WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Francis Ponge et Bernard Heidsieck: exemples d'un parti pris du banal en poésie contemporaine

( Télécharger le fichier original )
par Delphine Billard-Kunzelmann
ENS-lsh Lyon - DEA stylistique 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2) Ponge

2.1) Transfigurer le banal 103(*)

« commencer à ressentir religieusement la réalité quotidienne »104(*), tel est, pourrait-on dire, le credo de Ponge. Refuser la mission salvatrice de la religion surtout chrétienne et faire une passation de pouvoir au commun des objets.

Il multiplie ainsi les critiques acerbes et ironiques à l'égard du christianisme, religion de la douleur, de l'exaltation des souffrances. A ce message « martyrophile », il oppose la pleine jouissance du réel, les pieds sur terre, ou plutôt sur la table et la main sur la porte ou modelant la figue. De nombreux symboles chrétiens sont ainsi détournés : « le pain » devient tout un monde au lieu de permettre de « casser la croûte » avec les « copains »105(*) même si on termine sur la nécessité de « la briser » et non « briser-là ».

L'autre point à souligner est la lecture approfondie du De natura rerum de Lucrèce qui lui inspire une méfiance à l'égard de tout ce qui leurre :

Au temps où, spectacle honteux, la vie humaine traînait à terre les chaînes d'une religion qui, des régions du ciel, montrait sa tête aux mortels et les effrayait de son horrible aspect, le premier, un homme de la Grèce, un mortel, osa lever contre le monstre ses regards, le premier il engagea la lutte. (...) Il a parcouru par la pensée l'espace immense du grand Tout, et de là, il nous rapporte vainqueur la connaissance de ce qui peut ou ne peut pas naître, de la puissance départie à chaque être et de ses bornes inflexibles. Ainsi la superstition est à son tour terrassée, foulée aux pieds, et cette victoire nous élève jusqu'aux cieux.106(*)

Cet être extraordinaire qui a prouvé la non existence des dieux est évidemment Epicure.

Ce texte est à mettre en rapport avec « La Mounine » car ce texte daté de 1941 exprime dans la vision d'un ciel tourmenté « jour bleu cendres », comme un mercredi des Cendres dans la liturgie catholique, le refus du Carême et de sa pénitence alimentaire.

Une science très positiviste se dessine contre la religion, c'est-à-dire basée sur des expériences directes entre l' « écrivant », le « décrivant » et l'objet de cette expérience directe. Cette science doit partir d'une émotion, « d'un sanglot » a priori « sans cause apparente »107(*) pour aboutir à l' « explication de [s]a profonde émotion », donc pour aboutir, et c'est là que le raisonnement souffre dans sa cohérence, à « une loi esthétique et morale importante ». C'est ce qui fait dire à Lionel Cuillé que « l'ambition scientifique est une des stratégies par lesquelles Ponge légitime son travail d'écriture, cette démarche critique semble paradoxalement, de manière curieusement très romantique, fascinée par l'ambition du poète comme « multiplicateur de progrès » (Rimbaud) ».108(*) Par ailleurs, il insiste sur l'idée que le discours pseudo-scientifique ou scientifisant finalement veut avant tout se placer contre tout discours religieux, « contre l'obscurantisme ».109(*)

La poésie est donc avant tout un moyen d'expression de ce mépris à l'égard de Dieu. C'est la volonté exprimée de défaire les sens tout faits, les lieux communs et Dieu est un lieu commun qui a besoin d'être examiné :

Ni Dieu ni Maître.

Le Maître serait-il le Logos, le langage, les mots.110(*)

En 1952, alors que Ponge commence à se faire reconnaître de son siècle, il participe à un enregistrement radiophonique en compagnie de Reverdy et de Breton. C'est le moment de définir de la manière la plus synthétique possible ses pensées poétiques et c'est aussi le moment qu'il choisit pour exposer ses griefs contre la religion chrétienne :

Non seulement les religions (et en particulier la religion J.-Ch.) me paraissent en cause, mais l'humanisme tout entier : ce système de valeurs que nous avons hérité à la fois de Jérusalem, d'Athènes, de Rome, que sais-je ? et qui a ceinturé récemment la planète. Selon lui, l'homme serait au centre de l'univers, lequel ne serait, lui, que le champ de son action, le lieu de son pouvoir. 111(*)

L'accusation rejoint bien le thème central de sa poétique. L'homme n'a pas à avoir cette place de choix car il ne la mérite pas. Cette vision anthropocentriste a fait déjà trop de dégâts pour la poursuivre. La modestie est à gagner pour l'homme en passant par la considération du monde concret, seule rédemption possible de l'homme à ce stade de son histoire. D'où cette « Ode inachevée à la boue » où la Bible se trouve stigmatisée comme imposture sur la condition de l'homme :

Certain livre, qui a fait son temps, et qui a fait, en son temps, tout le bien et tout le mal qu'il pouvait faire (on l'a tenu longtemps pour parole sacrée), prétend que l'homme a été fait de boue. Mais c'est une évidente imposture, dommageable à la boue comme à l'homme.112(*)

L'ironie de ce texte est à lire dans l'ordre des victimes puisque la boue apparaît avant l'homme.

* 103 Nous empruntons ce titre à Arthur Danto qui lui-même l'empruntait à Sandy Stranger, personnage du roman de Muriel Spark, (Le Bel Age de Miss Brodie) censée avoir écrit un ouvrage portant ce titre.

* 104 « De la nature morte et de Chardin », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p. 664.

* 105 Nous rappelons l'étymologie de ce terme : « cum + panis ». Les « copains » sont ceux avec qui on rompt le pain.

* 106 Lucrèce, De la Nature, trad., intr. et notes par H. Clouard, Garnier-Flammarion, 1964, p. 20-21.

* 107 Ibid., p. 424.

* 108 Lionel Cuillé, L'Herméneutique littérale : subversion du discours chrétien, modélisation scientifique, et religion de la Parole dans l'oeuvre de Francis Ponge, thèse de doctorat, Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, dir. Jean-Marie Gleize, 2003, p. 8.

* 109 « La Mounine », OC, t. I, p. 425.

* 110 « Première et seconde méditations nocturnes », Nouveau nouveau recueil, II, OC, t. II, p. 1182-1183.

* 111 « Entretien avec Breton et Reverdy », Méthodes, Ibid., p. 687.

* 112 « Ode inachevée à la boue », OC, t. I, p. 731.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault