PARAGRAPHE DEUXIÈME
LA PORTÉE AMBIVALENTE DU PRINCIPE
D'ÉLECTIONS PÉRIODIQUES ET HONNÊTES
La promotion du principe d'élections périodiques
et honnêtes n'a pris un relief particulier au sein de l'O.N.U.
qu'après le changement de l'équilibre politique dans
l'Organisation. Avant cette période, le droit international "ne se
souciait même pas, toujours au nom de la non ingérence, de savoir
si le principe même du choix, indépendamment de ses
modalités d'exercice est consacré "68.
Cet état des choses nous explique en quelque sorte
l'attitude qu'a affichée l'Assemblée Générale de
l'O.N.U. en adoptant non seulement des résolutions relatives au
"renforcement de l'efficacité du principe d'élections
périodiques et honnêtes" mais aussi des résolutions
sur le "respect des principes de la souveraineté nationale et de la
non ingérence dans les affaires intérieures des États en
ce qui concerne les processus électoraux".
L'analyse de ces résolutions nous permettra de
démontrer qu'il s'agit de résolutions ambivalentes en
elles-mêmes (A) et surtout de résolutions
contradictoires entre elles (B).
A. Des résolutions ambivalentes en
elles-mêmes
A partir de sa quarante troisième session,
l'Assemblée Générale de l'O.N.U. a décidé
d'inclure la question du "renforcement de l'efficacité du principe
d'élections périodiques et honnêtes" dans l'ordre du
jour de sa quarante quatrième session. Ainsi de 1988 à 1994, sept
résolutions ont été adoptées dans ce sens : la
résolution 43/157 du 8 décembre 1988, la résolution 44/146
du 15 décembre 1989, la résolution 45/150 du 18 décembre
1990, la résolution 46/137 du 17 décembre 1991, la
résolution 47/139 du 18 décembre 1992, la résolution
48/131 du 20 décembre 1993 et
68 BEN ACHOUR (R), art. cit. p. 198.
la résolution 49/190 du 23 décembre 1994. Cette
dernière ayant pour titre "Affermissement du rôle de
l'Organisation des Nations Unies aux fins du renforcement de
l'efficacité du principe d'élections périodiques et
honnêtes et de l'action en faveur de la démocratisation".
Une vue globale sur l'ensemble de ces résolutions nous
permet de dire que, déjà au niveau de l'intitulé, l'organe
plénier de l'O.N.U. nous fait savoir qu'il ne s'agit que d'un
renforcement de l'efficacité du principe d'élections
périodiques et honnêtes autrement dit, l'Assemblée
Générale considère que le droit aux élections
périodiques et honnêtes est bien établi comme un principe
en droit international, son efficacité est relative et elle doit
être renforcée. De cette manière, les destinataires de ses
résolutions comprendront que l'O.N.U. n'est pas en train de créer
une nouvelle obligation pour les États mais qu'elle ne fait que rappeler
à ces États leur devoir de respecter la volonté de leurs
peuples qui fonde l'autorité des pouvoirs publics et qui, par
conséquent, légitime ce pouvoir.
La première résolution adoptée par
l'Assemblée Générale à savoir la résolution
43/157, a constitué une innovation dans la position de l'O.N.U. c'est
pourquoi nous jugeons nécessaire l'analyse de ses dispositions
significatives.
La résolution 43/157 a commencé, dans son
préambule, par le rappel de l'obligation que lui impose la Charte des
Nations Unies de développer et d'encourager le respect des droits de
l'Homme et des libertés fondamentales pour tous. Par conséquent,
l'Assemblée Générale a réaffirmé, en
reprenant les termes de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
"que toute personne a le droit de prendre part à la direction des
affaires publiques de son pays soit directement, soit par
l'intermédiaire de représentants librement choisis, que toute
personne a le droit à accéder, dans des conditions
d'égalité aux fonctions publiques de son pays, que la
volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs
publics et que cette volonté doit s'exprimer par des élections
honnêtes qui doivent avoir
lieu périodiquement, au suffrage universel
égal et au vote secret ou suivant une procédure
équivalente assurant la liberté de vote"69.
L'Assemblée Générale a également
noté les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques qui prévoit que tout citoyen a droit, sans distinction
aucune "de prendre part à la direction des affaires publiques, soit
directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement
choisis, de voter et d'être élu au cours d'élections
périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au
scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des
électeurs et d'accéder dans des conditions
générales d'égalité, aux fonctions publiques de son
pays".
Jusque là, on peut très bien voir que l'O.N.U.
n'hésite pas à annoncer sa préférence pour le
modèle démocratique fondé, entre autres sur la
liberté, l'honnêteté et la périodicité des
processus électoraux, plus, on peut même confirmer qu'il existe
"une profession de foi voir une tentative de fondement juridique d'une
norme de légitimité démocratique"7°.
Seulement, après ces passages, l'Assemblée
Générale de l'O.N.U. semble prendre une position contraire en
rappelant "que tous les États jouissent de
l'égalité-souveraine et que chaque État a le droit de
choisir et de développer librement son système politique, social,
économique et culturel".
Nous remarquons donc que, dans deux passages successifs,
l'Assemblée Générale a rappelé deux principes
antinomiques en ce sens qu'à partir du moment où on
reconnaît aux États une liberté de choix de leur
système politique, on doit se désintéresser de la
manière suivant laquelle fonctionne ce système, à moins
qu'on admette que le moyen du choix des gouvernants est indépendant du
choix du système politique d'un État, ce qui est, à notre
sens insensé.
Toutefois, le dispositif de cette résolution a
résolu cette contradiction en écartant le droit de
l'État de choisir librement son système politique. En effet,
l'Assemblée Générale de l'O.N.U. a souligné sa
conviction "que les
69 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
Quarante Troisième session, volume I, 20 septembre - 22 décembre
1988, documents officiels, Supplément N° 49.
LAGHMANI (S), art. cit. p. 269.
élections périodiques et honnêtes sont
un élément nécessaire et indispensable des efforts
soutenus visant à protéger les droits et intérêts
des administrés et que, comme le montre l'expérience pratique, le
droit de chacun de prendre part à la direction des affaires publiques de
son pays est un facteur crucial de la jouissance effective par tous d'un grand
nombre d'autres droits de l'Homme et libertés fondamentales y compris
les droits politiques, économiques, sociaux et culturels".
L'organe plénier de l'O.N.U. a même
déclaré dans la résolution 43/157 que "pour
déterminer la volonté du peuple il faut un processus
électoral offrant des choix différents et que ce processus doit
donner à tous les citoyens des chances égales de devenir
candidats et de faire valoir leurs vues politiques, que ce soit à titre
individuel ou conjointement avec d'autres". Cette résolution exige
donc des États l'organisation d'élections pluralistes et bien
qu'elle s'adresse directement à l'Afrique du Sud, la résolution
43 / 157 a réconforté les partisans du régime
démocratique libéral qui ont considéré que
"l'Assemblée Générale avait donc finalement reconnu
que l'exigence des élections libres; du suffrage universel et de la
liberté d'opinion politique pour l'Afrique du Sud ne pouvait pas
être limitée à ce pays il s'agissait d'une exigence
universelle de démocratie"71.
Cette même résolution a provoqué la
crainte de certains pays, jaloux d'une souveraineté difficilement
acquise, qui ont insisté au cours des débats sur le fait
qu'aucune ingérence extérieure ne doit toucher à leur
souveraineté72.
La diversité des attitudes des États Membres de
l'O.N.U. a suscité quelques modifications dans la position de
l'Assemblée Générale lors de sa quarante quatrième
session. En effet, dans sa résolution 44/146 portant le même titre
que la précédente et après avoir fait
référence à la Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
garantissant le droit aux élections périodiques et
honnêtes; l'Assemblée Générale a rappelé
également qu' "il n'existe aucun système politique ni aucune
méthode électorale qui puisse convenir également
à
71 BEIGBEDER (Y), op. cit. p. 57.
72 Le pluralisme politique prévu
implicitement par la résolution 43/157 se concilie mal avec les
constitutions de certains États à parti unique tel que la Zambie.
voir BEIGBEDER, op. cit., p. 58.
toutes les nations et à tous les
peuples"73. Ce considérant reflète la position
des pays du sud qui évoquent toujours leurs différences
économiques, sociales et culturelles pour ne pas se voir imposer un
système politique de type occidental.
Dans le dispositif de cette résolution,
l'Assemblée Générale a déclaré que "pour
déterminer la volonté du peuple il faut un processus
électoral qui donne à tous les citoyens des chances égales
de devenir candidats et de faire valoir leurs vues politiques que ce soit
à titre individuel ou conjointement avec d'autres, dans le cadre
délimité par la constitution et la législation
nationale".
Bien que l'expression "offrant des choix
différents" ait disparu pour être remplacée par la
référence à "la constitution et la législation
nationales", nous pouvons trouver dans cet extrait un fondement du
pluralisme politique par la référence faite au droit de devenir
candidat à titre individuel ou conjointement avec d'autres.
Ce caractère indécis de l'organe plénier
de l'O.N.U. traduit une polémique entre les États Membres de
cette Organisation qui, chacun de son côté, essayent de faire
prévaloir l'un des deux principes contradictoires.
La résolution 44/146 a essayé de concilier les
deux principes en considérant "que les efforts
déployés par la communauté internationale pour renforcer
l'efficacité du principe d'élections périodiques et
honnêtes ne doivent pas remettre en question le droit souverain
qu'à chaque État de choisir et d'élaborer librement ses
systèmes politique, social, économique et culturel, que ceux-ci
soient conformes ou non aux préférences d'autres États".
L'Assemblée Générale a même souligné que
"chacun des membres de la communauté internationale est tenu de
respecter les décisions prises par les autres États dans
l'exercice de leur droit de choisir et d'organiser librement leurs institutions
électorales".
On peut dire à ce propos que, bien qu'elle soit relative
au renforcement de l'efficacité du principe d'élections
périodiques et honnêtes, la résolution
73 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
quarante quatrième session, volume I, 19 septembre - 29 décembre
1989, documents officiels, supplément N° 49.
44/146 semble atténuer la portée de sa
précédente. En fait, en lisant cette résolution on ne peut
pas affirmer que l'O.N.U. a été catégorique quant à
l'obligation d'organiser des élections libres et pluralistes.
De sa quarante cinquième à sa quarante
neuvième session, l'Assemblée Générale de l'O.N.U.
a donné aux résolutions relatives au "renforcement de
l'efficacité du principe d'élections périodiques et
honnêtes" une portée plutôt opérationnelle.
En effet, la résolution 45/150 du 18 décembre
1990 a repris termes de la résolution 44/146 en ajoutant des
dispositions concernant l'action concrète de l'O.N.U. en vue de
promouvoir l'efficacité du principe d'élections
périodiques et honnêtes. C'est pour cette raison que
l'Assemblée a affirmé "la valeur de l'assistance
électorale que l'organisation des Nations Unies a apporté
à certains États Membres, sur leur demande, et dans le strict
respect de leur souveraineté"74. De plus,
l'Assemblée Générale a considéré "que la
communauté internationale devait continuer d'examiner avec soin les
moyens par lesquels l'Organisation des Nations Unies peut répondre aux
demandes des États Membres désireux de développer et de
renforcer leurs institutions et procédures
électorales"75.
Cette résolution est donc la première dans
laquelle l'Assemblée Générale de l'O.N.U. donne un
caractère concret à sa préférence pour le principe
d'élections périodiques et honnêtes en insistant sur la
valeur de l'assistance électorale. C'est ce qui explique peut être
qu'elle n'a pas été adoptée sans vote comme les
précédentes76.
Pour le reste, les résolutions 46/137, 47/138, 48/131
et 49/190 n'ont fait que donner suite au principe d'élections
périodiques et honnêtes en prévoyant les moyens
nécessaires pour garantir son efficacité.
L'étude des résolutions adoptées par
l'Assemblée Générale de l'O.N.U. en vue de promouvoir
le principe d'élections périodiques et honnêtes nous a
74 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
quarante cinquième session, volume I, 18 septembre - 21 décembre
1990, documents officiels, supplément N°19.
75 Ibid.
76 Cette résolution a été
adoptée par une majorité de 129 votes pour, huit votes contre et
neuf abstentions.
permis de constater que, tout en essayant de créer
à la charge des États l'obligation de respecter la volonté
de leurs gouvernés telle qu'elle s'exprime par des élections
périodiques et honnêtes, elles n'ont pas omis de se
référer au principe de la souveraineté des États et
de leurs droits à choisir librement leurs systèmes politiques.
C'est de là précisément que provient
l'ambivalence de ces résolutions une ambivalence qui s'est
accentuée lorsque l'Assemblée Générale de l'O.N.U.
a adopté des résolutions situées aux antipodes de celles
que nous venons d' analyser.
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