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La question de la souveraineté chez Georg Jellinek

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par Ghislain BENHESSA
Université Robert Schuman - M2 Droit public fondamental 2008
  

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§2. L'influence des théories jellinéliennes sur le positivisme kelsénien et les critiques des théoriciens de Weimar vis-à-vis de la conception jellinékienne de la souveraineté

Le modèle jellinékien de souveraineté a exercé une certaine influence sur les théoriciens du droit au début du 20ème siècle. Les discussions au sein de la doctrine juridique ont été vives car les théories échafaudées par le Maître de Heidelberg n'ont pas laissé les théoriciens de Weimar indifférents.

D'une part, il est clair que les thèses de Jellinek ont largement influencé le positivisme général et Hans Kelsen en particulier. La volonté affichée par Hermann Heller de classer Jellinek parmi les positivistes le montre d'ailleurs nettement.

Le modèle mis en place par le maître de Heidelberg de la souveraineté va également dans le sens d'un renforcement de l'Etat de droit, soumettant le souverain aux normes dont il est à l'origine le créateur. Ainsi, malgré le fait que Jellinek n'ait pas caché sa «méfiance » vis-à- vis des théoriciens du Rechtsstaat , son raisonnement insiste sur la position supérieure du droit par rapport à l'Etat. En liant l'Etat au droit, Georg Jellinek donne de la substance à la théorie du Rechtsstaat (A).

D'autre part, la théorie jellinékienne de la souveraineté a soulevé la polémique au sein de la doctrine. Ses définitions, qu'elles aient été acceptées ou rejetées, ont donné lieu à des discussions animées: de nombreux auteurs, tels que Léon Duguit, Carl Schmitt ou Hermann Heller, ont volontairement pris leur distance vis-à-vis des théories de Georg Jellinek relatives à la conceptualisation générale du droit et, plus précisément, à la question de la souveraineté. L'approche psycho-sociologique de Jellinek est largement remise en cause, tout particulièrement par les décisionnistes Heller et Schmitt, qui privilégient une approche

purement politique du fait juridique. Or, cette nouvelle approche produit des conséquences sur le concept de souveraineté (B).

A. L'influence des théories jeiinékiennes liant le souverain au droit sur le positivisme et sur l'idée de « Rechtsstaat »

1. Des liens complexes avec le positivisme kelsénien

Il est évident qu'il existe un lien entre les théories jellinékiennes, notamment celles intéressant la question de la souveraineté, est les positions positivistes, telles qu'elles ont été fondées par le juriste autrichien Hans Kelsen. On peut d'ailleurs dire que Kelsen a «mis en question l'auto-élévation de l'Etat à la personnalité juridique que suppose Jellinek tout autant que la doctrine de l'auto-limitation qui lui est sous-jacente »177 . Si les axes de travail de Kelsen l'ont mené à des résultats différents, les questions à partir desquelles les deux auteurs ont construit leurs modèles présentent des similitudes.

Le décisionniste qu'est Hermann Heller ne s'y trompe pas, lorsqu'il qu'il en vient à critiquer le formalisme juridique propre au positivisme : «A travers Gerber Laband et Georg Jellinek, le formalisme juridique libéral a accédé à une position dominante [...]Il a dû son achèvement à Hans Kelsen, pour lequel, en toute logique, tout Etat est un Etat de droit, dans la mesure où le droit présente, indépendamment de la valeur et de la réalité, une forme pour tout contenu arbitraire [...] L'Etat est devenu irréel, une abstraction ou une fiction, parce que son contenu de valeur n'apparaît plus crédible »178 . Sa critique du positivisme, courant qui selon lui refuse d'intégrer tout système de valeur dans les fondements de l'Etat et de la Constitution, assimile consciemment les théories jellinékiennes aux conceptions kelséniennes. Heller place Kelsen et Jellinek au même rang : le Professeur de droit public de Heidelberg aurait fondé les prémisses de ce qui serait devenu, sous la plume du juriste autrichien, le positivisme.

Il est évident que, s'y l'on suit la conception jellinekienne de la souveraineté, le souverain se
trouve nécessairement lié par le droit. Or, le positivisme, s'il va plus loin en théorisant

177 Walter Pauly, Le droit public subjectif dans la doctrine des statuts de Georg Jellinek, dans Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l'Etat de droit, Presses universitaires de Strasbourg, 2001,299

178 Herman Heller, L 'Europe et le fascisme, dans Sandrine Beaume, Carl Schmitt, penseur de l'Etat, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2008, 258

l'identité entre système juridique et Etat, reprend la position jellinékienne reliant, de façon consubstantielle, l'Etat au droit. Jellinek, en montrant que l'Etat ne peut sortir du droit sans se renier lui-même, semble poser les bases du positivisme kelsénien. L'anarchie, c'est-à-dire la situation de pur fait, est, dans l'optique jellinékienne, incompatible avec le concept même d'Etat. L'Etat est directement lié au droit par un lien logique. A cet égard, on peut considérer que la théorie kelsénienne, qui identifie l'Etat au droit, se place dans une relation de «filiation» par rapport aux théorie jellinékiennes. «Jellinek ne dira jamais expressément, à l'instar de Kelsen, que l'Etat se définit comme un ordre juridique, mais à tout le moins la doctrine de l'auto-limitation engage-t-elle profondément dans cette voie »179.

En limitant le souverain par le droit, en liant l'Etat au droit, Jellinek annonce donc l'un des thèmes majeurs du positivisme. L'une des différences que l'on peut noter, contrairement à ce que Heller affirme, tient au fait que, chez Jellinek, «il y va de la possibilité d'une éthique de la vie humaine commune, une question que Kelsen évacue consciemment »180 . Kelsen ne pense le droit que sur un plan formel, et non sur un plan matériel. Au contraire, Jellinek construit son modèle sur une base empirique et relie Etat et droit dans un but éthique : faire valoir les droits individuels face à la puissance étatique. Si «l'image de Kelsen est en effet trop souvent celle d'un savant indifférent au monde et à la politique », alors qu'il fut le «rédacteur de la Constitution autrichienne de 1920, qu'il fut membre de la Haute Cour constitutionnelle ins tituée par cette Constitution et qu'il en démissionna avec éclat pour protester contre une révision constitutionnelle consacrant un affaiblissement des pouvoirs de la Cour »181, celle de Jellinek est tout à fait différente. Celui-ci, en théorisant l'Etat de façon tant sociologique que juridique, semble s'immiscer dans la réalité politique, dans le contexte précis des différentes époques qu'il tente d'analyser. De cette façon, Jellinek est impliqué dans la défense des droits individuels : son objectif est de défendre la protection des individus face à la puissance étatique en s'appuyant sur une certaine vision éthique du droit.

De ce fait, si, dans un premier temps, Jellinek déconstruit l'absolutisme de la souveraineté et
démontre que celle-ci n'est qu'un concept historique et circonstancié, le maître de Heidelberg
montre également que l'Etat, même titulaire de la souveraineté, ne peut aller à l'encontre des

179 Olivier Jouanjan, Préface : Georg Jellinek ou le juriste philosophe, dans Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, 79

180 Walter Pauly, Le droit public subjectif dans la doctrine des statuts de Georg Jellinek, dans Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l'Etat de droit, Presses universitaires de Strasbourg, 2001,299

181 Patrick Wachsmann, Le kelsénisme est-il en crise ?, Droits, 4, 1986, 53-64

individus et ne peut nier leurs droits. Le jugement que Heller portait sur Jellinek insiste de façon pertinente sur ce point : «Le problème central était pour lui [Jellinek] la relation entre l'individu et l'Etat ».

2. La défense des droits individuels face à la toute-puissance étatique: des objectifs similaires à ceux prônés par les théoriciens du Rechtsstaat

Georg Jellinek, tout au long de sa théorie, tente de montrer comment le concept d'auto - limitation peut permettre aux individus de se protéger face à la puissance étatique. Ainsi, Jellinek donne de la substance à la théorie du Rechtsstaat, bien qu'il ne soit pas un théoricien de l'Etat de droit à proprement parler. Sa théorie, comme nous l'avons déjà démontré, est centrée sur l'individu, la conviction individuelle, le monde subjectif. Il en ressort une souveraineté tempérée, loin de l'absolutisme des auteurs classiques : le souverain ne peut nier l'individu. L'Etat n'est pas un pur instrument de domination: il doit respecter le droit, notamment les «éléments constants» du droit, lesquels forment un cadre dans lequel l'action étatique s'insère. En conséquence, le souverain respecte nécessairement le droit.

Il faut d'ailleurs noter qu'au cours de son analyse historique des différents types d'Etat, dans le premier tome de L 'Etat moderne et son droit, intitulé Théorie générale de l 'Etat, Jellinek insiste sur le fait que l'Etat, au cours des siècles, n'a jamais véritablement nié l'individu, contrairement aux idées reçues.

« Sans doute, l'individu, dans l'Etat antique, comme dans l'Etat moderne, pouvait exercer son activité dans une sphère d'action libre et indépendante de l'Etat, mais l'antiquité n'a jamais eu conscience du caractère juridique de cette activité libre [É] Mais l'ignorance du droit individuel n'existe [sous l'Antiquité] qu'en ce qui concerne cette sphère de liberté; car on a vivement conscience de la tâche que l'Etat doit remplir dans l'intérêt de l'individu et du droit de l'individu d'en exiger l'accomplissement »182 . Ainsi, en retraçant un historique des différents types d'Etats, Jellinek insiste sur le fait que la souveraineté de l'Etat n'a jamais été absolue : l'individu a toujours bénéficié d'une certaine «sphère de liberté », bien que les époques, en la matière, montre des différences conséquentes. Nier l'existence d'une «sphère de liberté» individuelle, refuser d'admettre que l'individu a toujours bénéficié d'une certaine reconnaissance juridique à toutes les époques, reviendrait à nier la réalité historique.

182 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, I, 468-469

«Entre l'individu antique et l'individu moderne, quant à leurs rapports avec l'Etat, toute la différence, au point de vue juridique, se borne à ce que la liberté de l'individu moderne est expressément reconnue dans les lois de l'Etat, tandis que celle de l'individu antique était si naturelle qu'elle n'a jamais eu d'expression légale »183.

En dressant un tableau historique des différents Etats, Jellinek souligne le fait que la liberté de l'individu a toujours existé ; la différence entre les périodes antiques et modernes tient dans la reconnaissance expresse de cette liberté individuelle par le système politique. De cette façon, Jellinek, d'une part, met en échec les théories absolutistes, et, d'autre part, s'attache à montrer l'importance de l'individu dans tous les systèmes juridiques. L'individu, dès l'Antiquité, était au moins titulaire de droits politiques qui lui permettaient de participer à l'exercice du pouvoir. C'est pourquoi, parler de négation de l'individu, oublier l'existence de ces libertés sous l'ère antique, célébrer la souveraineté comme un concept absolu, consiste à nier la réalité des choses.

De ce fait, lorsque la doctrine assimile l'Etat antique à un Etat omnipotent, elle se base uniquement sur, « les théories de Platon et d'Aristote » : cet Etat correspond à « un type idéal et non à un type empirique »184 . Si Jellinek insiste, par la suite, sur la distinction ent re souveraineté et Etat, il met en avant, dans sa Théorie générale de l 'Etat, le fait que l'idée d'un Etat antique omnipotent, « dominant l'individu de toutes parts, ne lui permettant aucune action politique »185, relève donc purement d'un « type idéal» : ce type idéal reflète les théories grecques, notamment platoniciennes et aristotéliciennes, mais ne correspond pas à la réalité des choses. Malheureusement, les historiens et les philosophes se sont davantage penchés sur ces théories que sur le contexte politique réel. L'histoire démontre que l'Etat grec ne dominait pas l'individu de cette façon. Selon le Maître de Heidelberg, l'individu disposait en réalité de certains droits et se trouvait déjà titulaire d'une « sphère de liberté », bien que celle-ci soit quelque peu restreinte.

Jellienk, à nouveau, insiste sur l'enjeu de sa théorie de l'Etat : déconstruire les concepts pour
replacer l'individu au coeur du système juridique. De ce fait, soumettre la souveraineté de
l'Etat au droit lui permet de remplir son objectif en accordant une place officielle, un statut,

183 Ibid., I, 473

184 Ibid., I,451

185 Ibid., I, 450

aux individus. Si l'Etat, dans l'histoire, n'a jamais pu nier l'individu de façon totale, cela signifie que la souveraineté n'a jamais été, à proprement parler, absolue, si ce n'est dans les ouvrages politiques des théoriciens. Respectant le droit et l'individu, l'Etat ne peut pas être titulaire d'une souveraineté absolue; les individus et l'Etat ont entre eux des relations, non des rapports de sujétion ou de pure domination. Ainsi, Georg Jellinek, libéral sur le plan politique, donne de la substance au concept d'Etat de droit, en défendant le droit et l'individu face à la puissance souveraine.

L'entière construction de son concept de souveraineté tourne autour de l'individu: celui-ci bénéficie d'une reconnaissance au sein du système juridique et peut avoir des relations avec la puissance étatique. L'individu et l'Etat sont des personnes juridiques, qui, entre elles, sont reliées par des rapports de droit.

Geog Jellinek cherche à montrer que la souveraineté, à l'instar de l'ensemble des concepts juridiques, est le fruit de relations entre les personnes juridiques, et non d'une domination ou d'une sujétion de l'un sur l'autre. De cette manière, en déconstruisant les théories politiques, en distinguant les concepts d'Etat et de souveraineté, Jellinek parvient à construire un modèle dans lequel l'Etat ne peut nier l'individu. Dans tout système politique, l'Etat a laissé aux individus placés sous son pouvoir de commandement une «sphère de liberté », y compris sous l'ère antique. Pour cette raison, parler de souveraineté au sens «absolu» est une erreur: le souverain n'a jamais dépassé les limites d'un certain commandement et a toujours laissé aux individus une certaine liberté. De cette façon, la simple constatation de l'existence de cette «sphère de liberté » dément l'existence d'une souveraineté dans laquelle l'individu ne serait que le sujet de la domination étatique.

B. Les critiques de l'acception jellinékienne de la souveraineté par Léon Duguit et par les tenants du décisionnisme

Pour terminer notre étude, nous allons nous attarder sur deux types de critiques auxquelles l'Ïuvre de Jellinek a dû faire face.

En premier lieu, le juriste français Léon Duguit a souligné, au début du siècle dernier, la
prétendue faiblesse de la théorie de l'auto-limitation utilisée par Jellinek pour nier la toute -
puissance de la souveraineté étatique. Selon lui, si ce concept d'auto-limitation est

«précaire », la théorie générale de l'Etat telle qu'elle est développée par Jellinek relève elle- même du «métajuridisme », preuve que le juriste de Heidelberg ne parvient pas à éliminer toute forme de spéculation (1).

En second lieu, le concept de souveraineté, sous le régime de la République de Weimar, va connaître une nouvelle acception, par le biais de la théorie de la «décision », chère à deux auteurs, Carl Schmitt et Hermann Heller. Bien que Heller soit social-démocrate, contrairement à Schmitt dont les compromissions avec le régime nazi sont incontestables, chacun des deux auteurs a farouchement critiqué les théories de Jellinek. Heller le considère comme l'instigateur du positivisme, courant de pensée qu'il rejette catégoriquement (2).

1. La critique de Duguit: la faiblesse du concept d'auto-limitation et le « métajuridisme » de Jellinek

Selon l'éminent doyen de la faculté de Bordeaux, l'auto -limitation jellinékienne est « fragile» car le pouvoir d'un Etat n'est souvent limité que dans la mesure où «il le veut bien»: son pouvoir ressemble ainsi plutôt à un pouvoir « absolu et sans limite »186 . Selon Duguit, ce n'est donc que par une «apparence de raison» que l'on peut parvenir à lier l'Etat au droit par un lien de nécessité. Car, comme nous l'avons vu, en s'efforçant de construire son concept d'auto-limitation, Jellinek tente d'élaborer un raisonnement pour limiter l'action de l'Etat, construire un modèle dans lequel la puissance étatique peut être enserrée.

Duguit reprend d'ailleurs à son compte les termes employés par Jellinek pour montrer combien l'auto-limitation n'est qu'un concept fragile et précaire. Ce qui gêne Duguit au plus haut point est l'assertion suivante, issue de l 'Etat moderne et son droit: «Pour résoudre la question de la limitation des pouvoirs de l'Etat, il faut mettre de côté les instrument s insuffisants de manoeuvre juridique, dont beaucoup de ceux qui traitent le problème veulent seulement se servir. La solution de la question, pour employer une expression que je propose, est de nature métajuridique »187 . Jellinek, en construisant des concepts bâtis sur la réalité empirique, souhaitait s'écarter de toute tendance spéculative. Or, construire un raisonnement métajuridique, cela revient à admettre que les simples règles juridiques positives ne peuvent

186Léon Duguit, La doctrine allemande de l'auto -limitation de l'Etat, RDP 1919, 16 1-190

187 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, dans Léon Duguit, La doctrine allemande de l'auto-limitation de l'Etat, RDP 1919, 161-190

expliquer, techniquement, l'auto-limitation de l'Etat. Jellinek ne parvient donc pas à éliminer toute forme de spéculation dans sa théorie juridique de l'auto-limitation.

Ainsi, selon Duguit, «tout cela révèle chez Jellinek des hésitations et des scrupules ». De cette manière, après avoir montré que l'Etat ne peut agir autrement qu'au moyen du droit qu'il crée, Jellinek prétend boucler son système en admettant, de surcroît, que certains éléments fondamentaux du système juridique, les «éléments constants» du droit, ne relèvent pas du pouvoir réel du législateur. On peut ainsi « croire qu'il admet pleinement l'existence d'un droit supérieur à l'Etat et d'une limite juridique s'imposant généralement et rigoureusement à l'Etat [...]Il admet ainsi qu'on ne peut pas ne pas reconnaître qu'il y a certaines bornes que l'Etat ne peut pas, historiquement, moralement, politiquement dépasser [...] c'est métajuridique ». Si Duguit insiste sur cet élément «métajuridique », c'est qu'il y trouve un argument permettant de critiquer la théorie jellinékienne.

Le fondement sur lequel la théorie de Jellinek relève donc de la métaphysique : si Jellinek n'a de cesse de critiquer les positions spéculatives des auteurs classiques (qui posent des modèles ne reposant jamais sur des bases empiriques), il ne parvient pas non plus, dans sa propre méthode, à éliminer toute trace métaphysique. S'il se fait le pourfendeur du droit naturel, Jellinek insiste pourtant sur ces «éléments fondamentaux» qui font de certaines normes juridiques des impératifs auxquels l'Etat même ne peut se soustraire. Alors qu'il souhaitait, à l'image de Kant, assujettir la connaissance aux limites du seul champ phénoménal, lui interdisant du même coup toute prétention sur le champ nouménal, Jellinek n'arrive pas à respecter son cahier des charges.

De plus, lorsque Jellinek traite du droit international, il justifie celui-ci de la même manière que le droit public interne et tente de fonder le caractère obligatoire des contrats entre Etat sur la formule de l'auto-limitation. Les Etats se soumettent donc volontairement aux règles du droit international; le droit international a un fondement psychologique, de la même manière que le droit public interne. Ainsi, c'est la croyance des individus à l'existence de règles de droit international qui fonde l'existence de ce droit international.

De plus, contrairement aux opinions courantes, ce n'est pas parce qu'il existe peu de moyens
de contrainte au sein du droit international que celui-ci ne constitue pas véritablement un
système juridique à part entière. Une règle de droit n'a pas besoin d'être sanctionnée pour être

reconnue en tant que telle: il faut simplement que son exécution soit garantie. Or, selon Jellinek, il existe suffisamment de mécanismes de garantie qui incitent les Etats à appliquer le droit international.

Pourtant, pour évoquer le cas où les règles internationales se trouvent en opposition avec les intérêts de l'Etat, comme le fait remarquer Duguit, Jellinek utilise une formule étonnante: «là où l'observation du droit international se trouve en conflit avec l'existence de l'Etat, la règle de droit se retire en arrière parce que l'Etat est placé plus haut que toute règle de droit particulière. Le droit international existe pour les Etats et non pas les Etats pour le droit international »1 88.

Duguit choisit de coupler cette affirmation du juriste de Heidelberg avec la formule suivante, également extraite de l'Etat moderne et son droit: «s'il existait un ordonnancement interétatique et surtout superétatique, tout à fait sans lacune, décidant tous les conflits suivant des règles juridiques préétablies, cela aurait pour résultat de conserver dans le monde moderne et pour un temps indéfini ce qui est malade, vieilli, ce qui est une survivance du passé et, par là, serait rendu impossible tout progrès salutaire ». Ainsi, Jellinek admet que, si l'ordre international est lacunaire, cela ne peut

être qu'une bonne chose, dans la mesure où ces lacunes rendent possible l'évolution, le progrès. Si le droit international, lacunaire, contrarie les intérêts des Etats, ceux-ci peuvent s'abstenir de le respecter, car l'Etat prime le droit international.

Il est exact de relever, comme le fait Duguit, que ce raisonnement pose problème. Cela signifie que l'auto-limitation, telle qu'elle est formulée par Jellinek, ne fonctionne pas véritablement: le droit s'arrête là où l'intérêt supérieur de l'Etat commence. Et voici, selon Duguit, la « doctrine abominable de la guerre instrument de progrès humain et source d'ordre juridique ». Car, si Jellinek utilise, comme exemples à l'appui de sa thèse, la création de l'Empire allemand à la suite des grandes guerres du 19ème siècle, chacun des évènements «produits » par l'Etat lorsque celui-ci s'abstient de respecter les règles du droit international ne sont pas forcément aussi «heureux », loin de là.

188 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, dans Léon Duguit, La doctrine allemande de l'auto-limitation de l'Etat, RDP, 1919, 161-190

D'une part, reconnaître que, lorsque son intérêt le dicte, l'Etat peut s'abstenir de respecter le droit international, cela signifie que le droit, qui puise pourtant selon Jellinek sa force dans la conviction des individus, plie devant l'intérêt étatique: voilà bien un problème dans sa doctrine de l'auto-limitation. L'Etat prend le pas sur le droit. L'Etat peut s'écarter des normes juridiques lorsque les circonstances

l'y poussent, alors même que ces normes, dans le système jellinékien, sont pourtant le fruit des convictions individuelles. Or, nous le verrons, comme l'expriment très bien les chefs de fil du décisionnisme quelques temps plus tard, c'est précisément dans les moments de « crise » que l'on peut définir le souverain, celui qui est habilité à prendre la décision ultime. Le fait que l'Etat puisse s'abstenir de respecter l'ordonnancement juridique international lorsque son intérêt supérieur est en jeu constitue une entorse terrible au concept d'auto-limitation, qui tentait précisément de lier l'Etat au droit qu'il produit, d'une façon quasi automatique.

D'autre part, se placer du côté du progrès, souhaiter que l'ordre international ne soit pas «verrouillé » mais puisse évoluer vers une situation meilleure, c'est un point de vue éminemment respectable concevable, au début du 21 ème

mais difficilement surtout siècle,

après les conflits mondiaux qui ont émaillé le dernier siècle. Ainsi, Duguit achève son article de cette manière : «telles étaient, avant la guerre, [la première guerre mondiale] en ce qui concerne le droit international, les conclusions négatives du plus célèbre juriste publiciste de l'Allemagne ».

Naturellement, le déroulement de la première guerre mondiale ne permet pas de donner raison à Jellinek sur ce point: le fait que l'Etat, dans une situation où son intérieur le dicte, puisse ne pas respecter le droit, et ainsi s'abstenir de respecter le droit (alors même que le lien entre Etat et droit constituait le fondement même de l'auto-limitation) n'engendre pas que des conséquences heureuses. Pourtant, Jellinek se range authentiquement du côté de Kant, lorsqu'il évoque l'avenir des sociétés et du droit international, citant directement le Maître de Königsberg: «son développement [du droit international] nous paraît tendre vers ce but, pour nous bien lointain, peut-être même irréalisable d'une façon intégrale, ce but que Kant nous a montré lorsqu'il écrivait : « Le plus grand problème qui se pose devant l'espèce humaine et que la nature oblige à résoudre, c'est la réalisation d'une société universelle de nature civile,

administrant le droit »189 . Ainsi, même si, dans certains cas, l'Etat s'abstient encore de respecter les réglementations internationales, l'évolution du droit international devrait tendre vers la concrétisation d'une société de cette nature, dont la mission serait précisément de faire respecter le droit.

2. La critique du raisonnement jellinékien par les tenants du décisionnisme et la remise en cause du concept de souveraineté

Quelques années après la mort de Georg Jellinek, sa vision de la souveraineté a été critiquée par les « décisionnistes », Hermann Heller et Carl Schmitt en tête.

En réalité, c'est la méthode même employée par Jellinek qui sera mise en cause : au raisonnement psycho -sociologique du maître de Heidelberg, les décisionnistes préfèrent une approche politique, dans laquelle l'unité de l'Etat est justifiée par des raisons purement politiques. L'unité telle qu'elle est conceptualisée par Schmitt, et contrairement à Jellinek, «n'est ni juri dique, ni sociologique: elle est remise entre les mains de l'organe suprêmement politique, le président du Reich, gardien de l'unité politique ». Sa théorie tourne uniquement autour de l'Etat, et ne se focalise absolument pas sur la société, contrairement à Jellinek qui, dans son étude de la souveraineté, intègre des éléments sociologiques.

Pour comprendre les critiques que les deux auteurs ont adressé à Jellinek, il faut tout d'abord cerner, au préalable, leur vision du droit et de l'Etat.

Si, pour Jellinek, le souverain est celui qui bénéficie d'un pouvoir supérieur et indépendant,
Schmitt, à l'aide de son raisonnement purement politique, le définit comme celui qui effectue

190

la discrimination entre l'ami et l'ennemi publics. Dans son ouvrage La notion d e politique , Carl Schmitt pose déjà les jalons de cette discrimination politique, discrimination qui constitue une des bases fondamentales pour comprendre l'ensemble de son oeuvre: «L'ennemi, ce ne peut être qu'un ensemble d'individus groupés, affrontant un ensemble de même nature [É] L'ennemi ne saurait être qu'un ennemi public, parce que tout ce qui est relatif à une collectivité, et particulièrement à un peuple tout entier, devient de ce fait affaire

189 Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, dans Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon- Assas, 2004, I, 564

190 Carl Schmitt, La notion de politique, Flammarion, 1992

publique ». De ce fait, dans cet ouvrage, Carl Schmitt caractérise l'Etat de la manière suivante : c'est une «unité politique organisée formant un tout» et « à qui revient la décision ami-ennemi ».

Schmitt caractérise le souverain comme celui qui prend la décision ultime en cas de conflit: «il résulte de cette confrontation avec l'éventualité de l'épreuve décisive, celle du combat effectif contre un ennemi effectif, que toute unité politique est nécessairement ou bien le centre de décision qui commande le regroupement ami-ennemi, et alors elle est souveraine dans ce sens (et non dans un quelconque sens absolutiste), ou bien elle est tout simplement inexistante ». Est donc souveraine l'unité capable de faire la distinction ami-ennemi: c'est bien cette capacité à discriminer qui fait la force du souverain.

La souveraineté, dans l'acception schmittienne, est donc exclusivement pensée en termes politiques. La méthode du décisionnisme s'écarte donc radicalement de celle employée par Jellinek et les post-kantiens: le droit n'est qu'une sous-catégorie du politique, lequel est défini, selon Schmitt, comme étant le domaine de la lutte entre amis et ennemis.

191

De plus, dans la théorie schmittienne, comme l'énonce Sandrine Baume , il n'y a pas
mention de la doctrine de l'auto-limitation telle que Jellinek l'a exp osée, mais « son opinion

192

peut être dérivée de ses propositions exposées dans Théorie de la constitution. Schmitt tranche le dilemme entre souveraineté de l'Etat

et prééminence du droit public, en optant pour le maintien de la puissance souveraine de l'Etat et en en acceptant les conséquences ultimes, c'est-à-dire la subordination de l'individu et de ses droits à l'Etat, qui seul peut les garantir ». Bien entendu, cette affirmation doit être mise en relation avec la définition que Carl Schmitt donne de l'Etat: «L'Etat moderne est une unité politique close, par son essence il constitue le status, c'est-à-dire un status total qui relativise tous les autres status à l'intérieur du sien propre ? Il ne peut reconnaître en son sein aucun status de droit public antérieur ou supérieur à lui et ayant autant de droits que lui ».

En conséquence, pour Schmitt, l'individu est subordonné à l'Etat; la notion même d'auto-
limitation ou de droits publics subjectifs n'a aucun sens. Schmitt fait clairement privilégier le

191 Sandrine Baume, Carl Schmitt, penseur de l 'Etat, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2008,254

192 Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, PUF, Collection Léviathan, 1993, 310

pouvoir souverain sur le droit. L'individu, s'il est titulaire de droits, ne peut l'être que dans la mesure où le souverain les lui reconnaît expressément. La relation entre droit et pouvoir, au coeur de la souveraineté dans l'acception jélinekienne, lequel tente de limiter la souveraineté au moyen du droit, a pour résultat, dans la théorie schmittienne, la victoire du pouvoir face au droit.

Sandrine Baume évoque le cas particulier de Heller qui, selon elle, a tenté d'élaborer une « conciliation» entre le normativisme kelsénien et la doctrine schmittienne. Selon cet auteur, il faut sortir de cette dualité: «toute théorie partant de l'alternative droit ou pouvoir, norme ou volonté, objectivité ou subjectivité, méconnaît la construction dialectique de la réalité étatique, c'est pourquoi elle échoue déjà à l'initiale »193 . Selon lui, le droit est donc le produit d'un rapport dialectique entre l'être et le devoir-être, entre le pouvoir et la norme. De cette manière, la Constitution n'est «ni le fruit d'une volonté souveraine, ni un système logique et clos de normes »194 . Heller utilise la théorie décisionniste de Carl Schmitt dans la mesure où le souverain est effectivement celui qui prend la «décision ». Cependant, ces théories s'écartent de celles de Schmitt car, outre son point de vue politique modéré, sa préférence va au système parlementaire: chez lui, la décision se joue au niveau du Parlement, au niveau de la représentation nationale, et non au niveau du pouvoir exécutif, option choisie par Schmitt. Cependant, dans sa vision du droit et de l'Etat, et ainsi de la souveraineté, Heller va directement critiquer Georg Jellinek.

Heller s'attaque aux positivistes qui refusent d'intégrer des valeurs dans les fondements de l'Etat : selon lui, il ne peut y avoir d'unité politique que si elle repose sur l'acceptation de valeurs communes, lesquelles sont l'origine de la légitimité de l'Etat et donc de la Constitution. L'un de ses ennemis intellectuels est donc Kelsen, qui «s'efforce du mieux » qu'il peut à «dépolitiser la théorie de l'Etat. Qui se demande encore quelle théorie de l'Etat fut plus fructueuse, plus profonde, plus essentielle? Celle des hommes politiques tels que Dahlmann, Stahl, Stein et Mohl ou celle des hommes non politiques comme Gerber, Laband, Jellinek et Kelsen ? »195.

193 Hermann Heller, Staatslehre, dans Sandrine Baume, Carl Schmitt, penseur de l'Etat, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2008, 255

194 Sandrine Baume, Carl Schmitt, penseur de l'Etat, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2008, 255

195 Herman Heller, Staatslehre, dans Sandrine Baume, Carl Schmitt, penseur de l'Etat, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2008, 259

Heller, de la même manière que Schmitt, s'oppose directement à Georg Jellinek, à qui il reproche de «dépolitiser » le système juridique, de la même manière que Kelsen.

«Par souveraineté, nous entendons la qualité de l'indépendance absolue d'une unité de volonté par rapport à une autre unité de décision efficiente »196. Cette définition de la souveraineté s'écarte sensiblement de la conception jellinékienne : Heller y introduit, de la même manière que Carl Schmitt, la notion de décision, éminemment politique.

En conséquence, la vision décisionniste du droit s'écarte radicalement de l'approche kantienne de Jellinek: dans l'optique décisionniste, le droit n'est qu'un sous-produit du politique. De ce fait, le concept de souveraineté devient une notion éminemment politique, directement associée au concept de décision.

196 Hermann Heller, Die Souvernitt. Ein Beitrag zur Theorie des Staats- und Vlkerrechts, 1927, dans Sandrine Baume, Carl Schmitt, penseur de l'Etat, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 263

La souveraineté est un concept quasi mythique au sein du droit français: au fil du temps, après avoir été considérée comme simple théorie, la souveraineté a obtenu le statut de vérité historique. Comme l'a rappelé Michel Foucault, « dire que le problème de la souveraineté est le problème central du droit dans les sociétés occidentales, cela signifie que le discours et la technique du droit ont eu essentiellement pour fonction de dissoudre, à l'intérieur du pouvoir, le fait de la domination, pour faire apparaître, à la place de cette domination, que l'on voulait réduire ou masquer, deux choses : d'une part, les droits légitimes de la souveraineté et, d'autre part, l'obligation légale de l'obéissance »197 . Dans l'optique de Foucault, le concept juridique de souveraineté a servi à masquer l'idée de domination, afin de favoriser certaines idées politiques, certaines conceptions du pouvoir.

Or, la théorie de Jellinek vise précisément, lorsqu'elle touche à la souveraineté, à déconstruire les concepts couramment utilisés, à montrer de quelle façon les théories ont façonné notre image du réel. L'image du souverain absolu n'est pas une vérité historique attestée, mais la résultante d'un discours sur le pouvoir, dont les théoriciens les plus fameux ont été Jean Bodin et Thomas Hobbes. Jellinek se place sur une base empirique, revisite le concept de souveraineté au travers des différentes acceptions dont il a fait l'objet au cours de l'histoire, puis construit son propre modèle, axé sur le concept d'auto-limitation. Selon Jellinek, la doctrine a trop souvent oublié de déconstruire les mythes forgés par les anciens théoriciens politiques. Or, derrière les théories, qui ne sont souvent que présentations falsifiées du réel, la souveraineté n'est qu'un concept, qui a donc permis de faire triompher une certaine vision du pouvoir.

La souveraineté au sens jellinékien s'appuie sur l'individu pour limiter la souveraineté au moyen du droit. En partant du droit comme produit du monde subjectif, Jellinek part de l'individu pour comprendre l'Etat et les concepts juridiques. Fidèle à la tradition kantienne, Georg Jellinek s'oppose radicalement «aux essentialistes»; il construit son modèle à partir d'une approche véritablement «subjective» du droit, au sein de laquelle la conviction individuelle a toute sa place. De cette manière, la souveraineté n'est pas un concept absolu mais purement relatif, issu de luttes politiques historiques, dont l'acception dépend de la

197 Michel Foucault, «Il faut défendre la société », Cours au Collège de France (1975-1976), dans Alain Laquièze, La critique de la souveraineté par les libéraux anglo-saxons, dans Dominique Maillard Desgrées du Loû, Les évolutions de la souveraineté, Montchrestien, Collection Grands Colloques, 2006, 173-174

conviction dominante; or celle-ci ne peut plus tolérer l'idée d'une souveraineté toute- puissance, qui s'affranchirait selon son bon plaisir des règles de droit.

Il est possible d'établir une comparaison entre la manière dont Jellinek étudie le concept de souveraineté, à partir d'une critique de la raison juridique et des concepts utilisés, et la façon dont Michelangelo Antonioni, dans son chef d'Ïuvre Blow up, réalisé en 1966, déconstruit notre perception de la réalité. Antonioni, à la manière de Jellinek, insiste sur le fait que la réalité n'est pas ce qu'elle semble être : nous débattons trop souvent sur des images du réel, et non sur la réalité elle-même. Thomas, le photographe du film d'Antonioni, n'est-il pas précisément le représentant le plus fidèle de ces théoriciens fascinés par les images, les photos, les représentations, lesquelles ne sont finalement que des mises en forme figées et falsifiées du réel dans lequel nous vivons ? Comme la dernière scène du film nous l'indique - dans laquelle des clowns miment une partie de tennis - les théories ne sont que des leurres, des constructions artificielles sur lesquelles les discours sont construits. Perdant de vue le réel, le droit devient un monde de constructions théoriques; la prise en compte de l'individu, de sa vision du droit, de son mode de pensée, permet seule de mettre en place une théorie «réelle », une science du droit, au sein de laquelle les éléments jadis laissés de côté seraient réintégrés. Car Jellinek applique finalement la même logique à la question de la souveraineté qu'Antonioni à la question du regard: sommes-nous certains de ce que nous voyons? Les concepts ne cachent-ils pas d'autres éléments que ce que les théories nous donnent à voir ? En déconstruisant notre mode de perception du réel, donc également de la chose juridique, ne peut-on pas donner une image plus fidèle de la réalité?

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand