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Ethnicité et Management des Staffs locaux dans les ONG internationales au Burundi

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par Christian Munezero
Université Catholique d'Afrique Centrale (UCAC) - Master en Développement et Management des Projets 2007
  

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III-1- De l'acceptation affichée de l'altérité dans les relations professionnelles

Dans les organisations non gouvernementales qui ont pris l'option de s'inspirer de la l'approche Do no Harm dans la définition de leurs politiques de gestion des ressources humaines locales, la mobilisation par les employés de l'ethnicité dans les relations professionnelles semble s'atténuer, comparativement aux autres ONG. Cela tient en grande partie à la démystification du fait ethnique qui est prônée au sein de ces organisations.

La mixité ethnique est un principe institutionnel dans ces ONG. Toutefois, la compétence reste déterminante dans le recrutement, tout en ayant comme soucis d'assurer l'égalité des chances à tout le monde. Les responsables des ces organisations affirment que ce principe de mixité ethnique ne s'apparente pas à de la discrimination positive (affirmative action) car le mot « discrimination » a une connotation péjorative ; c'est une recherche des équilibres ethniques autant que possible au sein du personnel local. Ainsi, s'il s'agit de recruter une équipe de cadres pour piloter un projet, la commission de recrutement veille à ce qu'il y ait des Hutu et des Tutsi dans l'équipe, en plus des tests relatifs aux compétences. Outre l'équilibre lié à l'ethnie, il y a aussi l'équilibre du genre.

Ce principe de mixité ethnique prôné est la conséquence logique de l'adoption combinée de l'approche Do no Harm et du management interculturel. Dans les faits, il se traduit par l'institutionnalisation du système des quotas ethnique et de genre. La question du genre n'étant pas au centre des préoccupations du présent travail, nous nous limiterons à ne traiter que les aspects du système des quotas relatifs à l'ethnicité.

Ici, les managers partent d'un constat que nous avons déjà évoqué plus haut : la société burundaise a créé un déséquilibre qui est l'une des sources du conflit. Pendant longtemps, une certaine frange de la population avait des difficultés à accéder à certaines filières de formation à l'Université National du Burundi (Économie, Droit, Médecine), du fait de la discrimination ethnique qui était de rigueur dans l'administration publique, l'enseignement supérieure, l'armée, etc. Le résultat de ce déséquilibre est que, pour certains types de responsabilités, lorsqu'on fait un recrutement, même en étant le plus objectif possible, la majorité des candidats correspondant au profil voulu en termes de formation et d'expérience seront d'une seule ethnie. Dès lors, le système des quotas n'est peut être pas juste ou parfait, mais il est nécessaire. « Pour intervenir dans le processus de réconciliation au Burundi, il faut garantir une égalité des chances si non on risque de se mettre dans l'impossibilité de réaliser nos objectifs », nous a confié un responsable d'une ONG internationale.

Effectivement, le lien entre la composition ethnique des équipes et la réalisation des objectifs sur le terrain n'est pas un construit de l'esprit. Dans un environnement conflictuel, quelque soit le secteur d'intervention de l'ONG, qu'elle soit humanitaire ou de développement, lorsque ses équipes de terrain sont monoéthniques, elle se met dans une situation où le déséquilibre de l'aide est important au niveau des populations cibles. Il y a ainsi un risque élevé de favoritisme opéré par les équipes sur le terrain en faveur des sinistrés d'une seule ethnie. Ce type de scénario n'est pas rare au Burundi. Un entretien que nous avons eu avec un consultant qui a travaillé au Burundi pendant une période de 3 mois au sein d'une ONG internationale nous a édifié à ce sujet :

« Dans tout le staff local, tous les employés sont d'une même ethnie, à l'exception
d'une seule personne qui a des liens particuliers avec le coordinateur général. Sur le
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terrain, cela se répercute de manière évidente. C'est ainsi que la majorité des projets initiés par l'ONG sont orientés vers une population cible de la même ethnie que les membres du personnel. Les projets en faveur des gens des autres groupes ne sont réalisés que pour des besoins de convenance afin d'éviter d'éveiller les soupçons des partenaires financiers au moment de l'évaluation ».

Si on se réfère à la logique de l'approche Do no Harm, un tel comportement constitue un cas typique des facteurs qui contribuent à dégrader les relations interethniques et à relancer le conflit. En effet, en prodiguant l'assistance humanitaire aux personnes sinistrées d'une seule ethnie alors que toutes les ethnies comptent en leur sein des personnes nécessitant un soutien humanitaire, les équipes sur le terrain renforcent directement un « camp » et donnent par la même occasion des raisons de plus à l'autre « camp » de s'en prendre au premier. Tout cela n'est pas de nature à créer les conditions idoines pour une réconciliation nationale. Par ailleurs, une telle attitude peut être une raison majeure de la non atteinte des objectifs des ONG du fait du « clientélisme humanitaire » et du manque de rigueur qui en est le corollaire.

La neutralité de l'ONG dans le conflit ethnique que subit l'environnement de travail ne consiste pas à ignorer toute référence à l'ethnie ou à la tribu. Agir ainsi serait se voiler la face car l'action humanitaire a forcément des effets non désirés en plus de ceux désirés ; et la consolidation des déséquilibres ethniques en fait partie. Assurer l'équilibre ethnique dans les équipes de travail permet ainsi au managers de ne pas favoriser l'accès aux ressources à une seule ethnie. Autrement, ils participent indirectement à l'exacerbation du conflit.

C'est pour éviter cette situation que certains responsables d'ONG ont opté pour l'instauration d'un système de quotas à l'embauche. Il faut noter ici que l'établissement de quotas ethniques ne s'inscrit pas dans une logique d'opérer une égalité numérique. Il s'agit plutôt d'essayer de respecter un équilibre ethnique au sein des équipes et ce dans la mesure du possible. Mais comment y parvenir ?

Pour mener à bien la politique de gestion des ressources humaines qui se base sur l'approche Do no Harm et le management interculturel, les managers cherchent, à l'embauche, des gens qui sont motivés et convaincus par la mission de l'ONG, et qui ont un idéal de paix par rapport à la société burundaise. Pour assurer la clarté de la

politique de recrutement, celui-ci est fait par une commission de recrutement ethniquement mixte, constituée de personnes travaillant pour l'organisation.

De l'avis de ces managers, cette transparence sur le critère ethnique à l'embauche a pour résultat, à long terme, d'assainir les relations professionnelles à telle enseigne que, en ce qui concerne la promotion et la valorisation des postes, l'équilibre se fait automatiquement sans qu'ils aient à intervenir. Ils considèrent alors des critères seulement basés sur la compétence des uns et des autres.

La composition des équipes ethniquement mixtes est sensée permettre aux individus des différentes communautés de travailler ensemble sur des projets. Cela les amènerait à collaborer, à oser se parler, à découvrir ce qui est positif chez l'autre et petit à petit, il naîtrait une confiance entre eux. Mais un tel résultat nécessite une profonde remise en question et un travail d'introspection de longue haleine car les représentations collectives sur l'ethnie sont suffisamment figées. Cela veut dire que la notion volonté de changement est primordiale.

Au moment de l'embauche, les candidats sont tenus d'assister à un entretien avec le responsable. Au cours de cet entretien à coeur ouvert, tous les thèmes sensibles sont abordés, que ce soient les questions de genre ou celles relatives à l'ethnicité. A titre d'exemple, il leur demandé de parler de leur appartenance ethnique. Dans un autre contexte que celui du Burundi d'après conflit, une telle question serait anodine. Mais dans ce pays, parler des « choses de l'ethnie » est une abomination.

De toute apparence, les Burundais préfèrent l'agir au parler. Ceci n'est pas un cliché. Sinon comment expliquer les massacres interethniques qui ont sporadiquement endeuillés le pays depuis son indépendance ? Si s'exprimer sur l'ethnie est un interdit, pourquoi continue-t-on à l'exhiber systématiquement dans les interactions interindividuelles, et à la mettre au premier plan en politique ?

Cette duplicité apparente explique pourquoi la politique de la mixité ethnique dans les ONG est loin d'être du goût de tout le monde au sein même des ONG qui l'appliquent. Ainsi, il n'est pas rare d'observer dans ce type d'organisation des comportements individuels qui vont en contresens des valeurs de tolérance et de

pluralisme. Des accrocs au modèle établi sont parfois orchestrés par certains cadres locaux qui sont déjà positionnés à des postes stratégiques. De manière générale, ces cadres burundais qui occupent des postes clés cooptent des personnes de leur ethnie en y incorporant quelques individus d'autres groupes afin de ne pas altérer visiblement l'image de bonne gouvernance dont se targuent ces organisations. Mais la réalité sur le terrain est toute autre.

Le non respect du principe de pluralisme ethnique par des cadres burundais qui ont évolué et ont été moulés des années durant (parfois malgré eux) dans le format de la culture organisationnelle prônée au sein de ces ONG montre bien certaines des limites du système des quotas. Dès lors une question se pose : la culture du vivre ensemble érigée en modèle de gestion des relations professionnelles par certains managers a-t-elle une quelconque incidence positive sur le comportement et les attitudes des employés locaux vis-à-vis de la question ethnique ? Il est difficile de répondre à cette question avec précision. Toutefois, un adage français nous aident à y voir clair : « les habitudes ont la peau dure ».

Une analyse du discours combinée à une observation attentive en immersion, durant trois mois, des employés locaux du secteur des ONG internationales au Burundi nous a permis d'esquisser une typologie de ceux-ci. En considérant une ONG appliquant l'approche Do no Harm et le modèle du management interculturel, on distingue l'existence de trois types d'employés locaux :

 

Ceux qui adhèrent entièrement à la philosophie du pluralisme ethnique (les coopératifs) ;

Ceux qui jouent le double jeu : afficher une adhésion de façade aux valeurs de l'ONG mais vivre dans le refus de la différence (les joueurs) ;

Ceux qui sont radicaux (les irréductibles).

Nous partons de la supposition (uniquement pour des besoins d'analyse) que, à l'embauche dans l'ONG, tous les employés locaux sont ethnicistes (au sens tribaliste du terme) car ayant baigné, depuis leur naissance, dans un environnement totalement gangrené par l'ethnisme (holisme). Intégrés, ils vivent une socialisation organisationnelle de type professionnelle. C'est ainsi qu'ils sont amenés à « subir »

la présence d'autres identités et à collaborer avec elles grâce à l'apprentissage et à l'intériorisation de nouvelles valeurs. L'ONG est ainsi érigée en une école de la tolérance, de la cohabitation et de la réconciliation. C'est du moins l'idée que s'en font leurs dirigeants expatriés.

Pourtant, la digestion de ces nouvelles valeurs ne se fait pas de la même manière chez tous les employés locaux. Il est d'ailleurs excessif, voire inapproprié de parler de « nouvelles valeurs » car elles sont très bien connues des employés. Leurs oreilles en sont rabâchées tous les dimanches dans les différentes églises et mosquées qu'ils fréquentent assidûment. Paradoxalement, dans ce pays ravagé par des tueries interethniques, les églises sont pleines à craquer tous les dimanches ; 90% des Burundais sont des chrétiens pratiquants. Elles font même partie des valeurs inhérentes à la culture burundaise.

Dès lors, par quel miracle divin des valeurs que ces employés semblent avoir sciemment ignorées jusque là deviendraient-elles subitement leurs Maximes de vie ? Tout simplement par la nécessité de trouver du travail et de se réaliser au sein d'une organisation qui a propulsé les dites valeurs au rang de Valeurs que tout employé doit observer et vivre s'il veut cheminer en son sein. Au final, les employés, en tant que « produits » de cette mini socialisation professionnelle, se déclinent en trois types comme relevé plus haut : les coopératifs, les joueurs et les irréductibles.

Les coopératifs correspondent à l'image que les responsables occidentaux des ONG considérées veulent donner de l'employé local modèle : compétent et acquis à l'idéal du pluralisme ethnique. Le concept de pluralisme s'entend ici comme le « principe acceptant la diversité des opinions et des conduites politiques, religieuses, économiques et sociales »55 quelles qu'elles soient. Il consacre la libre confrontation des idées.

Les coopératifs ont donc intégré parfaitement les valeurs de l'organisation. Ils ne font plus l'identification des « autres » (les « autres » étant ceux qui ne sont pas de la même ethnie que soi) en fonction du facteur ethnique mais plutôt selon des critères liés à la compétence, l'amitié, l'humanité, etc. Ils ont réussi à dépasser les clivages et

55 "pluralisme." Microsoft® Encarta® 2007 [DVD]. Microsoft Corporation, 2006.

les clichés ethniques propres à la rationalité populaire, pour fonder leur appréciation de l'altérité sur des bases plus objectives, cela grâce au modèle de management organisationnel en vigueur dans l'ONG.

A force de travailler et de vivre des expériences positives avec des collègues d'autres ethnies, les coopératifs « découvrent » par eux-mêmes qu'il est possible de vivre et de travailler ensemble sans toutefois être de la même ethnie. Les émotions, les peines, les joies, les épreuves, les réussites et les échecs connus ensemble en tant que membres d'une même équipe leur ont fait voir l'Humain qui est chez les « autres ».

Un détail les différencie sensiblement des autres types d'employés : le nouveau comportement qu'ils adoptent envers les « autres » ne s'estompe pas dès l'instant où ils mettent les pieds en dehors de l'ONG. Les valeurs de l'organisation font déjà partie intégrante de leur culture personnelle. Ils ont acquis un nouveau style de vie, une nouvelle manière de voir le monde qui les entoure. Même avec leurs voisins de palier, les attitudes et les comportements ne sont plus les mêmes qu'avant l'entrée dans l'organisation. Investies de la force que leur confère l'organisation qui les promeut, les normes sociales, les règles, les valeurs, les sanctions et les croyances transmises font désormais corps avec les consciences individuelles des employés coopératifs.

Les joueurs quant à eux ont une personnalité très complexe. Conscients que leur maintien et leur développement au sein de l'organisation dépendent du respect qu'ils ont des règles et de leur niveau d'adhésion aux valeurs prônées, ils procèdent habilement à une mise en scène de leur vécu sur le lieu de travail. En apparence, peu de choses les différencient des coopératifs. L'image qu'ils projètent aux yeux des managers expatriés est celle d'employés qui ont pris l'option de jouer la carte de l'acceptation des « autres » dans les relations de travail. Mais cela n'est qu'une image de surface.

En réalité, les joueurs développent en underground, dans l'ONG et dans le réseau
d'ONG, tout un maillage de solidarités ethniques de type mécanique. Leur
conception du travail dans l'organisation est particulière : c'est juste un moyen

comme un autre d'accéder aux ressources financières et aux avantages matérielles et symboliques. Ils n'adhèrent pas forcément à la vision et à la mission de l'organisation. Dans une société où de plus en plus l'argent est un gage sûr d'ascension et de considération sociale, avoir la main mise sur toutes les sources de richesse financière, matérielle et symbolique est un enjeu majeur et un facteur dominant de déclenchement des conflits. La richesse étant une denrée rare, il devient très difficile de partager avec les « autres ».

Ainsi, les employés joueurs développent tout un ensemble de stratégies pour consolider leur assise ethnique dans le secteur des ONG sans que cela ne soit perceptible. De par leurs qualités professionnelles et leur expérience reconnues, ils ont pu accéder à des postes de décision ; parfois ils sont même à la tête des ONG, les partenaires financiers considérant que le personnel local coûte moins cher. S'installe alors un système de cooptation du personnel sur des bases essentiellement ethnique. Selon l'ethnie « qui a le pouvoir de décision » (comprendre par là l'ethnie à laquelle appartient la majeure partie des cadres décisionnaires locaux) dans l'ONG, ou le réseau d'ONGs, la cooptation va se faire en faveur des individus de l'une ou l'autre ethnie. Et le facteur expérience étant un élément très important dans ce type d'organisations, on se retrouve à long terme avec une presque homogénéisation ethnique du secteur suite à la pratique courante de transfert de personnel d'une organisation à l'autre selon le début ou la clôture des projets.

Il est très important de souligner ici que cette cooptation, quoique basée sur le critère ethnique, ne se fait pas au mépris des compétences professionnelles. En effet, c'est la solidité et la richesse du curriculum vitae des candidats retenus qui constituent l'assurance pour le cadre local joueur de disposer de moyens pour justifier auprès des bailleurs de fonds et des autres partenaires (nationaux ou internationaux) la pertinence du choix de recrutement opéré.

Les joueurs sont également soucieux d'atteindre les objectifs des projets de l'ONG. Ils ont toujours à l'esprit la réalisation des résultats car, de ceux-ci dépend la confiance à eux accordée par les responsables ou les partenaires occidentaux. Ainsi, dans des cas particuliers, s'ils ont le pouvoir de décision en matière des ressources

humaines, ils n'hésiteront pas à favoriser le recrutement ou l'avancement d'un collègue d'une autre ethnie que la leur, s'il a les compétences requises, dans l'optique de l'atteinte des objectifs. Quoique n'ayant pas entièrement intériorisé les règles et les valeurs prônées par l'organisation, ils ne sont pas aveuglés par les effluves tribalistes de leurs consciences individuelles. À l'intérieur de l'ONG, seuls comptent l'accès aux ressources et la réalisation de soi, même si pour y parvenir, il faut passer par la collaboration avec les « autres » et la réalisation des projets de développement ou humanitaires en faveurs de groupes cibles n'étant pas de leur ethnie.

Contrairement aux employés locaux coopératifs, hors de l'organisation, les joueurs rentrent dans leur réseau ethnique (c'est-à-dire l'ensemble des liens qui les rattachent aux individus de leur ethnie). Ils ne ressentent pas spécialement le besoin d'élargir leur réseau social aux individus d'autres ethnies sauf s'ils y voient un intérêt financier ou matériel particulier. En dehors des relations intra-ethniques, leur conception des rapports interethniques est essentiellement utilitariste : la valeur suprême est placée dans l'utilité.

Le troisième type d'employés locaux est celui des irréductibles. Ils limitent les rapports interethniques aux strict minimum, aussi bien au travail que dans leur milieu de vie. Complètement en phase avec les clichés ethniques de la conscience collective de leur groupe d'appartenance, leurs consciences individuelles sont imperméables aux valeurs de pluralisme que promeut l'ONG. S'ils dissimulent leur hostilité aux « autres » en présence de la hiérarchie, ils ne se privent pas de faire l'étalage de leurs opinions auprès de leurs collaborateurs.

Les moments de crise dans l'ONG et dans son environnement sont pour eux des occasions privilégiées de diaboliser ceux qui ne sont pas de leur ethnie. Des comportements de cette nature nous ont été rapportés lors de nos entretiens par des employés burundais. A titre d'exemple, lorsque des massacres avaient été perpétrées contre les habitants d'un camp de réfugiés d'un pays voisin par des miliciens d'une ethnie que nous appellerons « X », quelques employés d'une ethnie « Z » appartenant à une grande ONG internationale (qui est très active dans le secteur de la paix et la réconciliation) s'en étaient pris à leurs collaborateurs de

l'ethnie « X » à coup d'insultes tribalistes et de qualifications outrageuses. Parmi ces derniers, certains avaient répliqué et la situation avait failli dégénérer. Il a fallu l'intervention d'autres collègues pour calmer les esprits et réconcilier les deux groupes.

Ce type d'incidents, quoique très rares, constitue un des instants durant lesquels les employés irréductibles peuvent enfin laisser exploser leur haine trop longtemps contenue. En effet, leurs lieux d'expression sont des plus réduites dans l'organisation, les employés coopératifs et joueurs ne trouvant aucun intérêt dans la confrontation. Ils sont ainsi obligés malgré eux de tolérer la présence des individus appartenant à d'autres groupes dans l'organisation. Ils vivent avec dépit le recrutement ou la promotion interne d'une personne qui leur est différente sur le plan identitaire.

Les irréductibles sont généralement des employés aux qualifications limitées, occupant des postes subalternes et ayant un salaire modeste. Leur position non privilégiée dans l'ONG exacerbe leur ethnisme car supportant mal d'avoir comme supérieurs hiérarchiques des individus appartenant à une ethnie qu'ils abhorrent. Ce n'est donc pas les idéaux de vivre ensemble, de réconciliation et de pluralisme que mettent en avant les dirigeants de l'organisation qui vont modifier le moins du monde leur vision particulière de la vie en société. La modestie des salaires de certains irréductibles implique que leurs conditions de vie ne sont pas aussi bonnes que celles de leurs collègues cadres. Les « autres » deviennent alors des boucs émissaires, la cause de leur inconfort matériel, car occupant des postes qui leur reviendraient de droit.

Ceci tendrait à confirmer l'hypothèse avancée par certains analystes de la crise burundaise selon laquelle plus la position sociale des individus est élevée, ou alors, plus les individus sont matériellement à l'aise, plus leur conscience ethnique s'atténue. Ils développeraient ainsi d'autres modes d'identification basés essentiellement sur la classe sociale, l'appartenance à une même sphère d'activité, ou à un même club professionnel, la fréquentation des mêmes endroits de loisir, etc. C'est ainsi que, même pendant les moments les plus tendus de la guerre civile, les quartiers dits résidentiels habités par les individus aux revenus assez confortables

n'ont pas connus les troubles et la balkanisation ethnique qu'on observait alors dans les quartiers populaires. Pour les habitants de ces quartiers résidentiels, la nécessité de sauvegarder les conditions qui constituent l'essence de leur style de vie passait avant l'envie d'en découdre avec le voisin appartenant à l' « autre ethnie ».

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius