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Francis Ponge et Bernard Heidsieck: exemples d'un parti pris du banal en poésie contemporaine

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par Delphine Billard-Kunzelmann
ENS-lsh Lyon - DEA stylistique 2004
  

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2.2) Banalité contre une certaine conception de l'homme par l'homme

Ponge explique sa place en tant que poète comme celui qui doit partir de ce constat de mort de Dieu, de l'homme, de l'anéantissement. Mais son constat n'est pas aussi pessimiste qu'il y paraît au premier abord. Il faut partir de cette « mort de Dieu », de cette « destruction des valeurs », de cet « extrême amaigrissement de l'individu (homme) »113(*) pour mieux permettre de « renaître (Que le monde renaisse, la moindre chose.) »114(*) Or pourquoi cet état des choses ? Ponge l'explique par la disproportion de l'ego humain :

L'homme de G. Richier, sorte de King Kong (jamais plus sauvage) réveillé dans la forêt actuelle (primitive) par l'orage actuel (primitif), prêt à étreindre le monde, à l'étrangler..., a maigri... (nouvelles désillusions depuis 1944), s'est exténué dans sa destruction des valeurs (Nietzsche), sans rien se mettre sous la dent. Laminé de plus en plus par son désespoir, sa solitude, son sentiment exaspéré de la personne humaine, de la liberté, de etc., sa volonté de puissance (Socrate, Descartes, Pascal, Nietzsche, Sartre, Camus).115(*)

Ponge fait l'analyse de la société et de l'individu et place ce dernier comme responsable du chaos humain. L'homme est faible tout en se croyant plus fort que tout, ce qui le rend facile à asservir à des idéologies, des religions et le conforte dans sa volonté de puissance. Mais la leçon de Ponge est tout autre. Il s'agit méthodiquement de faire comprendre à l'homme qu'il usurpe une place qui n'est pas la sienne. Il s'agit d'acquérir une liberté de pensée qui passe par la remise en question des idées reçues, des idéologies de masse et lui donne une vision plus humble de sa condition. Cette prise de conscience, Ponge choisit de la faire passer par son traitement des choses, objets « taciturnes » mais riches d'enseignement et de beauté. En prenant comme support de réflexion l'oeuvre de Giacometti, Ponge salue chez lui la non personne. Cette sculpture en effet met en valeur le « je » de chacun réduit à sa plus simple expression et de fait dénué de toute individualité :

Pourquoi l'iconographie d'A. Giacometti me plaît-elle si fort ? Parce qu'après elle, je suppose qu'on sera près d'en avoir fini avec le Je.116(*)

Dans un texte quasiment contemporain, daté du 24 novembre 1951, Ponge identifie les responsabilités et expose ainsi le but de sa poésie :

Non seulement, à mon sens, la religion judéo-chrétienne, mais « l'Humanisme » tout entier est en question : ce corpus de valeurs nées à la fois à Jérusalem, à Athènes, à Rome, par lequel l'homme s'est trouvé placé au centre d'un univers qui ne serait pas le champ de son action ou le lieu de son « pouvoir ». Cette conception de la supériorité de l'homme me semble, à la vérité, l'avoir conduit quelque part hors du monde, dans une sorte d'aliénation. La pseudo-civilisation qui vient d'achever récemment de ceinturer le globe mourra aussi d'un de ces schismes qui suivent immanquablement les périodes dogmatiques, celles qu'en littérature on appelle classiques. Voilà ce contre quoi, plongeant dans le trente-sixième dessous, chaque poète authentique aujourd'hui par sa seule présence agit. Nous cheminons au niveau des racines, nous menons la vie noire des vers dont chacun remue des tonnes de terre végétale. Voilà où nous devons enfoncer la lyre qui n'est plus à placer au fronton des superstructures, mais doit pourrir dans l'infraordinaire. Nous naissons muets dans un monde muet. Nous : je parle de moi-même à l'instant même devant ce micro. Car nous naissons en réalité au milieu d'un brouhaha insensé, celui des paroles de l'ancien ordre, des rengaines de la mélodie mondiale, celui que font ici-même, par exemple, les publicistes et les concierges de la littérature.117(*)

Dans les années 50 apparaît une idée qui rejoint beaucoup les pensées de Ponge contre le comportement actuel de l'homme. Il s'agit de l' « abhumanisme », élaborée par Jacques Audiberti et Camille Bryen qui publient en 1952 L'Ouvre-boîte, un dialogue qui défend l'idée que l'homme doit être considéré comme faisant partie de la nature, au contraire de l'humanisme qui plaçait hiérarchiquement au centre du monde l'homme

En 1954, Ponge reprend le texte du « Murmure » et en opère une relecture. Il revient alors sur la nécessité de remettre l'homme à sa place. Il explique par ce biais des textes comme « Notes premières de l'homme »118(*) en 1942-1943 et « L'homme à grands traits »119(*), « De la bouche »120(*) ou encore « Première ébauche d'une main » en mai 1949121(*), qui représentent des descriptions de l'homme souvent tronquées, incomplètes. En effet, le but de Ponge est d' « amenuiser » l'homme et de lui donner une mesure plus juste. Le ramener à l'utilité d'une main par exemple est un moyen de désacraliser la vision que l'homme porte sur lui-même :

Un coup violent donné à l'Homme, à sa prétention intellectuelle :

voilà le Murmure :

un coup de poing pour ramener l'homme à une juste conscience de sa petitesse - fonctionnante grâce à quoi tout se remettra à fonctionner.

C'est par un processus en réduction parfois que tout se remet à fonctionner (soliculus). Théocrite.122(*)

Le 12 septembre 1954, Ponge place vraiment l'homme au centre et même en but ultime de ses préoccupations puisque dans « Constance d'une de mes idées de l'objeu (préface ou introduction à l'objeu) », il termine par le classement suivant :

Il y a profit à ce traitement :

1° pour l'objet (dénudé)

2° pour le poème (parfait)

3° pour l'homme (détaché, réjoui, remis dans la disponibilité de nature).123(*)

En plaçant en troisième position l'homme on comprend qu'il s'agit en fait de l'unique but de Ponge, en tout cas celui qui occupe dans la hiérarchie la place la plus importante. Mais à la condition triple énoncée entre parenthèses : qu'il soit disponible, ouvert, dans un état de nature, c'est-à-dire avant la pernicieuse dégradation opérée par les habitudes sociales.

Mais ce n'est pas n'importe quel homme. C'est une question de mesure et non plus de démesure. En février 1962, à l'occasion de l'exposition L'Objet au Musée des arts décoratifs en mars 1962, Ponge reprend une expression de Braque : « Le peintre pense en formes et en couleurs ; l'objet, c'est la poétique »124(*) pour en faire le titre de sa préface. Pourquoi les objets sont-ils utiles à l'homme ? Moins par leur caractère utilitaire que parce qu'ils sont l'accusatif de l'homme. Ce dernier existe, fait des choses parce qu'il y a des objets que sa main manie :

Le rapport de l'homme à l'objet n'est du tout seulement de possession ou d'usage. Non, ce serait trop simple. C'est bien pire.

Les objets sont en dehors de l'âme, bien sûr ; pourtant, ils sont aussi notre plomb dans la tête.

Il s'agit d'un rapport à l'accusatif.125(*)

On y reconnaît d'ailleurs l'une des définitions du Littré donnée au début de cette étude : les objets sont ce qui est en dehors de l'âme.

Les objets opèrent une sorte de résistance à l'homme qui lui donne l'impression d'exister. Ils sont l'application de la vie de l'homme.

* 113 Ibid., p. 617.

* 114 Ibid.

* 115 « Joca Seria », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p. 617.

* 116 « Joca Seria », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p. 636.

* 117 « Préface aux Pratiques », Pages d'atelier 1917-1982, coll. « nrf », Gallimard, 2005, p. 286-287.

* 118 « III. Notes premières de l'homme », Proêmes, OEuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p. 223.

* 119 « L'homme à grands traits », Méthodes, OEuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p. 616.

* 120 « De la bouche », « L'Homme à grands traits », Méthodes, OEuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p. 620.

* 121 « Première ébauche d'une main », Pièces, Oeuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p.765.

* 122 Ponge, [Réflexions sur les genres littéraires] Justification de la préciosité », Pages d'atelier 1917-1982, « nrf », Gallimard, 2005, p. 319.

* 123 Pages d'atelier 1917-1982, coll. « nrf », Gallimard, 2005, p. 325.

* 124 Georges Braque, Le Jour et la Nuit. Cahiers 1917-1952, coll. « Blanche », Gallimard, 1952, p. 11.

* 125 « L'objet, c'est la poétique », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p. 657.

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