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Francis Ponge et Bernard Heidsieck: exemples d'un parti pris du banal en poésie contemporaine

( Télécharger le fichier original )
par Delphine Billard-Kunzelmann
ENS-lsh Lyon - DEA stylistique 2004
  

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Hymne à la matière (1950-1963 : « A la rêveuse matière »)

Le rapport devient donc beaucoup direct dans cette période qui suit cette prise de conscience.

Le 2 avril 1950, Ponge écrit un texte liminaire à Nioque de l'avant-printemps que l'on peut lire comme un hymne à la matière et à la banalité. En effet, il s'agit de la description d'une maison paysanne et de son environnement. Comme la plupart des maisons, elle est tournée vers le Sud. Evidemment on peut y lire la réactivation des origines méditerranéennes de Ponge qui s'assimilerait ainsi à cette maison. Elle est protégée par des « communs » qui brisent le vent de droite, c'est-à-dire venant de l'Ouest. Or ce vent est assimilé à de « frais soucis », des « rembrunissements bleuâtres », peut-être les soucis de « frais » puisqu'au mois de novembre 1949, Ponge était menacé de saisie. Or ce sont les « communs » qui le protègent, or ce nom est ambigu puisqu'il désigne les bâtiments réservés aux services mais connaissant le travail de Ponge sur les mots, on ne peut s'empêcher de voir le sujet de ses poèmes : le banal est une protection. Ce qui importe est le « Mais » qui inaugure le dernier paragraphe. Ponge vient de développer la froideur des tempêtes, la nécessité de chauffer avec du bois : « un peu de la chaleur de cette braise venant du bois allumé par l'industrie de l'homme, afin de compenser les coryzas et les rhumatismes ». Or qu'est-ce qui vient corriger ce tableau instable où la couleur bleue de la tempête domine ? C'est la terre brune : « Mais là-dessous, le corps allongé, nourricier, de la terre brune ».66(*)

Le 10 avril 1950, le « Proême capital » qui apparaît en quatrième partie de Nioque de l'avant-printemps redéfinit l'humilité de Ponge et le devoir moral qu'il s'est donné : donner la parole aux muets, contre le bavardage des hommes :

le reste : les muets, la nature muette, les campagnes, les mers et tous les objets et les animaux et les végétaux. Pas mal de choses, on le voit. En fin tout le reste.

C'est cette seconde partie parfaitement en dehors des hommes, qu'il est de ma raison de représenter, à quoi je donne la voix.

Que je voudrais (qui se fasse entendre par ma voix), faire parler aussi haut que les hommes.

(...)

Je ne m'intéresse qu'à vous.

Vous dévoue entièrement ma vie, mes paroles.

Exercées dès longtemps, dès ma jeunesse, à cela.67(*)

C'est une véritable mission qu'il se donne et s'est donnée depuis le début. Mais cette mission s'est nuancée. Un sentiment de véritable humilité se dessine. Ce n'est plus un sens politique qui l'anime mais une vraie conscience individuelle. Ainsi il s'agit d'une maison particulière, d'objets particuliers, avec lesquels il va se mettre à « parler » comme le souligne ce « vous » qui marque un rapport direct avec l'objet particulier. Ponge d'ailleurs insiste sur la nécessité de dater et situer dans un lieu d'écriture dorénavant ses travaux pour qu'un travail de recherche puisse être mené. En 1958, dans un des états de Comment une figue de paroles et pourquoi, Ponge donne une origine géographique à cette figue, une réalité, ainsi qu'à la petite église dont il est question dans l'amalgame métaphorique entre la figue, « sapate » et son intérieur qui comporte comme un autel scintillant :

Il y a aussi des figuiers, amis d'une autre sorte, rampante, grasse, à raquettes, figuiers de barbarie (ou de berbérie) dans une partie du jardin, à Villeneuve-les-Avignon, des demoiselles X... (à l'intérieur du fort Saint-André).

Et où je parle d'une église de campagne, c'est de cette petite église rustique, près de Bombanville, non loin de la propriété du père de Paul Perrotte (René Perrotte), qui était maire de Caen à l'époque : 1912-1913-1914-1915).68(*)

De même, dans les premières pages de La Fabrique du Pré datées du 11 août 1960, Ponge revient sur les référents du Carnet du Bois de pins, Le Galet et enfin sur celui du Pré. On constate immédiatement que ce sont des référents réels et spatialement identifiés. Ils sont uniques. On en déduit que Ponge n'a pas écrit ces textes à partir de points de départ abstraits. Mais il est parti de lieux réels :

J'ai revu mon bois de pins (nous sommes à cinq minutes en voiture de La Suchère) : inchangé. Par contre, celui où j'avais conçu Le Galet a disparu.

Ce que j'avais envie d'écrire, c'est Le Pré : un pré entre bois (et rochers) et ruisseau (et rochers).69(*)

Ponge revendique l'unicité de ses référents. Ce n'est pas l'idée du « pré » dont il parlera, mais ce pré qui se trouve en bordure du Lignon, à Chambon sur Lignon, à côté de Chantegrenouille. Cette information est placée en exergue du texte selon une volonté de donner une sorte de « généalogie », d'origine du Pré. Les données géographiques sont très précises comme si Ponge invitait son lecteur à se rendre sur place pour constater la réalité de ce pré :

En haut (à l'endroit où nous étions, l'endroit où nous nous trouvions, d'où nous le dominions d'où je l'ai vu, pour la première fois vu, conçu), nous nous trouvions parmi des buissons secs : des bruyères surtout, aiguilles de pins, quelques fougères sans doute, parmi les rochers et les fûts d'arbres.

Et tout en bas de nous coulait une rivière (le Lignon) derrière une haie irrégulière, en bordure, de petits arbres et de rochers, et il y avait des rochers aussi, encore, dans le lit du ruisseau.

Entre les deux, le pré. Une théorie de promeneurs l'empiétait, au bord de l'eau.70(*)

Il est important de souligner le fait qu'il s'agit de plus en plus, dans cet après 1950, d'une rencontre particulière où surgit une émotion ressentie par Ponge. Que ce soit dans les Cahiers critiques de la littérature n° 2 daté de décembre 197671(*) ou dans fig. 572(*) qui rapporte une partie de l'entretien qui s'est tenu entre Jean Daive et Francis Ponge le 5 et 6 octobre 1984, Ponge fait mention de cette rencontre avec des promeneurs et fait de cet événement l'origine du Pré. Ponge l'écrit lui-même dans une note du 11 août 1970 du dossier « Livre Skira. Texte de présentation » (Archives familiales) : « en 1960 [...] dans les environs de Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire. C'est de cette seconde émotion qu'est né mon travail sur Le Pré ». Donc le banal est aussi le lieu de l'unique. Le lieu est si important que Ponge revient, entre le 11 octobre 1960 et la nuit du 11 au 12 novembre 1963, sur l'émotion née d'un pré unique qu'il va entreprendre de décrire :

Le pré qui m'a ému ou Le pré, où je l'ai conçu.

Il s'agissait d'un pré de montagne, mais non d'une grande courbure, d'un grand pré convexe sous un grand ciel. Nous {étions dans | abordions en surplomb} la vallée {d'une rivière | d'un petit fleuve} assez rapide, {roulant | coulant} entre de gros ou moins gros rochers dans son lit, et {les | à partir duquel les} pentes de la montagne s'élevaient assez rapidement

à partir de {son | ce} lit d'ailleurs limité à la vue à droite et à gauche par les sinuosités de son thalweg laissant toutefois aux promeneurs une assez large avenue { horizontale | territoriale} : ce pré, justement.73(*)

Ce premier paragraphe ne présente pas la nature de l'émotion, mais très logiquement nous donne la seule description du lieu.

Ponge reviendra sur cette question de l'unicité de ses référents dans un entretien de 1972 où il insiste sur cette notion de mémoire très importante à ses yeux :

je sais exactement [...] à quels endroits, et depuis mon enfance, je peux dire exactement le lieu, et à peu près le temps où j'ai eu ces impressions, elles se sont sédimentées en moi ; de là résulte toute chose. [...] Nos origines font partie de notre originalité. C'est une telle idée, un tel sentiment si vous voulez, qui fait parfois que je pense qu'un texte est arrivé.74(*)

La question des origines est très importante aux yeux de Ponge : sa propre origine et l'origine de ses souvenirs qui donnent une identité aux choses, une unicité.

* 66 Nioque de l'avant-printemps, OC, t. II, p. 957.

* 67 Ibid., p. 973-974.

* 68 Comment une figue de paroles et pourquoi, OC, t. II, p. 766.

* 69 La Fabrique du Pré, OEuvres complètes, t. II, p. 437.

* 70 Ibid., p. 437-438.

* 71 « Entretien avec Francis Ponge et textes écrits », [31 mai 1976], Cahiers critiques de la littérature, n° 2, décembre 1976, p. 4-32.

* 72 fig. 5, Editions fig. & fourbis, 1991, p. 27-45.

* 73 Ibid., p. 477.

* 74 « La Chèvre », Textes hors recueil, OC, t. II, p. 1415-1416.

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