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Les obstacles à la bonne qualité de l'eau dans les rivières péri-urbaines. L'exemple du bassin versant de l'Azergues (Rhône)

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par Nicolas Talaska
Université Lumière Lyon 2 - Maîtirise de géographie 2007
  

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1.2 De la qualité de l'eau à celle des milieux aquatiques

L'évaluation de la qualité de l'eau a sensiblement évolué au cours des cinquante dernières années. Cette évolution peut être vue comme le résultat des transformations des représentations sociales de l'eau. D'une eau conçue uniquement en termes de ressource pour satisfaire aux usages anthropiques, on est passé à une eau conçue aussi comme milieu de vie des êtres vivants aquatiques.

Les avancées de la recherche scientifique et la mise au point de nouvelles techniques permettent sans cesse d'affiner l'évaluation des multiples caractéristiques de l'eau7(*). Toutefois, ces évolutions sont à replacer dans un contexte sociopolitique qui favorise leur émergence. La prise en compte de nouveaux indicateurs, pour évaluer la qualité de l'eau, résulte de l'évolution des représentations sociales de l'eau. Ch. Aspe distingue deux représentations de la nature (que l'on peut appliquer à l'eau) en fonction des attentes sociales qui lui sont liées. Cette analyse est valable pour les pays industrialisés8(*).

Depuis la révolution industrielle et jusque dans les années 1960, l'eau est considérée comme un outil de production au service de la croissance économique et démographique. L'eau est endiguée (pour se protéger des crues), canalisée (pour développer le transport fluvial), accumulée (pour la production hydroélectrique), éliminée là où elle est indésirable (drainages agricoles). Elle est en outre l'exutoire de nombreux rejets produits par les activités économiques et domestiques. L'eau est un élément au service de l'homme, on parle alors de « l'eau ressource ».

Parallèlement à cette exploitation de la ressource-eau, des mouvements sociaux, inscrits dans la mouvance écologiste internationale, contestent ce mode de rapport à la nature dès les années 1960. « L'eau n'est pas seulement une ressource potentielle pour servir les intérêts des êtres humains, elle est aussi milieu de vie, biotope, pour les poissons, et support d'activités humaines non extractives » (Aspe, 1999, 11). On parle alors de « l'eau milieu ».

Cette nouvelle représentation de l'eau fut institutionnalisée dans la première loi sur l'eau de 19649(*). Elle stipule dans son titre 1er qu'il convient de satisfaire, après les usages économiques et domestiques de l'eau, aux « exigences de la vie biologique du milieu récepteur et spécialement de la faune piscicole ainsi que des loisirs, des sports nautiques et de la protection des sites ». L'attention portée à la faune piscicole est fortement liée à l'importance de ce loisir dans la société française de l'époque. En 1964, près de 10 % de la population pratique la pêche de loisir10(*). Les pêcheurs représentent donc une catégorie sociale qu'il n'est pas possible d'ignorer. Or, les multiples pollutions de l'eau générées par l'industrie et les collectivités ont beaucoup contribué à la dégradation des populations piscicoles. Les mortalités de poissons ou leurs comportements anormaux sont décelés en premier lieu par les pêcheurs. Cette situation a entraîné de nombreux conflits opposant les pêcheurs aux industriels et aux collectivités11(*). Ces conflits avaient une dimension juridique puisque les pêcheurs ont souvent eu recours à un article de la législation sur la pêche qui réprime, en vue de la protection du poisson, tout déversement dans les eaux de substances susceptibles de nuire à sa vie, à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa qualité12(*).

Ces revendications, conjuguées à la forte volonté de la loi de 1964 de réduire les pollutions de l'eau13(*), vont aboutir à la création d'outils d'évaluation de la qualité de l'eau : préliminaire indispensable à la mise en oeuvre de politiques de gestion.

Pour satisfaire aux demandes des pêcheurs, la construction d'outils d'évaluation de la qualité de l'eau va prendre en compte les exigences de la vie du milieu aquatique. Des hydrobiologistes sont sollicités pour mettre au point ces outils. Ainsi le premier système d'évaluation de la qualité de l'eau est officialisé en 197114(*). Il intègre quelques indicateurs biologiques, mais surtout des indicateurs physico-chimiques explicitement liés à la vie du milieu aquatique. A titre d'exemple, la DCO et de la DBO15(*) permettent de quantifier l'impact des rejets dans le milieu aquatique en terme de quantité d'oxygène consommée pour la dégradation des polluants. Sous entendu, la quantité d'oxygène nécessaire pour la dégradation des polluants est autant d'oxygène en moins pour les êtres vivants du milieu aquatique. Il y a donc bien, derrière l'utilisation de ce type de paramètre, la volonté de quantifier les pollutions par rapport aux effets néfastes qu'elles peuvent avoir sur les organismes vivants du milieu aquatique. Qui plus est, sur des organismes à haute valeur sociale : les poissons des pêcheurs à la ligne.

La deuxième loi sur l'eau de 1992 va sensiblement faire évoluer l'évaluation de la qualité des milieux aquatiques pour deux raisons.

D'abord, elle accentue encore la prise en compte de l'eau-milieu. Dans son article premier, la loi stipule que « le développement de la ressource utilisable dans le respect des équilibres naturels est d'intérêt général ». La gestion de l'eau devra être « équilibrée » et dans la définition des équilibres à assurer, la loi place en premier « la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides »16(*). L'accentuation de la prise en compte du milieu s'inscrit dans la profusion réglementaire concernant la protection de la nature depuis 1964. Sans être exhaustif, on peut citer la création des Parcs Naturels Régionaux en 1967, du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres en 1975. La promulgation de la Loi relative à la protection de la nature en 1976 instaure les Réserves Naturelles et rend obligatoire la réalisation d'études d'impacts environnementaux pour les aménagements nouveaux. Les arrêtés de biotope créés en 1977 reprennent le principe des Réserves naturelles sur un mode moins contraignant, et la Loi sur la pêche de 1984 renforce la protection des ressources piscicoles. Enfin, il faut mentionner la création du Ministère de l'environnement en France en 1971. Au niveau européen, les directives Oiseaux Sauvages (1979) et Habitats (1992) s'inscrivent dans le réseau Natura 2000. La convention internationale de RAMSAR en 1971 vise la protection des zones humides. Cette forte prise en compte institutionnelle de la nature illustre la montée en puissance des préoccupations environnementales qui trouvent leur fondement dans la rupture avec la croissance économique que prônent les travaux du Club de Rome à la fin des années 1960. Ces travaux participeront à la formalisation de la désormais fameuse notion de « développement durable » apparue en 1987 dans le rapport Brundtland17(*)

Ensuite, la création des Schémas Directeurs d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) donne aux Comités de Bassins la responsabilité de définir des programmes de gestion de l'eau à l'échelle des grands bassins hydrographiques français (article 3 : « Un ou des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux fixent pour chaque bassin ou groupement de bassins les orientations fondamentales d'une gestion équilibrée de la ressource en eau »).

Dans ce contexte la « grille Multi-usages » apparaît peu adaptée à la compréhension des multiples dégradations qui affectent les cours d'eau18(*). Dès le début des années 1990 des recherches sont menées pour construire un nouvel outil d'évaluation de la qualité. Le Système d'Evaluation de la Qualité de l'eau (SEQ-Eau) est officialisé en 1999. Il remplace depuis cette date la grille Multi-usages. Ce nouveau système d'évaluation a les mêmes finalités que l'ancien (analyser la qualité physico-chimique de l'eau pour évaluer ses aptitudes d'usages et de fonctionnalités naturelles) mais il est plus précis. Alors que 28 paramètres étaient analysés dans la grille de 1971, 156 le sont dans le SEQ-Eau, dont les ¾ concernent des substances toxiques (pesticides et micropolluants organiques). En outre, le SEQ-Eau prend en compte cinq fonctionnalités ou usages de l'eau contre trois dans l'ancien système.

Mais l'approfondissement de l'évaluation de la qualité va bien au-delà des seuls paramètres physico-chimiques. Le SEQ-Eau n'est que le premier volet, actuellement le seul opérationnel, d'un trio de trois grands indicateurs que sont la physico-chimie (SEQ-Eau), la biologie (SEQ-Bio), et le fonctionnement physique (SEQ-Physique).

Cette évaluation de la qualité intègre ainsi le fonctionnement systémique des cours d'eau. La qualité de l'eau n'est plus seulement appréciée à partir des caractéristiques du fluide mais aussi à partir de la vie animale et végétale qu'elle contient, et du fonctionnement physique du cours d'eau. Le cours d'eau est considéré comme un hydrosystème19(*), et chacun des compartiments qui le composent sont en interaction. Ainsi la qualité biologique du cours d'eau est dépendante de la composition physico-chimique de l'eau mais aussi de la morphologie de son lit. La biologie devient par ailleurs l'indicateur privilégié de la qualité des cours d'eau puisque son état est lié à la qualité des autres compartiments de l'hydrosystème. La figure 1 schématise cette conception de la qualité de l'eau.

Figure 1. Les trois grands indicateurs de l'évaluation globale des cours d'eau du SEQ. (L'architecture du graphique est reprise des Agences de l'Eau, et les commentaires de BRUN, 2003). Nicolas Talaska, 2007. Université Lyon 2.

L'utilisation d'un indicateur phare pour évaluer la qualité de l'eau n'est donc pas étrangère à des revendications sociales reprises par la suite dans le champ politique. La montée en puissance des préoccupations environnementales depuis les années 1960 est portée par les classes moyennes aspirant à un meilleur cadre de vie, et par l'écologie scientifique (Aspe, 1991). Les nombreux programmes de recherches scientifiques, initiés dans le sillage des grands sommets internationaux à thématiques environnementales, ont permis de mieux connaître la diversité des milieux naturels et leur vulnérabilité face aux activités humaines. Les acteurs de `l'écologie citoyenne' reprennent à leur compte ces connaissances. Les associations de protection de la nature sont d'autant plus écoutées par les responsables politiques qu'elles répondent aux revendications sociales des classes moyennes. La forte médiatisation du « Pacte écologique » de Nicolas Hulot au début de la campagne présidentielle française de 2007 et la volonté politique de donner une certaine puissance au « Ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables » en attestent. « Cette dynamique permet d'expliquer l'institutionnalisation de la notion d'écosystème aquatique en France puis au niveau européen avec notamment la Directive Cadre sur l'Eau »20(*).

* 7 A titre d'exemple il suffit de se référer aux travaux de l'Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine (OTHU) qui cherche à opérationnaliser des techniques et des méthodes très pointues pour l'évaluation de la qualité des milieux aquatiques. OTHU, séminaire Zone Atelier Bassin Rhône, Lyon, janvier 2007, Les petites rivières périurbaines : connaissances des risques, évaluation de la qualité, aide à la décision.

* 8 ASPE (C.), POINT (P.), (Coord), 1999, L'eau en représentations : gestion des milieux aquatiques et représentations sociales, Gip Hydrosystèmes, Cemagref, 101 p.

* 9 Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution

* 10 LEYNAUD, 1987, « L'eau et le milieu naturel : gestion des milieux et ressources aquatiques » ; pp. 439-480 in : 40 ans de politique de l'eau en France, 1987, sous la direction de LORIFERNE, Economica, 521 p.

* 11 Voir sur ce sujet l'article de GRAMAGLIA (C.), 2007, « De la passion de la pêche à la dénonciation des pollutions. Mise en forme d'une revendication (1958-1978) », Responsabilités et environnement, annales des Mines, n° 46, pp. 53-59.

* 12 LEYNAUD, ibid.

* 13 L'article 3 de la loi précise que la réduction de la pollution des eaux sera une exigence réglementaire puisque « des décrets fixeront, d'une part, les spécifications techniques et les critères physiques, chimiques, biologiques et bactériologiques auxquels les cours d'eau [...] devront répondre, notamment pour les prises d'eau assurant l'alimentation des populations, et, d'autre part, le délai dans lequel la qualité de chaque milieu récepteur devra être améliorée pour satisfaire ou concilier les intérêts définis à l'article 1er ».

* 14 Il s'agit de la « grille Multi-usages ». Ce système consiste à évaluer la qualité des cours d'eau à partir d'une « grille qui associe, pour une série de paramètres principalement physico-chimiques, des valeurs seuils à 5 classes de qualité. Cette grille permet une évaluation sommaire de l'aptitude de l'eau aux principaux usagers anthropiques ». Source : http://www.eau-artois-picardie.fr

* 15 DCO : Demande Chimique en Oxygène ; quantité d'oxygène nécessaire à la transformation par voie chimique des matières organiques. DBO : Demande Biologique en Oxygène ; quantité d'oxygène consommée par l'effluent, principalement pour la biodégradation des matières organiques.

* 16 Loi no 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.

* 17 Une description synthétique des ces différentes législations est présentée dans l'ouvrage de VEYRET (Y.), 2004, Géo-environnement, Armand Colin, coll. Campus, 186 p.

* 18 « Il apparaît en effet essentiel de mieux prendre en compte la diversité des types de pollutions (micropolluants notamment), les atteintes à la structure et au fonctionnement physique, jusque là très largement ignorées, et mieux apprécier la qualité biologique des cours d'eau ». (Source : Agence de l'Eau RMC, 1999, Les outils d'évaluation de la qualité des cours d'eau (SEQ), Etudes des Agences de l'Eau, n°72, 12 p.)

* 19 Hydrosystème : « Système composé de l'eau et des milieux aquatiques associés dans un secteur géographique délimité, notamment un bassin versant. Le concept d'hydrosystème insiste sur la notion de système et sur son fonctionnement hydraulique et biologique qui peuvent être modifiés par les actions de l'homme. Un hydrosystème peut comprendre un écosystème ou plusieurs écosystèmes ». Glossaire National des SDAGE, O.I.E., 1995.

* 20 BOULEAU (G.), 2006, « Le débat sur la qualité de l'eau. Comment des données peuvent devenir des indicateurs ? », Ingénieries, n° 47, pp. 29-36.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon