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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. Un conte familial déguisé

La fenêtre du bâtiment à droite du tableau, surmontée d'un ornement en ronde bosse, rappelle à s'y méprendre les fenêtres de la maison Diaz à Barbizon (annexe 6.b). Cette véritable maison de conte de fées servirait alors de modèle pour l'oeuvre. Il se trouve que c'est avec ses propres enfants que Diaz produit une très large partie de son oeuvre, en les déguisant tour à tour, alliant vie de famille et vie d'artiste. Aspect méconnu de ses contemporains et qui n'a été évoqué que par Pierre et Rolande Miquel, un très grand nombre de scènes orientales, de bohémiens, et de scènes mythologiques décrivent littéralement une vie de famille et un attachement lié à sa femme et ses enfants. La vie de famille de Diaz et sa découverte des rapports entre sa femme et ses enfants, semble lui inspirer des réflexions dont se nourrit sa production. Réciproquement, la famille de Diaz s'accommode de l'univers esthétique du peintre et mène avec lui une vie de bohèmes riches, ainsi qu'il en a lui-même l'aveu dans le double portrait de sa femme et sa fille en Bohémiennes riches. Il prend exemple sur Rembrandt, qui peint sa femme en Grande mariée juive (1635)163.

Cet aspect de l'oeuvre de Diaz nous encourage à dire encore quelques mots de l'analyse qui s'est développé le mieux sur l'oeuvre de Diaz, selon laquelle son travail de peintre est le fruit d'une résilience traumatique des évènements de son enfance. Diaz pourrait prendre une revanche sur la privation, en offrant à ses enfants un monde merveilleux, et aussi témoigner de la gratitude à ceux

162 Voir Arasse, Daniel, On n'y voit rien, Paris, Denoël, 2000, p. 15 ; et également Couliano, I. P., Eros et Magie à la Renaissance, p. 65 s. Ce dernier cite la formule : « giocare serio et studiosissime ludere », à propos de l'esprit ludique du platonisme florentin, qui attribue au jeu d'enfant la quintessence de l'opération « fantasmatique », c'est-à-dire magique, cf. infra.

163 Charles Blanc en publiera la photographie dans L'oeuvre de Rembrandt, Paris, Gide et J. Brandy, 1857, p. 192.

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qui ont pu lui donner dans son enfance. Mais la question du conte de fées pose en elle-même celle de la mise en scène de la famille. Lorsque que Diaz met en scène sa famille, il crée un conte de fées. Sans que l'une et l'autre des propositions ne s'excluent, le travail de résilience étant nécessairement réalisé en grande partie dans l'Inconscient selon les présupposés de la psychanalyse, pouvoir attribuer à Diaz l'envie de construire une vie de conte de fées, ou son propre roman, paraît plus probable qu'une méthode proprement analytique de sa part. Efforts de résilience intuitive peut-être, guidée par une ferme intention d'aller là où son désir le mène, de laisser parler le fantasme et lui donner une forme, comme le préconisera le père de la psychanalyse.

Les enfants de Diaz occupent une part importante de son oeuvre, car ils sont les modèles, déguisés, avec ou sans leur mère, de beaucoup de tableaux. Dans sa collection d'objets, Diaz a des coffres de déguisements (annexe 5.a), avec lesquels il déguise sa femme et ses enfants pour faire des portraits de famille « Turques », comme dans Famille turque (la famille Diaz au complet), 1840, ou encore « orientales », « bohémiennes ». C'est Ziem qui le pourvoit en déguisements, « matière orientale ». Il semble commencer très tôt, dès la prime enfance de sa fille Marie, pour ne plus s'arrêter ensuite.

Déjà avant l'arrivée de ses enfants, Diaz avait scellé ses voeux de jeune marié dans un portrait de lui et de sa femme, sous les traits d'amants médiévaux. Diaz et sa belle épouse (repr. 13) dépeint une dame portée par un jeune homme, comme un chevalier enlevant une princesse, en appui sur ses deux jambes. Sans doute lésé par son handicap, le peintre témoigne à sa femme une grande fierté retirée du mariage qu'il conclut avec elle, et lui dit qu'il la soutiendra et fera preuve d'autant de forces qu'un homme totalement valide. Enfin, il lui démontre un bénéfice de la vie d'artiste en lui offrant un portrait poétique et touchant, où dans l'image comme dans la vie réelle, il l'emmène.

Dès le début de sa vie maritale, Diaz introduit une part de rêve qui scelle sa propre intention de lier vie d'artiste et vie de famille. Il crée par la suite un roman familial où il est Faust et sa femme Marguerite, dans un double-portrait (repr. 28). Puis, sa femme et ses enfants sont des bohémiens164, la petite Marie ayant une chèvre comme Esméralda. Les jours qui suivent la naissance de Marie, Diaz peint une Maternité bohémienne (Mme Diaz portant Marie) (1850) (repr. 14), où sa femme parée d'un costume d'intérieur alors en vogue porte sa fille dans ses bras. La famille de Diaz n'est jamais dépeinte sous des traits aristocratiques, peut-être trop proches d'un modèle de sociabilité existant à son époque et qui ne lui correspond pas en réalité. Sa famille et lui sont toujours transportés dans un ailleurs qui autorise une part onirique, un retour à la nature qui remplace les codes de la sociabilité

164 À propos du regard porté par les artistes sur les tsiganes, voir Moussa, Sarga, dir., Le Mythe des Bohémiens dans la littérature et les arts en Europe, L'Harmattan, 2008, notamment l'introduction p. 7-18.

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par un pur plaisir du paraître. Ils sont la plupart du temps orientaux, et parfois seigneurs médiévaux, en accord avec leur propriété de Barbizon.

La construction familiale de Diaz est visible dans son oeuvre, car il produit aussi beaucoup pour lui, pour sa femme puis pour ses enfants. Fier de sa femme et si attaché à l'amour, on peut supposer qu'il s'agit d'un moteur qui le pousse à étendre des richesses et offrir à sa famille une vie de conte de fées. Cet aspect de son interprétation de la vie de bohême l'éloigne de l'idée de la vocation artistique que peut se faire le noyau dur de la bohême artistique. Courbet qui, plus manifestement que Diaz s'identifie au bohémien, aurait eu l'habitude de dire « un homme marié est un réactionnaire en art165 ».

Sa femme est tour à tour Vénus, ou une nymphe, ses enfants les petits amours. Diaz a également fait un sujet où sa famille sert de modèle à une scène pieuse, Marie étant la vierge Marie, et l'un de ses enfants le petit Jésus, mais il explore surtout certains thèmes de la peinture à l'aune de ce qu'il observe dans le quotidien de sa vie familiale. Diaz ne peint jamais d'amours virevoltant passivement, ils sont toujours associés à une envie déterminée, et le peintre s'efforce de mettre en évidence un aspect insatiable, avide et potentiellement harcelant, fatiguant chez ses amours. En étudiant les attitudes de ses enfants en demande avec leur mère, Diaz tire des motifs pour des scènes mythologiques, où par exemple un amour tire Callisto par sa toge, pour réclamer son attention (repr. 15). Véritable intuition de l'érotisme chez les enfants pour leur mère, Diaz n'hésite pas à transposer directement la réalité quotidienne au mythe, accordant à des situations communes aux familles humaines la force mythologique. C'est ainsi sans doute que certaines versions de L'Amour désarmé ont pris une forme pouvant suggérer l'agacement prosaïque de la déesse de la beauté, dépeinte dans la même attitude qu'une mère excédée par l'hyperactivité de son enfant, sur le point de le gifler (repr. 16). La lecture de Vasari lui a peut-être laissé le souvenir de la façon dont Duccio avait animé ses icônes des gestes désordonnés du petit Jésus, et qu'il se place ainsi dans la lignée à laquelle a aussi appartenu Lippi, le maître de Botticelli, dont un épisode de la vie de Sainte Anne (ill. 12) rappelle exactement les attitudes des personnages de sa Callisto.

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