5/ La polémique avec Bayle sur l'existence ou non
d'objections insolubles contre la vérité. Les règles de la
dispute en matière de défense des mystères.
Entrons maintenant un peu plus dans la polémique sur
l'existence d'objections insolubles qui oppose Leibniz et Bayle. Sachant qu'une
objection se trouve être un raisonnement comportant un ou plusieurs
arguments formulée dans le but de s'opposer voire de détruire une
these, quelles solutions pouvons nous envisager lorsqu'une telle dispute se
crée et que de part et d'autre se trouve un défenseur combattant
pour la sauvegarde de sa these et un objecteur oeuvrant pour montrer que ses
arguments vont contre la these défendue ? Deux solutions s'offre
à nous: ou bien l'objection faite est correcte et fait alors office de
démonstration car elle repose sur les regles les plus simples de la
logique (contre la these), si tant est qu'elle possède une forme
correcte (ce qui nécessite l'examen de l'argument en détail),
auquel cas la these ne peut plus être raisonnablement maintenue puisque
sa contradictoire est démontrée et qu'il est impossible que la
these et l'antithèse soient vraies en même temps; ou bien, c'est
le contraire, l'objection est non fondée et repose sur une mauvaise
argumentation et manière de raisonner, bien souvent parce que la raison
est corrompue, mêlée de préjugés en tout genre et de
passions qui faussent le jugement, dans ce cas la these ne souffre pas des
erreurs qu'on prétendait lui opposer sous le nom d' <<objections
>> et ainsi reste intacte.
Leibniz nous donne donc ici un critère qui nous permet
de décider entre un article de foi authentique,
révélé et un article de foi donc la pensée pleine
nous amène à le qualifier d'absurde, c'est-à-dire, cette
fois-ci, réellement contre la raison.
De plus, hormis le fait que pour défendre les
mystères, ceux-ci doivent être susceptibles de quelques
explicitations pour la pensée, il est nécessaire que l'on puisse
répondre aux objections dont ils sont l'objet car dire que celles-ci
doivent être insolubles, comme Bayle le prétend, c'est la
même chose <<que si l'on disait qu'une raison invincible contre une
these n'est pas une
raison légitime de la rejeter. Car quelle autre raison
légitime pour rejeter un sentiment peut-on trouver, si un argument
contraire invincible ne l'est pas ? Et quel moyen aura-t-on après cela
de démontrer la fausseté et même l'absurdité de
quelque opinion? >>1
Autrement dit, la sauvegarde d'une these implique que l'on ait
pu répondre a l'objection en en montrant tant soit peu la contradiction
(il faut donc que l'on admette que la défense est possible, que la
raison peut résoudre les objections) et son rejet implique au contraire
que la these ait fait les frais d'une objection invincible (là encore
cela suppose que la raison puisse discuter des raisons qui font la these et
formuler des objections pertinentes ou pas). Il faut nécessairement
admettre que les objections puissent être résolues, qu'il existe
une méthode, un critère avec lequel on peut a la fois
décider si une raison (objection) peut vaincre une these, donc la faire
rejeter ou si elle est fausse, donc sans poids contre la these, afin de pouvoir
continuer a trouver des vérités, notamment dans le domaine qui
pose problème ici pour Bayle, celui de la foi. Le cas inverse (si il
fallait accepter l'insolubilité des objections) serait faire triompher
la raison mais de telle sorte que la foi en serait détruite car son
domaine devrait être rejeté au rang de bavardage sans aucun
rapport quel qu'il soit avec la vérité et par conséquent
avec la raison.
De manière générale écrit
Leibniz:
<<(...) il ne se peut faire qu'il y ait une objection
invincible contre la Vérité. Car si c'est une
démonstration fondée sur des principes ou sur des faits
incontestables, formée par un enchaInement des vérités
éternelles, la conclusion est certaine et indispensable, et ce qui y est
opposé doit être faux; autrement deux contradictoires pourraient
être vraies en même temps. Que si l'objection n'est point
démonstrative, elle ne peut former qu'un argument vraisemblable, qui n'a
point de force contre la foi, puisqu'on convient que les mystères de la
religion sont contraires aux apparences. >>2
En conclusion de ce point on peut dire que dans une dispute,
celui qui soutient une these vraie avec de bons arguments contre des objections
possède des <<preuves>> ; mais celui qui soutient une these,
renversée par des arguments contraires et invincibles, celui là
voit ses arguments se changer en <<objections>> contre la nouvelle
these qui vient de lui être démontrée. Quoi qu'il en soit,
Leibniz établit une regle d'or:
1 Discours, §58 2lbidem, §3
<<Il faut toujours céder aux démonstrations,
soit quelles soient proposées pour affirmer, soit qu'on les avance en
forme d'objections. >>1
Pourquoi cela? Tout simplement parce que, dans la
défense des mystères, et surtout dans la défense des
mystères, la raison (celui qui défend les dogmes) ne doit en
aucun cas rester campée sur ses positions, elle ne doit pas ignorer les
vérités nécessaires et éternelles qui peuvent lui
être portées dans une argumentation se voulant objection contre le
dogme <<de peur que les ennemis de la religion ne prennent droit
là-dessus de décrier et la religion et ses mystères
>>.2 En effet, la pire des attitudes serait de soutenir un
mystère sans en avoir de bonnes raisons, c'est-à-dire en ignorant
l'objection qui vient de lui être faite et qui l'a montré comme
étant un faux article de foi et en refusant par conséquent
d'abdiquer face a la démonstration adverse avec pour seul motif
l'entêtement. La mauvaise foi en matière de défense des
mystères peut donc causer de grands torts a la religion et aux dogmes
sur lesquels elle repose. Adopter une telle attitude, c'est donner plus de
raisons aux infidèles et aux athées de se conforter dans leur
discours.
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