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Syndicats de salariés et territoire : La place des syndicats dans l'Intelligence Economique Territoriale

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par Philippe LATOMBE
IAE-IEMN Nantes - Master II 2010
  

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II La participation syndicale à l'IET est délicate à mettre en oeuvre.

L'Intelligence Economique Territoriale est un processus de réflexion et d'action cyclique qui repose essentiellement sur la volonté des acteurs territoriaux qui y prennent part. L'expression des besoins et la définition des problématiques territoriales doivent faire l'objet un assentiment de tous les acteurs afin que les informations nécessaires à leur résolution soient correctement collectées et exploitées. Enfin, pour terminer le cycle itératif, l'évaluation des mesures adoptées doit faire l'objet d'un constat partagé. L'implication volontaire de l'ensemble des parties prenantes à l'IET doit donc être recherchée. Même si l'Etat a cherché à imposer une participation obligatoire des acteurs en recherchant « l'association, en compagnie des représentants du service public de l'emploi, des collectivités locales, de l'ensemble des partenaires sociaux, de représentants du monde associatif, pour traiter des questions relatives à l'emploi »51(*) lors de la mise en oeuvre par exemple des CBE, cette implication ne peut pas se construire sans leur assentiment, sous peine d'un dialogue de mauvaise qualité et donc de décisions inadaptées. Or les syndicats, s'ils sont partie prenante légitime au processus d'IET, n'ont pas forcément tous le souhait d'y participer. Certains s'y refusent, d'autres s'y résignent, mais avec appréhensions. Plusieurs raisons expliquent ces positionnements. Une raison historique en premier lieu ; comme l'indique Yves Poirmeur52(*) : «  Le syndicalisme a pendant longtemps en France été enfermé dans une activité économique purement revendicative : l'hostilité de l `Etat et du patronat à son égard, l'antiparlementarisme, l'antiétatisme et la stratégie contestataire des principaux syndicats, qui se veulent même révolutionnaires, ont sans aucun doute contribué à limiter sa sphère d'action: aux partis l'action politique, aux syndicats l'action revendicative ». Le poids de l'histoire syndicale alliée à son objectif de défense des intérêts des salariés font que les syndicats ont « génétiquement » un mode de fonctionnement basé sur le conflit et la revendication, et ne se reconnaissent pas dans un processus partagé. En second lieu, l'IET est souvent perçu par les syndicats comme un processus piloté et dirigé par le patronat, du fait de sa place prépondérante dans les publications mais également dans les réflexions et les actions des collectivités territoriales à la genèse de celle-ci. En ce sens la vision exprimée par la CGT Bretagne est caractéristique : « Les exigences patronales vis à vis des territoires sont claires. Les collectivités territoriales ou l'Etat doivent participer à débloquer abondamment des fonds pour les investissements, la formation, les équipements des entreprises. A l'inverse, quand il y aura des plans sociaux, les collectivités locales devront assumer les conséquences et les coûts de ceux-ci. (...)Les formules du genre « nouvelle gouvernance », « dialogue avec la société civile», « acteurs autour d'un projet » sont souvent issues de concepts européens et mises en oeuvre par des acteurs autres que les syndicalistes français.53(*)». Au-delà de la rhétorique, ces quelques lignes traduisent le faible enthousiasme de certaines organisations syndicales pour la participation aux cotés de l'Etat, du patronat et des collectivités locales, à la réflexion et la résolution des problématiques économiques et sociales des territoires. Ces syndicats y voient là un « marché de dupes » et leur présence est donc requise pour légitimer les décisions auxquelles ils n'auront pas pu participer. Cette dérive peut être crainte, mais on l'a vu, les syndicats disposent d'atouts pour les contrer. Leurs réseaux et leurs sources d'informations, leur place légale et les prérogatives que l'Etat leur confère doivent permettre aux syndicats une implication volontaire et entière au sein de l'IET. Pour cela il va sans doute falloir qu'ils modifient leur forme d'action (A) en quittant le mode revendicatif pour opter pour une « coopétition 54(*)», et en acceptant de quitter un cadre d'exercice de leurs responsabilités normatif55(*) pour entrer dans un autre plus « flou » (B).

A- Adapter la forme d'action syndicale.

Au sein de l'entreprise le rôle syndical est défini précisément par le Code du Travail. Il dispose notamment que les Délégués du Personnels peuvent soumettre à l'employeur des réclamations et que l'employeur est tenu d'y répondre en convoquant une fois par mois l'ensemble des Délégués. Ce mode de fonctionnement revendicatif est celui qui est le plus ancré dans l'histoire syndicale avec celui du droit de grève. Les syndicats s'enorgueillissent des acquis sociaux construits historiquement par la lutte contre le patronat. Cette vision est à opposer à un autre rôle syndical : celui conféré par le même Code du Travail aux élus du Comité d'Entreprise (CE).

Ce rôle est composé de trois prérogatives : la gestion de la personne morale CE, le vote pour information ou avis lors des réunions mensuelles du CE et enfin la direction des commissions obligatoires56(*). Dans ce dernier cas, même si le rôle de l'employeur dans la fourniture d'informations est essentiel, la commission du CE doit fonctionner sur un mode non plus revendicatif mais sur un mode plus proche de celui de l'IET (expression des besoins, analyse des informations obtenues, formulation d'un avis, suivi de l'avis). De même le rôle du Comité d'Hygiène et de Sécurité (CHSCT) est à la fois de constater les dysfonctionnements mais également, avec l'appui de spécialistes57(*) et en lien avec l'employeur, la réflexion puis la prise de décisions quant à la santé au travail. L'ensemble des méthodes d'IET qui ont été mises en place font appel, selon Christian Bourret, à «  une ingénierie multi-projets, [qui] articule les notions de projets et de réseaux dans une perspective globale d'intelligence de la complexité reposant sur la synergie de projets locaux pour promouvoir une identité collective au service du développement durable du territoire »58(*). Ce mode de fonctionnement est à privilégier pour que les syndicats puissent prendre leur place au sein de l'IET et nécessite donc que ceux-ci abandonnent leur vision revendicative stricte (1). On l'a vu en introduction, l'IET est un concept récent en France dont la mise en oeuvre est progressive et dont la théorisation est essentiellement universitaire. Les territoires sont en phase de mise en oeuvre de méthodes afin de la structurer. Ces méthodes, si elles peuvent laisser une place importante aux syndicats, vont nécessiter que ceux-ci adoptent un fonctionnement différent basé sur une vision globale des problématiques économiques et sociales (2).

1- Quitter le mode d'action par « opposition » pour adopter celui de la « coopétition » et de l'anticipation.

Les syndicats ont une histoire et un cadre d'exercice de leurs responsabilités qui est celui du conflit, de l'opposition. Le conflit est pour eux la genèse des droits salariaux, des « acquis sociaux » car effectivement, par le passé, l'accroissement des droits des travailleurs est issu des longues négociations en périodes de tensions sociales. En ce sens, pour la plupart des OS, la continuité des méthodes est a rechercher car elle a produit par le passé des fruits qui ont perdurés. Le Code du Travail est aussi un générateur de confrontation car il oppose en permanence dans ses articles les droits des syndicats et des salariés aux droits de l'employeur. Le mode de fonctionnement des Délégués du Personnel est en ce sens un exemple idéal : il impose à l'employeur l'obligation de répondre aux « réclamations » des délégués du personnel et leur confie le rôle de saisir, si la réponse de l'employeur n'est pas satisfaisante ou, s'ils estiment qu'il y en a besoin, l'Inspecteur du Travail. Or on l'a vu précédemment, l'IET est un processus qui nécessite l'association volontaire et participative de nombreux acteurs et l'application d'une méthode. Même s'il n'existe pas qu'une seule méthode dans le cadre de l'IET (les différentes initiatives territoriales le montrent), toutes ont pour point commun un mode de gestion par projet. Comme l'indiquent R. Pautrat et E. Delbecque59(*) :  « L'intelligence territoriale [...]traduit aussi les exigences des nouvelles formes de management : notamment celle du management par projet, articulé sur les notions de compétence et de réseau. Loin du culte des organisations pyramidales assises sur la préservation du pouvoir par la rétention de l'information, l'intelligence territoriale promeut la construction de réseaux opérationnels rassemblant les compétences et fonctionnant de manière transversale, horizontale.». Le recours au management par projet est une constante dans l'ensemble de la littérature consacrée à l'IE et à l'IET en particulier car comme le soulignent P. Herbaux et R. Chotin dans leur communication au colloque ASRDLF60(*) : « Le processus itératif du management par projet qui allie l'expérimentation à la pratique du terrain, est l'une des conditions de la connaissance des caractéristiques du champ de recherche [Crozier et Friedberg, 1977]. Ce saut - du management de projet au management par projet - [Hazebroucq, 1996] comporte une démarche itérative de confrontation des apports et constitue l'un des outils de mise en oeuvre du projet de territoire des Pays du Pévèle61(*). ». En effet le processus managérial par projet est parfaitement synchrone avec le processus de l'IET car itératif et basé sur la même recherche de discussion et de solution commune. Cette notion, issue du management d'entreprise nécessite une organisation particulière avec la nomination d'un chef de projet et d'équipiers avec, en référentiel absolu, une absence de toute notion de hiérarchie. Le chef de projet a la responsabilité de faire en sorte que l'ensemble de l'équipe qu'il anime atteigne ensemble les objectifs fixés dans un délai et un budget imparti, chaque participant au projet restant responsable de l'achèvement de ses propres tâches sachant qu'elles sont par nature intrinsèquement reliées et dépendantes de celles des autres participants. Les acteurs de l'IET doivent donc adopter un « mode d'adhésion participatif »62(*). Les syndicats doivent donc essayer de s'y conformer et donc adapter leur mode de fonctionnement. Il s'agit pour eux d'une vraie révolution managériale et idéologique. Même si certains syndicats ont entamé depuis quelques années une mue en ce sens, il n'en reste pas moins que le réflexe de conflit et d'opposition est quasiment inné pour la majorité d'entre eux. La négociation, lieu traditionnel de l'échange entre syndicat et patronat, pourrait être vu comme une ébauche de management par projet. En théorie sans doute mais, en pratique, de nombreuses OS voient la négociation comme un lieu de confrontation des rapports de force voire d'expression d'un désaccord. Pourtant la négociation collective ne s'est jamais mieux portée en France qu'en 2008 selon l'Etat63(*). Ce paradoxe est lié à la volonté de certains syndicats dits « réformateurs » 64(*) de passer outre le conflit (dès que cela est possible !) pour adopter une démarche de construction avec l'employeur. La négociation devient donc un lieu d'échange où l'employeur fait face à des propositions construites et argumentées par des syndicats et où le jeu de la négociation est redevenu la recherche d'un équilibre satisfaisant pour chacune des parties sans volonté absolue de blocage ou de victoire par KO. Cela passe par la création de négociations intermédiaires permettant de constater des étapes qui servent d'appui aux négociations suivantes. Ce fonctionnement est appelé « coopétition » dans le vocabulaire du marketing. Il s'agit d'un barbarisme qui associe coopération à compétition. La « coopétition » est donc le lieu d'accord et d'échange positif et constructif entre deux adversaires.

Ce processus adopté dans la négociation en entreprise doit être privilégié dans le cadre de l'IET, et les syndicats qui le pratiquent déjà au niveau des firmes doivent être les premiers à s'y associer. En matière territoriale l'expérimentation est essentielle. Elle permet de dégager des ressources pour valider en pratique une idée théorique qui a été formalisée avec soin. L'expérimentation locale (ou territoriale) est en France un processus légal. Il s'agit du droit65(*) accordé à une collectivité en vertu d'une autorisation législative d'appliquer (de manière limitée dans le temps et l'espace géographique) des politiques publiques n'appartenant pas à ses compétences afin d'en vérifier les effets. Par nature une expérimentation présuppose donc une définition préalable de l'effet recherché, de la politique publique expérimentée ainsi que ses modalités d'application pour en vérifier l'efficacité. L'ensemble de ce processus doit être partagé par les acteurs de l'IET et ne laisse pas la place à l'a priori. Enfin l'évaluation doit être objective et la culture du résultat est à privilégier, tout en restant dans un cadre légal. Or les syndicats ont un reflex, on l'a vu, de consultation systématique du passé pour y trouver les méthodes à appliquer. L'innovation sociale est un concept récent (théorisé essentiellement par Fontan et Potters en 199866(*) dont l'objectif unique est la résolution de problématiques sociales par la mise en oeuvre d'un processus) auquel tous les syndicats français n'ont pas adhéré, contrairement à la majorité de leurs homologues des pays d'Europe du Nord. Les syndicats français doivent donc modifier leur vision passéiste pour adopter une vision du résultat et de l'absence d'a priori afin de participer à la construction d'une IET dans laquelle leur vision et leurs savoir-faire seront reconnus et appréciés. Leur place, toute légitime qu'elle soit (cf partie I) ne sera acceptée que si les syndicats s'y impliquent volontairement et avec l'ouverture d'esprit nécessaire à l'adoption d'une méthodologie nouvelle, différente, qui les sortent de leur cadre de référence habituel.

De même, au-delà de la notion de méthodologie et d'état d'esprit, la participation des syndicats à l'IET nécessite une autre modification de leur fonctionnement. L'IET est un processus dont la base est l'anticipation : en effet, l'expression des besoins impose une réflexion prospective pour poser les jalons du travail des acteurs et anticiper les besoins en information, quant à la prise décision elle doit être préparée par des anticipations, budgétaires notamment. Ce mode de fonctionnement en anticipation est un aspect important de l'IET car, comme l'indique P. Herbaux, (op cit) : «  Les logiques d'anticipation des risques portés par tous ses acteurs doivent être inscrits dans la gestion du projet territorial et constitueront l'architecture de ce que nous appellerons « une intelligence territoriale » à mettre en oeuvre ». L'anticipation a pour corollaire la prévention, dans la logique selon laquelle anticiper des évènements permet d'en éviter la survenance ou tout du moins en limiter les effets. C'est cette prévention que recherche le législateur quand il a accordé des prérogatives aux syndicats lors de PSE, ainsi que lorsqu'il permet aux membres du CE d'avoir connaissance des documents de gestion prévisionnelle en entreprise. Les syndicats ont souvent pourtant réduit ces prérogatives à la simple constatation des difficultés au moment où elles survenaient sans les anticiper et mettre en place un dialogue social préventif. A leur décharge, les employeurs ont souvent pour habitude de soumettre les PSE au CE de manière formelle sans faire précéder cette information de réflexions partagées ni d'engager de discussion préliminaire. L'anticipation est pourtant utilisée par les syndicats dans leurs missions liées à la protection de la santé au travail. Le CHSCT est une instance formalisée dans laquelle les syndicats ont pour habitude d'anticiper des situations à risque. Son application au domaine purement économique est, semble-t-il, plus délicat, car son recours moins systématisé. Il s'agit pourtant d'une caractéristique qui a été mise en avant lors de la création en des regroupements syndicaux européens pour les groupes d'entreprises européennes et qui donne lieu régulièrement depuis 2009 à la conclusion d'accords-cadres pour permettre la définition des modalités d'exercice d'information-consultation des représentants des salariés au niveau européen sur les questions concernant de manière significative l'emploi67(*). Cette façon de travailler, est certes spécifique à ces deux instances sociales, dont l'une dépasse sans doute la vision locale des organisations syndicales, mais elle doit être privilégiée par les syndicats lors de leur participation au processus de l'IET. L'anticipation est une des solutions privilégies pour prévenir les difficultés en construisant à l'avance des solutions palliatives dont l'un des mérites est sans doute de traiter « à froid » des situations qui pourraient conduire à des difficultés telles, que leur traitement dans l'urgence (« à chaud ») aurait provoqué des oppositions violentes entre les acteurs territoriaux (notamment employeurs et syndicats). En ce sens, la « coopétition » est à nouveau le terme adéquat : la recherche de la préservation de l'emploi en cas de difficultés est tout autant un objectif des employeurs, des syndicats et du territoire. Leur travail en commun, par anticipation et dans un processus d'IET, ne remet pas en cause l'existence et les responsabilités des différents acteurs sur d'autres plans. Les syndicats doivent donc faire leur cette  «  coopétition » afin de pouvoir justifier d'un rôle complet dans l'IET et dans la construction de solutions concertées pour le renforcement économique du territoire et de son attractivité sociale.

2- Adopter un fonctionnement en vision globale.

L'IET par définition un processus territorial. En ce sens il est un nouveau champ d'expression pour les syndicats car il n'est pas « défini » strictement. Le Code du Travail ne définit pas le territoire de manière stricte. Aucune définition exacte n'est donnée, même de manière indicative par l'Etat ou toute autre autorité ayant un pouvoir normatif. Sa définition fait écho à une surface géographique mais dont la taille n'est pas quantifiée. La nature complexe de la définition d'un territoire est importante. Celle-ci regroupe plusieurs notions ou domaines, par exemple :

- Géographique : un territoire est une surface

- Ethnologique : un territoire est une zone dans laquelle vit un groupe d'êtres humains présentant les mêmes caractéristiques, modes culturels...

- Législatif : un territoire est le lieu où s'exerce la loi

Le schéma suivant, élaboré par Gilles DARIER et Philippe GRAND68(*), illustre toute la complexité de cette définition territoriale (Figure 3 page suivante).

Dans ce cadre, les syndicats doivent abandonner leur vision habituelle. Un territoire ne peut pas être réduit à une firme (si importante soit-elle), ni à un ensemble homogène de firmes car le territoire ne comprend pas que des firmes mais aussi des acteurs publics, des acteurs associatifs et des acteurs privés (les citoyens en tant que ménages, usagers,...). Le territoire n'est pas non plus une simple subdivision administrative : la définition de territoire s'applique tout autant à une Région (au sens du Code des Collectivités) qu'à un « pays » ou à un « bassin d'emploi ». Or les organisations syndicales ont l'habitude de travailler dans un champ bien défini : l'entreprise (ou le groupe d'entreprise) qui a une définition légale figée, la branche comme représentative de l'ensemble des firmes françaises dans un secteur d'activité donné ou au niveau national pour toutes les questions concernant l'ensemble de la population salariée. La réponse syndicale a été de s'organiser en section locales, branches et confédérations. Parallèlement à ce niveau plus « économique », les syndicats ont intégré les divisions administratives mises en place par l'Etat (régions, départements, communes) et leurs spécificités d'attributions, en mettant en place des unions départementales et régionales. Le territoire est donc, pour les syndicats, un champ atypique, non exploré. Cette exploration est en cours par les OS, mais cette exploration est lente. Elle nécessite souvent un accompagnement de l'Etat dans la reconnaissance d'un champ : les bassins d'emploi en sont un exemple typique. Un bassin d'emploi n'a pas de définition physique ou administrative stricte. Il a tout au plus une définition économique. L'engagement syndical au sein des CBE a été au commencement expérimental et limité à certains bassins d'emploi fortement sinistrés économiquement69(*). La généralisation de l'implication des OS a nécessité que l'expérience soit adaptée par l'Etat en apportant une définition juridique et un cadre de fonctionnement70(*). Les syndicats doivent donc composer avec un nouveau champ géographique d'action, mais également avec l'obligation d'appréhender cette géographie économique différemment. La firme ou la branche sont des visions économiques aisées pour les OS car homogènes. Le territoire associe quant à lui l'économie comme un moteur global, dans le sens où il regroupe des entités totalement hétérogènes vivant ensemble géographiquement et mues par un ensemble d'activités économiques communautaires qui dépassent la vision syndicale du « groupe économique71(*) » ou de la sous-traitance (notion de filière). Le territoire dépend donc des firmes mais pas obligatoirement par des liens directs, économiques et quantifiables. Les syndicats doivent donc adopter un mode de réflexion nouveau car global, intégrant à la fois les entreprises et leurs sous-traitants directs, mais également les services publics locaux ou étatiques déconcentrés, les services à la personne, le milieu associatif ainsi qu'une vision « écologique72(*) ». Ce changement est en cours, mais sa généralisation peine à être mise en oeuvre par les OS. Dans son rapport, B.Carrayon indique que cela est lié à des problèmes « notamment d'organisation interne ». Cette problématique est essentiellement française, et sans doute liée à la longue tradition jacobine de centralisation. D'autres pays européens ne souffrent pas de cette inertie de la part des organisations syndicales, ce que le témoignage de M. Fleming Larsen, Service de l'Emploi du Comté de Storstrøm (Danemark) repris dans le rapport de l'Amnyos73(*) démontre.

Il faut ainsi que les syndicats dépassent la vision historique basée sur une organisation pyramidale (section/branche/union départementale/union régionale/confédération) et adoptent une vision plus globale, en conformité avec le mode projet qui est le fondement des méthodes d'IET. La hiérarchisation syndicale est une réalité structurelle d'organisation des OS, même si parfois certaines sections ou branches se livrent à des prises de positions en dehors de la confédération. Les unions départementales et régionales sont généralement un seuil de démultiplication de la position confédérale, et peu un lieu d'écoute syndicale et d'adaptation pragmatique de l'action syndicale. On pourrait qualifier ces deux instances comme étant des « appareils politiques » même si ce terme peut avoir des connotations plus larges ou péjoratives. La branche, mais surtout les sections sont un lieu de pragmatisme. Les sections sont un échelon fortement impacté par la demande des salariés et des adhérents. Il s'agit donc d'un relais qui doit à la fois permettre la réponse aux attentes du terrain mais également essayer d'y apporter les visions de la confédération. La branche quant à elle a une vision plus globale du secteur d'activité qu'elle représente, et donc y intègre une capacité et une maîtrise des sujets syndicaux spécifiques approfondies (convention collective, négociations salariales...). Ce mode de division de l'action syndicale n'est pas possible dans le cadre de l'IET. Nous l'avons vu, le mode projet est la méthode retenue car elle apporte à la fois la certitude d'une cohésion des acteurs et des réponses adaptées (car étudiées et évaluées par tous) à des problématiques multiformes. Les syndicats doivent donc abandonner leur fonctionnement pyramidal pour se glisser dans un fonctionnement thématique, et, sans renier leur histoire et leurs valeurs, accepter des compromis dont la mise en oeuvre permettra au territoire de se renforcer. Cette modification structurelle n'impose pas obligatoirement un changement structurel des syndicats et de leurs échelons d'intervention. Une union départementale peut-être actrice de l'IET sur toute ou partie de son territoire. Il s'agit essentiellement d'un changement d'état d'esprit et/ou d'habitudes. La formation des personnels syndicaux, par exemple, devrait être dirigée au moins en partie vers l'objectif d'ouvrir le territoire et l'IET comme un processus dans lequel les syndicats ont un intérêt précis à y participer. Or à ce  jour la formation syndicale est essentiellement mobilisée vers des modules de formations pratiques liés au Code du Travail. Même si des Instituts du Travail ont été créés dans certaines universités, ces formations sont encore largement destinées à des mises en pratique de savoirs au sein des firmes. Pourtant, comme le souligne Lucie Tanguy74(*), la formation est « un moyen de faire adhérer tous les membres d'une organisation (...) : la coopération, la participation, la négociation au lieu et place de la confrontation sociale (...) », or ces instituts ont « contribué à intégrer les syndicats en les formant à leurs rôles de représentants des salariés au sein des institutions de gestion sociale et [...] aux fonctions de négociations plus qu'à celles d'affirmations de leur identités sociales et de leur autonomie ». La formation syndicale doit donc être redéployée vers l'apprentissage des méthodes de travail en groupe, de gestion de projets, mais également de ce que sont les territoires, leurs besoins, leur fonctionnement... cela permettrait aux syndicalistes de sentir que leur implication dans l'IET est un souhait collectif, à la fois des confédérations, de l'Etat et des collectivités locales, de la société civile mais également du patronat. La place des syndicats au sein de ce processus « apprenant » comme l'indique Bouchet (op cit) doit s'effectuer par l'apprentissage et la formation des personnels syndicaux locaux comme nationaux.

Afin d'intégrer pleinement l'IET, les syndicats ont la nécessité de modifier leur mode d'action, à la fois dans sa mise en oeuvre pratique (adoption d'un mode de fonctionnement compatible avec le mode projet retenu comme méthode de travail) que dans son état d'esprit en quittant l'opposition et la confrontation pour opter pour la « coopétition ». Ces modifications sont majeures pour les syndicats car elles bousculent les habitudes et le passé de ces organisations. Elles sont d'autant plus importantes que l'environnement juridique et économique change et qu'il va leur falloir intégrer un cadre d'action plus flou que celui qu'ils connaissent habituellement.

* 51 Circulaire relative aux CBE. Cf bibliographie

* 52 « Activité politique et organisations syndicales » extrait de « Contribution à l'étude des tendances dans les partis et les syndicats : le cas français », Thèse de doctorat de science politique, sous la direction de M.J.Chevallier, Amiens, 1987

* 53 CGT Rapid Info Bretagne, 26 octobre 2007

* 54 Terme issu du vocabulaire professionnel du marketing et qui peut être défini comme : « Action de partenariat commerciale réalisée avec la concurrence. Des concurrents peuvent par exemple cofinancer des actions de communication relatives à l'image de leur secteur professionnel. Les actions de coopétition se font souvent par le biais des associations professionnelles. » in Dictionnaire du Maketing. ABC Netmarketing 2009.

* 55 Dans le sens où le Code du Travail régit l'ensemble de leurs prérogatives, droits et obligations.

* 56 Articles L 432-1 et suivants du Code du Travail.

* 57 Médecin du travail prioritairement, mais si besoin ergothérapeute pour l'adaptation des postes de travail, psychiatre ou psychothérapeute dans le cadre du stress au travail...

* 58 « Éléments pour une approche de l'intelligence territoriale comme synergie de projets locaux pour développer une identité collective» cf bibliographie

* 59 « L'intelligence territoriale : la rencontre synergique public/privé au service du développement économique », 2009, Revue Internationale d'Intelligence Economique.

* 60 Colloque sous l'égide de l'Université du Quebec à Trois Rivières , 2002, cf bibliographie

* 61 Communauté de Communes au sud de Lille (Département du Nord)

* 62 Herbaux et Chotin, op cit

* 63 2008 négociations collectives, cf bibliographie.

* 64 On intègre généralement sous ce vocable les syndicats CFDT, CFTC et CFE-CGC.

* 65 Révision constitutionnelle du 28 mars 2003 et loi organique du 1er aout 2003.

* 66 Fontan Jean-Marc, 1998 « Innovation sociale et société civile québécoise » et Potters Talja, 1998, « Social innovation : strategy against exclusion ? »

* 67 Directive du Parlement Européen 2009/35/CE et du Conseil du 6 mai 2009.

* 68 Professeurs d'Histoire-Géographie et Conseillers Pédagogiques à l'IUFM de Grenoble et au Rectorat de Grenoble, 2007

* 69 Essentiellement dans le nord et l'est de la France dans des bassins sidérurgiques ou miniers.

* 70 Définition juridique : circulaire sur les CBE (cf bibliographie), cadre de fonctionnement donné par la nécessité d'un arrêté préfectoral et le recours à une structure associative loi 1901.

* 71 Définition du groupe d'entreprises posée par le Code du Travail et la jurisprudence associée.

* 72 Définition Wikipédia :  « L'écologie est au sens large le domaine de réflexion qui a pour objet l'étude des interactions, et de leurs conséquences, entre un individu (isolé et/ou en groupe social constitué) et le milieu biotique et abiotique qui l'entoure et dont lui-même fait partie ; les conséquences étant celles sur le milieu, mais aussi celles sur l'individu lui-même. »

* 73 Rapport du Séminaire européen « L'impact du dialogue social sur le développement territorial » cf bibliographie

* 74 Lucie Tanguy, 2006, « Les Instituts du Travail : la formation syndicale à l'université de 1955 à nos jours », Presses Universitaires de Rennes.

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