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La question de la souveraineté chez Georg Jellinek

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par Ghislain BENHESSA
Université Robert Schuman - M2 Droit public fondamental 2008
  

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§2. L'Etat, une personne juridique dont la souveraineté n'est qu'un « attribut »

Pour Jellinek, comme nous avons eu l'occasion de le voir précédemment, la souveraineté n'est pas une caractéristique inhérente à la seule organisation étatique.

La souveraineté n'est une caractéristique de l'Etat que selon un certain type idéal de l'Etat, type qui a beaucoup influencé les théories modernes. Or, si l'on s'éloigne du type idéal de l'Etat, qui relève du domaine spéculatif de la métaphysique, la réalité historique prouve à elle seule que certains Etats non souverains ont déjà existé. Fidèle à sa théorie des types, Jellinek oppose à ces «types-idéaux» ce qu'il appelle les «types-empiriques », qui, quant à eux, tiennent compte du réel et ne procèdent pas d'une acception métaphysique. Ainsi, l'Etat non souverain est une hypothèse qui a déjà existé dans l'histoire (A).

98 Paul Amselek, L'interpellation actuelle de la réflexion philosophique par le droit, Droits, 1986, 123-135

99 Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France. 1976 , Seuil/Gallimard, Collection Hautes Etudes, 1997, 22

De plus, afin de démontrer que la souveraineté n'est pas consubstantielle à l'E tat, Jellinek dissocie les concepts de puissance étatique et de souveraineté. La souveraineté n'est qu'un attribut de la puissance étatique, que l'Etat peut avoir ou non. Ainsi, la souveraineté est reléguée à une possibilité mais non à une obligation: un Etat peut ne pas être souverain tout en conservant sa nature d'Etat. La souveraineté n'est qu'un attribut étatique, attribut dont l'Etat personne juridique peut donc ne pas disposer. De plus, en définissant l'Etat comme une personne juridique, Jellinek insiste sur le fait que le monarque n'est qu'un organe étatique comme un autre, mais ne se confond pas avec l'Etat. La souveraineté n'est pas personnelle

et

n'est pas une caractéristique inhérente à la nature même de l'Etat (B).

A. La souveraineté, une caractéristique non inhérente à l'Etat

«La conviction que la souveraineté n'est pas une catégorie absolue, mais une catégorie
historique, est un résultat de la plus haute importance: il permet de décider si la souveraineté

100

est ou n'est pas une marque essentiell e de l'Etat .

D'après cette formule, il est aisé de comprendre que Georg Jellinek, en dressant un historique de la notion de souveraineté, veut souligner que ce concept n'est pas l'apanage de l'Etat. Selon lui, admettre que ce concept n'est intervenu qu'à partir d'une certaine période de l'histoire, pour des raisons éminemment politiques, démontre que la souveraineté n'est pas consubstantielle à l'Etat: d'autres collectivités, bien que non organisées selon le modèle étatique, peuvent être considérées comm e souveraines.

Parmi les grandes nouveautés apportées par Jellinek dans son travail sur la méthode de conceptualisation juridique, il faut mentionner la théorie des types.

A la base de tout son travail juridique, Jellinek a dans l'optique de construire une «science individualisante », une science qui part de l'individu. Cependant, une science de cette nature ne «saurait se passer d'une saisie conceptuelle de ses objets ». Cette saisie suppose donc des «concepts spécifiques que Jellinek appelle types », qui sont des concepts propres aux sciences de l'esprit (comme les sciences juridiques). Jellinek critique les «types idéaux », qui relèvent simplement du domaine spéculatif: ils ne «renvoient pas à un être mais à un devoir - être » et ne constituent qu'un «critère d'évaluation du donné et non pas un mode de sa

100 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, II, 126

représentation »101. Ces types ne sont pas fondés sur une base empirique : ils ne sont qu'un idéal vers lequel le réel doit tendre, une représentation mythifiée qui n'est que spéculation. Dans sa volonté de bâtir une véritable science, Jellinek, en déconstruisant les concepts, s'oppose naturellement à tous ces «types idéaux ». Au contraire, Jellinek milite pour la construction de « types empiriques»: ceux-ci sont « dégagés par l'expérience », ne « comportent pas une prétention à la validité universelle inconditionnée, car il faut laisser l'espace de la variation individuelle »102.

Or, lorsqu'il traite de la question de la souveraineté, Jellinek précise que « dans la doctrine du droit naturel, le pouvoir de l'Etat-type est caractérisé essentiellement par la souveraineté. Ce type d'Etat est encore aujourd'hui considéré par beaucoup comme le seul qui appartienne au droit ». Et, un peu plus loin, Jellinek ajoute que nombreux sont ceux qui « ont renoncé ainsi à comprendre la nature propre des types les plus importants des unions d'Etats de nos jours ». Jellinek est sévère avec les théoriciens qui se sont ainsi éloignés de la réalité concrète des choses: « en niant la possibilité des Etats non souverains, ils ont abouti à des conséquences qui figurent parmi les plus lamentables de cette conception abstraite de la science juridique qui, uniquement préoccupée d'idées pures, dédaigne complètement les enseignements de la vie réelle »103 . Jellinek confirme ici son mépris des doctrines fondées sur des types idéaux, c'est-à-dire des concepts juridiques qui s'éloignent de la réalité concrète et qui ne relèvent que de la spéculation métaphysique. En liant automatiquement les notions d'Etat et de souveraineté, les théoriciens classiques se sont empêchés de voir le réel pour se réfugier dans des abstractions, dans des modèles qui s'en éloignent.

L'erreur qui a été commise est donc d'avoir fondé chaque raisonnement juridique sur des concepts idéaux, éloignés du monde empirique et historique: « cette question [de l'automaticité prétendue du lien entre Etat et souveraineté] reçoit une solution définitive si l'on admet que la souveraineté n'est pas une catégorie absolue, mais une catégorie historique »104 . Ainsi, en partant de la réalité concrète des différents Etats, Jellinek aboutit au résultat suivant: la souveraineté n'est pas une notion consubstantielle à l'Etat.

101 Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-19 18), PUF, Collection Léviathan, 2005, 302

102 Ibid., 304

103 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, II, 143-144

104Ibid., 2004, II, 143-144

De cette façon, Jellinek s'éloigne catégoriquement des théoriciens classiques de la souveraineté. Il prend le contre-pied des théories de Loyseau qui estimait, comme nous l'avons déjà dit, que la «souveraineté» est « l'être de l'Etat », l'âme de l'Etat, ce qui lui donne son contenu. On peut également citer Olivier Beaud qui a écrit que « rien ne permet d'invalider l'opinion laquelle n'y a pas sans ».105

classique selon il d'Etats souveraineté Il faut

bien garder à l'esprit que la pensée dominante a constamment associé la souveraineté à l'Etat. De ce fait, en admettant que la souveraineté n'est qu'un concept issu de circonstances historiques, qu'elle n'est donc pas consubstantielle à la formation même de l'Etat, Jellinek parvient à envisager l'hypothèse d'un Etat non souverain. Il donne des exemples précis pour justifier son point de vue: « ce caractère [de souveraineté] a autrefois manqué à des Etats considérés aujourd'hui comme ayant de tous temps été souverains. A l'époque où l'Eglise intronisant les rois [É] proclamait la trêve de Dieu [É] avait ses tribunaux pour assurer l'exercice de ses droits [É] L'Eglise était un pouvoir supérieur à l'Etat [É] L'Etat du Moyen-Âge n'était pas encore souverain. Mais c'était déjà l'Etat »106 . Ainsi, Jellinek, à l'encontre des théories classiques qui font de la souveraineté l'élément caractéristique définissant l'Etat, défend l'idée selon laquelle l'Etat peut exister sans être souverain. Il dissocie l'Etat à la souveraineté, qui n'est qu'une caractéristique de celui-ci.

Le Maître de Heidelberg va encore plus loin, affirmant qu'on « ne saurait arriver à comprendre la situation pol itique du Moyen -Âge, au moyen de l'idée de la souveraineté ». Par exemple, « les villes de la Hanse, prises toutes ensemble ou chacune en particulier, ne sont pas souveraines; au point de vue moderne, elles paraissent cependant, bien plus que l'Empire qui les embrasse, s'acquitter des fonctions d'une communauté politique »107 . Bien que n'étant pas des Etats, la réalité politique montre que ces villes, par leur importance, par leur autonomie, par leur possibilité d'exister indépendamment de l'Empire qui leur est supérieur, peuvent être considérées comme souveraines. En conséquence, Jellinek insiste sur le fait que « le concept de souveraineté ne nous mettrait d'ailleurs pas mieux à même de comprendre le monde politique du temps de Bodin et de ses successeurs. Bodin lui-même se voit obligé

105 Eric Maulin, Souveraineté, dans Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy/PUF, Collection Quadrige/Dicos Poche 2003

106 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, II, 144

107 Ibid., II, 145

d'admettre des modifications diverses de la souveraineté »108 . Associer l'Etat au concept de souveraineté, comme si chacun des deux concepts n'était que le prolongement de l'autre, est une erreur. La souveraineté, telle qu'elle a été développée par les auteurs classiques, ne peut pas nous permettre d'envisager toutes les situations politiques.

De même, selon Georg Jellinek, s'extirpant des pures théories de l'Etat propres aux auteurs que nous venons d'étudier, « la littérature du droit international ne peut pas, avec ce concept de souveraineté, embrasser l'ensemble des sujets de droit international et se voit mise par là dans la nécessité de former une catégorie particulière d'Etats sans souveraineté »109 . Cela signifie que le concept de souveraineté a provoqué des erreurs, non pas tant dans la simple théorie de l'Etat, mais dans le système juridique en général, y compris dans ses ramifications internationales.

Le concept de souveraineté ne permet donc pas d'appréhender la réalité concrète, de comprendre la situation dans laquelle les Etats se trouvent. En conséquence, Jellinek relativise le concept de souveraineté: la souveraineté ne constitue pas un instrument de mesure parfait permettant de savoir quelles sont les communautés politiques qui peuvent être considérées comme des Etats et celles qui ne peuvent l'être. La souveraineté peut être un attribut de communautés non étatiques comme elle peut être la caractéristique d'un Etat. La souveraineté est un simple «attribut du pouvoir étatique »110, mais ne doit pas être confondue avec la puissance étatique, qui seule caractérise véritablement l'Etat.

Par la suite, nous nous attarderons d'ailleurs sur la dissociation que Jellinek effectue entre puissance étatique et souveraineté. La distinction qu'il opère entre ces deux notions lui permet de montrer les lacunes du concept de souveraineté, qui ne permet pas d'appréhender la réalité politique concrète des Etats. Chaque Etat, par sa nature, est titulaire de la puissance de commandement. En revanche, la souveraineté n'est pas une condition nécessaire à la formation d'un Etat.

En revanche, bien que l'Etat ne soit, par nature, pas nécessairement souverain, Jellinek
concède le fait que « l'Etat a toujours une tendance à absorber tous les moyens d'action des

108 Ibid., II, 145

109 Ibid., II146 110Ibid., 157

associations qui lui sont soumises ; le développement ainsi commencé aboutit à faire de l'Etat le seul possesseur de la puissance souveraine [É] Ainsi l'Etat finit par acquérir le droit de régler tout droit en vigueur entre ses frontières, de telle sorte que, dans l'Etat moderne, tout le droit se divise en droit établi par l'Etat et en droit admis par l'Etat »111.

Si l'Etat tend à s'approprier la souveraineté, cela ne signifie pas, bien au contraire, qu'elle la détienne par nature. L'Etat n'est pas le seul à produire du droit: le droit «le plus ancien des peuples occidentaux s'est développé dans la famille [É] la religion »1 12 . Mais, ce que veut dire Jellinek, c'est que l'Etat a en lui une réelle tendance à « absorber, au fur et à mesure, tous les moyens d'action de ces associations ». De ce fait, l'Etat, à l'origine, au moment de sa formation, n'est pas le seul à détenir la puissance souveraine. Ce n'est qu'au fil du temps que l'Etat va devenir l'unique détenteur de la souveraineté, au bout d'un certain développement historique, et non de par sa nature même. La souveraineté n'est pas une caractéristique inhérente à l'Etat.

Comme le fait remarquer Helmut Quaritsch, «afin de s'adapter à cette situation particulière
de l'Etat fédéral [depuis 1866, par la Confédération de l'Allemagne du Nord, élargie en 1871
aux Etats d'Allemagne du sud pour devenir le Reich allemand, l'Allemagne est un Etat

ème

fédéral ], la théorie de l'Etat dominante de la fin du 19siècle développa la thèse selon laquelle la souveraineté serait une propriété non nécessaire de la puissance étatique» . Ainsi « les Länder [bien que ne disposant pas de la souveraineté, qui revenait au seul échelon fédéral] pouvaient être qualifiés d'Etats jusqu'à ce jour »1 13 . Ainsi, la seule puissance étatique fonde l'existence de l'Etat.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe