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Histoire de l'objet banal dans l'histoire picturale de la première moitié du XXème siècle

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par Delphine Billard-Kunzelmann
ENS-lsh Lyon - DEA stylistique 2004
  

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D) Le pop art.

Rauschenberg introduit dans ses peintures des matériaux hétéroclites : parapluies, enseignes, annuaires, chaises, etc. Tout y passe. On aboutit ainsi à des animaux empaillés, des ventilateurs, des montagnes en bouteilles de coca-cola, des pneus, des objets-sculptures en fil de fer...Ainsi dans une interview pour La Quinzaine littéraire du 1er novembre 1968, il répond à Raphaël Sorlin en lui déclarant :  

Mon oeuvre est une sorte de journal intime où je note tout ce qui m'arrive. (...) Quand j'exécute une série de dessins je constate que chacun est le reflet fidèle de ce qui m'est arrivé dans la journée. Il ressemble à une page de quotidien, avec ses illustrations, des titres plus ou moins gros, et le nom du journal. 

Quant à l'objet, c'est son moulage qui lui est préféré. Le but est de le rendre plus modeste, sa copie suffit à en rendre compte. Jusqu'aux moulages d'excréments...

Même le lit en 1955 est examiné dans Bed 14(*). Claes Oldenburg quant à lui a imité des morceaux de viande, des poissons préparés, des petites cuillères, des cornets de glace. L'objet d'arrivée mystifie l'objet de départ. L'apparence n'est qu'une supercherie. Donc cette conception de l'objet est très anti-platonicienne dans sa démarche, le but étant de combler le vide entre l'art et la réalité.

En effet, il faut se souvenir des trois lits qui servent d'exemples dans La République où Platon distingue le lit comme « forme » ou « idée », le lit fabriqué par un menuisier, et enfin le lit peint, imitation de celui du menuisier qui, lui, avait imité le lit comme forme. L'art est bien relégué au troisième plan et comme copie de copie. Or, le Pop Art va faire apparaître le lit de Rauschenberg, celui d'Oldenburg, puis celui de George Segal. D'où la question de savoir ce qui distingue une oeuvre d'art et un objet.

Dès 1961, Andy Warhol et Roy Lichtenstein se distinguent comme les fondateurs du pop art. En effet, tous deux basent leur travail sur la représentation du quotidien, de la société de consommation, non pour en faire une critique mais pour les « transfigurer » et leur donner une dimension artistique. Cette conception de l'art remporta (et remporte encore) un immense succès dans la mesure où les gens qui n'étaient pas forcément des familiers des galeries d'exposition ont vu leur propre monde, celui de tous les jours, mis en valeur, élevé au niveau d'oeuvre d'art. Ce parti pris de la banalité, et même de la plus fruste des banalités s'est placé en position de contre : contre l'art alors quasi officiel qu'était l'expressionnisme abstrait aux Etats-Unis. En prônant ainsi cet art libéré, l'accès au statut d'oeuvre d'art n'a, de manière étonnante, rencontré quasiment aucune difficulté. C'est même le monde l'art qui a décrété que Boîte Brillo était une oeuvre d'art.

Ainsi, Jerrold Morris, marchand d'art à Toronto tenta d'organiser en 1965 une exposition des fameuses « sculptures » de Warhol, à savoir Boîte Brillo qui étaient en contre-plaqué ce que les vraies boîtes Brillo étaient en carton. (Il s'agit d'éponges ménagères). Or les douaniers prétendirent qu'il s'agissait de marchandises et qu'elles étaient donc soumises à une taxe. Même Charles Comfort, alors directeur de la Galerie nationale du Canada se rangea du côté des douaniers à la seule vue des photos. Dès lors, pour pousser encore plus loin la provocation, Warhol préleva simplement dans un supermarché ses boîtes de potage Campbell pour en faire une oeuvre d'art. Aucune distinction cette fois ne transparaissait entre le réel et l'objet d'art.

Comme le souligne Arturo Danto :

L'art rachetait des signes auxquels tout un chacun accordait une importance extrême puisqu'ils définissaient sa vie quotidienne. (...) Les boîtes de soupe Campbell empilées exemplifient ces valeurs humaines fondamentales que sont la chaleur, la nourriture, l'ordre et la prévisibilité. Le tampon Brillo symbolise notre combat contre la crasse et le triomphe de l'art domestique. (...) Warhol exaltait le monde dans lequel il avait grandi et qu'il avait perdu. 15(*)

En effet, il apparaît cette distinction historique que Michaël Baxandall a mise en valeur en parlant d'une « critique d'art inférentielle », à savoir une explication historique des oeuvres d'art. Les gens voyaient aussi une part de nostalgie à l'égard de ces produits qui leur rappelaient leur enfance. Donc entre l'interprétation « lisible », selon la distinction de Roland Barthes, valable encore aujourd'hui et l'interprétation « scriptible », valable pour des personnes spécifiques, comme celles gagnées par la nostalgie, les oeuvres de Warhol avaient trouvé une double place.

Laurence Aloway est l'inventeur du terme « pop art » qu'il définit en ces termes :

Nous découvrîmes que nous nous référions à une culture vernaculaire persistant au-delà de tout intérêt spécial ou de savoir-faire particulier que chacun d'entre nous pouvait avoir dans le domaine de l'art, de l'architecture, du design, ou de la critique d'art. La zone de contact était la culture urbaine de masse : les films, la publicité, la science-fiction, la musique pop. (...) Nous ne détestions pas la culture commerciale, comme il est de règle chez la plupart des intellectuels, mais l'acceptions comme un fait, nous la discutions de manière détaillée et la consommions avec enthousiasme. Un des résultats de nos discussions fut de faire sortir la culture pop du domaine de l' « évasion », du « simple divertissement », de la « détente » et de la traiter avec tout le sérieux avec lequel on aborde l'art.16(*)

Il est bien question, comme le souligne Arthur Danto d'une « transfiguration de l'art », d'une « adoration de l'ordinaire »17(*). Ainsi qu'il s'agisse des objets ou des icônes du quotidien, comme Marilyn Monroe ou Elvis Prestley, le pop art transforme en art notre conscience collective, alors que l'expressionnisme abstrait s'intéressait à des processus symboliques proches du Surréalisme. Donc il apparaît un véritable parti pris du réel chez les artistes du pop art, sans remise en question ou critique de ce réel.

Nous reconnaissons un objectif tout à fait comparable à la lecture de Comment une figue de paroles et pourquoi de Ponge ou dans d'autres de ses oeuvres. Il est en effet question également d'une transfiguration des choses, des objets, contre la religion dite « officielle ».

* 14 Rauschenberg, Bed, 1955, New Yok, Metropolitan Museum of Art, collection Mr. & Mrs. Castelli.

* 15 Arturo Danto, Après la fin de l'art, Paris coll. « Poétique », Seuil, 1996, p. 64.

* 16 Alloway Laurence, « The Development of British Pop », in Lucy R. Lippard, Pop Art, Londres, Thames ans Hudson, 1985, p. 29-30, cité par Arthur Danto, L'Art contemporain et la clôture de l'histoire, coll. « Poétique », Seuil, 2000, p.188.

* 17 Ibid., p. 193.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry