3/ La providence : l'action de Dieu dans l'univers
Nous aborderons plus particulièrement la providence de
Dieu et son action dans le monde lorsque nous passerons a l'étude de
l'optimisme proprement dit mais il est déjà possible
d'établir les thèmes a travers lesquels elles s'expriment: la
création continuée qui marque la dépendance des
créatures a l'égard de Dieu mais qui pose le problème de
la création et de son rapport au temps: comment un acte unique, hors du
temps (autrement dit la création), peut il être continué?
il faut dire avec Leibniz que le caractère intemporel de l'acte
créateur équivaut a une création toujours
renouvelée ou se faisant sans cesse, le temps n'est pas réel en
Dieu, il est un cadre pour les créatures qui se représentent les
choses dans le temps, mais au plan métaphysique, la création n'a
ni début, ni fin si bien qu'au regard des créatures l'acte
créateur peut être dit contemporain de tous les instants:
<<La création continuée n'est que la création tout
court, apercue a travers la temporalité du devenir
monadique. >> 1 La providence s'exprime également
dans le concours divin aux actions des créatures ce qui pose le
problème de la liberté des créatures mais également
de la raison pour laquelle Dieu aide certaines créatures et pas
d'autres. A cela Leibniz répond que le concours de Dieu est
déjà compris dans l'essence des créatures et que donc
celui-ci ne fait qu'actualiser ce que l'essence demande, mais globalement,
Leibniz réserve le détail de la compréhension de ces
questions a celui qui serait capable de percer a jour les desseins
cachés de Dieu.
- La creation du monde : l'optimisme comme maximum et comme
optimum
Nous entrons désormais au cWur de la philosophie de
Leibniz et des thèmes qui vont pouvoir nous servir a appuyer
l'idée selon laquelle sa philosophie est un << optimisme >>.
Nous pouvons d'ors et déjà affirmer que cet optimisme se
manifeste essentiellement sous deux aspects: en premier lieu dans la doctrine
de la création avec l'idée selon laquelle la création est
un problème de logique et de mathématique, de maximum et de
minimum que Dieu se propose et dans un deuxième temps avec l'idée
selon laquelle la création de l'univers est un optimum, objet de la
bonté de Dieu et par conséquent quelque chose de tout a fait
profitable pour les créatures qui sont l'objet de la providence divine
et dont la félicité représente l'un des principaux
desseins de Dieu. Puisqu'il en est ainsi, démontrer l'optimisme de
l'univers compris comme meilleur monde possible suppose que l'on puisse
connaItre le fonctionnement de la pensée divine, son mode de
détermination et ce afin de pouvoir établir pourquoi le monde
actuel est le meilleur des mondes possibles. Nous rencontrons ici encore la
principale caractéristique de l'optimisme leibnizien, a savoir le fait
qu'il soit objet de démonstration a priori et que cette
démonstration parte de l'étude de l'idée de Dieu. Ce qui
est ici en jeu, c'est la compréhension du processus qui se
déroule dans la création de l'univers, il nous faut percer a jour
le mécanisme métaphysique qui s'effectue en Dieu lorsque celui-ci
se propose de créer, ce qui suppose l'établissement du mode
opératoire de la pensée divine. A. Robinet ne dit rien d'autre
lorsqu'il écrit que l'optimisme leibnizien est <<relayé par
une lourdeur scolastique du fonctionnement de la pensée divine
>>2. Cependant, méme si il est possible de distinguer
ces deux voies, c'est-à-dire la voie <<logique>> et la voie
<<théologique >>, méme si celles-ci
représentent deux angles différents d'oü il est possible
d'aborder la création, l'étude de la première qui
correspond, comme nous
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.196
2 A. Robinet, Justice et terreur, Leibniz et leprincipe de
raison, Paris, Vrin, 2001, P.3
le verrons au <<premier temps>> de la
création, nous amène a l'introduction de la seconde, seule
véritablement révélatrice de l'optimisme leibnizien et a
l'image du créateur (c'est ici qu'intervient l'optimum). En effet, les
deux voies sont solidaires et complémentaires et sont l'expression de
l'essence divine qui se manifeste a la fois comme parfait
géomètre et comme merveilleux monarque, oeuvrant pour le bonheur
de sa Cité. Tâchons donc d'examiner ces deux voies et de montrer
comment, en s'enchevêtrant, elles expriment l'<< optimisme>>
leibnizien.
La voie logique s'exprime de la sorte: <<Tout possible
enveloppe une exigence d'existence, et cette exigence est proportionnelle a sa
quantité de perfection, c'est-à-dire de réalité
positive. Comme tous les possibles ne sont pas compossibles, une sorte de
conflit s'établit entre eux, et c'est finalement le système de
compossibles le plus parfait qui l'emporte - le plus parfait,
c'est-à-dire le plus rationnel, celui qui réalise a la fois le
meilleur ordre et la plus grande richesse relative. >> 1 Entrer dans
l'explicitation de cette voie suppose que l'on ait non seulement une
idée de la nature des essences mais aussi de la théorie de la
<<compossibilité>> et plus généralement du
fonctionnement de la pensée divine, du mécanisme de sa
volonté et de son mode de détermination. Mais précisons
dès maintenant que l'affirmation: Dieu crée le meilleur des
mondes, celui oü il se réalise le plus grand ordre et oü l'on
trouve le maximum de richesses, suppose qu'il puisse y avoir un monde qui soit
meilleur que tous les autres et qu'il puisse y avoir un maximum pour Dieu.
Leibniz rentre notamment ici en polémique avec St. Thomas mais aussi
avec Arnauld, Bayle2 et Malebranche pour qui il est toujours
possible de concevoir un monde meilleur que celui qui est donné pour
tel, et ce a l'infini, et pour qui définir un optimum revient a limiter
la puissance et la liberté divine. Il examine cette objection au §3
de son Discours de Métaphysique:
<< Je ne saurais non plus approuver l'opinion de
quelques modernes qui soutiennent hardiment, que ce que Dieu fait n'est pas
dans la dernière perfection, et qu'il aurait pu agir bien mieux. Car il
me semble que les suites de ce sentiment sont tout a fait contraires a la
gloire de Dieu. >>3
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.203 2Leibniz , Essais de Théodicée,
Paris, 1969, Garnier Flammarion, §223 3 Leibniz, Discours de
Métaphysique §3
Pour ces <<modernes>> mais aussi pour St. Thomas,
Dieu peut toujours créer un monde qui soit meilleur que celui qu'il a
créé car il a la puissance nécessaire pour amener a
l'existence un monde toujours plus parfait. St Thomas se démarque
cependant des autres en ce qu'il refuse d'admettre un meilleur monde possible
pour l'homme en vertu des conséquences du péché originel.
Par conséquent, si le monde peut être dit parfait c'est parce
qu'il dérive d'une cause qui est elle-même parfaite et non parce
qu'il est intrinsèquement bon. Pour la scolastique thomiste, le monde
est bon car c'est Dieu qui l'a créé, par conséquent la
création d'un monde moins parfait que celui dans lequel nous
évoluons n'aurait en aucun cas remis en cause la bonté de Dieu.
Avec ces penseurs il faut dire qu'en lui-même le monde ne possède
pas la raison de sa perfection, il n'est pas parfait en lui-même mais
uniquement parce que c'est un être infiniment parfait qui l'a
créé et que d'un être parfait il ne peut émaner
quelque chose qui ne soit pas parfait ou du moins faut-il dire que Dieu ne peut
se voir reproché d'avoir créé quelque chose qui ne soit
pas totalement parfait, sachant qu'il aurait pu faire mieux (étant
donné qu'il est le critérium de la bonté). Ici, aussi bien
avec Malebranche (<< Dieu pouvait sans doute faire un monde plus parfait
que celui que nous habitons >>1) qu'avec Thomas, c'est la
grandeur (de Dieu) qui explique la perfection du monde et non la perfection du
monde qui exprime l'action infiniment parfaite de Dieu. En vertu des
perfections métaphysiques que possèdent Dieu (ici l'omnipotence),
avec cette tradition nous sommes amenés a concevoir un Dieu non
seulement indépendant dans son être mais également
indépendant par rapport a tout supérieur au sens oü il est
le maître qui définit luimême ce qui est bon sans
égard aux choses elles-mêmes. A trop vouloir mettre en avant la
puissance divine on fait de Dieu un être au-dessus de la
vérité, de la justice et du bien et on rend par là
même équivoque le sens de ces notions entre Dieu et ses
créatures, c'est ce que Leibniz tâchera de conjurer en maintenant
l'indépendance morale de Dieu mais en ne le faisant pas principe du bien
et du mal. La bonté de Dieu est ici totalement indépendante et
libre de toute référence aux créatures réelles ou
possibles, la bonté n'a de rapport qu'avec Dieu et avec l'amour qu'il
porte a ses perfections.
On peut voir que Spinoza dérive également la
perfection du monde de celle de Dieu: <<les choses ont été
produites par Dieu avec la suprême perfection: puisque c'est de la plus
parfaite nature qui soit qu'elles ont suivi nécessairement.
>>2 La perfection de Dieu nous oblige donc en quelque sorte a
affirmer la perfection de ses ouvrages indépendamment des ouvrages
eux-mêmes, peu importe finalement ce que Dieu crée, ce qu'il
crée est parfait.
1 Malebranche, Traité de la nature et de la grace, Paris,
Vrin, 1976, Discours I, § 14
2 Spinoza, Ethique, I Proposition 33, scolie 2, Paris, Seuil,
1999
Cependant, méme si Spinoza déduit la perfection
des choses de l'essence divine, il n'en résulte pas pour autant que le
monde soit le meilleur des mondes possibles car selon lui, il n'y a qu'un seul
possible, celui que Dieu crée d'une puissance aveugle. Les choses sont
dites découler de la nature divine comme les propriétés du
cercle découlent de sa définition.
En ce qui concerne Leibniz, on peut dire que chez lui aussi la
perfection divine est comme la garantie de la perfection de ses effets mais la
différence réside dans le fait que le monde créé
est le meilleur possible et constitue la raison de la détermination de
Dieu a créer (détermination morale nous le verrons par la suite):
c'est en lui-même que le monde est le meilleur et non parce que sa cause
est parfaite en tous points de telle sorte qu'il est possible d'affirmer que
c'est la nature du monde qui détermine la suite des choses avant
méme le décret de Dieu. Affirmer qu'une chose est bonne parce que
sa cause l'est (bonté conséquence) est acceptable mais
insuffisant, Leibniz écrit, toujours au §3 du Discours de
Métaphysique:
<<(...) de quelque facon que Dieu aurait fait son
ouvrage, il aurait touj ours été bon en comparaison des moins
parfaits, si cela est assez; mais une chose n'est guère louable, quand
elle ne l'est que de cette manière.>>
Et avant cela au §2: <<Aussi, disant que les choses
ne sont bonnes par aucune règle de bonté, mais par la seule
volonté de Dieu, on détruit, ce me semble, sans y penser, tout
l'amour de Dieu et toute sa gloire. Car pourquoi le louer de ce qu'il a fait,
s'il serait également louable en faisant tout le contraire?>>
Avec Leibniz il est donc possible de déduire de la
bonté divine la nécessité morale de la création.
Autrement dit, la bonté divine est avec Leibniz directement en relation
avec la création et il existe un lien analytique entre
<<bonté de Dieu>> et <<création du meilleur
>>. Lorsqu'il examine les possibles compossibles, Dieu apercoit ce monde
meilleur et ne peut pas ne pas le choisir sans en méme temps agir
imparfaitement et ainsi ruiner sa gloire. En créant, Dieu décide
a la fois du monde et de lui-même puisqu'il ne peut<<
espérer>> retirer de la gloire de son acte créateur si il
ne crée pas le meilleur qui soit possible. Le Dieu de Leibniz a ce ceci
de particulier que sa puissance est a la foi éclairée par
l'entendement qui a pour objet le vrai et guidée par la volonté
qui a le bien pour objet, par suite, il ne saurait créer des choses
contradictoires ni non plus créer un monde qui ne soit pas le meilleur
en bonté.
L'opposition de Leibniz avec la tradition scolastique mais
également avec Spinoza ou encore Descartes tient au fait qu'il distingue
entendement et volonté en Dieu, contrairement aux partisans du
décret absolu de Dieu qui voient la liberté de Dieu comme
primordiale et essentiellement de nature indifférente par rapport a ce
qu'elle crée, cette indifférence les conduisant a penser que Dieu
est l'auteur des vérités éternelles alors qu'elles sont
<< des suites de son entendement >> ne dépendant pas de sa
volonté mais de son essence. Ceux là ramènent en
réalité l'entendement a la volonté puisque la
volonté est absolument première et décide de tout,
même du vrai et du bien. L'indifférence est en effet la
conséquence directe de l'idée selon laquelle Dieu peut touj ours
créer un monde plus parfait: si il existe un monde plus parfait que
celui-ci, quelle est la raison de la détermination de la volonté
divine? S'il n'y a pas d'optimum pour Dieu, comment à-t-il pu se
déterminer a en créer un si ce n'est en en choisissant de
manière arbitraire? Pour Leibniz, un Dieu dont la volonté est
indifférente (et c'est bien le cas ici puisque Dieu se trouve face a une
infinité de mondes dont aucun ne peut être dit le dernier en
perfection, il n'y a donc pas de raison pour qu'il choisisse le notre
plutôt qu'un autre) est un Dieu dont on ne peut faire l'éloge car
tout émane de lui de manière arbitraire, dès lors, comment
fonder sur lui les notions de justice, de récompense, de châtiment
puisque même ces notions deviennent arbitraires, c'est-à-dire sans
fondement a partir duquel nous régler ? Le §3 du Discours de
Métaphysique nous dit:
<<Car de croire que Dieu agit en quelque chose sans
avoir aucune volonté, outre qu'il semble que cela ne se peut point [en
vertu du principe de raison qui demande que tout ait une raison d'être et
d'être ainsi et non autrement], c'est un sentiment peu conforme a sa
gloire ; (...).>>
A un tel <<Dieu >>, Leibniz substitue un Dieu
d'autant plus libre et d'autant plus puissant et digne qu'il se soumet a la
raison et au bien (<< comme si ce n'était pas la plus haute
liberté d'agir en perfection suivant la souveraine raison >>), un
Dieu pensant sa création et touj ours déjà tourné
vers elle, un Dieu qui ne fait rien dont il ne mérite d'être
loué, un Dieu par conséquent différent de celui de Spinoza
(qui préfère encore la théorie de la liberté
d'indifférence que de concevoir un Dieu guidé par la
représentation du bien) d'oü tout découle de la seule notion
de puissance infinie (Spinoza ramène la volonté a l'entendement,
il n'est pas question de volonté divine chez lui puisque tout se fait en
vertu de la nécessité de la substance suprême a exister),
un Dieu chez qui la perfection est dérivée de la puissance divine
mais éclairée par la sagesse et guidée par la bonté
dans le passage a l'acte du meilleur des mondes possibles. Leibniz ne donne
donc ni la préséance au vrai (objet de
l'entendement) ni au bien (objet de la volonté) mais
harmonise les deux et fait de Dieu le suprême harmoniste en tant qu'il
conserve le dernier mot dans le processus de création. Nous pouvons ici
faire une remarque qui apportera des précisions sur la nature de
l'optimisme leibnizien: a la différence de l'optimisme de Spinoza (s'il
nous est permis d'en déceler un), celui de Leibniz n'a rien d'absolu. En
effet, avec Spinoza, si tout ce qui est doit être selon la seule
nécessité de la substance divine a exister, si tout ce qui
découle de Dieu en découle nécessairement et de
manière géométrique comme le dit Leibniz, si Dieu est en
réalité ce que nous appelons le <<monde >>, on voit
clairement que ce qui est se trouve être la seule chose possible, et,
comme elle ne saurait être autrement que parfaite puisqu'elle est Dieu et
selon ce que nous venons de dire sur le caractère parfait des choses qui
dérivent de Dieu, il faut affirmer que l'optimisme de Spinoza est un
optimisme absolu: il n'y a rien de meilleur, rien de plus parfait que ce qui
est puisque ce qui est, c'est Dieu. L'optimisme de Leibniz a ceci de
particulier et en même temps de tout a fait honorable qu'il n'affirme pas
l'entière perfection des choses créées, l'optimisme qui
caractérise sa philosophie est <<relatif >>, non seulement
parce que, étant donnée une chose (particulière), on peut
en concevoir une plus parfaite mais également parce que l'optimisme
leibnizien, nous le verrons plus tard, fait une place au mal dans la
création alors que le panthéisme de Spinoza nous fait concevoir
le mal comme une illusion, résultat de notre point de vue subjectif.
Avec Leibniz, le mal n'est pas nié, il est au contraire
intégré au système de compossibles, lequel se trouve
être le meilleur mais relativement. Nous reviendrons sur le mal dans la
création mais nous pouvons déjà affirmer que Leibniz, pris
entre les exigences de la raison (le mal doit avoir sa raison d'être dans
la création et cette raison ne peut qu'être, au final, source de
biens supérieurs) et les évidences de l'expérience, refuse
cependant d'admettre l'<< existence>> substantielle du mal et
s'oppose ainsi aux manichéens qui en font un principe positif alors que
Leibniz concoit le mal comme étant de l'ordre de la privation.
Pour montrer la fausseté de la pensée
adversaire, mais pour en même temps en tirer quelque vérité
comme a son habitude lorsqu'il examine une thèse opposée, Leibniz
précise en quel sens il est possible de concevoir, malgré le fait
que le monde créé soit le meilleur, quelque chose de meilleur que
ce qui est donné. Pour que la thèse adverse puisse avoir quelque
sens, il faut distinguer le monde et ses parties, du moins en pensée
puisque Leibniz écrit: <<J'appelle monde toute la suite et toute
la collection de toutes les choses existantes >> 1 faisant
1 Leibniz, Essais de théodicée, §8
du monde et de la totalité de ses parties une seule et
même chose. Pourtant, si l'idée de meilleur monde possible n'est
pas chimérique, c'est bel et bien parce que le monde est pris dans sa
totalité et que pris de la sorte on ne peut en concevoir de plus
parfait. Là oü il est possible de concevoir que Dieu aurait pu
mieux faire, c'est lorsque l'on considère les parties du monde de
manière isolées, sans les joindre. En effet, Leibniz nous dit
qu'il est toujours possible de concevoir des créatures qui soient plus
parfaites car il n'en existe pas d'absolument parfaites; en elles-mêmes,
les parties du monde ne sont pas de la dernière perfection, si bien que
dans l'entendement divin, il doit y avoir une partie plus parfaite que celle
qui a été amené a l'existence en acte. Cependant, il n'est
pas permis de faire le même raisonnement lorsqu'il s'agit du monde dans
sa totalité englobante car selon Leibniz le monde est un infini, devant
s'étendre a travers l'éternité et progressant sans fin.
Leibniz résume: <<Prenant toute la suite des
choses, le meilleur n'a point d'égal; mais une partie de la suite peut
être égalée par une autre partie de la même suite.
Outre qu'on pourrait dire que toute la suite des choses a l'infini peut
être dite la meilleure qui soit possible, quoique ce qui existe par tout
l'univers dans chaque partie du temps ne soit pas le meilleur. Il se pourrait
donc que l'univers allât touj ours de mieux en mieux, si telle
était la nature des choses, qu'il ne f?t point permis d'atteindre au
meilleur d'un seul coup. >>1
Par conséquent, si il est possible de dire que les
parties du monde ne sont pas parfaites, c'est uniquement parce qu'elles sont
prises a un moment du temps et que le monde étant en constant
accroissement, les parties a un temps t ne peuvent avoir
développées totalement leur perfection et être les
meilleures possibles ; Leibniz nous dit d'ailleurs que <<ce qui trompe en
cette matière, est, qu'on se trouve porté a croire que ce qui est
le meilleur dans le tout est le meilleur aussi qui soit possible dans chaque
partie. >>2 Leibniz écrit au sujet de la progression du
monde dans une lettre de 1715 a Bourguet:
<<On peut former deux hypothèses, l'une que la
nature est toujours également parfaite, l'autre qu'elle croIt toujours
en perfection (...). Quoique, suivant l'hypothèse de l'accroissement,
l'état du monde ne pourrait jamais être parfait absolument,
étant pris dans quelque instant que ce soit, néanmoins la suite
naturelle ne laisserait pas d'être la plus parfaite de toutes les suites
possibles, par la raison que Dieu choisit toujours le meilleur
possible.>>
1 Leibniz, Essais de théodicée, §202
2 ibidem, §212
J.F. Nourrisson résume parfaitement et la distinction
apportée par Leibniz et l'absurdité de la thèse adverse
lorsqu'il écrit:
<<En effet, si le monde était actuellement et
totalement manifesté, il est clair qu'on pourrait concevoir et
désirer une somme de biens supérieure a celle que ce monde
contiendrait. Mais les progrès allant, comme nos conceptions et nos
désirs, a l'infini ou a l'indéfini, les progrès du monde
égalent ces conceptions mémes et ces désirs. Au reste,
demander une réalisation de la plus grande perfection possible, ce
serait aller tout ensemble et contre l'expérience et contre la raison.
(...). Ce serait aller contre l'expérience car la réalité,
qui chaque jour se déploie pour épancher de nouveaux
trésors, vaut mieux manifestement que celle qui, tout d'un coup
développée, demeure ensuite stérile. >1
Par conséquent, si Leibniz affirme que le monde
créé est le meilleur des mondes possibles, ce n'est pas qu'il
concoive que cet optimum est déjà effectif mais plutôt a
réaliser, la notion de progrès fait donc sens puisque le monde
s'insère dans une perspective infinie et que l'optimum, plus qu'un
état de fait, représente davantage, en tout cas pour les
créatures (parce que Dieu ne concoit pas le monde dans le temps, son
point de vue lui dévoile le monde dans son essence) une tâche a
réaliser. On peut méme affirmer que Dieu s'est donné une
tâche infinie puisque la progression du monde en matière de
perfection ne sera jamais achevée. Au final, si Leibniz soutient une
doctrine optimiste, c'est non seulement parce que le monde existe effectivement
et que Dieu ne pouvant créer quelque chose qui ne soit pas tout parfait,
a nécessairement choisit le plus parfait possible; mais c'est
également parce que si il était touj ours possible a Dieu de
créer un monde plus parfait, il ne pourrait en choisir aucun, et ce
serait aller contre la raison que de soutenir une telle chose: il faut donc
déduire que ce monde possède un degré de perfection
supérieur aux autres, penser le contraire nous conduirait a tomber dans
l'objection faites par les adversaires eux-mémes (définir un
maximum pour Dieu serait borner sa perfection) car se serait borner l'exercice
des attributs fondamentaux de Dieu que sont sa bonté (Dieu ne pourrait
pas créer le meilleur pour les créatures susceptibles de
bonheur), sa sagesse (Dieu ne pourrait pas concevoir ce qui réaliserait
le maximum de réalité) et sa puissance (Dieu n'aurait pas assez
de puissance pour amener a l'acte cet optimum).
1 J.F. Nourrisson, Laphilosophie de Leibniz, Paris, Hachette,
1860, Chapitre 4, P.301
En vertu de la théorie chimérique de l'existence
d'une volonté indifférente et de ses conséquences
désastreuses pour la piété et pour la morale, touj ours
guidé par le principe de raison, Leibniz affirme donc en
conformité avec les Ecritures et contre la tradition thomiste et les
<<modernes>> que Dieu crée le meilleur qui soit possible
mais apporte une nuance supplémentaire: Dieu ne fait pas le meilleur
lorsqu'il crée l'univers uniquement parce qu'il est Dieu mais il fait le
meilleur compte tenu de son objet, c'est-à-dire qu'il compose avec le
monde entendu comme pur possible. C'est ici un point fondamental qui
démarque Leibniz d'un Descartes ou d'un Spinoza: existences et essences
sont distinguées et les essences jouent un role crucial dans la
détermination du meilleur. Nous en revenons ici, mais de manière
différente, a ce que nous disions plus haut au sujet des deux voies
servant a établir l'optimisme propre a la philosophie de Leibniz: tout
se passe comme ci les essences et Dieu concourraient ensemble a la
détermination de l'optimum, comment, c'est là ce que nous allons
tenter de mettre àjour.
Nous avons déjà esquissé quelque peu la
théorie des essences chez Leibniz se trouvant dans l'entendement et
explicité leur tendance naturelle, leur prétention a l'existence,
il nous faut cependant y revenir et pousser plus avant le mécanisme qui
s'exerce dans la détermination du meilleur, en prenant en compte non
seulement la nature des essences mais aussi les exigences que Dieu rencontre
lorsqu'il examine les possibles et le système de compossibles formant le
meilleur des mondes possibles. Comme nous l'avons dit, l'optimisme s'exprime en
tout premier lieu dans le mécanisme des essences qui s'exerce lors de la
création du meilleur des mondes possibles: c'est en vertu de l'exigence
enveloppée dans chaque essence, cette exigence étant
proportionnelle a la quantité de perfection que possède
l'essence, c'est-à-dire de réalité positive, que l'on
parvient a la détermination du maximum de réalité dans la
création. Le mécanisme n'est certes pas si simple mais nous avons
déjà montré que chez Leibniz l'essence possède son
propre mode d'être et se trouve être indépendante de la
volonté de Dieu au sens oü celui-ci ne la crée pas. Les
essences tendent d'elles mêmes a l'existence, d'autant plus qu'elles
possèdent de perfections; dès lors, on se rend bien compte qu'une
fois affirmé cela, ce ne peut être que le meilleur, le plus
parfait (dans l'ordre quantitatif) qui parvient a l'existence. Leibniz
écrit:
<<Par là [étant donnée la nature des
possibles et leur prétention a l'existence], on comprend de la
manière la plus évidente que, parmi l'infinité des
combinaisons et des séries possibles,
celle qui existe est celle par laquelle le maximum d'essence ou
de possibilité est amené a exister. >>1
Ce premier aspect de l'optimisme - entendu comme
détermination du maximum de réalité suivant la tendance
des essences - nous conduit a l'idée selon laquelle l'optimisme de
Leibniz serait issu de <<la priorité de l'essence >>. Il
faut entendre par là que l'indépendance des essences pose
problème lorsque, comme chez Leibniz, elles sont la matière
même avec laquelle Dieu est amené a composer le monde. Affirmer
que l'optimisme de Leibniz repose sur la thèse selon laquelle l'essence
est prioritaire (c'est-à-dire que c'est elle qui détermine
l'existence future ou non du meilleur des mondes possibles), c'est en
même temps s'engager dans une polémique sur le rôle de Dieu
dans la création, c'est prétendre élever les essences a la
limite de l'indépendance totale. En effet, a regarder ce
mécanisme de manière isolée et oü il n'est question
que de maximum et de minimum (de réalité dans les essences), il
semble que l'on puisse dire que le monde peut se réaliser sans que Dieu
ait besoin d'intervenir. C'est l'impression que donne le début de
l'opuscule intitulé <<De rerum originatione radicali>> qui
fait état du mécanisme que nous tâchons de mettre a jour et
qui nous révèle le premier des deux aspects de l'optimisme, a
savoir la production des existences contingentes en vertu de la seule
théorie de l'exigence des essences en fonction de leur degré de
réalité. En effet, la causalité de l'essence dont nous
avons fait état précédemment semble pouvoir suffire a
expliciter l'existence du meilleur des systèmes de compossibles, si bien
que le processus a partir duquel l'univers advient s'apparenterait a une lutt e
entre des essences dont le seul critère de distinction serait d'ordre
quantitatif, or, on le sait, Leibniz attache beaucoup d'importance au
côté qualitatif de la création. Il s'agit ici
d'élucider, lors du mécanisme logique qui s'exerce dans le
premier temps de la création (là oü intervient la
détermination du maximum), la part respective d'implication revenant aux
essences, compte tenu de la particularité de leur nature, et celle
revenant a Dieu.
Comme nous l'avons déjà dit, chez Leibniz les
essences dépendent de l'entendement de Dieu au sens oü son
entendement est le lieu oü se trouvent les possibles possibles avant tout
décret et les possibles réels, compossibles. Les essences sont
incréées et participent de l'éternité de Dieu, la
volonté de Dieu ne décident pas de leur être comme le Dieu
de Descartes peut en un sens le faire, elles possèdent leur propre
modalité d'être et Dieu ne peut changer leur
1 Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis, Paris, Vrin 1962,
P.85
<<nature >>, il est tenu de les respecter aussi
bien quand il les pense que lorsqu'il les examine dans le but de former le
système de possibles le plus parfait. Lorsque nous disons que les
essences possèdent leur modalité d'être il faut entendre
par là qu'en elles-mêmes, elles possèdent l'unité et
représentent chacune une entité a part entière; distincts
de tous les autres, il n'existe pas deux possibles identiques dans
l'entendement de Dieu et chacun d'eux, en vertu de l'inhérence des
prédicats dans la <<notion complète>> du sujet
possèdent une <<histoire>> qui l'individualise absolument:
ainsi l'essence de César se trouve dans l'entendement de Dieu avant
même qu'elle parvienne a l'existence (on peut parler d'existence
virtuelle) et comprend en elle-même tout ce qui peut et pourra être
dit de César si celui-ci est inséré dans le système
de compossibles. Dieu peut donc percer a jour toutes essences et lui seul est
capable de voir parfaitement la composition de chaque essence. Par
modalité d'être, il faut également entendre ce qui
caractérise les essences en elles-mêmes, a savoir la
manière dont elles se présentent a Dieu: a ce sujet, Leibniz est
clair, les essences sont dynamiques. En effet, nous l'avons déjà
dit, toutes les essences dans l'entendement de Dieu possèdent une
certaine tendance, relative a leur perfection ou degré d'être, a
l'existence. Pour bien comprendre ce qui se passe aux niveaux des essences, il
faut prendre l'exemple de l'essence divine: l'essence de Dieu est celle qui
possède le plus de perfection ou de degré d'être, par
conséquent c'est aussi celle qui prétend le plus a l'existence.
Comme nous l'avons dit précédemment lorsque nous avons
examiné l'aséité divine, la prétention de l'essence
divine a l'existence se confond avec l'existence elle-même puisqu'il n'y
a rien qui fasse entrave a son déploiement. En revanche, en ce qui
concerne les essences coéternelles a Dieu, leur prétention a
l'existence s'exerce proportionnellement a leur degré de perfection qui
reste infiniment inférieur a celui de Dieu, et, comme ces essences se
trouvent être en nombre infini, il résulte de là qu'une
essence ne peut se déployer uniquement au dépend d'une autre,
c'est ce que Leibniz nomme l'<< entr'empêchement >>. De
là, on comprend comment seul le maximum peut advenir a l'existence (si
on s'arrête ici dans l'établissement du processus de
création de l'univers) puisque seules les essences qui possèdent
un degré de perfection élevé pourront prétendre a
l'existence au point de faire passer leur virtualité a l'acte. Grua
écrit a ce sujet nous révélant ce qui semble être la
cause de l'existence:
<<La perfection ou essence exige l'existence, qui la suit
en soi, mais non nécessairement, a savoir si rien de plus parfait ne
l'empêche. >>1
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, Chapitre 8
Cet aspect mécanique (c'est un jeux de plus et de
moins) de l'origine des choses soulève une difficulté de taille
puisque si on se contente de cette théorie, on voit clairement que la
création semble pouvoir se passer de Dieu, car, comme le dit Jalabert:
<<La même causalité de l'essence, qui fait exister l'Etre
nécessaire, paraIt expliquer également, en vertu d'une logique
implacable, le meilleur des système de compossibles. >> 1 Dans ces
circonstances, Dieu sert tout au plus de <<support >>, de
<<récipient>> contenant les essences. Rien ne nous
empêche donc au premier abord de penser que le mécanisme des
essences qui s'exerce suffit a expliciter l'origine de la création du
monde. C'est une difficulté qui se présente lorsqu'on examine la
théorie des essences de Leibniz: on peut en effet être
tenté de les concevoir comme indépendantes du vouloir de Dieu.
C'est donc sur le rapport entre les essences et la volonté de Dieu que
se joue le problème, pour le résoudre il est donc
nécessaire de clarifier en quel sens il est possible de dire que les
essences son indépendantes et de définir le role de Dieu dans ce
même processus oü c'est le meilleur qui est recherché en vue
de la création du monde.
Lorsqu'on regarde le texte intitulé <<De rerum
originatione radicali >>, on voit qu'il est démontré
comment le monde dérive de Dieu a travers un mécanisme
métaphysique et sont expliquées les opérations par
lesquelles il passe avant de parvenir a l'existence. Comme nous l'avons
déjà dit, il est possible de dire que deux étapes sont
nécessaires pour parvenir au meilleur des mondes possibles:
l'étape du maximum, et celui de l'optimum, là oü se
manifeste pleinement ce que nous entendons réellement par l'optimisme
leibnizien. Il est cependant important de voir que ces deux aspects sont
complémentaires et inséparables. Si nous en sommes venus a
l'examen de cette difficulté c'est uniquement parce que nous avons
examiné la première voie sans la lier a la seconde alors que
c'est cette liaison qui est a même d'apporter la solution de la
présente difficulté. En effet, Jalabert, comme bien d'autres
commentateurs, commence par l'examen de cette première voie et tombe
logiquement sur le problème du role de Dieu dans la création et
même sur l'idée selon laquelle l'existence du monde serait
nécessaire (puisqu'en vertu de la seule exigence des essences, il serait
possible de déduire l'existence des essences qui comportent le plus de
degré d'être) il écrit:
<<Sous l'un de ces aspects la production des existences
contingentes s'apparente a la réalisation de l'existence
nécessaire. Dans les deux cas, c'est l'essence, qui fait exister.
(...).
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.106
En vertu de la théorie prédicative de la
vérité, nous savons d'ailleurs que l'existence elleméme
doit se déduire de l'essence de la chose. Puisqu'elle se déduit,
l'existence est donc en un sens nécessaire, mais d'une
nécessité que Leibniz déclare <<hypothétique
>>, qui ne nuit pas a la contingence, et s'éclaire a l'examen du
second aspect du mécanisme métaphysique (...).>> 1
Dans un premier temps Jalabert semble donc vouloir nous dire
que la raison de l'existence des choses se trouve dans les choses
elles-mémes, autrement dit que la raison de l'existence se trouve dans
la possibilité qui elle-méme représente de l'être
sous forme virtuelle, et pour cause : <<une fois accordée au
possible une exigence d'existence, on ne peut refuser d'établir une
proportion entre la quantité de virtualité et l'exigence
d'exister. A tous les niveaux de la virtualité, le plus l'emporte sur le
moins, en vertu du caractère <<inessentiel>> du
négatif, du non-être. >>2 Par conséquent,
cette seule voie pourrait suffire. Mais il n'en est rien, car l'étude de
la deuxième voie nous invite a changer de regard sur les essences et
leur role dans le mécanisme métaphysique dont il est question
depuis le départ. L'idée est simple: l'univers ne peut se
réaliser sans Dieu, l'essence dépend sinon totalement de Dieu, du
moins essentiellement et ce méme jusque dans sa pré-tension.
Acquiescer a l'idée selon laquelle les possibles passent naturellement a
l'existence en vertu de leur lutte et de leur nature est quelque chose de tout
a fait absurde car ce serait par là rendre la dualité
essence-existence pourtant chère a Leibniz, tout a fait vaine, pire,
Dieu ne serait plus nécessaire pour départager les possibles
destinés a être amenés a l'acte et ceux destinés a
rester de purs possibles. Il est préférable de dire avec E.
Boutroux qu'il n'y a méme pas de combat entre les essences au sens
propre du terme, donc pas de destruction ni de sélection naturelle des
essences (de plus, la causalité est interne chez Leibniz) : Leibniz
parle de combat idéal, combat des raisons dans l'entendement
divin3. Si il y avait effectivement une lutte, il n'y aurait pas
d'ordre dans la création, viendrait a l'existence qui en aurait les
moyens (l'origine du monde serait donc basée sur l'injustice car les
essences ne méritent pas a proprement parler leur perfection
puisqu'elles sont ainsi de toute éternité) sans qu'il n'y ait
aucune règle présidant a l'élection, ce qui est
manifestement aller contre la raison4. Il faut donc dire que
<<ce n'est pas en tant que possible qu'ils tendent a l'existence, mais en
tant que la volonté de Dieu les y appelle. >>5
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.103
2lbidem, P.104
3 Leibniz, Essais de Théodicée, §201
4E. Boutroux, Laphilosophie allemande au XVIIe
siècle, Paris, Vrin, 1948, P.128
5lbidem, P.143
Il est donc préférable de parler de choix des
possibles et de loi sous laquelle les possibles qui veulent passer a l'acte
doivent tomber. A quelles règles sont-ils donc soumis? Les possibles
sont principalement soumis a deux exigences : la non-contradiction et la
compossibilité c'esta-dire qu'ils doivent être compatibles avec
l'essence du système le plus parfait. Dès lors, il est possible
de dire que ce n'est pas de la nature des essences que découle le
système le plus parfait, autrement dit l'harmonie universelle; au
contraire, c'est cette méme harmonie qui fait figure de loi et qui
subordonne les possibles, les obligeant a se plier a ses exigences qui
finalement sont celles de Dieu. Dieu joue donc un role plus que crucial
puisqu'il est celui qui exerce une volonté sur son entendement oü
se trouvent les possibles qui, sans cet appel, resterait a l'état de
purs possibles impuissants. Si Dieu n'était pas la source des
existences, nous dit Leibniz au §36 du Discours de métaphysique,
<<il n'y aurait aucune raison pour qu'un possible existât
préférablement aux autres >>. C'est donc avec l'assistance
de Dieu que le possible peut se développer et se réaliser car
dans son état initial, il ne possède aucun degré
d'existence: il tient non seulement sa prétention de Dieu qui fait appel
a lui lorsqu'il exerce sa volonté antécédente, cherchant
par là a déterminer le maximum de perfection mais aussi sa
<<réalité>> de l'être méme de Dieu
puisqu'il se trouve dans l'entendement divin qui lui est pleinement
réel. Il faut tout de méme prendre garde de ne pas retomber dans
les conséquences fâcheuses exposées plus haut qui sont le
résultat d'une conception erronée de l'essence divine, a savoir
celle de Descartes qui refuse d'admettre que Dieu se représente des
essences lorsqu'il se propose de créer le monde. Il faut tout de
méme dire que les essences participent a la création sinon nous
retomberions dans ces erreurs. Boutroux écrit:
<<S'ensuit-il que la création soit une action
absolument transcendante de Dieu, un phénomène absolument
contingent? Si cette conséquence est légitime, nous n'existons
pas, et l'action divine est tout. Si nous n'avons pas collaboré a notre
propre création, nous n'avons pas de nature propre, et nous sommes
simplement des produits. >>1
Boutroux refuse cette doctrine nous menant tout droit au
panthéisme de Spinoza et affirme, avec comme soutient la théorie
de la volonté divine propre a Leibniz que nous avons exposée (une
volonté qui n'est pas arbitraire mais déterminée par le
bien, le vrai, qui se représente donc des essences) que <<les
possibles sont donc les créatures elles-mémes en germe. Ainsi,
dans l'acte de la création, les créatures collaborent a
l'opération divine. >>2 Leur collaboration,
1 E. Boutroux, La philosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.153 2Ibidem
répétons le, tient dans le seul fait que Dieu
les prend en considération, il les examine suivant ce que l'on peut
appeler la loi de la création des essences qui n'est rien d'autre que la
possibilité et suivant la loi de la création des existences qui
est la perfection consistant dans la plus grande quantité d'être.
Dieu est cependant contraint, étant donné l'indépendance
des essences qui signifie qu'aucun possible pris en lui-même n'en appel
un autre, de les examiner et de les choisir sous l'angle de la
compossibilité qui, du fait de l'indépendance radicale des
essences, doit être entendue au sens de <<liaison possible>>
et non de <<liaison nécessaire >>1, la seconde
exigence étant que Dieu ne peut créer ensemble ce qui s'exclut en
vertu du principe de contradiction.
Au final, l'existence des choses contingentes ne suit pas de
leur essence mais dépend de la volonté divine ou de l'harmonie
universelle (si les essences existent c'est parce qu'elles sont compatibles
avec le système qui réalisent le plus de perfection) sans qu'il
soit fait ici d'équivalence entre Dieu et l'harmonie universelle puisque
l'harmonie universelle est la cause de la détermination du vouloir de
Dieu. Seul Dieu donc possède le privilège d'avoir une existence
qui soit une suite logique de son être car pour les créatures
contingentes, l'essence ne fait que tendre a l'existence sans y parvenir si
Dieu ne décide pas qu'elles doivent passer a l'acte après la
confrontation avec l'exigence de compossibilité avec le meilleur
système. En vertu de cette exigence nécessaire, on déduit
que les essences existent, non pas en vertu de leur
<<définition>> (comme si l'existence pouvait être
déduite de leur nature) nous dit Grua mais par <<comparaison
>>2 avec d'autres en vue du plus parfait. Le possible le plus
parfait arrive a l'existence non par sa nature mais par le décret divin
de faire le meilleur. Si certains textes de Leibniz présentent la
prétention de l'essence a l'existence comme raison de celle-ci nous dit
Grua, il faut en réalité voir que l'on y remplace la
prétention a l'existence par la raison de l'existence qui est le plus de
perfection et sans ajouter que Dieu est ici nécessaire pour coordonner
tous les possibles suivant ce que demande l'essence du système le plus
harmonieux et pour expliquer pourquoi il y a de l'être et non pas le
non-être, autrement dit pourquoi il y a ce monde et pas un autre.
Précisons également, afin de rentrer un peu plus dans la
compréhension du mécanisme que <<si des incompossibles
inégaux ont tous une raison d'exister, existera le moins
empêché, donc le maximum, le plus parfait des compatibles.
>> 3 On voit donc bien ici comment intervient le
1 E. Boutroux, Laphilosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.143
2 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, Chapitre 8 3Ibidem, P.3 19
maximum, au départ, une essence ne peut être
créée toute seule, il faut qu'elle soit en bon
<<rapport>> avec d'autres, que rien ne lui fasse obstacle,
c'est-à-dire qu'elle doit être celle qui est la moins
empêchée, celle qui réalise la plus grande quantité
d'être comparaison faite avec celles que Dieu lui oppose lors du combat
idéal qui se déroule dans l'entendement. Mais, l'exigence
suprême reste la compossibilité avec le système optimal, en
d'autres termes avec les attributs de Dieu, or c'est ici un point important,
cette compossibilité ne peut être apercue que par une
intelligence, Dieujoue donc un rôle actifdans le mécanisme.
Jalabert écrit:
<<L'incompossibilité de tous les possibles rend
nécessaire un choix intelligent [et intelligible] et nous oblige a
admettre un entendement et une volonté dans l'Etre absolu.
>>1
Il faut d'ailleurs préciser ici que la volonté
est la mise en pratique des lois prescrites par l'entendement de Dieu et que
tous deux sont liés. Dans le problème de savoir ce que gagne le
monde a être créé si on considère qu'il l'est
déjà dans l'entendement (le monde est déjà
composé avant de passer a l'acte) et que la volonté est inutile
ou tout au plus là pour réaliser la mathématique, si on
considère que <<les essences paraissent contenir
déjà en elles-mêmes de quoi arriver a l'existence, c'est
qu'elles sont le produit de l'entendement divin, et que l'entendement de Dieu
ne peut se séparer de sa volonté. La volonté divine est ce
qu'il y a de réel dans les essences. >>2 C'est la
volonté divine qui intervient lorsqu'il s'agit de procéder a
l'ordonnance des possibles en système harmonieux.
Par conséquent, les possibles ne tendent pas
d'eux-mêmes a l'existence, leur passage a l'acte est le résultat
de leur intégration a la série maximale organisée par
Dieu, autrement dit la vraie cause qui faut exister les essences se trouve dans
les décrets que Dieu fait librement, le principal étant de
vouloir faire le meilleur.
Clôturons ce point avec un beau passage de Jalabert
résumant parfaitement tout ce que l'on vient de dire:
<<Le relatif ne peut être et agir qu'en fonction
de l'absolu. Les essences relatives ne peuvent prétendre a exister que
relativement a la sagesse divine, en tant qu'elles sont présentes a son
entendement; elles ne peuvent triompher dans le conflit des possibles qu'en
rapport avec la bonté divine et par un acte décisoire de sa
volonté. (...). Le possible logique ne devient un
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.106 2E. Boutroux, La philosophie allemande au XVIIe
siècle, Paris, Vrin, 1948, P.156
existant possible, que parce que Dieu le concoit comme
possible; sa tendance a exister n'est que la volonté
antécédente du Créateur, qui se porte a tout bien; tandis
que sa réalisation est la volonté conséquente, qui est
créatrice par elle-méme. >>1
La difficulté que nous venons d'examiner nous
éclaire sur les deux voies que nous avons recensé et nous pouvons
désormais apporter quelques détails supplémentaires, dans
un premier temps sur la voie logique qui correspond au premier temps de la
création, là oü s'exerce la volonté
antécédente de Dieu et le jeu des maxima et des minima. Lorsqu'il
appel les possibles dans son entendement, Dieu est guidé par un principe
de détermination: pour chaque possible examiné, est prise en
compte la dépense faite au cas oü il serait incorporé au
meilleur système possible ainsi que son rendement, c'est-à-dire
la richesse dont il pourrait être la source. Leibniz écrit dans le
<<De rerum originatione radicali>>:
<<Il y a toujours, dans les choses, un principe de
détermination, qu'il faut tirer de la considération d'un maximum
et d'un minimum, a savoir que le maximum d'effet soit fourni avec un minimum de
dépense.>>
Si pour tous possibles examinés, ne sont retenus que
ceux qui sont producteur du maximum de richesses et de variétés
et qui ne nécessitent pas de dépenses excessives, on voit bien
comment Dieu, a partir de peu, fait se réaliser le maximum d'essence ou
de possibilité. De manière générale, le temps, le
lieu et la matière sont les données avec lesquelles Dieu compose,
Leibniz parle de <<réceptivité ou capacité du monde
>>, il s'agit de créer le maximum de réalité compte
tenu des cadres que sont l'espace et le temps et la matière que
représentent les essences. Dans ce contenant doit se loger la plus
grande somme d'objets possibles et il en est du monde <<comme dans
certains jeux oü il s'agit de remplir tous les espaces vides d'une table
selon certaines règles. Si vous ne procédez pas avec une certaine
adresse, vous finissez par vous trouver arrété devant des espaces
inégaux aux jetons et vous serez forcé de laisser plus de vides
que vous n'aviez le droit ou le désir d'en laisser. >>2
Par conséquent, on comprend pourquoi Dieu choisira davantage de donner
au monde une forme sphérique puisqu'elle représente la forme
oü il y a le moins de place perdue.
Au sein de la sphère se trouve donc un <<terrain
>>, composé du lieu et du temps : il s'y exerce une
stratégie, tout se passe comme si Dieu faisait une topographie du monde,
le lieu donne le
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.106 2Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis,
Paris, Vrin 1962, P.85
cadre oü il est possible de réaliser certaines
choses, car chaque lieu peut recevoir telles ou telles choses mais pas
n'importe lesquelles. Dieu est donc tenu de respecter le terrain sur lequel il
compose le meilleur et relativement au temps, deuxième composante du
terrain, il faut savoir qu'il y a un moment propice pour laisser éclore
les choses, Dieu ne peut créer la chute d'Adam et l'incarnation de
Jésus-Christ en un seul et méme temps (le temps étant ici
compris comme étant le temps des créatures intelligentes) ou le
second antérieurement au premier sans faire des choses contradictoires.
De méme, on peut déduire de cela que Dieu ne saurait créer
le monde complètement << réalisé >>,
c'est-à-dire déjà tout parfait, au contraire, si Dieu ne
peut créer tout tout de suite puisque le monde, étant
donné sa particularité, l'en empéche (en effet, le monde
limite l'action de Dieu en ce qu'il possède une capacité de
réception limitée, Dieu ne peut donc pas porter le monde
directement a l'infini c'est-à-dire a sa complète
réalisation), on doit concevoir que la notion de
<<progression>> n'est pas contradictoire lorsque l'on parle de
l'Wuvre de Dieu.
Pour remplir ce monde, il faut donc qu'il soit composé
d'une multitude de formes dont la variété doit être telle
que l'on puisse remplir n'importe quels espaces afin d'éviter les vides,
cet art nécessite par conséquent une méthode et une
intelligence ordonnatrice supreme puisque son objet est un infini et qu'il
s'agit par-dessus tout de produire le plus d'effets possibles en empruntant le
moins de voies possibles et les plus simples. Selon cette méthode de
rendement maximal orchestrée par Dieu oü il est question d'examen
des possibles suivant leur convenance avec la capacité du monde,
d'exigence de variété et d'ordre (l'une ne va pas sans l'autre
car <<Une variété sans ordre est un état
d'extrême confusion. Un ordre sans variété est parfaitement
statique et finit par s'identifier a la mort >>1) et selon le
mécanisme des essences parvenant a l'existence suivant qu'elles
possèdent plus de perfection, on comprend comment la série des
choses possédant le maximum de réalité parvient a
l'existence.
Cependant, comme le dit F. Fédier, lorsqu'il s'agit,
comme nous venons de le faire, d'examiner le rendement qui s'opère dans
le mécanisme métaphysique afin de montrer que le meilleur des
mondes possibles parvient comme cela a l'effectivité, il faut mettre au
second plan la considération du bonheur des créatures.
Méme si l'effet du meilleur des plans possibles sur les créatures
est le plus de bonheur et de bonté possibles, la considération
isolée du mécanisme sans qu'il ne soit fait état du
dessein de Dieu de composer un monde oü il se
1 F. Fédier, Leibniz: deux cours: Principes de la nature
et de la grace fondes en raison, Monadologie, Paris, Lettrage, 2002
réalise aussi le bonheur le plus haut conduit a penser
que la perfection de l'univers est uniquement d'ordre logique et
mathématique, par conséquent dénuée de
caractère moral. C'est ici une objection de taille et non sans liens
avec la dernière exposée (Dieu ne semble pas jouer un grand role
dans le passage a l'acte des essences étant donné que la seule
prétention des essences a l'existence semble pouvoir suffire a
l'expliquer) et qui est soulignée par Couturat. En effet, celui-ci fait
de la Théodicée de Leibniz une <<Logodicée >>,
un système oü la bonté de Dieu ne transparaIt pas, un
système froid oü tout se déduit de principes logiques, par
conséquent, un système oü les créatures rationnelles,
leur bonheur, ne sont pas pris en compte. Selon Couturat, la perfection de
l'Wuvre de Dieu est mathématique parce que la perfection s'identifie a
la quantité de réalité positive et elle est logique parce
que Dieu crée un monde qui réalise le maximum d'effets a partir
d'un minimum de principes. De ce point de vue on a vite fait de se
représenter la création du meilleur des mondes possibles comme un
problème de mathématiques ou comme un processus mécanique
sans vie et sans dessein particulier, orchestré uniquement pour amener
le maximum de perfection a l'être, sans considérations pour les
êtres vivants. Certes l'ordre qui se compose dans l'entendement de Dieu
selon le principe d'économie qui est une balance entre la fin et les
moyens est digne de louange puisqu'il manifeste la perfection de son auteur et
sa sagesse, mais c'est là le problème, il semble ne manifester
que cela alors qu'on s'attendrait a ce qu'il laisse transparaItre la
bonté de Dieu, elle qui est notamment orientée vers les
créatures.
Certains textes de Leibniz nous invitent a abonder dans le
sens de l'objection de Couturat, notamment le §5 du Discours de
métaphysique oü Leibniz utilise cinq images pour exprimer la
sagesse de Dieu et l'ordre du monde qui en découle, examinons ces images
et tâchons d'en retranscrire la signification:
La première image est celle d'un excellent
géomètre, Dieu est ici celui qui détermine le monde selon
le principe de rendement tiré de la considération du maximum et
du minimum; de là Dieu choisit une solution maximale.
La seconde image est celle d'un bon architecte, Dieu
établit ici le meilleur rendement possible entre les données et
leur utilisation (le terrain) et les multiples formes que l'édifice peut
revêtir.
La troisième image est celle d'un bon père de
famille, ici on s'attendrait a une comparaison avec Dieu pour montrer l'amour
du père et l'action préservatrice qu'il exerce sur sa famille
mais au lieu de ça Dieu est comparé a un père qui est
capable de gérer les biens de la maison sans faire de gâchis, donc
a un bon économe.
La quatrième image compare Dieu a un habile machiniste
capable d'agencer des moyens efficaces pour une fin déterminée,
Dieu est ici créateur d'une machine automatisée.
La cinquième et dernière image compare Dieu a un
savant auteur, par conséquent Dieu et celui qui est capable de faire un
minimum de décret faisant sens mais s'appliquant a quantité de
choses, son << discours >> est ordonné, dans ses
décrets s'expriment un maximum de pensée alors que ceux-ci sont
en petit nombre.
On voit clairement que ces images n'expriment pas du tout la
bonté de Dieu ni méme le rapport de Dieu avec ses
créatures, tout est question de rendement maximal dans la production du
meilleur monde possible, mais les créatures qui y vivent ne sont pas
prises en compte, ce qui conforte la pensée de Couturat. Cependant,
Leibniz dit lui-même que ces comparaisons ne doivent pas être
prises au pied de la lettre et il y a nombre de textes qui viennent
contrecarrer l'objection de Couturat et qui affirment au contraire que le bien,
le bonheur des créatures est également pris en compte dans la
création.
C'est dans le <<De rerum originatione radicali>>
que Leibniz affirme la perfection morale du monde en plus de sa perfection
métaphysique. Nous l'avons dit plus haut, c'est l'examen isolé de
la première voie qui conduit a de telles erreurs de pensée, dans
ses textes Leibniz met souvent en évidence le côté logique
et mathématique de la création et le côté moral en
aparté mais dans cette opuscule il établit comme il se doit sa
pensée en affirmant qu'il ne faut pas confondre la perfection morale ou
bonté avec la perfection métaphysique ou grandeur, il
écrit >
<<(...) il faut prendre garde a cette conséquence
de ce qui a été dit [il a été dit que le meilleur
des mondes découlait de la prétention des essences a l'existence
suivant leur degré de perfection, c'est la voie métaphysique], a
savoir que le monde n'est pas seulement le plus parfait physiquement ou bien,
si l'on préfère, métaphysiquement, parce qu'il contient la
série des choses qui présente le maximum de réalité
en acte, mais qu'il est encore le plus parfait possible moralement, parce que
la perfection morale est en effet, pour les esprits eux-mémes, une
perfection physique. D'oü il suit que le monde est non seulement une
machine [on retrouve le côté mécanique] très
admirable, mais encore qu'il est, en tant que composé d'esprits, la
meilleure des républiques, celle qui leur dispense le plus de bonheur ou
de joie possible, la perfection physique des esprits consistant en cette
félicité. >>1
1 Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis, Paris, Vrin 1962,
P.89
A la lumière de ce passage nous pouvons dire que le
système de Leibniz est loin de ressembler a une Logodicée, il ne
s'agit donc pas seulement d'une doctrine logique ou mathématique,
quantitative et donc sans aucun caractère qualitatif et moral; au
contraire, même si le monde est parfait métaphysiquement parce
qu'il est celui qui actualise le plus de réalité, il est aussi
celui qui est parfait moralement car il est l'Etat, la République la
plus parfaite possible oü les esprits, créatures rationnelles
susceptibles de bonheur, de plaisir mais aussi des contraires, ont, sinon la
place centrale dans la création, du moins une grande importance aux yeux
de Dieu. En effet, comme nous l'avons déjà dit, Dieu ne peut
créer un monde oü les esprits seraient sacrifiés pour la
perfection métaphysique de l'univers, ils sont au contraire ceux qui
sont le plus a même de rendre hommage a l' uvre de Dieu, par
conséquent Dieu ne peut que les <<favoriser >>, d'autant
plus que de son acte créateur il est censé en retirer de la
gloire: un monde dans lequel le bien des créatures est mis aux
oubliettes risquerait d'être un monde placé sous le signe de
l'échec divin, car comment Dieu retirait-il de la gloire de son uvre si
les seules créatures vraiment capables de lui rendre ce dü ont
été négligées lors de la détermination du
meilleur des mondes possibles? Il faudrait nécessairement conclure a
l'échec de l'entreprise divine, ce qui ne peut manifestement pas
être le cas, Dieu se devant de créer le meilleur, non seulement au
sens oü c'est le maximum de réalité qui est actualisé
en fonction du cadre particulier que représente l'univers mais
également au sens oü la création est aussi un optimum pour
les créatures.
Il faut même dire que la perfection métaphysique
n'est pas uniquement de l'ordre de la quantité car le maximum n'est pas
seulement grandeur, il est aussi qualité. Même si il est vrai que
la perfection du monde possède un aspect mathématique car il y a
de l'infini partout, il faut être conscient qu'à côté
de la quantité il y a aussi la qualité et que l'infini n'est pas
de l'ordre de la quantité, comme nous l'avons déjà dit,
mais bien de la qualité : Dieu est infini et pourtant il est un. Le
nombre infini est contradictoire si bien qu'il n'est plus possible de soutenir
que la perfection est d'essence quantitative.
Le §5 du Discours de métaphysique est très
important pour la présente difficulté puisqu'il nous montre que
le sort des esprits et déjà présent a l'esprit de Dieu
lorsqu'il cherche a amener a l'existence le maximum de réalité
suivant les considérations que nous avons abordé
précédemment:
<<Or les plus parfaits de tous les êtres [Leibniz
expose que la simplicité des voies est en balance avec la richesse des
effets lors de la détermination du maximum], et qui occupent le moins de
volume, c'est-à-dire qui s'empêchent le moins, ce sont les
esprits, dont les
perfections sont les vertus. C'est pourquoi il ne faut point
douter que la félicité des esprits ne soit le principal but de
Dieu, et qu'il ne la mette en exécution autant que l'harmonie
générale le permet.>>
Par conséquent, déjà dans le
mécanisme métaphysique qui nous apparaissait tout a l'heure avec
les cinq images comme étant dénué de
références au bien des créatures, s'exerce ce que l'on
peut appeler une providence divine a l'égard des créatures
intelligentes. Les créatures sont elles-mémes l'objet du calcul
divin, de la mathématique divine oü s'opère la
détermination du maximum mais cela n'empêche pas que Dieu ait a
l'esprit le dessein de rendre le monde propice au développement du bien
des créatures autant que l'harmonie universelle le lui permet, car Dieu
ne saurait faire d'entorse au meilleur des systèmes pour le bien des
créatures. Ce §5 du Discours de métaphysique nous montre
donc que la simplicité des voies, qui a lieu a l'égard des
moyens, s'exerce également pour les créatures intelligentes, nous
pouvons d'ailleurs préciser que selon Leibniz cette simplicité se
manifeste, dans son rapport aux créatures, par l'hypothèse de
l'harmonie préétablie. Leibniz la confronte a la théorie
de Descartes qui explique l'influence de l'âme sur le corps comme un
vécu que nous expérimentons au quotidien (via l'existence d'une
glande faisant la jonction entre l'âme et le corps) mais qui au final
demeure inexplicable (pour Descartes) et celle de Malebranche pour qui
l'âme ne peut agir sur le corps ni sur d'autres âmes et le corps
agir sur l'âme non plus que sur d'autres corps; il fait donc appel a Dieu
(cause efficiente) pour expliquer la communication des substances et fait des
créatures des causes occasionnelles: a l'occasion des modifications du
corps ou de l'âme, c'est Dieu qui produit (miraculeusement selon Leibniz)
dans l'âme ou dans le corps les modifications correspondantes. Avec
l'harmonie préétablie de Leibniz, les créatures ne sont
plus rattachées qu'à Dieu, il n'y a plus d'influences entre les
esprits ni de manière générale entre les substances qui
soient de l'ordre d'une causalité externe (le mécanisme de
l'action et de la passion est interne et est lié a la théorie de
la perception chez les substances), les rapports entre substances sont donc
grandement simplifiés, la simplicité se trouvant également
dans le fait qu'il n'existe qu'un seul lien, celui qui va de chaque substance a
Dieu. Le §5 nous montre également que la variété, la
richesse qui a lieu a l'égard des effets ou fins s'exercent aussi pour
les créatures intelligentes. En effet, les esprits eux-mémes
participent a la multiplication des effets de par leur nature de miroirs se
représentant l'univers et Dieu luiméme. Leibniz écrit:
<<De plus toute substance est comme un monde entier et
comme un miroir de Dieu ou bien de tout l'univers, qu'elle exprime chacune a sa
facon, a peu près comme une méme ville est diversement
représentée selon les différentes situations de celui qui
la regarde. Ainsi l'univers est en quelque facon multiplié autant de
fois qu'il y a de substances, et la gloire de Dieu est redoublée de
méme par autant de représentations toutes différentes de
son ouvrage. >>1
Et: <<(...) toutes les âmes étant
essentiellement des représentations ou miroirs vivants de l'univers
suivant la portée et le point de vue de chacune, et par
conséquent aussi durables que le monde lui-même. C'est comme si
Dieu avait varié l'univers autant de fois qu'il y a d'âmes, ou
comme si il avait créé autant d'univers en raccourci convenants
dans le fond, et diversifiés par les apparences. Il n'y a rien de si
riche que cette uniforme simplicité accompagnée d'un ordre
parfait. >>2
Cette théorie de l'expression permet a Leibniz de
démultiplier a l'infini la représentation de l'univers puisque
chaque substance est un centre de perspective sur l'univers ou comme un monde
en concentré et exprime, méme si c'est de manière confuse,
tout ce qui se passe dans l'univers, passé, présent et futur. De
plus, comme les substances s'entr'expriment, on peut dire que dans chaque
représentation se trouve compris l'ensemble des autres substances et ce
dans chaque substance, ce qui s'apparente a un jeux de miroirs se
reflétant les uns les autres démultipliant ainsi l'univers et la
représentation de sa perfection. Il est méme possible d'affirmer,
pour aller contre l'objection formulée par Couturat, qu'en créant
le plus parfait, Dieu favorise déjà les esprits et leur bonheur
puisque ceux-ci éprouvent d'autant plus de plaisirs qu'il contemple la
perfection du monde. En créant la série infinie des substances et
plus particulièrement les esprits, Dieu réalise donc un
merveilleux moyen de production de richesses, de variétés, en un
mot, de perfection mais fait également preuve d'économie
puisqu'il fait se refléter la diversité des substances dans
chacune des substances créées et simplifie les rapports entre
substances avec l'harmonie préétablie, qui, rappelons-le est une
doctrine inventée par Leibniz d'après laquelle il n'y a pas
d'action directe entre les substances créées mais uniquement un
développement parallèle qui assure l'existence d'un rapport
mutuel réglé d'avance par Dieu.
1 Leibniz, Discours de métaphysique, §9
2 Leibniz, <<Lettre a la reine Sophie-Charlotte du 8 mai
1704 >>, in Principes de la nature et de la grace, monadologie et autres
textes, Paris, GF, 1996
Leibniz écrit: <<Or cette liaison [il parle de
l'harmonie préétablie] ou cet accommodement de toutes les choses
créées a chacune et de chacune a toutes les autres, fait que
chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et
qu'elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de
l'univers.
Et, comme une méme ville regardée de
différents côtés parait tout autre, et est comme
multipliée perspectivement; il arrive de méme, que par la
multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de
différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d'un seul
selon les différents points de vue de chaque Monade.
Et c'est le moyen d'obtenir autant de variété
qu'il est possible, mais avec le plus grand ordre, qui se puisse,
c'est-à-dire, c'est le moyen d'obtenir autant de perfection qu'il se
peut. >>1
Si au niveau mathématique (de la science), la
perfection consiste dans l'homogénéité, la
simplicité, l'unité, au niveau de l'être, la perfection
consiste dans la richesse, la fécondité, l'activité et
c'est encore de Descartes que Leibniz se distingue ici, car méme si
celui-ci admet, en bon mathématicien, la réduction logique du
divers a l'homogène, il ne méprise pas pour autant, comme
Descartes peut le faire, le divers (en effet, pour Descartes le divers n'est
qu'une apparence au sein de laquelle il faut trouver
l'homogénéité, il réduit d'ailleurs tout le domaine
de l'étant a de l'étendue ou a de la pensée). En
métaphysicien, Leibniz effectue l'inverse d'une réduction, il
souhaite montrer que dans le domaine de la vie, l'homogène doit
engendrer le multiple, la variété en accord avec la loi de
l'harmonie universelle.
Reprenons l'étude de l'objection, Grua écrit:
<<Graduée, la perfection comporte donc une mesure
métaphysique, science capitale car elle détermine l'existence du
meilleur, du plus harmonique et beau, du plus parfait ou du plus possible
d'essence. >>2
Il y a donc bien ici, comme l'a souligné Couturat, un
maximum, une volonté de chercher << le terme supreme de chaque
genre>> mais a la lumière des textes leibniziens, nous sommes en
mesure d'affirmer que déjà dans ce mécanisme est
présente la considération du bien des créatures car le
maximum est aussi recherché en matière de bonheur pour les
esprits et les esprits eux-mémes font partis du calcul qu'opère
Dieu a l'origine de la création.
1 Leibniz, Monadologie, Paris, Delagrave, 1963, §56, 57 et
58
2 Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.338
Leibniz écrit : <<Il suit de la perfection
suprême de Dieu qu'en produisant l'univers il a choisi le meilleur plan
possible oü il y ait la plus grande variété, avec le plus
grand ordre, le terrain, le lieu, le temps les mieux ménagés : le
plus d'effet produit par les voies les plus simples ; le plus de puissance, le
plus de connaissance, le plus de bonheur et de bonté dans les
créatures que l'univers en pouvait admettre. Car tous les possibles
prétendant a l'existence dans l'entendement de Dieu a proportion de
leurs perfections, le résultat de toutes ces prétentions doit
être le monde actuel le plus parfait qui soit possible. Et sans cela il
ne serait pas possible de rendre raison pourquoi les choses sont allées
plutôt ainsi qu'autrement. >>1
Dans ce texte, on voir clairement que Leibniz fait
référence au principe de détermination du maximum et que
le bonheur et la bonté des créatures y sont compris. Pourquoi
donc l'objection de Couturat a-t-elle été formulée?
D'oü vient l'erreur de ce reproche? Pour Jalabert, l'objection
résulte d'une mauvaise compréhension de la bonté divine.
En effet, celle-ci ne doit pas être prise dans un sens anthropomorphique,
la bonté de l'homme consiste a aimer son prochain mais dans la
tradition, la bonté de Dieu consiste dans l'amour que Dieu porte a ses
perfections (Leibniz est d'accord avec cela). Bien entendu, personne n'oserait
nier l'amour que porte Dieu a ses créatures car il dérive, comme
on l'a vu de l'amour de soi, Dieu aime ses créatures parce qu'elles sont
faites a son image. Le problème est que dans l'objection que Couturat
formule, le jugement porté sur la création résulte d'un
point de vue humain, l'homme ayant tendance a se représenter un Dieu
pardonnant, rendant la faute impossible alors que Leibniz, lui, lorsqu'il porte
un jugement sur la création, le fait en se placant au sein de l'essence
divine et ne concoit pas le bien uniquement dans son rapport avec les
créatures intelligentes mais dans son rapport avec l'univers tout
entier. Même si Dieu possède une volonté de gloire qui
enveloppe une volonté de bienveillance, elle ne s'y ramène pas,
si bien que Dieu ne sacrifiera pas tout a l'intérêt des
créatures raisonnables. Dieu a le souci de chaque être mais
également de l'ensemble de la création et il concilie les deux en
créant le meilleur. Cependant la commodité du monde (et par suite
l'optimum) n'apparaIt pas a tous car le plan divin, pourtant le meilleur, n'est
pas avantageux pour tous, d'oü l'existence de jugements négatifs,
partiels et fondés sur un anthropomorphisme et un égocentrisme
démesurés. Heureusement, la philosophie de Leibniz invite les
créatures intelligentes a dépasser leur point de vue,
c'est-à-dire, non pas a détourner les yeux du mal qui se trouve
dans la création mais a le regarder comme un composante
nécessaire, permise
1 Leibniz, Principes de la nature et de la grácefondes en
raison, Paris, GF, 1996, § 10
puisqu'elle fait parti du meilleur que Dieu a
créé et a s'élever a celui de Dieu d'oü l'harmonie
universelle peut être contemplée et l'insertion de
l'humanité dans le dessein de Dieu comprise.
A ce sujet Leibniz écrit, nous montrant par là
le double point de vue, celui de l'homme égocentrique,
étriqué et celui de l'homme savant, a priori : <<Mais
dira-t-on, c'est le contraire que nous constatons dans le monde [point de vue a
posteriori] : c'est pour les meilleurs, bien souvent, que les choses vont le
plus mal, ce ne sont pas seulement des bétes innocentes, mais encore des
hommes innocents qui sont accablés de maux, tués parfois
méme avec une extreme cruauté, si bien que le monde, surtout si
l'on considère le gouvernement humain, ressemble plutôt a un chaos
qu'à l'Wuvre bien ordonnée d'une sagesse supreme. Que telle soit
la première apparence, je l'accorde. Mais dès qu'on examine les
choses de plus près [point de vue a priori], l'opinion contraire
s'impose. Il est a priori certain, par les arguments mémes qui ont
été exposés, que toutes choses et a plus forte raison les
esprits recoivent la plus grande perfection possible. >>1
La deuxième source d'erreur qui amène a
s'imaginer que la perfection du monde n'est que métaphysique, nous
l'avons déjà dit, se trouve être que l'on pense en
général que la perfection du monde, sa bonté, et plus
particulièrement celle qui se trouve au sein de l'humanité,
doivent être jugées d'après un critère quantitatif
alors qu'il doivent l'être d'après un critère qualitatif.
En effet, mesurer la perfection ou encore le bien selon la quantité
revient a accepter l'idée selon laquelle le nombre est susceptible
d'infinité, ce qui est contradictoire.
Expliquons maintenant un peu plus en détail comment la
détermination de l'optimum intervient dans le processus de
création. La clé de la compréhension réside dans
l'harmonie des facultés de Dieu: entendement, puissance et sagesse, ses
trois attributs permettent de démontrer l'optimisme de Leibniz. En
effet, l'optimisme repose sur l'affirmation qu'en Dieu la puissance est
coéternelle a l'entendement et a la volonté ; il s'exerce
là encore un jeu entre ces facultés d'oü le meilleur ne peut
qu'advenir. Il faut donc examiner la manière dont les attributs divins
se concilient en Dieu méme. Comme nous l'avons dit
précédemment, il existe dans l'entendement de Dieu une
infinité de mondes possibles mais parmi tous ces mondes, un seul doit
parvenir a l'acte, Dieu doit donc choisir parmi la multiplicité des
mondes
1 Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis, << De rerum
originatione radicali >>, Paris, Vrin 1962, P.89
possibles. Cependant, comme il ne saurait le faire
arbitrairement, il doit exister une raison suffisante a son choix. Nous avons
explicité ce choix dans un premier temps par la théorie des
essences possédant une tendance a l'existence suivant leur degré
de perfection, Dieu ne pouvant vouloir que ce qui est le plus parfait possible.
Nous avons également parlé de la nature des essences en affirmant
que celles-ci étaient des êtres virtuels, incomplètement
réalisés, <<existant>> parce que l'entendement de
Dieu est réel mais sous une forme enveloppée, demandant cependant
a devenir pleinement sujet et substance. Nous les avons
caractérisées comme étant indépendantes entre elles
et s'affrontant idéalement dans l'entendement de Dieu pour l'existence
suivant une jeu de plus et de moins (de perfection) mais également comme
représentant des unités dont les <<parties>> sont
logiquement compatibles selon le principe de contradiction, ce qui signifie que
Dieu ne conçoit pas de choses contradictoires, chacune des essences
possédant une cohérence sans faille (en effet, dans la nature
interne d'un possible tout est lié, rien ne peut être
changé, c'est pourquoi un possible est ou bien admis a l'existence ou
bien rejeté entièrement, Dieu ne peut décomposer les
<<parties>> d'un possible pour les allier a d'autres). Elles nous
sont apparues comme étant également indépendantes de Dieu
lui-même car leur nature préexiste a l'action divine, en d'autres
termes, elles possèdent un mode d'être qu'elles ne tiennent pas de
Dieu mais qu'elles possèdent de toute éternité. Dans tout
cela, le role de Dieu nous est cependant apparu comme indispensable.
Malgré le côté mécanique du processus qui se joue a
l'origine des temps, lorsque Dieu lance un appel aux possibles dans son
entendement, il ne faut pas concevoir ce processus comme quelque chose qui
s'amorce et se réalise tout seul. Certes, lorsque l'on dit que le role
de Dieu est de régler le passage des essences a l'existence, on tend a
penser au premier abord que Dieu est uniquement sollicité en tant que
puissance productrice et que le reste se fait sans son intervention, comme si
Dieu intervenait uniquement pour le passage a l'acte du meilleur des mondes
possibles. Cependant, il s'avère que ça ne peut être le cas
car il s'agit bien ici de régler le passage des essences a l'existence,
par conséquent, Dieu doit également intervenir en tant
qu'intelligence, procédant a la création du monde selon la
représentation d'une loi. Laisser le monde se réaliser selon la
seule exigence des essences reviendrait a accepter un monde chaotique et a
faire du processus de création un processus se faisant selon une
nécessité métaphysique ou absolue. A cela il est
préférable de substituer l'exigence d'un choix divin guidé
par la sagesse et la représentation du bien, par conséquent de
faire du processus de création un processus nécessaire (puisqu'en
vertu de la manifestation des ses attributs et de sa volonté de gloire,
Dieu ne peut pas ne pas créer), mais d'une nécessité
morale, compatible avec la liberté. Jalabert écrit:
<<Il ne faut pas séparer la volonté des
motifs, considérer les idées de l'entendement [les essences
tendant a l'existence] comme des forces indépendantes exercant leur
pression sur la volonté. (...). Plus la volonté est
éclairée, et plus l'action est libre. Il est facile d'en conclure
que la seule liberté parfaite est la liberté divine, car Dieu
seul choisit touj ours en parfaite connaissance de cause et par suite choisit
toujours le meilleur. >>1
Outre la comparaison de la liberté divine avec celle de
la créature imparfaite opérée dans ce passage, on peut
relever la nature de l'action divine ainsi que la liaison des facultés.
L'activité de Dieu résulte de la volonté divine
inclinée moralement au meilleur et éclairée par
l'entendement, c'est un déterminisme moral qui s'opère
<<par le moyen terme d'une volonté réfléchie>>
nous dit Jalabert, c'est-à-dire que l'action divine est
subordonnée a la représentation du bien fournie par
l'entendement, non de manière arbitraire mais en adéquation avec
la volonté de Dieu qui dans son essence est prédisposée a
suivre cette représentation sans qu'il y ait pour autant un
déterminisme absolu.
Or cette nécessité morale s'exprime a travers le
principe de raison, dans une des ses formulations particulières, a
savoir a travers le principe de la convenance qui implique l'intervention de la
volonté divine. En effet, si la puissance de Dieu peut réaliser
n'importe quel monde, la sagesse de Dieu l'incline sans la
nécessité, si ce n'est moralement, a réaliser le meilleur
monde possible. Il faut remarquer quelque chose de très important pour
la suite, c'est que, comme le dit Jalabert, la puissance de Dieu est
<<plus ample>> que son action volontaire, autrement dit la
puissance de Dieu va ad maximum et sa volonté, par
l'intermédiaire de la sagesse qui lui montre l'optimum
(c'est-à-dire le meilleur qui doit être créé) ad
optimum. C'est ici un point central puisqu'il signifie que le mondé
créé par Dieu n'est pas absolument parfait, et pour cause: au
final, lorsque la volonté, <<conséquente>> ou encore
<<décretoire >> comme l'appel Leibniz, fait passer a l'aide
de la puissance divine le meilleur des mondes a l'existence, Dieu ne
crée pas tout ce qu'il peut, autrement dit, Dieu <<aurait pu mieux
faire>> si il n'avait pas été nécessité
moralement a suivre la représentation de l'entendement. Ce que nous
venons de dire ne signifie en aucun cas que, prises en compte toutes les choses
auxquelles Dieu lui-même doit se plier, le monde ne soit pas le meilleur
des mondes possibles, au contraire, il l'est et ce précisément en
vertu de l'alliance des facultés de Dieu. Alors pourquoi avoir
affirmé cela? Expliquons nous.
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.149
Leibniz écrit: <<Et c'est ce qui est la cause de
l'existence du meilleur, que la sagesse fait connaItre a Dieu, que sa
bonté le fait choisir, et que sa puissance le fait produire.
>>1
Dans ce paragraphe se trouve la théorie de l'optimisme
de Leibniz sous la forme de l'affirmation de l'existence du meilleur: le monde
actuel est celui qui représente, comme nous l'avons dit, le plus riche
composé (il s'y trouve de la diversité dans les formes et dans
les êtres), celui oü le terrain a été le mieux
aménagé de sorte que Dieu a pu y mettre le plus grand nombre
possible d'éléments et oü il peut se réaliser le plus
merveilleux développement possible suivant une parfaite harmonie. Il est
également fait état dans ce texte de la
prépondérance de la sagesse divine. En effet, on y voit la
bonté déterminée par elle et ce infailliblement et la
puissance produire ce que la sagesse même de Dieu a proposé a la
volonté. Or, ce que propose la sagesse de Dieu ce n'est pas la
perfection absolue mais le <<meilleur >>, qu'est-ce donc qui
<<empêche>> la création d'un monde absolument parfait,
aussi bien pris dans sa totalité que particulièrement, lorsque
l'on observe ses parties? Premièrement (bien que cette raison soit
importante, elle n'est pas celle qui constitue a proprement parler notre
propos), le fait même que le monde créé se doit
d'être imparfait sinon il faudrait dire que Dieu aurait
créé son sosie, ce qui, en vertu du principe de l'identité
des indiscernables que Leibniz formule et qui stipule que deux êtres
réels diffèrent touj ours par des caractères
intrinsèques et non pas seulement de par leur position dans l'espace et
dans le temps (distinguables en soi donc), serait absurde car si Dieu
créait son double identique, il faudrait dire qu'ils ne font qu'un. Plus
particulièrement, ce qui empêche la création d'un monde
absolument parfait, c'est la limitation originelle des essences dans
l'entendement divin. En effet, l'imperfection fait aussi partie de la
<<nature>> de toutes les essences, on ne saurait les concevoir
comme parfaites sans en même temps en faire des petits dieux, ce qui est
contradictoire, car c'est par ce moyen même que l'on peut les distinguer
de Dieu. Dieu ne peut pas remédier a cette imperfection, il ne peut
composer et décomposer les essences pour en faconner de plus parfaites,
nous l'avons dit, elles doivent être prises telles qu'elles sont. La
création ne résout pas non plus le problème puisqu'elle ne
fait pas disparaItre la limitation originelle, bien plus elle la laisse
intacte. On peut même voir que cette imperfection originelle explique
beaucoup de choses dans le système leibnizien, notamment l'origine du
mal qui ne saurait être attribuée a Dieu car le mal étant
pour Leibniz une privation d'être, un
1 Leibniz, Monadologie, §55, Paris, Delagrave, 1998
manque, une imperfection et Dieu étant l'Etre qui
existe par excellence, possédant toutes les perfections au plus haut
degré, il ne peut en être le principe. Il faut davantage dire que
c'est la <<région des vérités
éternelles>> qui est la <<cause idéale >> ~ du
mal (comme du bien), idéale parce qu'il n'en a pas d'<<
efficiente>> car on ne peut causer ce qui a proprement parler n'existe
pas. Cette imperfection originelle est appelée <<mal
métaphysique>> par Leibniz et provoque le <<mal
physique>> ou souffrance ainsi que le <<mal moral>> ou
péché, le physique en tant que les créatures sont
susceptibles de peine dont la finalité peut être multiple (pour
corriger ou éviter un mal présent ou futur), moral en tant que le
péché résulte d'une disposition oü la créature
se ferme a l'action providentielle de Dieu, se met dans la haine des choses
mondaines et de Dieu. Une autre exigence avec laquelle Dieu est
<<contraint>> de composer se trouve dans l'idée de
<<compossibilité >>. L'entendement de Dieu se
représente le système le plus parfait compte tenu de
l'imperfection originelle des essences, de la considération de leur
quantité de perfection, mais également compte tenu du fait que
les essences ne peuvent pas toutes faire partie du même monde, non
seulement parce que cela viendrait a dire qu'un seule monde est possible (la
distinction essence-existence serait donc superflue), et nous sombrerions alors
dans un nécessitarisme a la Hobbes mais également parce que les
essences ne sont pas toutes compatibles entre elles. L'univers actuel n'est que
la collection d'un certains nombres de compossibles, les autres possibles
compossibles entre eux formant d'autres mondes possibles mais étant
restés a l'état de pures possibilités a cause de leur
incompossibilité avec l'essence du meilleur système. En effet, si
certaines essences étaient actualisées dans le même monde,
il y aurait des contradictions dans l'Wuvre de Dieu, ce qui est impossible, par
exemple, si Dieu faisait passer a l'acte un César franchissant le
Rubicon et un César ne le franchissant pas, la contradiction serait
manifeste, par conséquent, dans l'entendement de Dieu certaines essences
ne sont pas compatibles, si l'une advient, l'autre ne le peut, d'oü
l'importance du choix divin et de la règle qu'il suit lorsqu'il examine
ces possibles: a la fois la compossibilité entre essences mais aussi la
compossibilité avec l'harmonie universelle autrement dit avec l'essence
du meilleur des mondes qu'il se propose de créer en vertu de son infinie
bonté.
Lors de se processus, la sagesse de Dieu lui présente
donc ce qui doit être, il a ainsi accès a une connaissance
distincte de l'essence et du degré de perfection de tous les possibles
mais aussi et surtout accès a l'essence du meilleur des mondes et a la
manière dont il doit le composer suivant la matière dont il
dispose (les possibles) ; sa bonté choisit effectivement ce
1 Leibniz, Essais de Théodicée, §20
que lui propose l'entendement, car en tant qu'il est
souverainement bon, il veut le meilleur d'une nécessité morale,
c'est-à-dire qu'il suit le jugement de son entendement de manière
infaillible (il est en effet préférable d'être guidé
par une regle, ici le bien, la représentation du meilleur donnée
par l'entendement que d'agir a l'aveugle); sa puissance a en quelque sorte pour
role d'écarter ce qui empêcherait aux essences choisies de
développer ce qu'elles contiennent ou impliquent, c'est-à-dire de
réduire a l'impuissance les autres possibles qui ne sont pas
compossibles avec le plan divin et ce même si ils possèdent un
degré de perfection élevé. Il faut d'ailleurs
préciser que si l'entendement de Dieu ne lui avait pas montré
l'optimum, c'est-à-dire si il n'y avait pas eu de meilleur monde
possible, Dieu n'en aurait produit aucun puisqu'il n'y aurait eu aucune raison
pour qu'il le fasse. L'exigence suprême est la compossibilité avec
le dessein de Dieu, tout le processus qui se déroule
<<avant>> la création (priorité de nature) aussi bien
que le fonctionnement de la pensée divine et la coordination des
facultés se fait en fonction de etpour la réalisation de
l'optimum, le meilleur doit être. C'est ce qui fait dire a Boutroux que
la question du degré de perfection que présente le monde doit
être traitée avant tout a priori en partant de l'idée des
attributs de Dieu et en prenant soin de les prendre ensemble car les traiter
séparément provoque des erreurs. Par exemple, on ne peut
comprendre le <<sacrifice>> d'une créature si on ne regarde
que la bonté de Dieu, par contre, si on lie les attributs de Dieu, il
est possible d'expliquer ce <<sacrifice>> par la
considération de l'harmonie universelle en tant que dans l'entendement
divin, la créature demandait elle-même le sacrifice, en vertu de
son essence et compte tenu la marche de l'univers.
On peut donc voir que lors du processus visant a
déterminer le meilleur des mondes possibles, il s'exerce une sorte de
<<compromis >>. En effet, il est possible de distinguer deux phases
: la premiere correspond a la volonté de Dieu de créer tout le
bien et toute la perfection possible en vertu de sa suprême bonté;
la seconde est celle qui a proprement parler détermine l'optimum, elle
correspond au compromis qu'établit la sagesse compte tenu de l'exigence
de compossibilité et de la limitation originelle des essences, elle
correspond a une volonté <<conséquente>> qui se
détermine au meilleur et non a l'absolument parfait, Leibniz
écrit:
La BONTE de Dieu << l'a porté
antécédemment a créer et a produire tout bien possible ;
mais [que] sa SAGESSE en a fait le triage, et a été cause qu'il a
choisi le meilleur
conséquemment; et enfin [que] sa PUISSANCE lui a
donné le moyen d'exécuter actuellement le grand dessein qu'il a
formé. >>1
La sagesse de Dieu intervient donc au moyen de la puissance
divine pour borner le premier dessein de Dieu qui est de réaliser toute
espèce de bien possible, et ce en présentant a la volonté
le meilleur des systèmes possibles étant donné les
exigences auxquelles Dieu doit se plier. La volonté conséquente
de Dieu porte au décret global, elle porte sur l'ensemble du meilleur
des systèmes, sur la série des choses qui s'y trouve ainsi que
sur leurs rapports, elle est la volonté qui procède par
<<optimisation>> et qui résulte du concours de l'ensemble
des volontés antécédentes en conflit dans l'entendement
divin a la manière d'un combat entre des raisons pour amener telle chose
a l'existence de telle facon et non telle autre. Ces volontés finissent
cependant par se <<composer>> entre elles et donc par se modifier
mutuellement. Elles sont loin d'être <<vaines >> nous dit
Leibniz2 car elles possèdent un efficace, même si au
final, leur effet n'est pas <<plein>> puisque d'autres raisons,
supérieures ou tout simplement en conflit, viennent les limiter. De
cette compétition entre les volontés antécédentes
résulte la volonté conséquente <<de telle sorte que,
quand les effets de toutes ne peuvent coexister, il en soit obtenu le plus
grand effet qui puisse être obtenu par le moyen de la sagesse et de la
puissance. >>3
Précisons que la volonté
antécédente primitive porte sur le particulier mais qu'elle veut
universellement la même chose pour chaque être particulier (elle
veut par exemple le salut de toutes les créatures rationnelles), cette
première volonté (composée de multiples volontés)
ne fait pas de compromis, elle veut empêcher le mal et faire advenir
uniquement le bien, elle est a la fois proche des essences et en même
temps semble en être éloignée car elle ne prend pas encore
en compte leur limitation qui inclue nécessairement l'idée
d'imperfection et qui est la source du mal; Leibniz parle même d'une
troisième sorte de volonté, intermédiaire', la
<<moyenne>> qui est déjà plus proche de la
réalité des exigences auxquelles Dieu doit se plier
(compossibilité et imperfection des essences) et qui est proche de la
volonté qui porte au
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 116
2Leibniz , Causa Dei, §27
3lbidem, §26
' Dans un opuscule intitulé << Conversation sur
la liberté et le destin >>, Leibniz tient a clarifier une chose:
il n'y a pas de <<priorité de temps >> dans les
décrets de Dieu même si on peut parler de <<priorité
de nature >> lorsque l'on parle de volonté
antécédente, moyenne et conséquente. Cependant <<il
faut considérer que Dieu ne forme aucun décret sans avoir en vue
toutes les causes et toutes les suites dans tout l'univers, a cause de la
connexion de toutes choses. De sorte que le meilleur serait de dire que Dieu ne
forme qu'un seul décret, qui est celui de choisir cet univers parmi tous
les autres possibles, et dans ce décret tout est compris sans qu'on ait
besoin de chercher un ordre entre les décrets particuliers, comme s'il y
en avait d'indépendants les uns des autres.>>
décret; elle commence a combiner bien et mal mais de
manière particulière, sans avoir égard a l'ensemble des
biens et des maux et compose avec ce que la sagesse de Dieu montre, c'esta-dire
le fait qu'il ne soit pas possible d'amener uniquement le bien a l'existence,
le mal étant une composante des essences étant donnée leur
limitation originelle. Leibniz écrit:
<<La volonté antécédente primitive
a pour objet chaque bien et chaque mal en soi, détaché de toute
combinaison, et tend a avancer le bien et a empêcher le mal : la
volonté moyenne va aux combinaisons, comme lorsqu'on attache un bien a
un mal; et alors la volonté aura quelque tendance pour cette combinaison
lorsque le bien y surpasse le mal; mais la volonté finale et
décisive résulte de la considération de tous les biens et
de tous les maux qui entrent dans notre délibération ; elle
résulte d'une combinaison totale. >>1
Ainsi, plus on descend vers la volonté
conséquente et plus Dieu respecte ce que son entendement lui montre.
Cependant, on voit clairement que dans ce processus c'est la bonté de
Dieu qui transparaIt, elle est celle qui inaugure le mécanisme, elle est
comme la cause de la création, car Dieu veut créer, il veut
répandre ses perfections, et dans son infinie bonté il irait
presque jusqu'à commettre une absurdité, créer un monde
infiniment et absolument parfait comme lui, il irait presque jusqu'à
s'épuiser dans cette création tellement il veut le bien de sa
créature, le Dieu de Leibniz est a l'image du père se sacrifiant
corps et âme pour son fils. Cependant, ne pouvant réaliser un
monde absolument parfait sans en même temps violer les lois de son
entendement et sans par conséquent se détruire lui-même, il
prend en considération la matière déjà
composée d'êtres <<vivants >>, lui demandant
l'existence et avec lesquels il se doit composer le monde ; car il n'est pas le
Dieu tyran, il n'est pas le Dieu froid de Descartes. Sa sagesse lui montre
qu'il peut réaliser le bien en composant le meilleur des
systèmes, certes imparfait, sans que sa bonté ne soit en rien
entamée, diminuée, il suit ce que lui recommande sa sagesse et sa
puissance réalise, en conformité avec sa volonté, un monde
dont la bonté, la beauté et la perfection sont optimales.
Il doit nécessairement en être ainsi car la
bonté de Dieu est infinie, on ne peut en concevoir de plus grande comme
on ne peut concevoir une sagesse et une puissance supérieures a celle de
Dieu. A ceux qui pensent que l'optimum est indigne de Dieu nous ne pouvons que
leur reprocher leur mauvaise compréhension de l'aséité
divine et de ses attributs: Dieu ne peut
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 119
faire que le meilleur sinon il faudrait concevoir une limitation
aux facultés divines. Leibniz écrit a ce sujet:
<<(...) Dieu fait le meilleur qui soit possible:
autrement ce serait borner l'exercice de sa bonté, ce qui serait borner
sa bonté elle-méme, si elle ne l'y portait pas, s'il manquait de
bonne volonté; ou bien ce serait borner sa sagesse et sa puissance, s'il
manquait de la connaissance nécessaire pour discerner le meilleur et
pour trouver les moyens de l'obtenir; ou s'il manquait des forces
nécessaires pour employer ces moyens. >>1
La volonté divine se détermine donc selon la
représentation du bien, il existe un lien indissociable entre la
bonté de Dieu et la création du meilleur. L'optimum sert ici de
motif a Dieu en méme temps qu'il explicite la structure de la
création. Mais cet optimum résulte d'un concours de Dieu avec les
essences, d'un concours de l'infini avec le fini, du parfait avec l'imparfait,
de ce concours il ne peut donc pas résulter le tout parfait. Expliquons
nous. Les perfections de Dieu s'exercent ensembles (elles sont compatibles en
tant que formes simples, distinctes les unes des autres, elles ne peuvent se
contredire) si bien que la volonté de créer le meilleur
intervient lorsque la puissance est déterminée par la
lumière de l'entendement, de plus on ne saurait concevoir que dans la
création de l'univers Dieu ne fasse pas le meilleur car ce serait borner
ses perfections dans leur exercice.
Cependant, il faut dire, face a l'objection suivante: si Dieu
avait réellement un amour infini pour le bien et une haine infinie pour
le vice, il n'y aurait pas du tout de vice dans le monde, que : <<quoique
chaque perfection de Dieu soit infinie en elle-méme, elle n'est
exercée qu'à proportion de l'objet, et comme la nature des choses
le porte (...). >>2 Comme nous l'avons dit, Dieu ne peut
remédier a l'imperfection originelle des essences, source du mal, c'est
donc bien en conformité avec la nature des essences et en fonction de ce
que lui commande son entendement moyennant la volonté de faire le
bien3 que Dieu réalise le meilleur possible. Mais l'optimum a
un prix: le mal métaphysique. Il est en effet un coüt
<<minimum>> nécessaire pour que le meilleur des mondes
parviennent a l'existence et comme l'être est supérieur au
non-être (c'est un postulat), il est préférable de
créer un monde présentant des imperfections que de ne rien
créer du tout. A partir de là suit le processus que nous avons
mis a jour suivant la limitation originelle des essences.
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 117
2Ibidem
3 Ibidem, § 327: <<Il n'y a que Dieu qui ait toujours
les volontés les plus désirables, et par conséquent il n'a
point besoin du pouvoir de les changer.>>
L'optimisme de Leibniz se manifeste dans cette deuxième
voie que nous nommions plus haut <<théologique
>>1 a travers l'idée selon laquelle la bonté de
Dieu (perfection de la volonté) est un attribut essentiel et est
déterminée moralement a se répandre; elle englobe
méme en un sens la première voie, la logique, puisque de tout
temps Dieu est guidé par la représentation du bien.
L'aboutissement du mécanisme qui s'exerce dans le processus de
création de l'univers se trouve être le plus parfait des mondes
possibles mais cette perfection est relative et non absolue puisque l'univers
ne possède pas la supreme perfection, seul fait de Dieu, il se
caractérise davantage par la plus grande perfection possible (pour lui),
notamment parce qu'en son sein le mal (en tant qu'il trouve son origine dans
l'imperfection des essences) est présent de manière
irrémédiable. Le mal métaphysique est donc
nécessaire, contrairement au mal physique et moral, il entre dans les
différents mondes possibles a titre de composant nécessaire
puisque, aussi bien pour le monde actuel que pour les autres mondes possibles
dans l'entendement divin, les essences restent finies, limitées. Leibniz
écrit:
<<On peut prendre le mal métaphysiquement,
physiquement et moralement. (...). Or, quoique le mal physique et le mal moral
ne soient point nécessaires, il suffit qu'en vertu des
vérités éternelles ils soient possibles. Et comme cette
région immense des vérités contient toutes les
possibilités, il faut qu'il y ait une infinité de mondes
possibles, que le mal entre dans plusieurs d'entre eux, et que méme le
meilleur de tous en renferme; c'est ce qui a déterminé Dieu a
permettre le mal. >>2
Le mal métaphysique est inévitable, il est la
privation d'un bien métaphysique, il est donc indissociable du bien
lui-même. Dans le concept méme de <<finitude>> qui
caractérise les essences sont comprises les notions d'imperfection, de
limitation et de privation. Par conséquent, ceux qui auraient
préféré que Dieu ne crée pas de créatures
imparfaites en créant le monde, auraient préféré en
fin de compte que Dieu ne crée pas du tout. La création de ce
monde n'est possible qu'à la condition de créer des
créatures imparfaites puisqu'elles sont déjà, dans leur
nature idéale, limitées. D'un point de vue logique, il faut
d'ailleurs que cela soit ainsi car si la créature n'était pas
imparfaite, si elle ne possédait pas quelques
1 Jalabert décrit de la sorte la voie
théologique in Le Dieu de Leibniz, P.204: <<La bonté est un
attribut essentiel de Dieu; en tant que telle, elle est nécessaire, et
consiste dans l'amour que Dieu porte a ses perfections. Mais cette bonté
divine est déterminée, quoique librement, a se répandre, a
créer. Dieu veut tout bien d'une volonté
antécédente; il veut le meilleur monde possible d'une
volonté conséquente ou décrétoire.>>
2 Leibniz, Essais de Théodicée, §21
imperfections de toute éternité,
c'est-à-dire avant même le péché, il faudrait dire
qu'elle est Dieu lui-même.
On peut donc voir déjà que Dieu n'est pas cause
du mal métaphysique (ce qui répond a une partie des objections
sur l'effectivité du mal dans le monde), ce sont les créatures
qui du fait de leur imperfection originelle sont par suite créées
déficientes (dans leur mode de connaissance, dans leur capacité a
voir le bien réel), il faut même dire que si l'origine du mal se
trouve dans cette limitation essentielle des possibles, il n'y a pas a
proprement parler de cause efficiente du mal, celui-ci a tout au plus une cause
idéale (comme le bien) qui se trouve être l'entendement de Dieu
car il est une privation totale d'être. Pour signifier que le mal n'a pas
de cause, que son non-être n'est pas causé, ce qui serait absurde,
la tradition scolastique a nommé la cause du mal comme étant une
cause deficiente.
Puisque la constitution des possibles est ainsi de toute
éternité, il faut dire que le mal est inséparable du bien
mais qu'il est aussi sa condition: inséparable parce que le mal est
coéternel au bien dans l'entendement divin et sa condition parce que la
volonté conséquente qui (ne) tend (qu') au meilleur, admet le mal
comme condition de la réalisation du bien qui se trouve dans le meilleur
des systèmes possibles. Il sera a propos de voir par la suite que
même dans la considération a posteriori du monde, le mal joue
aussi ce rôle de condition, il rend possible et détermine un plus
grand bien. Mais pour l'instant, il suffit pour notre propos de dire que le
mal, le désordre qui se trouvent impliqués dans le meilleur des
mondes possibles, n'entament en rien la perfection, aussi bien
métaphysique que morale, de l'Wuvre de Dieu. L'inégalité
au niveau de la répartition des biens et des maux dans le monde, comme
l'imperfection des créatures représentent une
nécessité que demande l'harmonie universelle. C'est en vertu de
ces imperfections que Dieu peut réaliser l'infinité des
degrés de l'être. Comme nous l'avons dit, la sagesse de Dieu
demande a ce que l'univers soit riche et varié, composé d'une
multiplicité de formes, or on voit clairement que si Dieu multipliait
uniquement le parfait, il n'en sortirait pas de la diversité mais de la
pauvreté: <<multiplier la même chose, si noble qu'elle
puisse être, est une pauvreté>> écrit Boutroux dans
son explication de la philosophie de Leibniz. On retrouve la même
exigence dans la création des créatures dont le degré de
distinction dans leur perception est inégal; là encore il s'agit
de diversité exigée par la sagesse de Dieu, cela permet aux
substances de se distinguer et en même temps de faire en sorte qu'il n'y
ait pas de lacunes entre les degrés de perfections mais plutôt
continuité de zéro a l'infini.
Au final, il faut dire que Dieu ne créant pas les
essences, il n'est pas responsable de leur déficience originelle, il
fait donc exister le mal, ou plutôt le permet, non pour lui-même
car il n'est pas l'objet d'une volonté particulière, mais parce
qu'il est compris dans le meilleur des plans que sa sagesse ne pouvait manquer
d'élaborer. Cette permission ne doit donc pas poser problème
comme si il était question de savoir si celle-ci est licite et digne de
Dieu, elle doit être prise comme une composante nécessaire et
comme quelque chose d'obligatoire, même, et surtout pour Dieu.
Il nous faut maintenant amorcer une descente en nous
intéressant aux créatures qui seront plus particulièrement
l'objet d'une troisième étude. Nous pouvons d'ors et
déjà affirmer que la création du monde est aussi un
optimum pour les créatures susceptibles de bonheur malgré le mal.
Grua cite Leibniz:
<<Dieu, s'il est ce qu'il ne peut manquer d'être,
a sans doute eu égard principalement a cette sorte de créatures
capables de le connaItre et de l'aimer, lorsqu'il a formé les autres, et
puisqu'il est lui-même un esprit, et que tout n'est fait que pour les
esprits, je suis assuré que les esprits ont été bien
coordonnés préférablement a toutes les autres choses,
qu'ils passent infiniment en noblesse, puisqu'ils expriment la perfection de
leur créateur d'une toute autre manière que le reste des
créatures incapables de cette élévation.
>>1
Ce texte nous révèle que les esprits
représentent un souci particulier pour Dieu mais nous en apprend
également un peu plus sur Dieu lui-même: Leibniz raisonne de
manière logique, si Dieu est ce qu'il est, il n'a pu que faire en sorte
de faconner le monde a la convenance des esprits. Pourquoi cela? Cela tient au
fait même que les esprits sont les seules créatures capables de
bonheur et de plaisirs et les seules a pouvoir rendre hommage a leur
créateur qui, comme on l'a dit, crée pour répandre sa
gloire et manifester ses perfections. Par conséquent, si seuls les
esprits sont capables de bonheur et seuls a pouvoir manifester la gloire de
Dieu, il est logique que Dieu se soit donné pour principal dessein de
contenter les esprits et ait fait en sorte que le monde soit pour le mieux pour
eux. Cela ne veut pas pour autant dire que Dieu sacrifierai tout le reste de la
création au seul bonheur des esprits puisque les autres créatures
sont également censées manifester la gloire de Dieu mais comme
elles sont dénuées de
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, chapitre 11
réflexion, elles servent plus qu'elles ne
témoignent de cette gloire et favorisent également le bonheur des
esprits. Grua écrit:
<<Créant pour sa gloire, Dieu a tout
constitué de la façon la plus parfaite par rapport aux
créatures raisonnables, pour que tout leur plaise d'autant plus qu'elles
entreront dans l'intimité des choses. >>1
Bonheur et connaissance sont ici rapprochées. La
Confessio philosophi nous le montre encore plus parfaitement lorsqu'elle nous
dit que les esprits sont les seuls a pouvoir être heureux car ils sont
les seuls être conscient de leur bonheur: nul n'est heureux sans savoir
qu'il l'est, or tout être conscient de son état est un esprit,
donc nul n'est heureux qui ne soit un esprit2 . Ce rapprochement est
d'autant plus sensible que le bonheur des esprits consiste a
<<éprouver l'harmonie >>, c'est-à-dire a percevoir la
tendance a l'unité qui se joue au sein méme de la
diversité, a percevoir la perfection du monde, sa richesse, son
unité en méme temps que sa diversité. De la méme
manière que l'harmonie dans la perception consiste a percevoir la
tendance a l'identité, l'harmonie de l'esprit se jouera dans la
pensée de l'harmonie concentrée dans l'esprit, autrement dit dans
la perception intuitive de l'harmonie universelle, par suite de Dieu. Le
bonheur est donc inséparable du plaisir que l'on a de contempler Dieu et
l'univers.
Ce qu'il nous faut ici retenir pour la suite, c'est que Dieu
voulant retirer de sa création de la gloire il a nécessairement
du, lors de la composition du meilleur de monde, accorder une attention toute
particulière aux esprits qui sont les seuls a pouvoir manifester sa
gloire. L'amour et la gloire de Dieu sont indissociables de la création
du meilleur des mondes, en général mais aussi pour les esprits.
Cependant, il ne faut pas tirer de conséquences hâtives, certes le
monde a été créé de facon a convenir aux esprits
mais cette convenance n'a pas été exclusivement mise en place
pour satisfaire les désirs égoIstes des esprits: si Dieu
privilégie les esprits, il ne peut le faire que relativement a ce que
demande l'harmonie universelle et non intervenir miraculeusement pour sauver un
esprit ou pour lui éviter un mal, Dieu est nécessité
moralement a respecter le cours harmonique de l'univers. C'est ce que Grua dit
lorsqu'il écrit :
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, chapitre 11 2Leibniz, Confessio
philosophi, Paris, Vrin, 1970, P.31
<<On peut dire que les esprits rendent gloire a Dieu par
leur bonheur même, et que Dieu a fait le monde en vue de sa plus grande
gloire, ou du plus grand bonheur des esprits, non absolu et universel, mais tel
qu'il est collectivement possible. Ainsi, tout en prenant la tête des
créatures, les esprits restent subordonnés a la gloire de Dieu.
Leur bonheur collectif lui équivaut. Sa distribution est limitée
par l'harmonie universelle qu'elle exige. >>1
Il faut donc se garder de deux choses : une gloire qui ne soit
recherchée par Dieu sans même une manifestation de sa bonté
(cette recherche serait vaine puisque les esprits ne reflèteraient pas
l'harmonie mais un Dieu tyran) ou encore une bonté que ne soit
définie que par rapport aux esprits et a leurs profits (ce serait
prendre la bonté de Dieu dans un sens anthropomorphique et penser que
Dieu pourrait sacrifier l'univers pour le bonheur d'un esprit).
Au terme du second moment de notre étude, nous pouvons
voir que l'optimisme de Leibniz est l'objet d'une démonstration, il est
considéré a priori et se construit a partir d'une
réflexion sur l'idée de Dieu. Afin d'établir pourquoi la
philosophie de Leibniz pouvait être dite << optimiste >>,
nous avons été contraint de passer par l'établissement de
l'essence de Dieu en explicitant notamment en quoi consistaient ses attributs.
Une telle méthode s'est en réalité
révélée être une description du mécanisme de
la pensée divine mais également une analyse de la relation entre
Dieu et les créatures possibles avant même la création de
l'univers. C'est en effet une chose très importante que cette
distinction que Leibniz opère entre les essences et les existences
puisque l'univers résulte du <<concours>> entre Dieu, en ce
qu'il se propose de créer le meilleur et les essences compte tenu de
leur nature (elles sont incréées dans l'entendement divin, se
révèlent ne pas être toutes compossibles lorsqu'il s'agit
pour Dieu de les assembler pour composer le meilleur des systèmes et
sont imparfaites). Ce mécanisme de la pensée de Dieu nous est
apparu comme procédant selon deux voies ou deux temps, non distincts
mais solidaires et interdépendants, deux temps qu'il est possible de
distinguer mais qui ne sont en réalité qu'un seul en Dieu. Un
premier temps, logique et mathématique oü entrait en
considération la détermination d'un <<maximum>> dans
l'optique de la création du meilleur des mondes, ce maximum ayant
égard a la perfection des essences et a leur
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.375
prétention a l'existence mais également au fait
méme que Dieu se propose de créer le plus riche composé,
possédant variété et ordre selon des voies dont la
simplicité ne diminue pas la richesse des effets ; un second moment,
moral ou théologique, oü la bonté de Dieu entrait en
considération dans la détermination cette fois-ci d'un
<<optimum>> correspondant réellement a ce que nous appelons
le <<meilleur >>. Cette bonté de Dieu est en effet la
clé du mécanisme métaphysique qui s'exerce a l'origine,
elle est cause dufiat de Dieu et méme avant cela, de la décision
de créer et de se communiquer. Nous avons affirmé que cette
bonté s'exercait sur l'univers tout entier: Dieu ayant égard au
tout et aux parties, rien n'est laissé pour compte car aucune partie ne
peut être jugée moins digne de la bonté de Dieu quelque
soit son degré de perfection. La bonté de Dieu s'exerce sur tout
mais en conformité avec ce que l'harmonie universelle réclame. Si
Dieu a égard a tout lors de la détermination du meilleur des
mondes possibles, le genre humain, une partie de l'univers qui rentre en compte
dans le dessein de Dieu doit donc aussi être l'objet d'un optimum,
autrement dit, l'optimum créé par Dieu doit pouvoir être
profitable aux créatures susceptibles de bonheur, celles qui sont a
méme de penser et d'éprouver l'Wuvre de Dieu. C'est ce que
Leibniz entend démontrer, et c'est ce que nous avons esquissé en
affirmant que la volonté qu'a Dieu de retirer de la gloire de son Wuvre
était indissociable de la création du meilleur et plus
particulièrement du meilleur pour les esprits et ce compte tenu du mal
métaphysique qui s'exerce déjà a l'origine dans
l'entendement divin au sein des essences. <<La gloire exclut le pouvoir
de faire mieux, car elle consiste a montrer la perfection divine, elle suppose
donc que Dieu agit de la facon la plus parfaite, choisit ce qui atteste le
mieux sa gloire. >> 1 Il ne peut en être autrement sinon Dieu
n'aurait pas créé l'univers. Face aux objections sur la
bonté de l'univers dans son rapport aux esprits, il faut se garder de
tomber dans un anthropomorphisme, comme si l'univers était uniquement
fait pour les esprits que nous sommes; il faut au contraire affirmer, contre
toutes objections et contre l'expérience méme qui recense une
multitude de maux, que Dieu nous aime et qu'il peut se faire aimer de nous en
retour suivant ce que demande l'harmonie universelle.
Mais qu'en est-il des créatures en tant que telle? Il
est vrai que jusqu'ici nous avons procédés de
démonstrations en démonstrations, c'est-à-dire totalement
a priori afin de révéler que l'optimisme de Leibniz se montrait
dans la doctrine de la création et dans le jeu méme des
facultés de Dieu suivant les exigences auxquelles Dieu était
confronté lors de la détermination du meilleur possible. Mais que
dire des créatures encrées dans ce meilleur des
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.311
mondes possibles ? Quelle est, ou plutôt quelle devrait
être leur disposition ? De l'optimisme comme théorie nous pouvons
passer a l'optimisme comme état d'esprit, comme disposition des esprits
et examiner comment la philosophie de Leibniz, dans ce que nous venons
d'établir, procure aux créatures intelligentes un contentement
que l'on peut nommer <<optimisme >>. Il sera également
intéressant d'examiner les conséquences d'une telle disposition
chez les esprits : quel regard sur le monde, que procure de manière
générale cet optimisme? Mais aussi les modalités
méme d'accès a cet optimisme, plus particulièrement dans
ce qu'il affirme: notre monde est le meilleur des mondes possibles, seront
aussi abordées : la raison suffit-elle pour accéder a ce que
l'optimisme en tant que théorie stipule ou bien serait-il finalement
question de foi?
* **
|
|