinienne et hobbesienne, les
contemporains à l'instar de Hans MORGENTHAU (1955), Henry KISSINGER,
Carl Von CLAUSEWITZ... ont décrit la scène internationale comme
un théâtre de quête de puissance. Bien entendu, les confits
mondiaux, les conflits de la guerre froide et la logique des blocs ont
donné raison à la théorie réaliste. Cependant, la
chute du mur de Berlin en 1989 et la balkanisation de l'U.R.S.S conduiront
à l'émergence de nouveaux acteurs (ONG, OIG, individus...) sur
l'échiquier des relations internationales. L'objet
« scène internationale » étant entré
en mutation, le paradigme présentait toutes les raisons de se muter
à son tour. D'aucuns parleront de Neo-Réalisme (WALTZ, 1979),
d'inter dépendance complexe (NYE, KEOHANE). Désormais, l'Etat
n'est plus le seul acteur des relations internationales ; son statut
d'acteur se trouve même très concurrencé par d'autres. Et
la souveraineté sur laquelle s'appuyaient les théoriciens du
réalisme entre en crise à son tour avec la naissance à
l'interface de l'externe et de l'interne de plusieurs espaces (APPADURAÏ,
1997). La notion de territoire perd de sa pertinence (BADIE, 1995).
Le reproche que nous faisons à certains critiques du
réalisme tels que M. SINDJOUN (2001) et BADIE (1999) est d'avoir
focalisé l'attention uniquement sur la souveraineté des Etats. En
effet, ces deux auteurs pensent que la souveraineté est entrée en
crise (BADIE) ou s'est transformée (SINDJOUN) ; et que ce faisant,
le réalisme n'est plus très pertinent. C'est
précisément occulter l'essence même du réalisme.
Thomas HOBBES a préconisé dans le Léviathan
l'assujettissement des libertés individuelles au Léviathan en
échange de la sécurité. Cependant, l'absence d'une telle
figure à l'échelle mondiale a laissé libre cours à
l'anarchie. Autrement dit, l'état de nature s'est transposé
à l'échelle mondiale. Dans cette anarchie qui a toujours
caractérisé la scène internationale, comme le pense
également Stephen D. KRASNER, la souveraineté a toujours
été une hypocrisie juridique. (KRASNER, 2001).
L'élément permanent et transversal dans la scène mondiale
est la recherche des intérêts par les Etats. Cela veut dire que de
tout temps, la souveraineté a été un prétexte et
une construction fictive relevant de l'hypocrisie des Etats car c'est
précisément après le traité de Westphalie en 1648
sanctionnant la fin de la guerre de Trente ans que la conflictualité et
les interférences dans les affaires internes des Etats ont
été le plus marquées.
Dans cette ère nouvelle, l'irruption de nouveaux
acteurs dans le jeu des relations internationales n'épuise pas non plus
la théorie réaliste mais au contraire, la dope d'une
intensité nouvelle et plus grande. Allons-nous donc parler comme Kenneth
WALTZ du néo réalisme ? La politique américaine de
promotion de la démocratie au Cameroun après le 11 septembre 2001
s'inscrit pensons-nous dans une mouvance réaliste : le
réalisme démocratique.
Pris isolement, ce concept peut ne pas avoir une portée
heuristique. Peut être même qu'il serait jugé comme relevant
d'une imagination fébrile. Cependant, il faut le relier à notre
thématique pour comprendre cette formulation dans un contexte de
globalisation où la démocratie est présentée comme
la panacée. Il nous semble plutôt que le paradigme du
réalisme démocratique nous révèle à quel
point elle est un placebo. Elle relève de ce que Joseph NYE appelle le
« pouvoir en douceur » c'est à dire la
capacité d'une nation à influencer les autres par son
idéologie, son système de valeur, sa culture (NYE, op.cit.).
Depuis les années 1990, les Etats-Unis s'emploient
à la démocratisation de l'Afrique et ceci pour voler au secours
d'un continent qui se meurt. Au-delà du « politiquement
correct », il peut apparaître que l'ère de la
sous-traitance stratégique étant révolue, les USA veulent
désormais étendre leur influence sur l'Afrique. Septembre 2001
marque une date importante dans cette politique car avec les attentats des
tours jumelles et du Pentagone, des exigences sécuritaires et
énergétiques poussent le pays de l'oncle SAM à intensifier
sa présence en Afrique. Nous passons de l'ère de la simple
« diplomatie Mère Térésa » (ABA,
2001/2002, P. 622) à une diplomatie de « real
politik ». En effet, le golfe de Guinée est à plus d'un
titre intéressant pour les américains par son pétrole, sa
situation stratégique dans la lutte contre la propagation du terrorisme
et les autres menaces transnationales. La promotion de la démocratie au
Cameroun s'inscrit dans une politique africaine qui vise des objectifs
multiples mais dont la finalité est l'intérêt national des
Etats-Unis sur les plans énergétiques et sécuritaires. Par
ailleurs, il s'agit d'une imposition de l'idéologie qui participe de la
projection de la puissance américaine. Il apparaît donc que dans
un contexte de fin des souverainetés, le réalisme s'est
métamorphosé. Le réalisme démocratique tend
à démontrer que la grille réaliste que nous convoquons ici
garde toute sa pertinence.
L'Etat a perdu le monopole du jeu des relations
internationales parce qu'il est concurrencé par d'autres acteurs. Le
trait caractéristique de la concurrence est de faciliter la naissance
des stratagèmes pour l'amélioration des compétences. Si
l'on convient avec Diane ETHIER que les constitutions nationales et le droit
international reconnaissent l'Etat comme seul acteur de la politique
étrangère (ETHIER, 2003 : 126), il faut noter que l'Etat fait de
plus en plus des autres acteurs ses bras séculiers. Les institutions
financières internationales font souvent la politique
étrangère des grandes puissances ; tout comme l'O.N.U. Dans
le cadre de notre analyse, nous accordons aussi une place importante à
ce que Larry DIAMOND(p.314) appelle « Quasi
Governmental organizations » . Il s'agit des
organisations puissantes telles que le NED (New Endowment for
Democracy) et des pendants des « german
stiftung » que sont le NDI (National Democratic
Institute) et l'IRI (International Republican Institute).
Celles-ci, agissent en connexion avec d'autres ONG de promotion de la
démocratie. La Fondation Carter s'inscrit dans la même dynamique.
La population camerounaise (« allié silencieux »),
sera mise à contribution pour l'enracinement de la
démocratie ; tous ces acteurs a priori non
étatiques font finalement la politique de l'Etat américain dans
sa quête de puissance et d'intérêts. Cela nous a conduit
à préférer l'usage du réalisme au
néo-réalisme.
La crise de la souveraineté n'a pas conduit à la
crise du réalisme. Cependant, elle a conduit à une mutation
(SINDJOUN, 2001), à sa transformation en une forme spécieuse,
captieuse, vicieuse car étant comme une nappe d'algues qui cache un lac
paisible mais profond. C'est précisément ainsi que se
présente le réalisme démocratique des Etats-Unis au
Cameroun. Une politique inoffensive qui vient soulager le peuple camerounais du
« règne de l'autocratie ». Le choix du
réalisme dans cette étude reste motivé par la
nécessité de la lucidité dans les relations
internationales. Georges WASHINGTON ne disait-il pas qu'aucun Etat ne doit
être cru au-delà de ses intérêts ?
Le réalisme n'est donc pas obsolète, il reste
tapi dans un fourré appelé
« démocratie ». Rien n'interdit au Cameroun l'usage
de ce même réalisme pour maximiser les gains dans cette
coopération ; comme l'on fait nombre d'Etats en Afrique de l'Ouest.
PARTIE I :
CONSOLIDATION DEMOCRATIQUE AU CAMEROUN ET LOGIQUES DE L'AMERICANISATION DU
MONDE
La promotion de la démocratie au Cameroun par les
Etats-Unis d'Amérique relève d'abord d'une logique d'extension de
l'"American Way of Life". Ainsi, l'assistance à la consolidation
démocratique est une volonté d'étendre au monde entier une
vision de la politique. L'américain ordinaire ne comprend pas que des
peuples vivent encore d'une manière autre que démocratique. Cette
attitude qui relève de l'ethnocentrisme est déterminante dans
l'adoption de la politique étrangère du gouvernement
américain. En effet, l'exportation de la culture américaine ne
relève pas de la seule volonté du politique. Elle émane du
peuple et dans la logique du rapport inévitable entre les politiques
intérieure et extérieure, le gouvernement s'aligne
derrière la volonté du peuple ; Tant il est vrai
que «... dans une démocratie les choix appartiennent au
peuple » (NYE ,1992 : 235). Et, Robert STRAUSZ-HUPE d'ajouter:
« Given their passion for democracy, americans are not comfortable
when they are forced to contemplate a U.S foreign policy that does not seem to
advance democracy»(STRAUSZ-HUPE, 1995: 126).
Au Cameroun, la promotion de la démocratie qui est un
régime des libertés ne se cantonne pas sur la politique.
L'idée est prévalente selon laquelle il n'y a de
développement économique durable qu'en rapport avec la
démocratie ; ou encore, la démocratie ne s'enracine que dans
une économie stable, développée. Il y a donc une
interdépendance entre les sphères politique et économique
dans une démocratie. A la question « What makes Democracies
Endure? » PRZEWORSKI, ALVAREZ, CHEIBUB et LIMONGI répondent en
citant des conditions nécessaires pour qu'un pays quelconque
considéré cette année, puisse devenir une
démocratie l'année prochaine. Entre autres conditions, ils
relèvent la performance économique et l'affluence. (PRZEWORSKI et
alii, 1996). Toutefois, si l'on s'aligne derrière cette pensée,
il demeure que l'économie se développe aussi facilement dans un
environnement démocratique ; Même si plusieurs dictatures se
sont justifiées par la nécessité d'un développement
économique ; Certains y parvenant comme la Chine des années
1980, Cuba et l'URSS des années fortes du communisme.
Il s'agit donc d'aborder l'extension de la civilisation
américaine au Cameroun à travers la promotion de la
démocratie sur deux plans : la promotion de l'économie
libérale et la promotion des reformes institutionnelles et
comportementales.
CHAPITRE I :
LOGIQUE DE LA MONDIALISATION ECONOMIQUE AU CAMEROUN OU L'AMERICANISATION DE
L'ECONOMIE CAMEROUNAISE.
La mondialisation qui est en vigueur n'a pas
épargné le Cameroun. Elle est inévitable et comme le
remarquait pertinemment Albertine TCHIBILONDI NGOYI, la mondialisation est un
horizon pour l'existence humaine (TCHIBILONDI, 2001). Elle divise les
spécialistes quant à sa définition. Joseph STIGLITZ ( prix
Nobel d'Economie 2001) la définit comme :
« l'intégration sans cesse plus étroite des pays et des
peuples du monde qu'ont réalisé d'une part la baisse continue des
coûts du transport et des communications et d'autre part la
réduction des barrières douanières et
commerciales » (STIGLITZ, 2003 : 20). Cette définition
peut retenir l'attention car, elle dit non seulement ce qu'est la
mondialisation, mais elle présente aussi les facteurs qui contribuent
à la rendre effective. La mondialisation paraît donc comme
l'extension à l'échelle mondiale d'une culture, d'une
civilisation. L'épicentre de la mondialisation se situerait en occident
et précisément aux Etats-Unis. En effet,après la chute du
mur de Berlin et la victoire du capitalisme sur le communisme, les Etats-Unis
ont eu le vent en poupe sur l'échiquier mondial. Il ne restait plus
qu'à étendre leur influence sur la planète entière.
La mondialisation suppose l'uniformisation, c'est-à-dire
l'intégration des systèmes périphériques dans le
courant prédominant à savoir le capitalisme et la
démocratie occidentale. L'intégration est « la
création voulue et concertée d'un espace économique et
social commun dans lequel prévalent les mêmes normes» (MAPPA,
2003 : Introduction).
La mondialisation est donc en définitive semblable
à cette pieuvre qui étend ses tentacules pour couvrir toute la
planète. Elle est une entreprise savamment conçue qui, si elle
est menée à son terme, présentera le monde comme un grand
village selon la conception de Marshall MCLUHAN qui fait apparaître
dès 1964 la notion de « village mondial ». Parce que
le Cameroun n'est pas extérieur à ce monde, parce qu'il est dans
le système périphérique, il nécessite donc aussi
que les mécanismes de son intégration dans l'économie
monde soient enclenchés. A l'observation de ces mécanismes,il
apparaît qu'hier comme aujourd'hui avec les institutions de Bretton
-woods et les Etats-Unis d'Amérique, C'est le même modus
operandi pour un même opus operatus .Autrement
dit, l'observation des pratiques des institutions monétaires
internationales que sont le FMI et la Banque Mondiale au Cameroun laisse
transparaître une ressemblance avec la politique américaine en
matière économique au Cameroun. Il s'agit donc par le
« consensus de Washington » (section I) et l'assistance
économique américaine au Cameroun (Section II) de montrer que
l'impératif économique dans la promotion de la démocratie
au Cameroun par les USA relève d'abord d'une volonté de
mondialisation économique.
SECTION I : Le
« Consensus de Washington » ou les institutions de Bretton
Woods au service des Etats-Unis d'Amérique.
Au sortir de la seconde guerre mondiale l'économie
mondiale est affaiblie excepté un îlot. En effet,les Etats-Unis
qui ont tiré profit de la vente d'armes et matériels de guerre,
qui n'ont pas été affectés par une guerre ayant lieu sur
le théâtre européen prennent le contrôle de
l'économie mondiale. La Banque Mondiale et le FMI voient le jour en
juillet 1944 à Bretton-Woods près de Washington. Pour la Banque
Mondiale, le but premier est d'aider à la reconstruction du monde. Le
FMI quant à lui reçoit la tâche plus difficile d'assurer la
stabilité économique tout comme l'ONU assure la stabilité
politique. Il devient donc le gendarme économique du monde.
Pour comprendre la collusion entre les institutions de Bretton
Woods et la politique américaine au Cameroun en matière
économique, il faut remonter aux années 1980. En effet, au
début de cette décennie, Margaret TCHATCHER alors Premier
Ministre d'Angleterre et le président américain Ronald REAGAN
introduisent une nouvelle idéologie libérale dont le FMI et la
Banque mondiale se font les missionnaires avec la complicité du
trésor américain. C'est le « Consensus de
Washington » (STIGLITZ, 2003).Il repose sur trois piliers qui
sont : l'austérité, la privatisation et la
libéralisation. A l'observation de la politique américaine au
Cameroun après le 11 septembre 2001, force est de constater qu'elle
obéit à ce même schéma et s'avère un peu plus
incisive ; donnant l'impression de la recherche d'une
efficacité hic et nunc .
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