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L'optimisme de Leibniz

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par Jérémy Lebègue
Université Sorbonne Paris 4 - Maitrise 2005
  

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DEUXIEME PARTIE

L' <<optimisme>> déduit de l'idée de Dieu

On définit généralement l'optimisme comme une opinion d'après laquelle le monde est une uvre bonne malgré <<l'existence>> du mal en son sein; bonne, c'est-à-dire préférable au néant, et oü le bonheur a l'ascendance sur le malheur. Nous donnons ici la définition commune car originellement, l'<< optimisme>> ne correspond pas tout a fait a la définition que nous venons de donner. Même si Leibniz n'emploie pas le terme même d'<< optimisme>> pour désigner son système philosophique, le terme a historiquement été employé pour la première fois par des jésuites dans un compte rendu de la Théodicée de Leibniz, donc pour caractériser sa philosophie et plus particulièrement pour en exprimer son idée, si ce n'est principale, du moins son idée la plus connue et la plus, souvent a tort, banalisée: le monde actuel est le meilleur des mondes possibles qui puisse jamais exister comparaison faite avec les autres mondes tout aussi possibles a l'origine des temps, il est celui oü se réalise le maximum de bien possible (la définition est sensiblement différente a cause de l'introduction de la notion de << monde possible >>).

La définition classique de l'optimisme étant posée, il convient de se demander de quel droit il est permis de penser que notre monde est le meilleur, quel crédit accorder a une telle doctrine? Assurément, il faut des raisons pour affirmer une telle chose, d'autant plus que l'humanité expérimente sans cesse des maux aussi divers les uns que les autres. Si Leibniz parvient a nous fournir des raisons qui nous font penser que sa philosophie est un optimisme, d'oü les tire-t-il? Précisons que pour les rationalistes, connaItre, c'est connaItre par idée, l'expérience ne saurait être essentielle pour connaItre ce qui est. Leibniz se situe, en bon conciliateur, entre Locke, pour qui l'expérience est le ce sans quoi la pensée ne pourrait être, et Descartes qui fait de l'expérience un auxiliaire. Pour Leibniz l'expérience est nécessaire mais insuffisante, elle n'est que l'occasion de découvrir les vérités nécessaires et universelles que nous portons en nous de manière innée sans même le savoir, c'est-à-dire sans en être conscient. Leibniz nous montre sa position dans ce débat sur l'innéisme des idées et des principes de la pensée, par exemple, lorsqu'il se fait fort d'être l'inventeur du principe de raison: le principe de raison est comme les autres principes fondamentaux de la pensée, une sorte d'instinct intellectuel, de tendance opératoire qui guide nos réflexions sans même que l'on prenne conscience du principe lui-même, il est effectif a la pensée uniquement si l'on fait réflexion sur les opérations de l'esprit. Leibniz établit donc une sorte de virtualisme des vérités et principes logiques régissant le progrès de la pensée en matière de connaissance que l'expérience nous permet de découvrir mais qu'elle ne crée pas pour autant.

Pour en revenir aux raisons de l'optimisme, il nous faut affirmer que l'expérience toute seule ne saurait fournir de raisons suffisantes pouvant nous faire admettre l'effectivité de ce que la doctrine de l'optimisme énonce, a savoir la supériorité de notre monde sur les autres mondes possibles en matière de perfection, de bonté etc. En effet, l'expérience n'est source que de vérités contingentes, elle ne saisit que le particulier et son domaine se limite souvent a la sphère du paraItre, aussi ne peut elle nous donner accès aux autres mondes possibles, ce qui pourtant nous permettrait de faire des comparaisons. Par conséquent, dans le cas d'une justification des raisons de l'optimisme, l'expérience ne peut nous être d'une très grande utilité et ne peut certainement pas servir de principe explicatif. Cependant, dans l'hypothèse oü l'expérience serait capable d'étendre ses bornes aussi loin, au point d'avoir une vision de notre monde qui soit intégrale et détaillée de chacune des choses qui existent, on peut raisonnablement se demander si elle aurait tout de méme la capacité suffisante pour émettre un jugement sur l'univers qui soit complet? En effet, la perfection du monde ne saurait se résumer a la seule quantité de perfection qui s'y trouve, le monde est également un optimum au point de vue qualitatif et pas seulement quantitatif, notamment parce qu'il s'y méle des intentions, une finalité qui sont l'objet d'une conscience guidée par le bien et parce qu'il est aussi question des êtres qui vivent dans ce monde et de leur bonheur. Nous pouvons entrevoir ici un problème essentiel, celui de savoir si un entendement fini, tel que celui de l'homme est capable d'avoir une juste représentation de l'harmonie universelle qui se trouve dans l'univers, question qui trouvera sa réponse a un autre moment de notre étude.

Quel autre moyen avons-nous a notre disposition si l'expérience ne peut fournir les raisons de l'optimisme? Là encore, il faut faire appel au principe de raison et de manière générale aux principes de la pensée logique qui sont, pour Leibniz, sources des vérités nécessaires (le principe de contradiction, le principe d'identité et d'autres principes que Leibniz formule, grand inventeur de principes qu'il est).

Ces remarques introductives nous permettent déjà et nous invitent méme a donner l'une des caractéristiques principales de l'optimisme de Leibniz, a savoir le fait qu'il ne soit pas constatable empiriquement et uniquement d'après les relevés des sens mais plutôt le fruit d'une démonstration, objet de la raison, démonstration pouvant tout de méme être appuyée, mais comme après coup, par l'expérience, de la méme manière qu'une vérité ou qu'un principe logique est effectif de tout temps a la pensée mais qu'il arrive a la conscience a force de réflexion sur les opérations de l'esprit ou par une expérience venant corroborer ce qu'énonce un principe fondamental. La perfection du monde, idée stipulée dans la définition

classique de l'optimisme doit donc être démontrée par la raison, c'est-à-dire de manière a priori, il nous faut donc partir d'un principe, des raisons de cet optimisme et ensuite, de ce principe, aller au monde lui-même afin de le voir sous un angle différent (en ayant fait sien l'optimisme et ce qu'il stipule, tout en possédant les raisons de son affirmation) et de trouver en son sein des confirmations aux preuves a priori apportées. Ainsi l'expérience peut être dite trouver sa justification métaphysique après coup, c'est-à-dire, encore une fois, lorsque les raisons de l'optimisme ont été mises a jour par la pensée logique et métaphysique et que l'expérience se voit insérée dans un cadre explicatif plus grand et englobant ses données (décentralisation de l'expérience). Nous assistons ici a un aller-retour, le point de départ est un Principe suprême explicatif de l'ordre de l'univers et de son état optimal, Principe suprême supposé avec raison par la pensée car la raison de l'optimisme ne saurait être trouvée par des entendements finis au sein même de l'univers. L'introduction d'un Principe suprême résulte de la définition de l'optimisme établi plus haut qui nous dit que le monde est une << Wuvre >>, bonne de surcroIt, ce qui nous fait présumer que celui-ci doit être façonné par un être dont la puissance, la sagesse et la bonté sont infinies étant donné la tâche dont il s'agit ici: créer le meilleur des mondes possibles et y réaliser les maximum de bonheur pour les créatures qui en sont susceptibles et qui vivent en son sein. Par conséquent, l'optimisme doit être établi a priori a partir de Dieu. C'est d'autant plus vrai qu'en droit, la voie a priori est suffisante pour connaItre les choses parfaitement puisqu'elle répond a l'exigence du principe de raison et que tout ce qui est possède a priori sa raison d'être tel ou d'être autrement plutôt que de ne pas être du tout. En droit, l'optimisme est donc tout a fait justifiable même si en fait, cette manière de connaItre est impossible pour l'homme et qu'il faut en quelque sorte que la voie aposteriori prépare la voie déductive qui est la seule véritablement explicative et métaphysique. Pour l'homme toujours déjà encré dans le sensible, la seule manière de démontrer l'optimisme pris comme optimum du monde (il ne peut y avoir de monde meilleur que celui là) est d'accomplir par la pensée régressive un retour a Dieu et a son idée, et de là, suivant les mêmes principes qui l'ont conduit a Dieu, redescendre vers la création, toujours guidé par l'idée de Dieu et des principes qu'il possède et qui lui permettent d'acquérir des vérités, mais cette fois-ci avec une compréhension sans égale que la seule vue du sensible ne saurait lui apporter. Ici, Leibniz ne fait pas exception a la règle:

<<Comme dans toutes les grandes métaphysiques du 1 'le siècle, l'idée de Dieu joue chez Leibniz un role tout a fait central. La philosophie leibnizienne se développe suivant deux voies, qui se rejoignent précisément dans l'affirmation d'un Dieu, dont l'essence même est

d'exister. En vertu de cette nécessité d'existence, Dieu fonde toute réalité, le possible comme l'actuel. Dès lors, tout peut se déduire de lui, et tout ramène a lui l'esprit avide de comprendre la raison des choses. La voie a priori dérive les effets des causes, les conséquences des principes. Elle trouve donc son point de départ en Dieu, qui est le Principe suprême. La voie aposteriori remonte des effets aux causes, des conséquences aux principes. Elle trouve son achèvement dans l'affirmation de l'Etre divin. >>1

L'idée de Dieu est donc le point de départ pour nous qui souhaitons éclaircir l'<< optimisme>> de Leibniz et qui par là même sommes amenés a expliciter l'origine du monde, son pourquoi et son comment.

A - L'idée de Dieu

Avant de rentrer dans notre sujet principal, l'optimisme de Leibniz, nous nous devons d'expliciter quelque peu l'idée de Dieu en général et les particularités que Leibniz lui a apporté afin que notre futur propos en soit plus clair.

Ainsi, analyser l'idée de Dieu implique que nous établissions son existence, la nature de son essence et de ses attributs et enfin son action dans le monde. Définir ces trois réquisits, c'est déjà se situer dans le contexte bien précis d'un Dieu unique, créateur et providentiel, par conséquent, c'est se démarquer de conceptions qui, par exemple, font du divin une modalité d'être totalement désengagée dans la création du monde et qui, suivant cette idée, font de Dieu, ou des dieux, des êtres sans aucuns rapport ou presque avec le monde et les êtres animés qui l'habitent. C'est ainsi qu'Epicure voyait le divin, une <<race>> d'être désengagée, parfaitement heureux, indifférent au sort de l'humanité, il concevait l'idée même de création comme incompatible avec l'idée du divin, la nature bienheureuse des dieux leur interdisant tout efforts pénibles. Aristote pensait lui aussi que Dieu n'avait pas grand rapport avec le monde. En effet, le divin chez Aristote repose sur une <<théologie astrale>> d'essence scientifique et non religieuse, il ne faut donc pas confondre la doctrine aristotélicienne avec les cosmogonies religieuses qui expliquent la formation de l'univers et des astres. Chez Aristote, les astres sont des Dieux visibles en mouvement, ils nous donnent une image du principe supérieur invisible. Il existe un premier moteur, principe de tout mouvement dans l'univers qui n'est pas mu lui-même donc immobile, a savoir Dieu, dont la

1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960, P.7

<<tâche>> consiste a mouvoir les astres du monde supralunaire continuellement, c'est ainsi qu'il se communique a nous, par l'image d'un mouvement éternel. La particularité du Dieu aristotélicien est très bien définie par Pierre Aubenque dans ces quelques lignes:

<<Le dieu d'Aristote est un Dieu lointain, mais il n'est pas caché; c'est un Dieu a la fois présent et absent, séparé de nous, mais se donnant a nous en spectacle, et compensant son éloignement de notre monde par l'exemple toujours visible de sa splendeur. >>1

Ce n'est pas ici notre propos d'établir les différentes conceptions du divin au court des âges, remarquons simplement pour notre sujet que Leibniz s'inscrit dans l'optique religieuse d'un Dieu créateur, unique et providentiel, c'est-à-dire directement lié a sa création. Mais l'encrage de Leibniz dans le christianisme ne va pas de soi, car le Dieu de Leibniz est-il finalement le Dieu des chrétiens? Cette question est posée par Jalabert alors qu'il remet en cause l'orthodoxie de Leibniz d'après les thèmes métaphysiques de sa philosophie et leurs conséquences, notamment en ce qu'ils nous invitent a pencher en faveur du spinozisme qui on le sait est un panthéisme contraire a la Religion et a l'affirmation principale d'un Dieu transcendant. Au final, pour Jalabert le Dieu de Leibniz est effectivement celui des chrétiens car il s'agit d'un Dieu transcendant et personnel, c'est-à-dire proche de l'homme non seulement au sens oü, par sa providence, il prend grand soin de sa création, mais également au sens oü il est << comme >> un grand homme, assertions tout d'abord blasphématoire puisque Dieu ne saurait être réduit dans son être a n'être qu'un homme dont les perfections seraient poussées a l'infini mais qui, après réflexions, n'a quelque chose de choquant que pour celui qui pense mal l'essence de Dieu et en fait un Dieu dont la transcendance est synonyme de domination, de froideur et qui se représente la relation entre Dieu et l'homme davantage comme une relation entre Maître et servant, qu'une relation entre Père et fils (une des tâches de Leibniz est d'ailleurs d'atténuer la distance qui sépare Dieu de ses créatures en affirmant que la différence entre eux n'est qu'une différence entre le fini et l'infini, une différence de degré dans l'être et non une différence de nature, si bien qu'il contribue a la conception de l'univocité de l'être ici extrêmement étendue au point de rapprocher Dieu de notre entendement). En réalité, ce qui fait s'opposer Leibniz et l'orthodoxie catholique (et qui suscite la question posée par Jalabert), c'est l'idée selon laquelle Dieu se devait de créer le meilleur des mondes possibles. En effet, cette seule idée implique que Dieu est déterminé par

1 P. Aubenque, Le prob1ème de 1 'être chez Aristote, Paris, PUF, 1692, P.348

sa bonté dans son choix lorsqu'il crée le monde, ce qui est aller contre l'indéterminisme traditionnel. Pour Leibniz, nous y reviendrons, la volonté divine ne saurait être indifférente dans ce qu'elle se propose de créer, en affirmant cela, Leibniz prend position entre un nécessitarisme aveugle comme l'est la philosophie de Hobbes pour qui tout ce qui est représente le seul possible (par conséquent, Dieu n'a pas choisi, il a créé le seul monde possible) et un indéterminisme comme celui de Descartes pour qui entendement et volonté ne font qu'un chez Dieu et qui se représente donc la réflexion avant la création et la création comme un seul et unique moment ou plutôt comme le seul fait d'une volonté dont les décrets sont absolus alors que pour Leibniz, même si il est exclu de concevoir l'exercice de la volonté sur l'entendement (phase réflexive) lors de l'appel des possibles dans l'entendement et la détermination a créer le meilleur système de compossibles comme deux moments distincts dans le temps, en revanche il est possible de concevoir entre eux une priorité de nature, ce qui permet entre autre de montrer que la création n'est pas arbitraire mais qu'il y a bien examen des possibilités multiples, donc choix fondé en raison. Au final, pour Leibniz, même si Dieu n'obéit pas a un fatum, il agit selon la représentation du bien, du vrai, de la justice parce qu'il est lui-même vérité, bonté et justice, en effet, qui d'autre que lui pourrait être Raison et Bonté? Par conséquent, il est absurde de dire qu'en créant selon la représentation du bien, Dieu aliène son indépendance car il ne fait que créer selon ce qu'il est et ce que lui disent sa raison et sa bonté.

Le cadre de la discussion étant établi, nous pouvons aborder le premier point nécessaire a l'étude de l'idée de Dieu: l'existence de l'être absolument parfait.

1/ L'existence de Dieu

S'il est besoin de prouver l'existence de Dieu dans un système comme celui de Leibniz, cela tient au fait qu'il prétend proposer une théologie rationnelle oü, comme dans les Religions, Dieu a une place tout a fait centrale. En effet, comme nous l'avons dit, Dieu est le principe de toute chose, la raison première et dernière de toute chose suivant que l'on pense a priori ou bien a posteriori. La raison nous invite a démontrer l'existence du divin afin d'avoir un fondement solide et réel qui puisse garantir ses assertions en matière de théologie. Dieu n'est donc pas appréhendé avec le cWur ici mais avec la raison et Leibniz, comme ses prédécesseurs et contemporains dont la métaphysique est orientée théologiquement, ne souhaite en rien réduire le champ d'influence de la foi, au contraire son but est de rapprocher

les hommes de Dieu et de son culte, mieux de les y mener et de combattre aux côtés des croyants, en renforcant leur foi par des raisons. Par conséquent lorsque Heidegger écrit : <<un Dieu, qui doit au préalable se faire prouver son existence, ne serait en fin de compte qu'un Dieu fort peu divin, et (...) la preuve de son existence aboutirait tout au plus a un blaspheme. >>1, il ne souhaite pas signifier que Dieu peut se passer de démonstration puisqu'il est Dieu mais qu'une démonstration de son existence par la raison est une atteinte a la Religion et a la foi, c'est une atteinte a la toute puissance de Dieu et a sa transcendance, c'est un blaspheme en tant que Dieu semble mis au rang d'objet purement théorique alors que le cheminement vers Dieu devrait venir exclusivement du cWur, de la foi et de l'amour. C'est ici une polémique importante et Leibniz, peut être plus que quiconque, est dans la ligne de mire. En effet, on reproche au Dieu des philosophes d'être trop éloigné de celui des croyants, mais ce n'est ici rien d'autre, encore une fois, que la polémique sur l'opposition ou non de la foi avec la raison. Ce qui est reproché a la théologie rationnelle c'est sa tendance a faire de Dieu un objet d'argumentation rationnelle et par conséquent proposer une voie différente de celle de la croyance. Pour certains, Pascal entre autres, il n'est pas possible d'aimer ce qui est objet de démonstration, que serait en effet un amour dont les raisons nous sont données, autrement dit, donner a l'homme les raisons pour lesquelles il doit aimer Dieu, c'est nier l'amour véritable que porte le croyant a Dieu, c'est faire de l'amour quelque chose qui est du ressort de la raison et non du sentiment. Pour Pascal le Dieu des philosophes ne procure pas de joie et est étranger au sentiment. Nous ne reviendrons pas sur la position de Leibniz sur la polémique de la conformité de la foi avec la raison mais nous pouvons cependant indiquer que quelque soit la force de l'objection de Pascal, il nous faut affirmer que Leibniz n'entend en rien faire du Dieu des philosophes un Dieu différent de celui des Ecritures et de la Religion, bien au contraire, il a parfaitement conscience que la raison ne peut tout expliciter intégralement, preuve en est certains passages oü il réserve certaines vérités a la foi, aux <<yeux de la foi >>2, préservant ainsi une part de croyance même si celle-ci n'est pas sans raison. La théologie de Leibniz participe donc a la fois de la science et de la croyance. Il est effet, a la lecture des textes de Leibniz, impossible de penser que Leibniz puisse subir pleinement la difficulté soulignée par Pascal, il sera d'ailleurs a propos pour nous qui allons traiter de l'optimise de Leibniz, de montrer que cette part obscure, intouchable mais respectée par Leibniz qui concerne la foi pourra être prise pour un obstacle dans la

1 Heidegger, Nietzsche I, Paris, Gallimard, 1971, P.286 2Leibniz, Causa Dei, §144

démonstration de l'optimisme, pour une limite même dans la volonté de prouver ce que l'optimisme stipule, mais nous y reviendrons.

Nous pouvons donc voir que plusieurs sortes de preuves de l'existence de Dieu ont été établies a travers l'histoire de la pensée: la célèbre preuve ontologique, nommée ainsi depuis la critique kantienne théorisée par St. Anselme, sous certains aspects reprise par Descartes, complétée par Leibniz, les preuves dites cosmologiques mais aussi la preuve par les vérités éternelles reprise par Leibniz a la suite de St Augustin et de Malebranche. Remarquons avant d'entrer dans le détail des différents types de preuves qu'il est d'ors et déjà possible de distinguer deux manières de prouver l'existence de Dieu, a savoir en partant de son idée et en étudiant sa nature, son essence ou en partant du monde, autrement dit du relatif, du contingent qui présuppose l'existence de l'Absolu.

Commencons par la preuve ontologique, preuve a priori. Elle est exposée par St. Anselme dans son Proslogion et possède une valeur fondatrice. En effet, elle réunit la foi et la raison et représente dans l'histoire de la pensée le cadre de toute réflexion philosophique sur Dieu chez de nombreux philosophes, notamment chez Bonaventure, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza, Leibniz ou même chez Kant. L'argument ontologique de St. Anselme ne constitue pas a proprement parler une preuve de l'existence de Dieu, du moins ne se veut-il pas tel. Il s'agit davantage pour St. Anselme d'une réflexion sur ce qu'il est possible de savoir sur Dieu: existence, nature de la substance divine et dénombrement de ses principaux attributs. Il faut noter que cette <<preuve>> fait référence, touj ours chez le même auteur, a la grandeur de Dieu, plus qu'à son être même. En effet, Dieu est définit comme grandeur suprême et toute la déduction rationnelle a partir de lui repose sur cette notion, Dieu est <<quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand >>1. Or ce qui est tel ne pouvant être uniquement dans la pensée, Dieu existe réellement, c'est-à-dire hors de la pensée de celui qui se le représente. Pour St. Anselme, <<être en réalité>> est quelque chose de plus grand que d'<< être simplement dans la pensée >>, l'idée de l'être tel qu'il ne peut y en avoir de plus grand implique donc que celui-ci existe en dehors de la pensée car un être qui existe réellement mais qui pourrait ne pas exister est moins grand qu'un être qui existe parce qu'il ne peut pas ne pas exister. Si l'être le plus grand qui soit possible ne possédait pas une existence nécessaire, alors il ne serait pas en conformité avec sa définition. Précisons, en

1 Anselme de Cantorbery, Proslogion, Paris, GF, 1997

guise de commentaire, que dans le Proslogion, St. Anselme entend mettre la foi en accord avec la raison, la foi étant pour lui ce qui nous éclaire sur les grandes vérités philosophiques et théologiques et l'occasion pour la lumière naturelle de nous faire saisir la relation qui se joue entre l'essence divine et son existence. Cependant, dans un autre texte, le Monologion, St. Anselme présente ses arguments en faveur de l'existence de l'être le plus parfait sans avoir recours aux Ecritures, il établit l'existence de Dieu avec l'aide de la seule raison, en un acte relevant de la seule intelligence nous révélant ainsi que la foi n'est pas la seule puissance a pouvoir nous démontrer l'effectivité de l'être tel qu'il ne peut y en avoir de plus grand. Quoi qu'il en soit, peu importe la voie empruntée, foi ou raison, elles font toutes les deux font référence a l'idée d'un Dieu dont l'existence est une suite de son essence. Face a l'objection classique selon laquelle cette preuve n'établit en rien l'existence de Dieu hors de notre pensée, Descartes répondra, puisqu'il reprend la preuve ontologique a sa manière, que si notre pensée n'impose en effet aucune nécessité aux choses, elle exprime, lorsqu'elle est pensée vraie, la nécessité des choses. Jalabert écrit a ce sujet:

<<Sans avoir l'intuition de l'essence divine, sans apercevoir dans cette intuition l'aséité de Dieu, notre pensée éclairée par la vérité, c'est-à-dire par Dieu, concoit par une idée la souveraine perfection et comprend qu'à cette nature parfaite une existence réelle actuelle appartient nécessairement. >>1

Cependant, chez Descartes la preuve ontologique n'est pas similaire a celle de St. Anselme. L'apparition de l'idée innée de Dieu n'est plus le fait d'une illumination par la substance infinie, c'est la lumière naturelle chez Descartes qui, même si elle est d'origine divine, est seule responsable de l'acte d'intellection qui, guidé par l'attention et la méthode du doute, fait se dévoiler l'idée de Dieu, mise dans notre âme par Dieu lui-même lors de la création. Le maître mot de Descartes dans ces matières est <<intuition>> et avec lui cette intuition devient humaine et non pas uniquement le privilège de l'être tout puissant. Plus particulièrement, la preuve ontologique cartésienne part de l'idée de Dieu mais n'en cherche pas la cause comme c'est le cas pour les deux autres preuves que Descartes apporte. En effet, la preuve de l 'existence de Dieu par l 'idée du parfait énonce ceci : nous avons en nous plusieurs idées, la question qui se pose lorsqu'on applique la méthode cartésienne, le doute méthodique, consiste alors a se demander si a chacune des ces idées il faut y faire nécessairement

1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960, P.72

correspondre un objet qui soit extérieur a notre pensée. La réponse de Descartes est la suivante: il n'y a qu'une seule idée qui nous oblige a le faire, l'idée d'un être parfait, l'idée de Dieu. La démonstration s'effectue de la manière suivante: toute idée doit avoir une cause et cette cause doit avoir au moins autant de réalité que ce qu'exprime l'idée même, par conséquent, pour l'idée de Dieu, nous ne pouvons en être nous-mêmes la cause car comment un être imparfait pourrait il trouver en lui assez de réalité, assez de force pour former l'idée de perfection infinie? Il faut donc que cette idée ait été mise par Dieu en notre âme dès l'origine, ce qui est prouver l'existence de Dieu hors de notre pensée. La même <<méthode>> est utilisée pour la preuve de l 'existence de Dieu par la contingence du moi, c'est-à-dire qu'ici encore il faut rechercher la cause de l'idée de Dieu en nous qui se trouve être le fait que la création toute entière (et tout ce qui y est contenu) ne possède pas en elle-même sa raison d'être et qu'elle est donc causée par une cause extérieure et transcendante qui est, elle, causa sui.

La preuve ontologique chez Descartes part donc de l'idée de Dieu mais n'en cherche pas la cause, au contraire, il s'agit d'en développer les implications: dans l'idée de l'être souverainement parfait se trouve enveloppée l'idée de son existence car l'existence étant une perfection et la non-existence une imperfection, on doit conclure que Dieu, l'être possédant toutes les perfections, existe nécessairement.

Avant de voir la position de Leibniz sur la preuve ontologique, remarquons que Malebranche s'oppose a Descartes. Selon lui l'homme ne saurait avoir l'idée de l'infini en lui car son entendement étant fini, il ne peut posséder en lui une modalité infinie. Cette thèse de Malebranche tient a la particularité de sa doctrine de la vision en Dieu. En effet selon cette doctrine la créature n'est pas a elle-même sa propre lumière, quand la créature pense, elle pense par les idées de Dieu et voit toutes choses en Dieu, par conséquent lorsqu'elle pense a Dieu, elle voit Dieu même si elle n'en saisit pas toute l'essence. Dieu est donc l'objet immédiat interne de la créature lorsque celle-ci le concoit en pensée. Précisons quelque peu la pensée de Malebranche: Si celui-ci en vient a théoriser une telle doctrine cela tient a plusieurs raisons dont la première se trouve être que les créatures, lorsqu'elles apercoivent un objet extérieur, ne l'apercoivent pas par lui-même mais par l'intermédiaire d'une idée correspondante ; la seconde raison étant que Malebranche refuse tout autre mode de représentation des choses extérieures que celui qui consiste a faire dépendre totalement l'intellection et la sensation de Dieu. Dans La recherche de la vérité, Malebranche nous expose les diverses manières qu'il est possible de concevoir lorsqu'il s'agit de se représenter

les choses extérieures, il nous donne six possibilités et pour chacune d'elles pose la question de l'origine des idées, par exemple est ce que les idées sont produites par notre âme ou bien sont elles produites en même temps que notre âme lors de la création. Malebranche s'attache a déconstruire les unes après les autres les diverses conceptions pour finir par nous révéler sa propre penser dans la sixième hypothèse: nous voyons les choses en Dieu. Exposer sommairement ici ces divers moyens ainsi que leur critique nous aidera a comprendre un peu mieux le propos de Malebranche1:

- Il n'est pas possible pour Malebranche que les idées viennent des corps car selon lui il n'est pas concevable, contre les péripatéticiens, que des corps envoient des <<espèces qui leur ressemblent>> sans par la même devenir moindre.

- Il n'est pas possible que l'âme produise d'elle-même les idées des choses auxquelles elle pense. Cette opinion résulte de l'idée selon laquelle l'âme est faite a l'image de Dieu et donc aurait la capacité de produire et d'anéantir les idées des choses (autrement dit les susciter par elle-même). Penser cela, selon Malebranche c'est dire que l'âme est capable de créer des êtres plus nobles et plus parfaits que le monde créé par Dieu (il fait des idées des êtres réels, plus nobles que les corps). C'est en fin de compte quelque chose d'illusoire de penser cela et il en est ainsi parce que les hommes, voyant qu'ils ont a l'esprit les idées des choses quand ils le veulent, s'imaginent que ces idées sont présentes selon leur bon vouloir, que leur volonté est la cause de leurs apparitions dans l'esprit.

- Il n'est pas vrai non plus que Dieu ait produit les idées en même temps que notre âme. Malebranche s'oppose ici a la théorie des idées innées. Cet argument n'est pas vraisemblable car il existe un autre moyen, beaucoup plus simple, pour expliquer comment l'âme voit les choses. La création des âmes avec toutes ses idées va contre la simplicité des voies de même qu'il n'est pas possible que Dieu produise les idées a chaque fois que nous pensons a un objet.

- Il n'est pas possible que l'âme voit l'essence et l'existence des objets uniquement en considérant ses propres perfections, c'est une chose réservée a Dieu seul. L'âme ne peut pas se représenter d'elle-même les choses, ce serait faire d'elle un monde intelligible bien plus noble que ce qu'elle est capable de concevoir, ce serait la mettre au-dessus de la création du monde et concevoir que l'âme n'a besoin que d'elle-même pour voir et connaItre les choses. Ce n'est donc ni en soi ni par soi que l'âme peut voir les choses, elle est dépendante d'une autre puissance.

1 Malebranche, La recherche de la vérité, Paris, Vrin, 1946, T.3, II

- En réalité l'âme voit toutes choses en Dieu. Celui-ci est en effet uni a chacune des âmes, il est directement présent a elles et représente en quelque sorte le <<lieu>> des esprits. Si Dieu a procédé ainsi a l'origine au lieu de créer une infinité d'idées dans chacune des âmes c'est essentiellement parce que Dieu s'est proposé de créer le monde en utilisant les voies les plus simples tout en se proposant de grandes choses (c'est ainsi qu'avec la seule <<étendue>> Dieu produit tout ce que nous pouvons <<voir>> dans la nature), Dieu est en effet plus parfait s'il crée des grandes choses par des voies simples que s'il crée de grandes choses par des voies multiples et compliquées.

Dieu ayant en lui les idées de toutes les choses qui sont créées, la spécificité de cette doctrine est donc que nous connaissons en Dieu et sentons par Dieu (nous voyons en Dieu mais nous n'avons pas en Dieu les sentiments, c'est Dieu qui agit sur nous dans ce cas précis), les sensations que nous avons sont le résultat ou l'effet des idées que Dieu imprime dans notre âme. Qu'en conclure sinon que l'origine de toutes nos idées est entièrement divine et soumise intégralement au bon vouloir de Dieu. Cette philosophie s'oppose donc a la fois aux empiristes pour qui les idées ont une origine extérieure, l'expérience et aux innéistes comme Descartes pour qui les idées sont en nous et nous invite a conclure que le monde matériel ne nous affecte pas, que nous ne pouvons même pas en démontrer l'existence car toutes les impressions que nous pouvons en avoir sont en réalité le résultat de l'action de Dieu sur nous qui imprime directement sur notre âme les sensations correspondantes liées au corps (Dieu joint la sensation a l'idée lorsque les objets sont présents), lui-même matériel et par conséquent tout aussi indémontrable puisqu'il ne saurait y avoir de lien entre notre âme qui est immatérielle et les choses matérielles.

Au final, chez Malebranche la connaissance rationnelle, mais aussi la connaissance sensible ont leur fondement en Dieu, il n'y a plus d'argument servant a démontrer l'existence de Dieu, plus de déduction a partir d'une idée innée, l'existence de Dieu est une évidence due a la théorie de la vision en Dieu et a l'appréhension de l'infini de manière directe.

Quelle est la position de Leibniz en ce qui concerne la preuve ontologique de l'existence de Dieu? Dans nombre de texte, Leibniz fait des reproches a Descartes sur l'insuffisance de sa formulation de l'argument mais également a Malebranche, surtout sur le fait qu'il fait intervenir sans cesse Dieu dans la création pour produire les idées correspondantes aux objets présents aux créatures, selon lui Malebranche aurait mal compris l'exigence de la simplicité des voies dans la création et Leibniz trouve son hypothèse de l'harmonie préétablie plus

digne de Dieu que celle des causes occasionnelles théorisée par Malebranche. Mais pour ce qui est de Descartes, Leibniz pense que l'argument ontologique est de manière générale imparfaitement établi, il convient donc de le compléter a la lumière des principes de la logique. Le reproche que fait Leibniz a Descartes dépend de sa conception de l'<< intuition >>, plus explicitement, Leibniz lui reproche de penser qu'il suffit de comprendre ce dont on parle pour avoir l'idée de la chose en question. En ce qui concerne Dieu, Descartes se fie a la prétendue évidence d'une intuition pour ensuite en déterminer l'essence. La théorie de la connaissance de Leibniz s'oppose a celle de Descartes en ce que pour Leibniz, il y a idée d'une chose lorsque ce qu'elle implique n'est pas contradictoire, c'est-à-dire lorsque ce qu'elle désigne est logiquement possible ou ne manifeste aucune absurdité. Or, la possibilité de l'idée d'un être parfait n'a pas été démontrée par Descartes selon Leibniz. Leibniz rejette le recours de Descartes a l'intuition, il lui demande de démontrer l'accord de la pensée avec l'être. Etablir qu'à notre notion d'être parfait, un possible correspond, c'est voir si ce concept n'enveloppe aucune contradiction. Prenons un exemple: l'idée du nombre le plus grand de tous ou de la figure la plus grande parmi toutes les figures. Plusieurs seraient d'avis que nous possédons l'idée du nombre des nombres car nous comprenons effectivement ce dont il s'agit, cependant, pour Leibniz nous n'avons pas une telle idée car elle implique contradiction: a une grandeur possible, il est toujours possible d'en rajouter une autre qui la fasse devenir supérieure a la première. Si l'idée du plus grand des nombres est contradictoire, il y a lieu de douter selon Leibniz si l'idée du plus grand de tous les êtres n'est pas elle-même sujette a contradiction:

<<De même quoique je sache ce que c'est que l'être et ce que c'est que le plus parfait, néanmoins je ne sais pas encore pour cela s'il n'y a une contradiction cachée a joindre tout cela ensemble (...). >>1

Malgré le fait que l'on sache parfaitement ce que c'est que l'être et ce qu'on entend par le plus parfait, on ne sait pas si l'union des deux peut former une idée qui soit possible au sens leibnizien, qui soit sans contradiction et qui par là même nous révèle la possibilité d'un tel être.

Leibniz inverse donc le rapport de force, c'est de la possibilité désormais que l'on peut déduire la clarté et la distinction, la possibilité << s'établit par l'analyse complète des notions;

1 Leibniz, Discours de métaphysique et autres textes, <<Lettre a Elisabeth de 1678 >>, Paris, GF, 2001, P.156

si, décomposée en ses éléments simples, la notion ne laisse apparaItre aucune contradiction, on en conclut qu'elle est possible. Ainsi la possibilité s'établit d'une manière négative, par la constatation d'une non-contradiction, d'une <<non-impossibilité. >> >> 1 C'est donc l'impossibilité qui est en réalité démontrable. Dans l'article <<Que l'être tout parfait existe >>2, Leibniz nous expose les deux conditions pour qu'un tel être soit possible: l'idée de perfection ne doit pas être contradictoire, il doit donc exister des qualités susceptibles d'un suprême degré et toutes les perfections doivent être compatibles. Selon Leibniz et sa <<caractéristique universelle>> les perfections sont compatibles et peuvent par conséquent appartenir a un seul et même être, ce qui rend possible l'idée d'un être parfait.

Cependant, la possibilité de l'être tout parfait étant établie, il faut encore prouver son existence. Comme la simple évidence de son existence ne saurait suffire, il faut donc se demander si l'existence figure aux nombres des perfections et si oui, alors Dieu, l'être possédant toutes les perfections, existera. C'est ici un moment décisif, particulièrement important pour la compréhension de la spécificité du système leibnizien, notamment dans ce qu'il nous introduit directement dans une polémique sur la notion d'<< existence >>. Or, il est curieux au premier abord de voir que Leibniz ne définit pas la notion d'existence, mieux, il la dit indéfinissable pour la simple et bonne raison qu'elle est pour lui une notion simple et que la définir reviendrait a en compliquer la compréhension. Mais comment Leibniz peut il dès lors nous montrer que Dieu existe s'il ne nous dit pas auparavant ce que c'est que l'existence? Il nous le montre en introduisant une des idées chères a son système: la prétention de l'essence a l'existence proportionnellement a son degré de perfection. Nous étudierons plus tard et plus en détail le mécanisme qui s'exerce dans le passage de l'essence a l'existence, ici concentrons nous sur le fait que, pour établir que l'existence est une perfection, Leibniz fait appel au principe de proportionnalité entre l'essence et la prétention a exister. Nous pouvons remarquer que Leibniz n'énonce pas ce principe pour l'appliquer uniquement a l'essence divine, cette prétention concerne au contraire toutes les essences, donc y compris celles qui se trouvent dans l'entendement divin, il explique d'ailleurs pourquoi certaines essences parviennent a l'existence et d'autres non. C'est ici encore une formidable manWuvre pour rapprocher le créateur et le créé, le nécessaire et le contingent, l'infini et le fini. L'essence divine enveloppe donc une exigence d'existence et cette exigence est d'ailleurs première et la plus a même de faire exister son sujet puisque Dieu est l'être

1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960 2Leibniz, Discours de métaphysique et autres textes, Paris, GF, 2001, P.95

infiniment parfait et qu'une essence prétend d'autant plus a l'existence qu'elle possède de perfection. Il faut même dire qu'en Dieu, exigence d'existence et existence en viennent même a se confondre puisque rien ne peut empêcher Dieu d'exister. En Dieu, l'essence et l'existence actuelle son une seule et même chose alors que pour les possibles contingents, présents dans son entendement, l'essence peut être dite identique a l'existence virtuelle puisqu'une essence peut venir a l'existence si Dieu la choisit (les essences ne sont donc pas des purs riens, puisqu'elles ont une modalité d'être dans l'entendement de Dieu). Jalabert reproduit l'argumentation de Leibniz pour montrer que l'exigence de l'essence se confond avec son existence de la manière suivante:

<<Si l'existence était autre chose que l'exigence de l'essence, elle viendrait en quelque sorte s'ajouter a l'essence de la chose, dès que cette chose s'actualise. Dans ce cas, l'existence aurait elle-même une essence, qui lui serait propre et qui complèterait l'essence de la chose qui existe. Il faudrait se poser, a propos de l'essence de l'existence, la même question que pour les autres essences, et se demander si elle existe et pourquoi elle existe plutôt qu'une autre. >>1

Ce raisonnement nous invite a préciser davantage la pensée de Leibniz notamment en la mettant en parallèle avec la critique kantienne sur le caractère non-analytique de l'existence. Nous disions donc que la raison de l'actualisation de l'essence était sa prétention même a exister suivant son degré de perfection, or Kant n'admet pas le caractère analytique de l'existence, pour lui, l'affirmation d'existence est synthétique c'est-à-dire qu'elle est un donné issu de l'expérience, de la sensibilité; sans intuitions les concepts sont vides, or c'est précisément ce qui se passe avec l'affirmation de l'existence de Dieu. Kant refuse donc le passage de la simple possibilité logique a la possibilité d'exister commune il refuse tout autant de déduire l'existence de l'essence. Cependant, qu'il nous soit permis de dire que Leibniz se situe a un autre niveau car pour lui l'existence est un prédicat de l'essence. Par conséquent, qu'elle soit virtuelle (pour les possibles contingents dans l'entendement divin) ou actuelle, l'existence est contenue analytiquement dans l'essence et cette inhérence est d'ailleurs prise comme raison de l'existence des choses. L'exigence infinie de l'essence divine explique dans un premier temps l'existence de Dieu puisque Dieu existe nécessairement en vertu de son essence qui possède une exigence d'être infinie. Par suite,

1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960, P.89

l'exigence de toute essence fait que toutes prétendent a l'existence et contiennent en ellesmêmes la raison de leur existence possible: leur tension vers l'être. A cela, nous le verrons, s'ajoute le choix divin des possibles, mais nous pouvons d'ors et déjà voir que les essences ne sont pas passives dans l'entendement divin mais au contraire dynamiques et que par conséquent Dieu ne saurait faire abstraction de leurs revendications et choisir arbitrairement, sans examen, le système de compossibles qui parviendra a l'existence en acte. Au final, avec sa théorie de l'exigence d'existence des possibles, Leibniz veut nous faire comprendre la raison de l'existence nécessaire de Dieu, même si son aséité nous reste cachée.

Ce qui vient d'être dit sur la démonstration de l'existence de Dieu a été le fruit d'une déduction a priori a partir de son idée, nous sommes donc partis de l'idée de Dieu et avons établi que son existence était une suite logique de son essence. Il est temps d'aborder une seconde catégorie de preuve, de passer a ce qu'on appel une argumentation cosmologique de l'existence de Dieu. Ici, les preuves procéderont a partir de la considération des choses créées. Selon Leibniz cette seconde sorte de preuve est plus naturelle pour l'homme et a sa manière de raisonner. En effet, l'attention de l'homme est davantage portée sur le sensible, par conséquent le fait de partir du sensible pour remonter a l'inconditionné représente une démarche moins complexe pour l'homme commun qui n'est pas habitué a raisonner de manière a priori (c'est d'ailleurs un souci constant chez Leibniz de s'adresser a ses interlocuteurs en prenant en considération leur capacité a raisonner de manière a priori ou non, préférant la voie a posteriori si ceux-ci ne sont pas d'habiles penseurs comme Arnaud peut l'être lorsqu'il s'adresse a lui dans le Discours de metaphysique). La preuve primitive de l'existence de Dieu est donc cosmologique, elle a en effet la force d'être a portée de tous et ne nécessite pas a proprement parler de démonstrations rigoureuses comme pour la preuve ontologique, elle se contente d'une réflexion a partir du monde physique. De manière générale, la preuve cosmologique nous fait prendre conscience de la nécessité de supposer un être nécessaire étant donné le caractère contingent du monde physique. Cette preuve est en quelque sorte première a l'entendement humain et nous invite a la découverte de la preuve ontologique. Même si l'établissement des diverses preuves cosmologiques de l'existence de Dieu ne rentre pas tout a fait dans notre discussion sur l'idée de Dieu (bien qu'elle y conduise), il convient cependant d'en dire quelques mots.

Ici encore, c'est le principe de raison qui fonde la preuve cosmologique, elle prend une premiere forme a travers la preuve de l'existence de Dieu par l'exigence d'un premier

moteur. De la méme manière que St. Thomas le fait dans sa Somme contre les gentils1, Leibniz, dans le <<De arte combinatoria>> de 1666 s'appuie sur le principe aristotélicien selon lequel tout ce qui est mu est mu par autre chose. Ainsi, de deux choses l'une, ou bien ce qui meut est mobile ou bien immobile, s'il est immobile, alors il faut poser l'effectivité d'un moteur qui ne soit pas en mouvement et qu'Aristote nomme Dieu; si le moteur est lui aussi en mouvement, alors il faut remonter a l'infini la chaIne des moteurs, mais ne pouvant remonter cette chaIne a l'infini, il faut poser un premier moteur immobile.

Quelle utilité peut avoir une telle preuve dans le système leibnizien? Nous avons déjà dit qu'elle est un bon moyen pour le vulgaire d'accéder a une vérité essentielle sans pour cela supposer chez lui une quelconque spécialisation dans les matières logiques et métaphysiques, mais nous pouvons également dire que la preuve par le mouvement est un argument qui permet a Leibniz de combattre ceux qui pensent que l'explication mécaniste du monde est suffisante par elle-méme. Ici, Leibniz se fait le conciliateur de la science et de la religion. Si certains disent que la science éloigne de Dieu, c'est uniquement parce qu'ils ne poussent pas assez loin leurs réflexions et ne se rendent pas compte que le mécanisme méme suppose le finalisme. Leibniz pense donc qu'<< un peu de science éloigne de Dieu, mais que beaucoup y ramène>> et que ce qui éloigne de Dieu, c'est la physique nouvelle, celle de Descartes notamment, qui rejette les causes finales et qui explique tous les phénomènes par des lois mécaniques. Jalabert écrit a ce sujet:

<<Le mécanisme se passe en effet du recours a Dieu dans le détail de son analyse des phénomènes ; mais le vrai savant ne s'arrête pas là, il veut fonder en raison le mécanisme luiméme, et c'est dans la recherche de la raison ultime des phénomènes qu'il rencontre Dieu. >>2

Le danger du mécanisme est qu'il conduise a l'athéisme, or cela Descartes est loin de le vouloir. Cependant, il concoit le mécanisme comme auto suffisant parce que pour lui le finalisme, la finalité de Dieu est impénétrable pour l'homme. La particularité de Descartes est qu'il érige le mécanisme en ontologie après avoir opéré une scission entre la pensée et la matière, dès lors, l'unique <<fonction>> de Dieu et donc de la métaphysique est de fournir l'explication de l'origine de l'étendue et du mouvement. Face a cela, Leibniz pense que le mécanisme ne peut être auto suffisant, la physique appelle une métaphysique selon l'exigence méme du principe de raison car la sphère des causes efficientes n'est qu'une

1 St. Thomas d'Aquin, Sommes contre les gentils, I, 13, Paris, GF, 1999, P.165 et suivantes

2 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960, P9

sphère régissant les apparences et déjà dans cette sphère, de l'intelligible (puisque la matière n'est pas uniquement matérielle mais également spirituelle), et du finalisme se manifestent a celui qui possède l'Wil du savant. Jalabert conclut sur ce point:

<<Leibniz ne se contente pas de recourir a la métaphysique et a Dieu pour en fonder la vérité; il s'y réfère pour compléter l'explication du physicien et pour accéder a une vision plus réelle et plus profonde des choses. >>~

Une seconde preuve de type cosmologique, déjà en partie exposée avec Descartes plus haut, se trouve être la preuve par la contingence, elle énonce ceci: la matière mais aussi les substances ainsi que leurs états respectifs sont contingents, c'est-à-dire que tous n'ont pas la raison de leur existence en eux-mêmes. La contingence est aussi affirmée par Leibniz au sens précis et propre qu'il en donne, c'est-à-dire au sens oü la non-existence de la matière, des substances, de leurs états, est tout a fait concevable, autrement dit possible ou non contradictoire. En effet, toutes les choses qui n'ont pas leur existence enveloppée dans leur essence sont contingentes. Par conséquent, seul Dieu est nécessaire, toute autre essence étant soumise au calcul divin et a son choix dans la détermination du meilleur des mondes possibles.

Cet argument a lui aussi le mérite de nous élever par la réflexion jusqu'à l'origine radicale de toute chose en ce qu'il thématise un monde n'ayant pas sa raison d'exister en lui-même et nous invite donc a poser que la raison du monde est extérieure au monde lui-même, c'est-à-- dire dans un être transcendant.

Leibniz donne en réalité plusieurs moyens de prouver la contingence du monde, il fait une liaison comme nous venons de le voir entre le caractère fini de l'univers et des choses dont il est composé et le caractère contingent de l'existence mais il donne une seconde manière et cette fois-ci pose un lien entre la contingence et le choix, celui de Dieu lorsqu'il crée le monde. Dieu étant l'intelligence par excellence, il a dans son entendement une infinité de possibles qui peuvent potentiellement former des mondes possibles eux mêmes légions. La contingence du monde suppose le choix entre plusieurs possibilités et une intelligence infinie qui puisse aller a tous le possibles, par conséquent une volonté qui crée en connaissance de cause et dont la puissance n'est pas empêchée.

1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960

Qu'il nous soit permis de faire ici une comparaison avec St. Thomas qui apportera un peu plus de lumière sur la notion de contingence chez Leibniz. Pour St. Thomas, la contingence repose sur l'expérience du devenir, sur la possibilité d'être et de n'être plus dans le temps, par conséquent, est contingent ce qui peut périr et nécessaire ce qui est éternel. Avec Leibniz, la contingence par excellence, n'a rien a voir avec le temps, bien plus, elle est affaire de logique et repose sur le principe de contradiction: une chose est dite contingente lorsque la pensée de son non-être n'implique pas de contradiction dans la pensée (par exemple il est contingent d'être en train d'écrire cette phrase parce que l'on peut tout a fait penser qu'elle aurait pu ne pas être écrite), sinon elle est nécessaire (il est nécessaire que deux et deux fassent quatre et non cinq).

Pour terminer sur les preuves de l'existence de Dieu, abordons la preuve par lafinalite, plus ou moins similaire a la preuve par la contingence, que Leibniz reprend avec sa théorie de l'harmonie préétablie. Ce qu'elle a de similaire avec la preuve par la contingence, c'est le fait qu'elle énonce également que le mécanisme de la sphere des causes efficientes ne possède pas sa raison d'être et soit par conséquent dépendant d'une autre sphere qui l'englobe et la dirige, celle des causes finales comme nous l'avons dit. L'harmonie préétablie fait état de plusieurs choses, elle montre que les substances sont plus ou moins guidées vers le bien lorsqu'elles agissent même si elles sont souvent abusées par les passions et le manque de réflexion; elle énonce également que le règne des causes finales s'accorde avec celui des efficientes, preuve en est ce que l'on vient de dire sur la tendance vers le bien mais également parce que l'ordre des causes finales est lui-même subordonné a la dynamique des possibles dans l'entendement divin (lesquels manifestent une tendance et forment un dessein, une réalisation). Enfin, le fait même que pour Leibniz et selon sa théorie de la substance, il n'y ait pas d'interaction entre les substances et entre les substances et leur corps nous montre que le mécanisme de l'action et de la passion se situe a une autre échelle, a savoir au niveau des raisons que Dieu a de faire agir cette substance et pâtir celle-ci, au niveau même des essences qui dans les idées de Dieu <<demande avec raison que Dieu en réglant les autres des le commencement des choses, ait égard a elle >>. 1 De plus, la force de cette preuve réside assurément en ce qu'elle nous fait supposer un être infiniment parfait ayant le pouvoir, la sagesse et la bonté nécessaire pour créer, faire se tenir et se réaliser l'harmonie universelle.

Jalabert écrit au sujet de la proximité entre la preuve par la contingence et celle par l'harmonie préétablie:

1 Leibniz, Monadologie, §51, Paris, Delagrave, 1998

<<La preuve par l'harmonie préétablie ne met pas l'accent sur l'existence des choses, mais sur leur ordre: elle fait a son tour appel a l'intelligence et a la volonté d'un être premier et absolu. Dans les deux cas le choix ne peut être qu'un choix infiniment sage. Les deux arguments ne diffèrent guère que par leur point de départ dans l'expérience: la contingence de l'existence et l'ordre. >>1

Terminons avec la preuve a priori par les vérités éternelles, présente dans toute la tradition chrétienne, notamment chez Augustin et Malebranche. Leibniz reprend cette preuve dite du <<Dieu-Vérité>> et fait de Dieu le garant de la vérité. En quel sens? Leibniz s'oppose ici a Descartes sur un point capital : pour Descartes les vérités éternelles sont des créatures, c'esta-dire qu'elles sont créées par Dieu. A la différence du Dieu de Leibniz, le Dieu de Descartes ne possède pas d'entendement, lieu des essences, tout dépend de sa volonté. Pour Leibniz, les vérités éternelles dépendent de Dieu parce qu'elles se trouvent dans son entendement, elles font parties de Dieu, de son essence, de sa possibilité. Sans Dieu, il n'y a plus rien de possible, plus de vérités puisque les vérités sont en Dieu, mais celles-ci conservent leur modalité d'être dans le sens oü elles sont incréées et qu'elles ont donc une existence quasiindépendante du vouloir de Dieu, elles ont la même origine que Dieu, l'éternité, leur raison d'être est Dieu lui-même tandis qu'avec Descartes, les vérités éternelles n'ont pas de modalité d'être ni non plus de raison d'être. Au sein du monde, la créature intelligente s'apercoit également qu'il existe des vérités nécessaires et en vient a se demander leur origine étant donné la contingence du monde dans lequel elle se trouve, il parvient sans peine a s'élever jusqu'au fondement du monde et en infère que tout, même la vérité, trouve sa raison en Dieu.

La place de cette preuve peut être dans les deux catégories de preuves relevées : a priori (de l'idée de Dieu a ses conséquences) ou a posteriori (a partir du monde). En effet, elle est considérée comme une preuve a priori étant donné la nature de la théorie de la vérité (les vérités ont leur fondement dans l'entendement divin) mais elle peut aussi être classée parmi les preuves cosmologiques étant donné que la preuve par les vérités éternelles constate l'effectivité d'un monde contingent et de choses contingentes mais qui ont pour autant une essence qui leur correspond dans l'entendement de Dieu, essence éternelle et nécessaire, et infère l'existence d'un être fondateur de ces vérités, Dieu.

1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de France, 1960, P.117

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille