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Histoire de l'objet banal dans l'histoire picturale de la première moitié du XXème siècle

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par Delphine Billard-Kunzelmann
ENS-lsh Lyon - DEA stylistique 2004
  

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c) Le surréalisme

Le surréalisme naît d'une expression d'Apollinaire qui qualifie sa pièce Les Mamelles de Tirésias (1917) de « drame surréaliste ». Le surréalisme vise à dépasser la réalité, c'est-à-dire la représentation du monde par la raison, à la recherche d'un au-delà dissimulé dans les ténèbres de l'inconscient.

L'art se définit comme tout objet détourné de sa fonction utilitaire. Les choses sont donc explorées mais dans leurs relations avec l'inconscient. Les surréalistes se proposent d'examiner les rapports inconscients noués avec les objets. Il y a un autre monde, disait Eluard. Cela reste lié au romantisme et au symbolisme et André Breton se réclame de Rimbaud et de Lautréamont. Donc l'objet est en position gagnante, prédominante. Il est au centre de leurs recherches mais il en perd pour autant parfois son identité d'objet.

En 1936 a lieu une exposition à Paris sur les « objets surréalistes » où sont présentés des objets naturels ou trouvés, transformés par leur assemblage avec d'autres objets (les ready-made de Marcel Duchamp) et des objets créés comme les « tableaux-reliefs » de Picasso. On pourrait penser que ce regard posé sur l'objet a été de nature à influencer Ponge. Mais il s'agit, comme le dit Breton, d' « objets à fonctionnement symbolique ». Donc le propos n'est pas de forcer le regard du spectateur à s'arrêter sur un objet usuel, mais à réfléchir sur le sens plus ou moins caché de telle association.

Que ce soit Le Taxi pluvieux de Dali11(*) présenté lors de l' « Exposition internationale du surréalisme » en 1938 à la galerie des Beaux-Arts qui représente une femme trempée couverte d'escargots vivants ou cet « objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste » qui définit le « Ready-made » dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme et prend pour illustration « se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser », et nous comprenons que le surréalisme se veut provocation et obligation de poser un nouveau regard non pas sur cet « objet usuel » pour en faire ressortir l'esthétisme ou le mettre en position d'être considéré, mais pour servir de faire-valoir à l'artiste qui aura pensé à tel agencement. On pourrait dire que c'est du banal transformé en contre-banal. Ne rien devoir au réel semble leur credo.

Il faut également rappeler que Duchamp est issu de la méthode Guillaume, ou du moins traite ses objets comme le fait cette méthode datant du début du siècle, de l'école Jules Ferry. Elle consiste à préparer les élèves à la méthode du dessin industriel en partant d'objets quotidiens. Ce programme date de 1883. (On ne peut s'empêcher de penser à l'image de Guy Degrenne enfant dessinant ses premiers modèles de fourchettes). Ainsi les ready-made sont aussi à comprendre comme une volonté de retirer leur modèle de la circulation et de les réduire au silence. Le plus étonnant est que l' « objet d'art » est lui-même reproduit à une échelle quasi -industrielle. Ainsi « Fontaine » a été reproduit 688 fois. Le modèle est presque plus artistique -- parce que unique-- que la reproduction dans la mesure où c'est l'art qui s'industrialise. Evidemment nous sommes toujours dans cette dimension provocatrice.

Nous sommes dans la droite ligne du test de Castle cité par Athur Danto12(*). Il créa un objet (en 1960 appelé « Stool sculpture ») qui, bien qu'étant une chaise, ressemblait à une sculpture abstraite en bois. Il la présenta à un jury composé d'experts d'une exposition de sculpture qui accepta l'objet. Sa stratégie consistait à dire que tout le monde admettait la sculpture comme de l'art. Donc si un jury ne pouvait distinguer un meuble d'une sculpture, c'est qu'il ne pouvait exister de différence entre un meuble et une oeuvre d'art.

Donc Duchamp a mis en application ce questionnement sur ce qui fait une oeuvre d'art, ses critères.

Il s'est interrogé aussi sur un autre d'entre eux : l'esthétique. Ainsi une lettre adressée à Hans Richter datée de 1962 nous livre son but fondamental :

Lorsque j'ai découvert les ready-made je pensais décourager l'esthétique (...) Je leur jetais le porte-bouteilles et l'urinoir à la tête comme un défi, et maintenant ils les admirent pour leur beauté esthétique.13(*)

Donc deux buts fondamentaux occupaient l'esprit de Duchamp, refuser l'industrialisation et l'esthétique dans le domaine de l'art. Nous verrons que nous sommes dans une tout autre conception avec le pop art, malgré les points communs, qui demeurent du domaine du visuel. Dans tous les cas, Marcel Duchamp ne transfigure ni le quotidien ni ses représentants. En effet, si son choix s'est porté sur des objets de la vie quotidienne, c'est pour leur banalité, pour leur caractère quelconque. Son travail n'a pas consisté à travailler en faveur de ces objets, mais il a consisté à exploiter leur statut banal à ses propres fins.

Nous verrons que c'est essentiellement dans les années 1940-1945 que Ponge va s'intéresser aux peintres. Ainsi Braque après une période cubiste qu'il partage avec Picasso s'est intéressé à partir des années 30 aux intérieurs et notamment aux Ateliers entre 1949 et 1956. Des objets hétérogènes sont ainsi intégrés dans des toiles, constituant une source d'inspiration et de réflexion pour Ponge. Parallèlement, il intègre des éléments de la nature comme du sable et de l'herbe dans ses toiles-paysages (sur la côte normande de Varengeville), « voulant se mettre à l'unisson de la nature ».

Matisse peint des objets familiers de son atelier comme s'ils étaient aussi importants que des modèles (Fauteuil rocaille, 1946, Nice, musée Matisse), entre 1943 et 1949 puis entre 1946 et 1949 ce sont des intérieurs qui mettent en valeur les objets dans ces pièces : Le Silence habité des maisons, 1947, collection particulière.

Quant à Picasso, hormis la dimension peinture engagée, on observe une focalisation sur le quotidien, l'objet de tous les jours qui ne sont pas pour déplaire à Ponge : La Cuisine (en deux versions), 1948, Paris, Musée Picasso, ou La Joie de vivre (1947, Antibes, Musée Picasso) ou La Chèvre (1950) qui présente un panier en osier et d'autres objets hétéroclites.

Fautrier, après une période de figuration expressionniste, fait surgir des visages, des corps et des paysages sur des feuilles de papier qu'il couvre de couleurs et d'enduit blanc atténuée ensuite : série des Têtes d'otages à partir de 1945. Elles sont terre malaxée, poussières, plâtres, graffiti de murs rongés.

En parallèle à un retour à l'abstrait figuratif évolue Jean Dubuffet qui se distingue de cette tendance, et ainsi est remarqué par Ponge. Il fonde en 1945 le concept de l' « art brut » : « les productions de toute espèce (...) présentant un caractère spontané et fortement inventif, aussi peu que possible débitrices de l'art coutumier ou des poncifs culturels, et ayant pour auteurs des personnes obscures, étrangères aux milieux artistiques professionnels. »

A partir de 1942 ses peintures se rapprochent de la simplicité des dessins d'enfants ou des graffiti (série des Marionnettes de la ville et de la campagne et du Métro aux couleurs boueuses et aux maladresses volontaires.) Les Texturologies et Matériologies (1957-1960) sont des étendues de matières épaisse, sans repères comme des fragments de réels, ce qui n'est pas pour déplaire à Ponge qui s'intéresse alors à la matière : mastic, goudron,gravier, charbon et même poussière. On appelle d'ailleurs les peintres Fautrier et Dubuffet des peintres du matiérisme dans la mesure où ils mettent en valeur le matériau pour lui-même.

Quant Jean Hélion, également cité par Francis Ponge, il passe après une période très abstraite à la figuration à partir de 1939. Ainsi ses sujets sont pris dans le banal quotidien dans un désir de « répondre à l'appel de la nature ». Il en fera un manifeste dans A Rebours (1947) qui montre le passage de l'abstraction à la peinture de nu. Après la guerre, il se lance dans des peintures de série mêlant archétypes et observations sur le vif (Les Journaliers, Pains, Citrouilleries) et la plus grande banalité se mêle à la monumentalité.

* 11 En 1936 ce dernier réalise Un Plateau d'objets (collection Charles Ratton).

* 12 Arthur Danto, Après la fin de l'art, coll. « Poétique », Seuil, 1996, p. 55.

* 13 Marcel Duchamp, « Letter to Hans Richter, 1962 », in Hans Richter, Dada : Art and Anti-Art, Londres, Thames and Hudson, 1966, p. 313-314.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire