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Faute et Châtiment. Essai sur le fondement du Droit pénal chez Friedrich Nietzsche

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par Rodrigue Ntungu Bamenga
Faculté de Philosophie saint Pierre Canisius Kimwenza, RDCongo - Bacchalauréat en Philosophie 2005
  

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II.1. LA LOI ET LA PHILOSOPHIE PENALE

Ce serait faire un mauvais procès à Nietzsche que de croire sa philosophie vide de toute réflexion sur la loi. Car, dans la Généalogie de la morale, les concepts de responsabilité et de socialisation de "l'homme naturel" forment une unité prise en charge par la loi. Si la loi est habituellement une règle régissant toute conduite en société, de sorte que « là où est une société, là aussi est la loi » (Ubi societas, ibi jus), l'accès de l'animal-homme à l'univers proprement humain est, chez Nietzsche, le fruit tardif d'une contrainte légale. Justement, puisque « l'animal humain n'est pas préréglé sur l'obéissance à la loi, il doit y être contraint par la société »37(*).

On trouverait une telle procédure dans la violence que doit faire peser le créancier sur le débiteur, non pour l'exploiter mais pour l'élever à la responsabilité, donc au respect de la loi. La loi est ici un instrument orienté vers la discipline d'un animal humain capable de faire des promesses à la société. Car en face de la contrainte, il finit par alléguer « cinq ou six "je ne veux pas" [mieux "je ne veux plus", par quoi il donne sa promesse du repentir] afin de jouir des avantages de la société »38(*). Nietzsche accorde ainsi une grande importance à l'élément légal, de sorte qu'il fonde même l'éthique sur l'obéissance impérative à la loi : « avoir de la morale, des moeurs, une éthique, cela signifie obéir à une loi ou une tradition fondées en ancienneté. Que l'on s'y soumette avec peine ou de son plein gré, peu importe, il suffit qu'on le fasse »39(*). Il faut donc s'être longuement exercé à obéir et dans un seul sens, pour accéder à l'univers proprement éthique.

Soulignons en passant que c'est le plus grand mérite de la loi attesté par la philosophie pénale, depuis PLATON (dans Les lois IX, 862d ; XI, 934a et le Gorgias, 525b, c) : « La loi amènera (le coupable)... soit à ne plus jamais commettre (l'injustice) à l'avenir, soit à la commettre beaucoup moins souvent »40(*). Autrement dit, à promettre comme l'entend Nietzsche, une conduite dans laquelle il peut désormais se reconnaître déterminé et uniforme jusqu'à un certain point, semblable parmi ses semblables, régulier et, par conséquent, appréciable. Les fondateurs du Droit moderne ne pensent pas autrement. La septième loi de la nature de HOBBES exige dans ce cas que le droit pénal ne considère plus la grandeur du mal passé, mais celle du bien qui s'ensuivra. Par conséquent, le pardon s'impose au judiciaire, quand on a obtenu des sécurités pour l'avenir.41(*) C'est ici qu'intervient la mesure de grâce ou l'exonération pénale du délinquant.

Saint THOMAS D'AQUIN ne limite pas le rôle de la loi au simple fait de commander ou d'interdire, de permettre ou de rendre les individus bons. La loi joue surtout le rôle de châtier (S.T. II-II, q. 92, a. 2). C'est ainsi qu'une loi ayant perdu ce rôle n'est que violence, tyrannie, perversion et corruption. Les citoyens doivent y désobéir (S.T. II-II, q. 96, a. 5). Mais cette désobéissance civile doit répondre à certains critères, que la tradition retient de Martin LUTHER KING.42(*) Primo, assembler les faits et les analyser. Secundo, se purifier soi-même intérieurement. Tertio, préciser les modalités de l'agir (jour, heure, combien de temps, où et quoi ?) et, quarto, passer à l'acte (marche, sitting, grève, etc.). Mais tout ceci ne peut se faire qu'après avoir épuisé toutes les possibilités de dialogue.

Quant à la responsabilité, Nietzsche souligne qu'elle est fonction de l'oubli et de son autre, la mémoire, en liaison étroite avec la loi. La faculté d'oubli est à elle seule un pouvoir actif et une faculté d'enrayement. C'est à elle que l'on attribue tout ce que "rejette" la conscience pendant la digestion psychique. L'oubli joue un rôle important, car il permet constamment à la conscience de fermer portes et fenêtres aux mouvements antagonistes du monde. En ce sens, il est un principe régulateur, qui permet d'assurer l'équilibre psychique et la tranquillité. L'individu encourt donc le risque de dyspepsie sans l'oubli, faculté qui procure le bonheur, la sécurité, l'espérance; bref une conscience "douce". Pour Nietzsche, l'homme oublieux manifeste une santé robuste.

A l'opposé de l'oubli, se dresse la mémoire qui, dans le repentir promis à la société, tient impérativement l'oubli en échec. Celui qui a souffert d'une faute dont il a promis amendement n'oublie cependant pas le drame subi. Ainsi, la mémoire n'a d'autre fonction que de garder une impression de la continuité dans la conscience du sujet. Cette fonction, Nietzsche l'illustre par l'évocation de la mnémotechnique préhistorique, qui visait justement à créer la mémoire de la faute chez le coupable, par des procédures extrêmement cruelles : « on applique une chose avec un fer rouge pour qu'elle reste dans la mémoire : seul ce qui ne cesse de faire souffrir reste dans la mémoire ».43(*)

On le comprend sans effort, l'activité mnémotechnique s'exécutait toujours agrémentée de supplices. Pour Nietzsche, c'est en elle que trouvent origine les plus épouvantables holocaustes et les engagements les plus hideux (sacrifice du premier né), les mutilations les plus répugnantes (castration), les rituels les plus cruels et tous les cultes religieux. Dans une certaine mesure, tout l'ascétisme fait partie intégrante de ce domaine où quelques idées doivent être rendues ineffaçables, inoubliables, toujours présentes à la mémoire. Ce qui permet alors de saisir le caractère draconien des coutumes jadis en vigueur, « en particulier la dureté des lois pénales ».44(*) Dureté qui vise d'une part à montrer les difficultés que l'humanité a éprouvées pour se rendre maîtresse de l'oubli et, d'autre part, à maintenir présente à la mémoire des hommes la rigueur de la vie primitive.

L'ancienne organisation pénale allemande est particulièrement citée en exemple, elle dont les lois frôlaient la dureté de DRACON45(*) : la lapidation, la roue, le supplice du pale, l'écrasement sous les pieds des chevaux, l'emploi de l'huile où l'on faisait bouillir le condamné, le supplice des lanières, l'écorchement de la poitrine, l'enduit du miel sur le coupable et son exposition aux piqûres des mouches, etc. Toutes ces atrocités conduisent à la gravité, à l'emprise sur les passions. Nietzsche peut alors poser la question généalogique de savoir comment la conscience de la faute est venue au monde. Question qui équivaudrait à en chercher l'élément matériel ou la faute proprement dite.

* 37 Paul Valadier, op.cit., p. 56.

* 38 GM, p. 95

* 39 Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain (HTH) I, Paris, Gallimard, 1968, pp. 96-97.

* 40 Platon cité par Gérard Courtois, « La vengeance chez Aristote et Sénèque à la lumière de l'anthropologie juridique », in Archives de philosophie du Droit, tome 28, Philosophie pénale, Paris, Sirey, 1983, p. 30.

* 41 Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, traduit par François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 153.

* 42 C'est un plaisir que le gouvernement américain ait récemment consacré la date du 17 janvier comme journée fériée, en l'honneur de Dr Martin Luther King.

* 43 GM, p. 92.

* 44 GM, p. 93.

* 45 Dracon, législateur athénien dont les lois étaient tellement dures qu'on les disait écrites en lettres de sang.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery