Section 3. La place du jeu dans l'oeuvre
Le déguisement apparait comme une notion assez
prégnante de son oeuvre, qui introduit le merveilleux dans la
réalité, ainsi il peint sa seule scène de rue (que l'on
sait être une rue seulement par le titre) pour immortaliser deux gais
lurons déguisés lors du carnaval le plus populaire du Paris de
165 Heinich, Nathalie, L'Élite artiste, Paris,
Gallimard, 2005, p. 92.
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son époque : Descente de la Courtille, deux
personnages costumés. La Courtille apparait en 1822 et disparait
vers 1860, sous un Second Empire asseyant plus de contrôle sur la
capitale.
Lorsqu'il s'endette, Diaz doit à Alfred Sensier «
un Tableau de l'Importance de la Fée aux Joujoux, de la vente de 1858
vendu 4500 francs par procès-verbal de Mr Pillet, commissaire-priseur,
d'une dimension de 72 1/2 centimètres sur 59 centimètres, que
Diaz transforme en une Halte de Bohémiens dans un paysage
166». De cette inscription un peu obscure, on peut retenir
plusieurs choses : tout d'abord la Fée aux Joujoux est une
pièce importante, dont le prix mémorable a marqué Sensier,
et qu'il entend peut-être décupler en demandant une halte de
bohémiens, autre succès important, dans un tableau de mêmes
dimensions que l'allégorie de la Fée. Ensuite Diaz peut
transformer un sujet en un autre, ce que nous développerons plus avant,
et qui caractérise le jeu qu'il installe dans son faire. Le
métier de peintre est aussi un jeu pour Diaz, qui lui permet de
retrouver constamment l'émerveillement et de le susciter chez autrui.
Le caractère ludique de son oeuvre parait
particulièrement éclairant pour expliquer à la fois la
résurgence du thème de l'enfance et le traitement inégal
de ses oeuvres. La Fée aux joujoux peut alors se lire comme une
troisième marraine fée ayant veillé sur l'oeuvre et la
carrière du peintre, assurant la réussite de l'alliance du jeu et
de la profession.
Consoeur de la Fée aux bijoux, la
Fée aux joujoux est aussi placée en haut de marches qui
lui donnent symboliquement la prestance d'un personnage arrivé au
succès. Le jeu a partie liée au succès social de Diaz, et
s'apparente à son rapport à l'argent, notamment dans son
innovation des ventes aux enchères de ses propres oeuvres qui comme l'a
souligné un chroniqueur de son temps s'apparente à une «
partie » que l'on joue. Cependant la teneur est différente puisque
le jeu évoque dans le tableau est une faculté de jouer de
façon désintéressée et indépendante de tout
enjeu. La force de l'amusement, et du plaisir, semblent caractériser la
teneur symbolique du tableau.
Le ludisme est propice à expliquer le titre de l'oeuvre
et des deux autres sujets, dont le phrasé est très particulier et
dénote du ludisme chez l'artiste. Dans ces inventions, accolant un
attribut symbolique aux marraines Fées de son oeuvre, Diaz prolonge
très certainement la démarche qu'avait eue Charles Nodier dans
son récit onirique La Fée aux Miettes (1832). Non
seulement le même phrasé, unique et sans lien avec aucune
tradition à notre connaissance, est partagé dans le titre, mais
certains aspects du conte de Nodier peuvent se retrouver dans la relation de
ces trois Fées de Diaz avec son oeuvre. Dans La Fée aux
Miettes, Charles Nodier met en scène un personnage principal,
166 Compte arrêté entre Diaz et Sensier, l.a.s.
signée « approuvé N. Diaz », avec inscription en marge
au crayon de papier « Fait et fini en Mai 1864 », conservée
à Paris, Bnf, cabinet des Estampes et de la Photographie, voir
annexe.
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Michel, qui par trois fois le jour de la Saint-Michel
rencontre la fée aux miettes qui le propulse dans une intrigue
décousue. Le nom de la fée n'est pas explicité dans le
roman de Nodier, tandis que Diaz semble y placer toute la teneur symbolique de
ses oeuvres. La proximité avec la démarche de la bohème
littéraire de 1830-1840 est encore relayée par la façon
dont George Sand se plait également à créer des variantes
personnelles sur le thème de la Dame blanche, en inventant une «
dame verte » par exemple167. Les fées de Diaz signalent
donc une proximité de l'artiste avec les cercles littéraires de
Nodier et Sand. La sensibilité de cette dernière est
peut-être tout particulièrement importante pour Diaz. Non
seulement il produit La mare au diable, mais dans son obsession du
déguisement et du jeu des apparences, on peut sentir une
réflexion parallèle aux bousculements du genre menés par
Sand, qui font d'elle aux yeux des contemporains une « bohémienne
». L'histoire sentimentale qu'a eue Théodore Rousseau en 1846-1847
avec la filleule de George Sand, Augustine168, atteste de la
proximité de Sand et des Barbizonniens.
Le déguisement, l'incongruité, renvoient
à la même notion d'un écart entre ce qui est
présenté et ce que cela cache. Cet écart est
lui-même un jeu, petit vide équivoque, qui donne de la souplesse
au sens des tableaux. Le jeu ludique induit un interstice laissé vacant,
qui laisse libre court à l'imaginaire. Dans sa manière, Diaz joue
avec les tons et la touche, en la disposant de façon divisée. Il
laisse un jeu entre les formes.
La Fée aux joujoux évoque certainement,
après le succès qu'a rencontré son catalogue
illustré à sa vente de 1857, la façon dont le public suit
ce qui lui procure une joie enfantine. Les tableaux que les uns ne pouvaient
acheter leur ont été offerts en images, pour leur simple plaisir.
La fée du tableau est pareille à Diaz, satisfaisant aux joies les
plus simples et suivi par une petite foule d'heureux admirateurs.
Ces trois fées, qui donnent d'elles-mêmes des
clés interprétatives à la peinture de Diaz, close sur
elle-même, ouvrent maintenant à réfléchir sur la
démarche artistique de Diaz, et le sens qu'il faut attribuer à
son titre de « magicien ».
167 Voir Auraix-Jonchière, Pascale, « Rhapsodie
sandienne sur la Dame blanche », Bernard-Griffiths, Simone et Bricault,
Céline, dir., op. cip., p. 171-187.
168 Miquel, Pierre et Rolande, Théodore Rousseau,
Paris, Somogy, 2010, p. 140.
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