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La question de la souveraineté chez Georg Jellinek

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par Ghislain BENHESSA
Université Robert Schuman - M2 Droit public fondamental 2008
  

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§2. Des raisons historiques et politiques qui expliquent l'émergence du concept de souveraineté au Moyen-Âge

«Ce ne sont pas des savants étrangers au monde, qui ont découvert ce concept [la souveraineté] au fond de leur cabinet d'étude, ce sont des pouvoirs puissants, des pouvoirs dont les luttes ont rempli des siècles, qui l'ont mis au jour. C e processus historique n'a jamais été, jusqu'ici, décrit avec certitude »63. Jellinek insiste sur les origines du concept de souveraineté : il est le fait de politiques, qui ont souhaité imposer leur vision du monde, notamment asseoir l'autorité et les pouv oirs du roi de France. La souveraineté est, selon lui, un «concept polémique» qui, après avoir été de «nature défensive », est «devenu, au fil du temps, de nature offensive »64.

Au Moyen-Âge, dans le conflit qui oppose l'Eglise à l'Etat, plusieurs opinions différentes
s'affrontent quant à savoir qui, de l'Etat ou de l'Eglise est supérieur. Les opinions se
prononcent soit en faveur de l'Etat, soit en faveur de l'Eglise. C'est surtout dans la « dernière

63 Ibid., II, 72-73

64 Ibid., II, 80

période du Moyen-Âge, grâce à la France, que l'idée de la prééminence du pouvoir de l'Etat est devenu un fait historique », par le fait que «la papauté d'Avignon admet [É] la supériorité de l'Etat sur l'Eglise ». Ainsi, en France, on en vient à «affirmer la pleine indépendance de l'Etat à l'égard des ordres de l'Eglise »65. C'est dans ce contexte, lors de la lutte entre le roi Philippe le Bel et le pape Boniface VIII, comme le note Jellinek, que naissent les écrits qui s'engagent en faveur de l'Etat dans sa lutte face au pouvoir ecclésiastique.

Jellinek ajoute que le « second pouvoir» qui, durant le Moyen-Âge, « s'oppose à l'idée de l'Etat indépendant, est le pouvoir impérial. En effet, la « théorie officielle » considère « tous les Etats chrétiens comme des membres de l'Empire romain. L'Empereur seul est le maître [É] Lui seul peut donner des lois »66. Ainsi, l'Empereur souhaitant conserver son autorité face au Roi de France, celui -ci doit s'imposer pour faire valoir ses droits. C'est dans ce sens que la souveraineté va devenir une arme offensive servant l'ambition des princes.

Comme souvent, Jellinek insiste sur les faits politiques historiques, sur la réalité concrète. La théorie juridique érigeant l'Empereur en chef incontesté du monde occidental est en effet contestée par certains Etats, comme la France et l'Angleterre, qui ne tiennent pas compte de la suprématie impériale. Ainsi « la théorie se voit forcément contrainte de tenir compte de ces prétentions [étatiques]» et le fait en appuyant ce « droit à l'indépendance », qui est accordé en vertu d'un « privilège impérial ». Ainsi, « l'indépendance prétendue n'est jamais déduite de la nature même de l'Etat », et l'Empereur conserve le « privilège exclusif de concéder le titre de roi, et par suite les prérogatives qui sont attachées à ce titre par la doctrine juridique dominante »67.

En fait, comme l'exprime très clairement Jellinek, c'est en France que cette double dualité Etat/Eglise et Etat/Empire est clairement visible : selon « l'intime conviction juridique» du peuple français, le roi ne peut avoir de suzerain au-dessus de lui, que ce soit Dieu ou l'Empereur. « Ainsi se trouve, pour la première fois, formulé le principe de l'indépendance royale »68. L'intime conviction du peuple érige le roi en maître indépendant du pouvoir impérial. Or, comme nous l'avons déjà vu, le droit, en dernière instance, résulte de la

65 Ibid., II, 81

66 Ibid., II, 82

67 Ibid., II, 84

68 Ibid., II, 85

conviction dominante à une époque donnée. C'est au Moyen-Âge que se situe ce changement de paradigme : l'opinion dominante tend à considérer le roi comme seul détenteur du pouvoir, qu'il ne détient plus en vertu d'un titre impérial, mais à raison de son autorité propre.

Georg Jellinek insiste sur la différence qu'il y a entre les théories médiévales et les théories circulant à l'époque antique : «les philosophes de l'Antiquité ne s'étaient pas rendu compte de l'importance de cette idée de l'indépendance de l'Etat »69. C'est donc bien au Moyen-Âge que l'indépendance devient un élément-clé, caractérisant le concept de souveraineté. Si l'Etat, pour être Etat, ne devait pas nécessairement remplir cette condition à l'époque antique, le Moyen-Âge érige l'indépendance en condition essentielle: pour que l'Etat soit reconnu comme tel, il faut qu'il parvienne à être indépendant. Or, cette indépendance ne peut être obtenue par la force, les princes et le roi de France tentant de se soustraire à la tutelle impérial.

Outre cette double dualité Etat/Eglise et Etat/Empire, le théoricien de Heidelberg rappelle que la médiatisation du pouvoir, par le système de la féodalité, a également ralenti l'avènement de l'Etat moderne. On voit se dresser des «personnalités de droit public qui ne tiennent leurs droits que d'elles-mêmes, dont le droit n'est pas subordonné aux prescriptions de l'Etat »70 : le seigneur peut ainsi rendre la justice, en lieu et place du roi et entrer en commerce avec la population. En conséquence, le royaume se morcelle et l'idée de l'unité de l'Etat est réduite à peau de chagrin.

La tâche qui incombe au roi de France est de se rendre peu à peu indépendant vis-à-vis du pouvoir seigneurial et ecclésiastique afin de revendiquer la soumission directe du peuple. Dès lors, le roi va user de différents stratagèmes pour faire valoir son pouvoir et son indépendance : étendre le domaine royal (puis le rendre inaliénable), jouer sur le principe «nulle terre sans seigneur », obtenir le pouvoir de justicier suprême, ainsi que le pouvoir de

ème

police puis le pouvoir législatif. De ce fait, « à la fin du 13siècle, on voit s'établir pour la première fois le principe que le roi est souverain de tout le royaume, par-dessus les barons ». De plus, «les légistes exagèrent la doctrine du Bas-Empire sur la condition du prince souverain absolu; ils en déduisent la plénitude de pouvoir au roi de France [É] il n'y a pas de

69 Ibid., II, 87

70 Ibid., II, 88

pouvoir qui tienne ses droits de soi-même, indépendamment du roi ». Ainsi donc «la théorie et la pratique concourent à rendre la royauté, et conséquemment l'Etat, indépendants des droits de souveraineté du seigneur »71 . Les principes qu'il a à sa disposition et la pratique qu'il en fait permettent au roi de prendre son indépendance et, par là même, d'imposer l'indépendance de l'Etat.

C'est ainsi qu'au fur et à mesure, le pouvoir du roi parvient à supprimer le double dualisme qui existait auparavant. Il fait « de la collectivité du peuple une unité » et « la théorie suit [É] ce développement ». Ainsi, selon Jellinek, c'est bien cet état de fait qui va provoquer l'émergence des théories sur la souveraineté : «la concentration du pouvoir de l'Etat dans la main du prince amène à l'idée qu'un tel pouvoir est un élément constitutif de l'Etat », en même temps que, grâce sous l'influence de l'Humanisme naissant, «la conception antique de l'Etat se fait jour dans le monde chrétien, et avec elle l'idée de l'unité de l'Etat »72 . La pratique que fait le roi de son nouveau pouvoir provoque l'idée moderne de souveraineté: cette idée n'est pas innée, ne repose pas sur des princes de droit naturel, mais résulte de la pratique du pouvoir des souverains eux-mêmes. D'une certaine manière, on peut dire que ce sont les souver ains eux-mêmes, par leurs actes, qui sont à l'origine de la création du concept de souveraineté.

ème

Cependant, précise les officielles, jusqu'aux 1 5 ème

Jellinek ensuite que

doctrines 14 et

siècle, n'ont pas directement tenu compte de ce nouvel état de choses: elles ont tenté de «croire fermement que l'Empire romain d'Occident s'était conservé intact sous son ancienne forme ». Ces doctrines sont ainsi restées dans « l'ignorance du réel ». La doctrine officielle reste la doctrine impériale: pourtant, de par l'émergence du roi de France, cette doctrine ne permet plus d'envisager sereinement la réalité du monde. Ainsi, si la doctrine royale tente d'asseoir les positions du roi de France en «forçant» la réalité, niant pour des raisons politiques les pouvoirs impériaux, la doctrine officielle, c'est -à-dire la doctrine impériale, est restée dans une situation surannée, niant autant que faire se peut les droits nouveaux que se sont octroyés les princes et le roi de France.

71 Ibid., II, 91

72 Ibid., II, 92-93

Et c'est finalement sur le «sol ferme du droit public français que se constitue la nouvelle doctrine de l'Etat et de son pouvoir [É] ce n'est plus en vertu d'un privilège ou par suite de pures circonstances de fait, mais bien par l'effet d'un droit propre et originaire que le roi de France est réputé n'être le sujet de personne ». Ainsi, selon Grassaille, qui «publie un livre sur les droits régaliens en France [É] le roi de France est le premier roi qui ne reconnaisse ni de jure ni de facto un supérieur quelconque dans l'ordre des choses temporelles, pas même le Pape [É] Il a même sur l'Eglise des droits qui n'appartiennent à aucun autre monarque » 73.

Puis, selon Jellinek, survient alors le moment décisif où la théorie va décider d'ignorer sciemment les conditions dans lesquelles la souveraineté tire son origine et va l'ériger en élément consubstantiel à l'Etat. La théorie va ignorer les longs combats qui ont opposé l'Etat aux autres autorités médiévales afin de conclure que la souveraineté, loin d'être le résultat de simples luttes politique s, est un élément inhérent à la nature même de l'Etat. «Dans Bodin se trouve résumé tout le développement antérieur, tout ce qui du moins peut aider à comprendre le caractère juridique du royaume de France. Seulement, ce résultat qui s'est dégagé de l'histoire politique française, il l'élève à la hauteur d'un principe absolu. La souveraineté, conquise au prix de longs combats, figure, dans sa définition de l'Etat, comme un élément substantiel ».

Jellinek ajoute «qu'avant Bodin personne n'avait parlé de ce «droit gouvernement sur un plus ou moins grand nombre de ménages, gouvernement qui dispose d'un pouvoir souverain, c'est-à-dire du pouvoir indépendant et suprême tant à l'intérieur qu'à l'extérieur; personne n'avait dit qu'un pareil gouvernement représente l'Etat [É] de la réunion en un concept unique de tous les éléments de la Souveraineté, on ne trouve pas de trace avant Bodin ». Ce sont les théoriciens, à l'image de Bodin, qui affirment que la souveraineté est la caractéristique première de l'Etat. Jellinek, par son analyse, insiste sur l'artifice que constitue le concept de souveraineté.

Ainsi, la souveraineté est de nature négative: c'est la «négation de tout ce qui voudrait s'affirmer comme un pouvoir indépendant»74, que ce soit le pouvoir de l'Eglise, de l'Empire ou des Etats féodaux. L'Etat devient, par la force des théories, indépendant de tout pouvoir. Cette indépendance devient, d'après Jean Bodin, le socle sur lequel l'Etat peut être fondé.

73 Ibid., II, 94-95

74 Ibid., II, 97

Cette «négation de tout pouvoir indépendant» est donc créée par les théoriciens, au Moyen- Âge, dans un but exclusivement politique.

Or, Jellinek termine en ajoutant que «la portée universelle de cette négation de tout pouvoir supérieur n'apparaît pour la première fois d'une façon tout à fait claire, que lorsque, dans la réalité politique, cette négation intégrale a triomphé et a surgi ainsi en pleine lumière devant les yeux des théoriciens »75.

La théorie n'a longtemps pas pris en compte la notion de souveraineté puis l'a admis, logiquement, oubliant de préciser qu'elle n'est que le résultat de querelles politiques et historiques, le produit

des dualités médiévales opposant l'Etat à l'Empereur, à l'Eglise, et au système féodal morcelant son propre territoire. L'Etat, en proclamant son unité, en affirmant son indépendance, a acquis la souveraineté comme un élément inhérent à sa qualité même d'Etat. Loyseau ira même jusqu'à déclarer que «la souveraineté est du tout inséparable de l'Etat. La souveraineté est la forme qui donne l'être à l'Etat »76.

La souveraineté est donc un concept juridique «récent», polémique, dont les racines remontent au Moyen-Âge, et n'a été mis en avant, à l'origine, dans l'objectif de nier les pouvoirs des autres autorités s'opposant à la royauté. La souveraineté n'est donc pas consubstantielle à l'Etat. Elle est un concept circonstancié, que les théories politiques ont érigé en concept «absolu», afin de servir les ambitions du roi et de favoriser son indépendance.

Car, n'oublions pas, comme le dit très bien Michel Foucault, qu'il existe un «principe général en ce qui concerne les rapports du droit et du pouvoir. Dans les sociétés occidentales, et ceci depuis le Moyen-Âge, l'élaboration de la pensée juridique s'est faite essentiellement autour du pouvoir royal. C'est à la demande du pouvoir royal, c'est également à son profit, c'est pour lui servir d'instrument ou de justification que s'est élaboré l'édifice juridique de nos sociétés »77.

75 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, II, 98

76Loyseau, Traité des seigneuries, dans Eric Maulin, Souveraineté, dans Denis Alland et Stéphane Rials (direction), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy / PUF, Collection Quadrige Dicos Poche, 2003 77Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France. 1976, Seuil/Gallimard, Collection Hautes Etudes, 1997, 23

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand