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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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4.1.3. Le voyeurisme

Si l'expérience cathartique peut être perçue comme positive, voire recommandée, elle conserve toutefois une dimension inquiétante, notamment au sein du monde scientifique où elle n'a trouvé que peu de défenseurs. En effet, les principaux avocats de cette valorisation sont les artistes et les psychanalystes, car celle-ci permet de laisser libre cours à la création, même la plus sordide. Comme Janus, l'horreur a deux visages ; d'un côté bon lare, de l'autre mauvais en créant une attirance pour une violence virtuelle. Pour de nombreux sociologues, cette attirance émane d'une certaine perversité1, qui va être assouvie dans le visionnage d'un film d'horreur, ou ne le sera pas et sera alors le reflet d'un trouble plus important, qui peut aller jusqu'aux instincts criminels. Ceux qui assistent à une scène d'accident ou à une agression peuvent également développer ce type d'attitude participative, qui est autant à l'oeuvre dans la société que dans les médias. Selon Luc Boltanski, le voyeurisme est une attitude de survie. En ce sens, le film d'horreur

1 Laurent Jullier, op. cit., p. 69 : « le spectateur se mettra à prendre du plaisir à sa propre corruption morale en jouissant de l'obligation qu'il y a à éprouver certaines émotions pour comprendre l'histoire racontée à l'écran, quand bien même et surtout si ces émotions supposent une certaine perversité »

présentant des morts violentes ou des tortures insoutenables fonctionnerait de telle manière que ses spectateurs s'en trouveraient rassurés quant à leur propre vie. « Cela arrive aux autres mais pas à moi » se diraient-il. A ce titre Boltanski affirme qu'« avoir sous les yeux la triste preuve de l'extrême fragilité de l'existence rend soudain exaltant le sentiment d'être (encore) en vie »1. L'identification à l'autre, celui qui souffre, si elle est a priori difficile à supporter, revêtirait alors une fonction sociale. Cependant la démarche devient perverse lorsque l' « amateur de souffrances » n'entre plus dans cette démarche et apprécie la torture pour ce qu'elle est, non plus avec ce second degré qui sépare le spectateur de ce qu'il regarde (car le voyeur ne s'approche jamais trop de la scène qu'il observe). Aussi une certaine distanciation doit avoir lieu pour que le voyeurisme attentiste et inoffensif ne se transforme pas en action visant à provoquer un acte similaire, dans l'optique conséquentialiste. Or si pour Jean-Marc Leveratto « la représentation [de scènes gores] cherche à stimuler notre sens de la justice plutôt que de satisfaire notre agressivité »2, il s'avère que la pitié ou la compassion ne fait guère partie du registre émotif de l'aficionado de cinéma horrifique (alors que pour le spectateur novice il peut l'être). C'est que ceux-ci font très bien la différence entre la représentation cinématographique et la réalité, et c'est à ce titre qu'ils s'autorisent ce plaisir. Les individus souffrant de perversité maladive ne se porteront pas vers des films d'horreur car ils sont conscients que ceux-ci ne représentent pas la réalité, encore plus s'ils évoluent dans le registre fantastique. Ils iront plus volontiers vers des films amateurs, jouant avec la confusion entre réel et cinéma, dans le registre du snuff movie ou du fétichisme, qui ne doivent en aucun cas être confondus avec les films d'horreur malgré la prégnance de la torture dans les nouveaux films d'horreur - que beaucoup n'incluent pas dans le genre horrifique.

Après toutes ces explications, nous pouvons en dernier lieu nous demander s'il est légitime de parler de voyeurisme alors que les personnages mis en scène dans les films sont des acteurs, qui n'éprouvent pas réellement la souffrance qu'ils sont censés endurer d'après un scénario établi à l'avance. Si les films faisant apparaître la violence de façon réaliste sont ceux qui posent le plus de problèmes à la morale de la réception, le simple fait qu'ils appartiennent au registre cinématographique (relevant de la création de l'esprit, même s'ils peuvent être inspirés de faits réels) devrait expliciter leur nature et ne pas créer la confusion. Mais la subjectivité du regard et le manque de maturité face à certaines images violentes, notamment auprès du jeune public, nécessitent l'intervention

1 Luc Boltanski, La Souffrance à distance, Paris, Métailié, 1993

2 Jean-Marc Leveratto, Introduction à l'anthropologie du spectacle, Paris, La Dispute, 2006 p. 95

d'une éducation à l'image1 et l'établissement de règles précédent au visionnage de celles- ci. Il ne faut pas confondre cinéma et réalité, même si celui-ci doit être au plus près des spectateurs pour les toucher. C'est justement pour cette raison que le cinéma est un lieu magique, d'expérience de ce que la réalité ne peut nous offrir, que ce soit le meilleur ou le pire.

The Shining de Stanley Kubrick (1980)

Certes par leur puissance évocatrice, les films d'horreur peuvent être incriminés comme symboles d'une société perverse et voyeuriste, où depuis la fin de la censure cinématographique la violence s'étale librement sur tous les écrans. Mais ils peuvent aussi être le lieu d'une réflexion sur soi, sur la vie et la mort, sur la souffrance, au-delà des émotions fortes qu'il tend à susciter, qui elles aussi peuvent être positives.

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