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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 4. La Fée aux joujoux

Apparaissant sous une arcade, et entourée d'un cortège d'enfants, la Fée aux joujoux (1858) (repr. VIII) a la prestance d'une noble faisant son entrée seigneuriale dans une ville. Diaz parsème son oeuvre de références passéistes à la féodalité. La fée est telle qu'on la représente au Moyen Age, parée de beaux atours. La silhouette générale décrit un arc de cercle, qui rappelle une attitude nonchalante et sinueuse des Dames dans le style gothique international, tel qu'on les voit dans les Très Riches Heures du Duc de Berry par exemple. Une jeune demoiselle accompagne la fée avec une corbeille remplie de jouets, dans laquelle la Dame pioche une toupie, tandis qu'elle offre un jouet à une petite fille vive qui se jette à ses pieds comme à ceux du prophète. Au premier plan, au bas des marches, une enfant joue à même le sol avec un pantin.

Le décorum plante la scène dans un des rares paysages architecturés de l'artiste. L'arcade soutenue par trois colonnes corinthiennes visibles à droite et immédiatement accolée à un bâtiment percé d'une fenêtre, parait assez improbable. D'autant que le côté gauche de l'arcade est masqué par un bout de mur qui avance vers le premier plan et disparait derrière la cohorte de bambins pressés autour de la fée. Des marches descendent vers le premier plan, mais sont de longueurs croissantes, à la façon d'un petit podium. L'architecture tient donc beaucoup plus du décor de théâtre. Il rejoint d'une certaine façon les incohérences architecturales que se permettent les peintres de la Renaissance, armés de la perspective illusionniste156.

Le sujet est traité une fois, en 1858, peut-être se remémore-t-il l'incitation de Gautier en 1855 à varier son répertoire : « avec une semblable palette, on peut peindre les décors de Comme il vous plaira ou du Songe d'une nuit d'été, pour un théâtre de fées157 ». Cependant il n'envoie pas le sujet au Salon, et le fait figurer au catalogue illustré pour une vente à l'Hôtel Drouot, tenue le 6 avril 1858158 (voir annexe 10). Diaz réitère l'expérience de mai 1857, où il s'était illustré - pour ainsi dire - en étant le premier artiste à faire imprimer un catalogue de vente accompagné de gravures159, sur le modèle des marchands et collectionneurs160.

Section 1. La place de l'émerveillement enfantin

La Fée aux joujoux donne des jouets, elle offre aux enfants des instants d'émerveillement. On peut lire l'enfance tragique de Diaz comme un déclencheur d'une telle sensibilité à l'aspect merveilleux de

156 Voir par exemple l'analyse de la Vénus d'Urbin dans Arasse, Daniel, On n'y voit rien, Paris, Denoël, 2000.

157 Gautier, Théophile, Les beaux-arts en Europe, op. cit., p. 33.

158 Catalogue de onze tableaux peints par M. Diaz, 28 avril 1858.

159 Catalogue de douze tableaux peints par M. Diaz, Paris, 1857.

160 Sur les ventes et innovations mercantiles de Diaz et Rousseau, voir Kelly, Simon, op. cit. Sur ces catalogues illustrés et leur caractère inédit, voir p. 41-42.

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se voir offrir un jouet et de pouvoir jouer. Plusieurs scènes d'enfants en train de jouer jalonnent l'oeuvre du peintre. Il réhabilite encore des scènes du XVIIIe siècle, comme Colin Maillard (repr. 12), et consacre souvent des tableaux à la représentation d'enfants dans les bois. La charge féérique est alors transmise au spectateur par l'idée du regard enfantin. Cet aspect encore une fois très présent dans l'oeuvre à travers des scènes en sous-bois se traduit dans une allégorie avec une fée, dont Diaz a eu l'idée peu après la Fée aux bijoux du Louvre.

L'allégorisation du jeu d'enfant parait tout à fait particulière à Diaz en peinture. On trouve sous la plume de Baudelaire un personnage, réel, très similaire : Madame Panckoucke, tenancière d'un magasin de jouets dont Baudelaire se souvient avec l'émerveillement de ses yeux d'enfants : « *...+ elle ouvrit une chambre où s'offrait un spectacle extraordinaire et vraiment féérique. Les murs ne se voyaient pas, tellement ils étaient revêtus de joujoux. Le plafond disparaissait sous une floraison de joujoux qui pendaient comme des stalactites merveilleuses. Le plancher offrait un étroit sentier où poser les pieds161 ». Cette dame aurait donc eu l'habitude de donner un jouet aux enfants « pour qu'ils se souviennent d'elle ». Baudelaire écrit alors qu'adulte, lorsqu'il passe devant un magasin de jouets pour admirer les couleurs et les formes « bizarres » (ce qui sous sa plume traduit un sentiment esthétique) il ne peut s'empêcher de penser à « la dame habillée de velours et fourrure, qui m'apparait comme la Fée du joujou ». Le témoignage de Baudelaire donne une bonne idée de ce que l'univers du jouet entretient de proximité avec le merveilleux et nous confirme dans l'idée que la Fée aux joujoux est une allégorie du fait de pouvoir jouer, notamment de recevoir un jouet, pour un enfant. Le Diaz adulte autant que le Baudelaire adulte continue d'accorder une place particulière à ce qui provoque le même émerveillement que dans l'enfance.

Porter un regard neuf sur les choses, et pouvoir s'en amuser, peut apparaitre comme une force de l'enfance au peintre. Là où le peintre choisira deux ans plus tard de mettre une scène de théâtre, replaçant l'action dans une mise en abîme de son art, la Fée aux joujoux distribue ses bienfaits dans la rue. Si la Fée aux bijoux évolue bien dans un espace social, invisible et omniprésent, entre les personnes dans leurs échanges, la « scène », la Fée aux joujoux semble parler plus concrètement du cadre de vie matériel et des perspectives offertes aux enfants. Ils ne sont pas en haut des marches, mais en contre-bas, ce qui permet au peintre d'appuyer leur attitude avide et empressée là où les fillettes de La Fée aux bijoux semblaient s'être préparées à une remise traditionnelle du bijou. Après avoir reçu leur jouet, les enfants redescendent en bas des marches pour profiter de leur présent. La perspective ouverte sous l'arcade d'où est entrée la fée nous place dans un espace réel. Toujours allégorie de moeurs, cette fée-reine offre des deux mains, et se trouve accompagnée d'un page pour

161 Baudelaire, Charles, « Morale du joujou », dans Le Monde littéraire, 17 avril 1853 ; rééd. Dans Écrits sur l'art, Paris, Le Livre de Poche, p. 243-250.

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l'aider dans sa tâche. Son attitude proche de certaines bohémiennes, confirme son activité à portée sociale : elle modifie un mode de vie, un rapport au loisir et au jeu dont doivent profiter les enfants. Forte de sa noblesse et sa richesse, elle est suivie par une cohorte qui participe à son oeuvre. La nouveauté pour les enfants de telles attentions à leur égard est soulignée par leur empressement.

Diaz approfondit la place de l'enfance, en faisant sien le regard de l'enfant. Là où Boilly narre la façon dont l'enfant s'émeut d'un conte dans Et l'ogre l'a mangé (1824) (ill. 10), Diaz cherche à susciter dans son oeuvre le même effet qu'un conte. Il donne aux jeux d'enfants une place singulière, vraisemblablement apprise de Rembrandt, dans l'Espiègle (ill. 11), si on se réfère à la documentation que Charles Blanc a réunie sur le maitre flamand. Le jeu d'enfant est une chose sérieuse, que le peintre traite dans de grandes dimensions, appliquant au sein d'une scène transposée dans une Renaissance de conte de fées un principe de la peinture renaissante, serio ludere162.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams