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L'optimisme de Leibniz

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par Jérémy Lebègue
Université Sorbonne Paris 4 - Maitrise 2005
  

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8/ La subordination n'est pas une négation du subordonné, la foi demeure intacte même enveloppée par la raison. La raison est un chemin vers Dieu.

Nous pouvons voir qu'il s'exerce une subtile relation entre la raison et la foi: malgré la capacité de la raison bien pensante a défendre la foi et ses mystères, il faut dire que la raison ne peut en aucun cas parvenir a remplacer la foi et par là méme parvenir a une complète compréhension de ses objets. Dans son entreprise de défense, la raison ne pénètre pas l'essence du mystère, elle possède des arguments réfléchis qui lui ont fait embrasser le mystère et qui lui permettent, en cas d'objections, de satisfaire aux démonstrations qui entendent montrer le contraire de ce qu'elle défend. Comme nous l'avons dit plus avant, la raison ne cherche pas l'évidence en matière de défense de la foi, elle cherche davantage et méme uniquement la sauvegarde de celle-ci. Malgré sa grande force, la raison, pourtant très dominatrice chez Leibniz, laisse la foi demeurer intacte, non seulement parce qu'elle assure sa défense (et qu'elle ne l'attaque pas) mais aussi parce qu'elle la laisse subsister, vierge de tout contenu visant a une rationalisation complète. Le but de la raison est de rester a sa place de protectrice, elle ne doit pas, sous prétexte qu'elle remporte les disputes contre les objecteurs, s'enorgueillir et penser qu'elle peut investir totalement la foi et ses objets comme si elle les fondait intégralement, sous peine de faire preuve de témérité et de n'avoir par la suite plus aucun crédit aux yeux des théologiens et des croyants et de donner des raisons de décrier la raison a ceux qui pensent qu'elle ne doit pas <<s'occuper>> de théologie. La raison fait donc ici figure de

~ Discours, §42

gardienne, protégeant ce qui est difficilement intelligible des agressions extérieures provenant d'ambitions non fondées, des passions, de la déraison.

Brunner écrit d'ailleurs a ce sujet: <<Il est légitime de soutenir le dogme, mais a condition qu'en lui-même il n'en soit pas affecté. Le dogme, a supposer que son objet soit réel, se soutient véritablement d'en haut et non d'en bas, et la foi peut s'appuyer sur des raisons humaines, mais non pas se nourrir d'elles. >>1

Brunner affirme clairement l'indépendance absolue de la foi et de ses dogmes, même a l'égard de la raison. Cette indépendance résulte d'une double exigence, sensible dans la citation que nous venons de reporter:

- Le défenseur de la foi et de ses mystères, même si il a parfaitement le droit de se mêler des polémiques d'ordre théologiques et de défendre les dogmes qu'il sait être révélés car fondés sur de bonnes raisons, ne doit cependant pas nuire aux dogmes eux-mêmes en les réduisant a des formules rationnelles de part en part. En d'autres termes, il doit les laisser mystérieux, c'est-à-dire tels qu'ils sont, les défendre, non les conquérir (le défenseur, fort de ses anciennes réussites pourrait en effet vouloir encercler totalement le dogme et le prouver a force de démonstration, mais il tenterait là quelque chose d'impossible pour tout esprit créé non relevé et se placerait davantage du côté des opposants au dogme que de celui oü l'on entend simplement le sauvegarder tel qu'il est; la raison n'est donc jamais vierge de dérapages et de vaines prétentions).

- Face a cela, il faut considérer le dogme en lui-même. Sa nature est telle que la raison ne peut, quelque soient ses prétentions, le comprendre dans sa totalité, si bien que sa raison d'être ne peut être prouvée par les seules forces de la raison. Lorsque Brunner dit que le dogme <<se soutient d'en haut>> il souhaite par là signifier que le mystère a sa raison dans l'entendement divin, siège des vérités éternelles. Par conséquent, les raisons <<d'en bas >>, c'est-à-dire les raisons que l'homme allègue dans la défense du dogme ne sont que des raisons subsidiaires mais qui ne s'écarte pas pour autant de la vérité. Cependant, si les mystères sont fondés dans l'entendement de Dieu et dans l'harmonie universelle, les raisons humaines nous font déjà goüter légitimement a la justification totale de tout ce qui est mais qui ne sera pleinement effective que dans l'autre vie. Voilà pourquoi il est dit que la foi peut s'appuyer sur des raisons humaines parce que celles-ci, grace a la force de la raison humaine, peuvent soutenir son

1 F. Brunner, Etudes sur la signi~ication historique de laphilosophie de Leibniz, Paris, Vrin, 1950, P.248-249

fondement en montrant comment il est possible que les dogmes entrent dans le dessein de Dieu sans introduire de l'arbitraire dans la création, mais la foi en elle-même ne peut <<exister>> uniquement d'après ces raisons, elle suppose un fondement autrement intelligible, un fondement transcendant la raison humaine. C'est d'ailleurs pour cela que la religion, comme les dogmes semblent être acceptés par Leibniz comme des faits, la raison venant s'y ajouter pour les défendre et suivant ce qui résulte des disputes, les déclarer comme révélés ou non.

Par conséquent, même si pour Leibniz il n'y a que la création, l'incarnation et quelques autres actions de Dieu qui soient vraiment des miracles et que les autres ne sont miracles que comparativement et relativement a nous - de la même manière que nos actions peuvent être miraculeuses aux yeux des bêtes si il était en leur pouvoir de faire réflexion sur elles - il n'en demeure pas moins vrai qu'on puisse douter que la seule raison suffise a faire prendre conscience des vérités de la foi, car comme nous l'avons montré, elle ne doit pas et de toute facon ne peut pas épuiser le contenu de la foi, uniquement intelligible dans l'entendement de Dieu (tout ce qui est a sa raison d'être dans l'entendement de Dieu car tout est fondé en raison, même les miracles).

Ainsi donc, ce qui nous semblait auparavant être une subordination de la foi a la raison du fait de l'extrême exigence du principe de raison se révèle être une relation complexe entre deux partenaires oü la subordination n'est certes pas absente mais oü le subordonné n'est pas pour autant nié. Dans le cas présent, la raison semble tout d'abord vouloir s'approprier tout le pensable, tout le possible et le domaine de la foi ne fait pas exception a la règle mais il se révèle que son entreprise relève davantage de la défense que de la démonstration, de la protection que d'une volonté de prouver son objet. Brunner écrit:

<<Dans ces conditions, l'intelligence ne supprime point le mystère, elle ne le ruine point, ne le réduisant point au niveau de la raison. Elle s'élève au contraire jusqu'au mystère, jusqu'à percevoir comme naturel, dans sa surnature, le mystère lui-même. Si la foi nous apprend quelque chose de Dieu, l'âme qui veut posséder Dieu doit passer par la foi. Et la foi reste intacte et mystérieuse, parce que l'intelligence en la dépassant, l'enveloppe sans la détruire et fonde sa réalité. >>1

1 F. Brunner, Etudes sur la signi~ication historique de laphilosophie de Leibniz, Paris, Vrin, 1950, P.258

Cette belle citation vient conforter ce que nous disions:

- Premièrement, le mystère n'est pas nié dans l'entreprise de défense car il n'est pas réduit a la sphere de la raison, il conserve donc son côté <<surnaturel>> même si il n'est pas hors de la sphere de la raison qui peut des lors fonder sa réalité en maintenant sa possibilité. - Deuxièmement, la foi reste donc intacte en elle-même et inaccessible a toute tentative de rationalisation totale, elle est simplement - et c'est ici que réside le lien, la relation subtile dont nous parlions plus haut entre la raison et la foi - englobée par l'intelligence (désignant ici l'ensemble des capacités de l'esprit ayant pour objet la connaissance), englobée dans le sens d'une subordination qui ne dénature pas mais qui au contraire protege et fonde pour permettre a ce qui est protégé de perdurer. C'est en somme une aide qu'apporte la raison, sa force étant mise au service de la foi. Elle est en quelque sorte la carapace qui protege le cWur. C'est d'autant plus crucial que la théologie est sans cesse, comme nous le dit Leibniz, sujette a des débats oü l'on fait plus cas de la défense de sa these que de la recherche de la vérité. La raison bien pensante étant pour Leibniz source de vérité, il entend l'incorporer dans les questions de foi pour là encore fonder et édifier un temple a la vérité et a la gloire de Dieu, car loin de nous éloigner de Dieu, la connaissance nous ramène a lui.

Nous pouvons dors et déjà conclure sur un point: contrairement a Descartes, Leibniz ne dissocie pas Religion et science, raison et foi. Selon lui, il est possible d'établir une connexion entre les vérités humaines et la foi puisque celle-ci gagne a contempler les desseins de Dieu par elle-même ainsi que ceux que la raison découvre dans la science par ses propres moyens. La raison humaine est l'occasion de monter vers la raison divine afin d'y contempler la vérité et l'harmonie de toute chose, d'autant plus qu'en vertu de l'univocité de l'être, Dieu et l'homme sont considérablement rapprochés dans leur être: les vérités nécessaires mettent l'homme en rapport avec l'entendement de Dieu, donc avec Dieu lui-même. L'univocité de l'être, notamment théorisée par Duns Scot, fait qu'il n'y a plus entre l'homme et Dieu qu'une différence entre le fini et l'infini : la différence réside des lors dans la perfection de l'être, Dieu étant l'être souverainement parfait alors que l'homme est limité originellement, et non dans une différence de nature, comme si il ne nous était pas permis de concevoir l'homme comme un petit Dieu, c'est-à-dire comme un être possédant entendement et volonté. Le rapprochement de l'entendement de l'homme a celui de Dieu nous permet de dire que grace a sa raison, l'homme peut aller vers Dieu. En effet, les assertions faites a son sujet ne pourront pas être dénuées de sens car Dieu et l'homme sont tous deux mu par le bien, infailliblement pour Dieu, selon les apparences (de bien) pour l'homme. De même les notions de <<justice >>, de <<choix>>

ne sont pas des chimères pour Dieu, la théologie de Leibniz nous révèle un Dieu proche de l'homme dans sa manière de raisonner, d'agir, voilà pourquoi il est permis a l'homme de s'avancer vers Dieu par quelque chemin sür oü la pensée aura pied.

- Cette remarque nous mène au troisième point de la citation de Brunner: il s'agit du rabaissement de la distinction entre nature et surnature. Brunner nous dit effectivement que l'intelligence, en s'appropriant le mystère (sans pour cela le nier), le rend en quelque sorte <<terrestre>> en le rabaissant a la sphère de la raison juste ce qu'il faut pour permettre de comprendre qu'il n'est pas contradictoire: la raison percoit comme naturel le mystère dans sa surnature. Les mystères sont donc comme <<naturalisés>> et mis en adéquation avec notre raison afin que celle-ci puisse les saisir sans en dire des choses insensées. Nous voyons encore ici la délicate relation qui semble osciller entre subordination et respect total de l'essence du mystère. Il faut cependant conclure que la raison bien pensante laisse le mystère tel qu'il est mais que son entreprise de défense nécessite qu'elle le saisisse par certains aspects qui ne sont ni contraires au mystère ni non plus réducteurs de son essence. Par la raison, nature et surnature sont donc rapprochées comme l'homme et Dieu le sont en vertu de l'univocité de l'être qui leur donne une <<commune nature>> (méme si celle-ci diffère en grandeur intensive) et de la commune <<soumission>> au principe de raison, de sorte qu'il est permis de dire que plus l'homme se rapproche de Dieu, plus le <<surnaturel>> lui devient <<naturel >>, et qu'à l'inverse, plus l'homme sombre dans l'abIme de l'ignorance, plus ce qui est <<naturel>> lui paraIt démesure, << surnaturel >>, hors d'ordre.

Le rapprochement entre le créé et l'incréé permet a Leibniz de faire de deux ordres distincts une seule et méme expression de l'harmonie universelle, l'intimité est telle que celui qui s'adonne aux réflexions, guidé par le seul principe de raison, et par la raison elle-méme, pourra sans aucun doute percer en compréhension le court des choses et prendre conscience de la continuité qui peut se trouver entre les différents points de vue que la foi et la raison représentent.

A.Vinet écrit a ce sujet: <<La gloire paraIt un sommet pour qui la voit du fond de l'abIme; la nature paraIt surnaturelle pour qui est au-dessous de la nature >>.1

1 A. Vinet, Philosophie religieuse, Lausanne, 1918

Autrement dit, tout est miracle et grace pour l'homme séparé de Dieu, tout est <<naturel>> a l'homme relevé.

Leibniz distingue donc la foi de la raison mais sans les opposer, il en fait deux moyens, deux sources de vérités valant chacune pour elle-méme mais étant donné l'importance que donne Leibniz a la raison, il faut voir chez elle une certaine tendance a vouloir compenser la foi qui n'exprime pas la vérité sur le méme mode que la raison. Cependant, cette tendance de la raison, lorsqu'elle est correctement pensée et correctement comprise chez celui qui se fait le défenseur de la foi et le conciliateur de la foi et de la raison, ne va pas a l'excès, c'est-à-dire jusqu'à pousser la défense a être un moyen de prouver l'indémontrable et d'asservir contre raison le domaine de la foi. Au final la conformité de la foi avec la raison est aussi une conformité de la raison avec la foi puisque la foi n'est pas contraire a la raison, ses objets sont accessibles a la raison (et méme fondés en partie sur elle) sous la forme d'une attitude protectrice et défensive contre une raison pleine de vaines prétentions et la raison bien pensante se conforme également a la foi en la préservant telle qu'elle est, en ne prétendant pas la réduire a l'exclusivité de la raison, en se faisant par conséquent son alliée plus que son adversaire, en se faisant chemin, voie vers Dieu.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King