WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

( Télécharger le fichier original )
par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

précédent sommaire suivant

4.2.3. Une cible marketing ?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les subcultures sont des communautés très organisées et bien spécifiques. Cependant, l'erreur est de croire que toute communauté est homogène. Les distinctions apportées à l'intérieur d'un groupe, entre les pionniers et les suiveurs, tendent à réduire l'homogénéité de la communauté en question. Dès lors, comment appréhender ces interlocuteurs, pour les vendeurs des produits qui sont consommés par les premiers ? Les différences de motivations des spectateurs obligent les entreprises de la filière cinématographique à différencier leurs produits en fonction des publics à atteindre. La nature du marketing à mettre en oeuvre dépend de la cible à toucher aussi bien que de l'émetteur de l'offre commerciale. Cependant, malgré cette hétérogénéité, il semble que la plupart des entreprises s'adressent à un public jeune (emploi de l'impératif, d'un langage familier et de la deuxième personne du singulier dans les slogans publicitaires). En effet, pour des raisons sociologiques évoquées, le cinéma d'horreur est supposé s'adresser aux adolescents, du moins à un public de jeunes adultes. Il en est de même pour le présupposé masculin, souvent mis en oeuvre dans les milieux marketing et journalistique. Or de l'avis de tous les professionnels et observateurs amateurs, les femmes sont de plus en plus nombreuses à rechercher le spectacle horrifique. En prenant appui sur le coeur de cible supposé, les entreprises développent le plus souvent un marketing simple et efficace, révélant la présence des éléments indispensables aux films d'horreur sur les affiches, dans les bandes-annonces ou sur les boîtiers des DVD. Considéré comme un cinéma d'exploitation dans la plupart de ses réalisations, le marketing tend également à l'être : « Le visuel prévaut, les séquences se suffisant à elles-mêmes et se répétant jusqu'à la fin dans un dénouement inattendu (...). C'est le mal de la société de consommation du nouveau millénaire : on veut de l'immédiatement consommable. Pas de préambule, pas de temps à perdre. L'affiche annonce du sang ? Tant mieux, c'est pour çà que vient le

1 Or, en prenant appui sur les définitions de Roland Barthes, Dick Hebdige arrive à la conclusion que le style ne véhicule aucun signifiant, ce n'est qu'un signifié, qui ne renferme rien d'autre que la volonté de la différenciation et de la provocation (« just otherness »)

spectateur1 » assure Jean-Nicolas Berniche. Jean-Emmanuel Papagno, chef de produit chez TF1 Video affirme la prégnance d'un marketing sanglant, de goodies qui ravissent les fans. La commercialisation de nombreux produits dérivés, des tee-shirts aux figurines, en passant par des tasses et des peluches à l'effigie des psycho-killers, atteste de la jeunesse supposée de leurs acheteurs. L'esprit de collection à l'oeuvre chez les fans du genre, et a fortiori chez tous les cinéphiles, tend à expliquer la production de coffrets DVD et autres éditions spéciales. Cependant, on remarque que le positionnement d'un film en salles et sur le marché vidéo n'est souvent pas le même, permettant ainsi de rectifier un mauvais tir ou bien de renforcer celui-ci. Cela part du principe que le consommateur de vidéo est différent de celui de la salle. Or on se rend compte que les consommateurs assidus de cinéma en salles sont également ceux qui achètent le plus de DVD2. On croit souvent que les jeunes se portent plus sur l'achat de vidéos que sur la salle. Or le développement des cartes illimitées et la dématérialisation des supports tendent à rectifier un peu cette donnée. Dès lors comment évaluer la communauté des fans ? Léna Lutaud affirmait que « De 350 000 passionnés début 2000, les amateurs sont désormais 3 millions, dont un sur deux est âgé de 10 à 25 ans3. » Christophe Lemaire fait quant à lui remarquer que les vrais fans de fantastique sont peu nombreux ; il les évalue à un petit groupe d'environ mille personnes en France. Car en effet, la passion demande beaucoup d'engagement et de temps. Le spectateur fanatique n'est pas un spectateur passif. Entre ces deux conceptions, il est difficile de trancher, les études de public étant peu accessibles et chères. Cependant, au regard des nombreuses observations, d'avis de professionnels et des statistiques disponibles4, il semble que le public du cinéma d'horreur recouvre une plage bien plus large que celle évoquée des 15-25 ans, se situant plutôt dans un ordre de 15-40 ans, réunissant par là plusieurs tranches générationnelles.

Les spectateurs de films d'horreur, s'ils peuvent déployer plusieurs attitudes face aux films, allant de l'attirance voyeuriste et cathartique à l'intérêt réel et documenté en allant au-delà des effets de la peur, témoignent tous d'une démarche de provocation. Tant chez les jeunes, censés être la cible de prédilection de ce cinéma, que chez les sujets plus âgés et les spectateurs occasionnels, l'esprit de rébellion est à l'oeuvre. Avec ses avatars et ses pratiques amateurs, les fans de films d'horreur constituent une communauté subculturelle qui voue un culte à la transgression graphique et revendique sa particularité, tout en affichant une cinéphilie tous azimuts.

1 Jean-Nicolas Berniche, Une petite histoire de l'horreur, op. cit, annexe n°9, p.25

2 Voir les pratiques vidéo des Français, Le marché de la vidéo en 2007, CNC

3 Article En France, le marché du film d'horreur atteint des sommets grâce aux ados par Léna Lutaud, Le Figaro du 5 février 2008

4 Voir celles fournies par Ketty Beunel à propos du festival de Gérardmer ( entretien, annexe n°23, p.54)

Les films d'horreur, après un développement exponentiel puis cyclique au XXe siècle, entretenant des relations avec d'autres genres cinématographiques, sont régis par un certain nombre de codes esthétiques et narratifs. Le développement propre à chaque époque, induisant des règles esthétiques différentes a produit des styles variés, qui tendent à s'isoler voire à s'opposer aujourd'hui. Aussi un giallo peut se rapprocher d'un thriller, mais n'a rien à voir avec un slasher ou un torture-flick. Les Etats-Unis ont initié le genre et restent les pionniers de l'innovation comme de l'exploitation, mais ont été et sont concurrencés sur leur marge par des films baignés d'une culture nationale ou locale plus prégnante. Certains tendent même à faire évoluer le genre vers le cinéma d'auteur, notamment en France où la production, si elle commence à devenir plus importante, reste tout de même marginale. D'autre part, le cinéma d'horreur fournit de nombreuses possibilités pour d'autres genres qui peuvent s'en inspirer. L'horreur est à la fois un genre et un répertoire. Souvent positionnée sur les adolescents en occultant les fans nostalgiques, elle s'épanouit dans les esprits rebelles et les comportements transgressifs. Même les spectateurs du dimanche développement cette volonté de provocation, qui pour d'autres est à l'oeuvre quotidiennement. Ces caractéristiques font du public des films d'horreur une communauté assez codifiée, que l'on peut qualifier de subculturelle. Or ce schéma normatif peut apparaître comme un atout mais aussi comme un handicap au renouvellement de ce type de cinéma. Qualifié souvent de film de genre, en tant que « cinéma volontairement codifié »1, le cinéma d'horreur souffre parfois de ses figures imposées. En ce sens, le cinéma d'horreur, comme tous les cinémas de genre, apparaît comme un cinéma néo-classique, qui s'inscrit dans une lignée. Pourtant, beaucoup y voient aussi l'expression d'une postmodernité comme Isabel Cristina Pinedo. Le nombre de films fantastiques, de science-fiction ou d'horreur qui peuvent être qualifiés de postmodernes au regard des critères de ce nouveau cinéma qui traite des troubles de l'identité, de la distorsion du temps et de l'espace, sont pour les uns légions, pour d'autres de simples aberrations. Ce clivage ancestral ne risque pas de prendre fin demain, mais des auteurs s'intéressent à son histoire et soutiennent sa richesse.

.

1 « C'est quoi un film de genre ? » in L'appel du 13 juin, op.cit., annexe n°14, p.33

précédent sommaire suivant







Cactus Bungalow - Bar Restaurant on the beach @ Koh Samui