WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La magie de Diaz

( Télécharger le fichier original )
par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Partie II. Le « magicien » au kaléidoscope de La Magicienne

Accoudée au noeud d'un arbre centenaire, dont le tronc se tord comme une colonne d'église baroque ou un serpent énorme, la silhouette diaphane se tient nonchalamment en face du spectateur qui ne sait si elle est ange ou démon. Débraillée comme les survivants des Massacres de Scio (ill. 13), dont Diaz a une huile d'après Delacroix169, la magicienne que l'on reconnait à sa longue baguette plonge le spectateur dans un « Orient » lascif et merveilleux. Le regard de la créature se pose hors champ, dans le sens des rayons du soleil qui tombent en diagonale. La forêt enchantée de couleurs extraordinaires, turquoise, rubis, émeraude et or, exerce une fascination sur l'oeil que le spectateur pourrait attribuer à la magicienne.

Isolée dans l'OEuvre, La Magicienne du musée d'Orsay (repr. IX) est la seule figure de sorcière qui aie un accessoire fantastique. Avec la Scène d'Incantation (repr. X), c'est également la seule jeune fille à détenir des pouvoirs surnaturels chez Diaz. Le catalogue raisonné et le musée d'Orsay divergent sur la datation : n° 2075 au catalogue, le tableau non daté aurait appartenu au comte de Narbonne, qui s'en serait séparé lors d'une vente en 1851 (n°15), tandis que le musée d'Orsay date l'oeuvre d'environs 1860 et ne trace l'historique qu'à partir de 1909 dans la collection d'Alfred Chauchard170. La description des tableaux dans les comptes rendus de Salons confortent l'idée que La Magicienne d'Orsay, seule à détenir une baguette, est l'envoi de Diaz au Salon de 1846171. Thoré ne laisse pas de doute à se faire : « La Magicienne, avec sa baguette, n'a rien à faire pour évoquer les prodiges. N'est-elle pas déjà en plein monde enchanté172 ? ». La Scène d'Incantation, quant à elle, connue par la gravure, daterait de 1852. Les deux figures renvoient à l'iconographie romantique de la magie, quasiment

169 Les Massacres de Scio, d'après Delacroix, 53 x 63 cm., figure au Catalogue des tableaux et objets d'art provenant de l'atelier de M. Diaz, Francis Petit expert, Paris, Hôtel Drouot, 4 et 5 avril 1861, p. 1.

170 Le catalogue raisonné consacre encore un numéro à une Magicienne, elle aussi vendue à la vente du comte de Narbonne de 1851, sous le même numéro 15, et sans autre précisions. Dans le catalogue monumental se serait donc glissé quelques erreurs, ce qui ne peut être blâmé. Figure encore au n° 2080 La Diseuse de bonne aventure, datée d'environs 1845-1846, version à l'huile sur toile d'une huile sur carton connue sous le nom de L'Horoscope dans la gravure. Cette notice mentionne « peut-être Une Magicienne au Salon de 1846 ». Mais pourquoi ne pas faire la même supposition pour la toile que l'on dénomme précisément « La » Magicienne, et qui daterait justement d'avant 1851 ? Qui plus est, le comte de Narbonne détenait aussi une version du Maléfice, sujet exposé en 1844 et qui ouvre la fortune du motif de la magicienne chez Diaz. Le Maléfice du Salon de 1844 pose aussi un problème d'identification, ce qui sera développé à son sujet. Il parait cependant fort probable que le comte de Narbonne ait voulu se procurer les deux originaux des Salons de 1844 et 1846.

171 Voir le Journal des artistes, 5 avril 1846, p. 114 ; Thoré, Théophile, « M. Diaz », Le Salon de 1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 105-118 ; Champfleury, Salon de 1846, op. cit., p. 39 s.

172 Thoré, Théophile, « M. Diaz », Le Salon de 1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 116.

46

exclusivement réservée à l'initiative des femmes, qui s'explique par la nature de ce pouvoir, qui est lié au désir173.

L'émergence de types de genres comme le savant, l'astrologue, ou l'Oriental, dans l'école hollandaise du XVIIe siècle, exprimant une forme de vanité174, est repris par l'artiste qui s'éloigne cependant radicalement de l'iconographie générale des sorcières175 : sabbat, préparations magiques, attirail ésotérique sont évacués. Abandonnant les accessoires qu'utilisaient Jan de Velde (ill. 14) ou David Teniers176 (ill. 15) dont l'oeuvre est très répandue en France depuis le XVIIIe siècle, les enchanteresses de Diaz évoquent le pouvoir du charme. Chez Gillis Congent (ill.16) on trouve une posture comparable à celle de l'incantatrice et son cercle de feu, mais la puissance de cette dernière est attestée par la réaction des observateurs alentour et non par l'apparition de fantasmagories. Comme dans la littérature romantique, la figure de la sorcière se superpose à celle de la princesse orientale ou de la fée177, et son pouvoir est avant tout d'asseoir une emprise sur le spectateur masculin178. Au sein de son oeuvre, La Magicienne et l'incantatrice, débraillées, renvoient à la façon dont il décrit ses bohémiennes, qu'il est le premier artiste à investir avec tant de passion179.

Les deux sujets renvoient à l'iconographie de Circé, et incitent à mesurer l'importance des lectures d'Ovide chez Diaz. Sa collection comporte des exemplaires des Métamorphoses d'Ovide, de Roland furieux de l'Arioste et d'une version vulgarisée et illustrée d'Ovide par Desmoulin180, où Circé apparait dans un cercle de feu, motif rare en peinture, qui rappelle la Scène d'Incantation. Les deux sujets, rapprochés par le charme évocateur du protagoniste central, sont donc effectivement liés par l'iconographie de Circé. La Magicienne renvoie plus à la version qu'a pu en faire Paulus Bor (ill. 17) que celle de Corrège (ill. 18), que Diaz avait pourtant pu voir dans un Album de David Téniers au Cabinet des Estampes.

173 Giné-Janer, Marta, « Villiers : de la femme magicienne à la magie féminine », dans Brenard-Griffiths Simone et Guichardet, Images de la magie, fées, enchanteurs et merveilleux dans imaginaire du XIXe siècle, colloque 1990, p. 80.

174 Duby Georges et Laclotte Michel (dir.), Cornette Joëlle et Mérot Alain, Le XVIIe siècle, Paris, Seuil, 1999, p. 362.

175 Sur l'iconographie des sorcières, voir le catalogue d'exposition de la BNF, Les Sorcières, Paris, Bnf, 1973.

176 David Teniers II, Witche's Scene, 1640s. h/p, 64,2 x 48,5 cm. Kunsthalle Hamburg.

Incantation Scene, early 1650s. oil on cooper, 36,8 x 50,8 cm. Collection of the New York Historical Society.

177 Dubost, Francis, « La magicienne amoureuse dans le récit médiéval », dans Moreau, Alain, et Turpin, Jean-Claude, La magie, actes du colloque international de Montpellier, 25-27 mars 2000, t. 3, Du monde latin au monde contemporain, Montpellier, Université Montpellier 3, 2000, p., p. 151.

178 Durand-Le Guern, Isabelle, « sorcières médiévales romantiques », dans Brenard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline, op. cit., p. 134.

179 Cette certitude repose sur une étude taxinomique des figures de bohémiennes peintes et gravées en France entre 1830 et 1855 effectuée dans le cadre d'un Master 1, soutenu en septembre 2011 à l'Université de Paris 1. Tant l'effeuillage des livrets de Salons que l'analyse des peintures comparées aux productions sur le même thème révèle la singularité de Narcisse Diaz.

180 Dans le Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu Diaz de la Pena, vente le vendredi 26 janvier 1877, Hôtel des commissaires-priseurs, rue Drouot, Charles Pillet commissaire-priseur, Paris, Labitte, 1877 figurent : Arioste, Roland furieux, avec fig. ; trad. nouv. Par le comte de Tressan, Paris, Laporte, s.d., 4. Vol, in-8, dem.-rel. mar. Exemplaire en grand papier in-4° avec figures de Cochin ; Demoustier, Lettres à Émilie sur la Mythologie, 1817, fig. de Désenne ; Ovide, Les Métamorphoses, trad. Abbé Barnier, Paris, 1767, 4 vol. Figures d'Eisen, Boucher, Gravelot et Monnet.

47

La Magicienne donne un bon exemple de la « couleur magique » que chaque commentateur a tour à tour évoqué. Elle met en abîme avec sa baguette, la magie du pinceau. Les Goncourt évoqueront « la baguette magique de Diaz181 », et Houssaye « une palette magique préparée pour des pinceaux de fées182 ». Le motif met en équivalence charme et pouvoir surnaturel, ce qui incite à chercher si l'axiome se vérifie chez Diaz, et à la réflexion sur les liens tissés entre l'art et la magie au XIXe siècle. Faisant écho au « magicien » que le milieu de l'art a désigné en la personne de Diaz, l'analyse continuera autour des regards portés sur l'artiste, dont celui de Diaz sur lui-même.

Chapitre 1. La « magie » de Diaz : un usage de la couleur salué par l'école romantique

« Il est des noms d'artistes qui, à peine prononcés, éveillent dans l'esprit des images et font entrevoir en une vision soudaine, des magnificences de couleur. Le nom de Diaz est un de ceux-là. Ces quatre lettres sonores ont un pouvoir magique. (...) Comme tous les maîtres, Diaz se reconnaît au premier coup d'oeil : son signe particulier est le rayon de soleil qui traverse son oeuvre183. »

C'est ainsi que Roger Ballu s'est exprimé dans une notice accompagnant le catalogue de la dispersion des biens de 1877, pour faire à Diaz un épitaphe digne de l'émotion que le peintre avait suscité le long de sa carrière. Le « pouvoir magique » de son nom évoque sa couleur. Ballu résume intuitivement un des tenants du succès de Diaz : son origine évocatrice qui rejaillit sur la valeur d'une couleur éclatante.

Si la peinture de Diaz évoque une féérie de conte de fées aux spectateurs, c'est donc tout de même moins par les sujets que traite le peintre que par son usage de la couleur. La Magicienne, tableau unique et non daté dans le catalogue raisonné, n'est pas un thème favori de l'artiste, qui n'a pas besoin de donner forme à des êtres surnaturels pour dépeindre un monde enchanté. Ce tableau du musée d'Orsay nous renseigne par contre particulièrement bien sur la matière picturale de l'artiste et met en abîme le charme du coloriste.

La Magicienne dans sa pose suggestive, se contente d'avoir l'attribut d'une magicienne : une baguette ; sans quoi on pourrait la confondre avec une des bohémiennes débraillées du peintre. Mais la magie qui se dégage du tableau est bien celle de la couleur, et d'un empâtement qui suggère un

181 Goncourt, Edmond et Jules, Manette Salomon, t. 2, Paris, Lacroix, 1868.

182 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse, histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New York, C. Lassalle, 1866, p. 84.

183 Ballu, Roger, « Diaz. Les artistes contemporains », Gazette des Beaux-Arts, 1er mars 1877, 1, p. 290.

48

mystère propre à la matière et à l'illusion. La baguette pourrait être la mise en abîme du pinceau de l'artiste, utilisé par le peintre pour donner corps à ses projections mentales, et en tirer profit comme par magie.

Section 1. « De l'Espagnol inspiré tout caprice est sacré ! »

La Magicienne du musée d'Orsay, vraisemblablement l'envoi intitulé Une Magicienne, n° 541 au Salon de 1846, évoque le négligé nonchalant des bohémiennes de la Descente envoyée deux ans plus tôt, en 1844, qui figurent parmi ses sujets les plus originaux pour l'époque et ancrent sa propre esthétique dans une sensibilité non sans rapport avec l'Espagne. C'est lors du Salon de 1846 que le peintre se fait connaître sous son nom complet « de la Peña184 ». Le tableau est caractéristique de la façon dont Diaz décline ce que l'oeil français retient de la peinture espagnole : la couleur qui magnifie le noir, la sensualité, en abandonnant les références directes à l'Espagne. Ses premiers envois, ignorés, sont en effet bien plus en lien avec l'Espagne que ne le sont ceux qui feront son succès en tant que peintre espagnol ! En 1834, parmi ses cinq envois figure une Vue prise aux environ de Saragosse (n° 549), et en 1835 sur trois envois il a produit Médina Coeli (n° 612), un sujet de l'Histoire espagnole, et des Baigneuses espagnoles sur le bord d'une rivière (n° 613). Peut-être encouragé amicalement à développer un talent artistique en accord avec sa nationalité d'origine, le peintre essaye sans succès185 d'insister sur les espagnolades, puis change de tactique. Ce n'est pas le sujet espagnol, mais le « tempérament » de coloriste accolé à un nom espagnol, « Diaz de la Peña », qui déclenche la reconnaissance d'un peintre espagnol en France.

Au même Salon, un critique voit d'un mauvais oeil la façon dont Charpentier fait le portrait de Diaz « trop espagnol-posada », comme s'il se méfiait de l'effet de mode espagnole qui laisse tout passer au peintre :

« M. Charpentier pouvait jeter un peu de poésie (...) sur ce harnachement de peintre chez soi qui est d'un prosaïque, non pas vulgaire, mais trop espagnol-posada. Après tout, comme le disait le poète Desplaces :

C'est qu'ainsi l'a voulu l'Espagnol inspiré !

Mauvaise inspiration !

...Du peintre Diaz tout caprice est sacré186. »

184 Thoré, Théophile, Salon de 1846, Paris, Alliance des arts, 1846, p. 116.

185 Il n'y a guère que les rapins de L'Indépendant qui félicitent le peintre pour ses sujets espagnols dans sa première manière, voir Anonyme, « Beaux-arts. Salon de 1835. Douzième article », L'Indépendant, 19 avril 1835, p. 1.

186 Champfleury, « Salon de 1846 », OEuvres posthumes de Champfleury : salons de 1846-1851, préf. Jules Troubat, Paris, Lemerre, 1894, p. 39.

49

Si Diaz n'avait pas eu son nom espagnol, c'est-à-dire un nom de coloriste qui l'autorisait à rompre avec une manière « française », on ne l'aurait pas reconnu ; tout comme la Magicienne qu'il peint a besoin d'un attribut attaché à son nom pour être reconnue. Sans sa baguette, la magicienne n'est pas reconnaissable dans ce tableau par la narration de la scène, comme si Diaz renonçait à celle qu'il avait essayée au Salon de 1835. Diaz semble avoir conscience de l'impact de simples pensées, relayant dans le quotidien la force de mythes, sur un parcours individuel.

Dans l'esprit du milieu du XIXe siècle, les nations ont des caractères tant physiques pour les individus que plastiques ou techniques pour les arts qui en ressortent. L'Espagne étant connue pour ses coloristes, il existerait une « couleur espagnole187 », et selon Paul Mantz, Diaz en devenant coloriste « obéissait à la fatalité de ses origines espagnoles188 ». Émile Deschanel prend Diaz pour exemple dans sa Physiologie des écrivains et des artistes, pour illustrer l'influence d'un caractère national189. Ceux qui le connaissent relèvent toujours son origine espagnole pour expliquer d'un bloc le tempérament de l'artiste et de sa peinture, ce que Diaz reprend à son compte, peut-être parce qu'il s'est senti lui-même sans équivoque appartenir à une large famille de coloristes dès ses premières années de formation. De Velázquez et de Goya Diaz retient surtout la tradition picaresque, antihéroïque190 que lui passeront tous les commentateurs.

Mais il est spectaculaire et très instructif du point de vue de l'analyse de constater qu'en son temps, la même peinture aurait été reçue différemment et n'aurait pas atteint le même succès si le peintre n'avait pas porté un nom espagnol. Lorsqu'il décide d'envoyer au Salon avec son nom complet, Diaz de la Peña au lieu de Diaz, le succès frappe à sa porte191. L'impression sur le public et les commentateurs est bien plus saisissante, comme s'il avait donné une clé de compréhension de son travail de coloriste qui en assurerait la qualité. Pourtant, ce n'est pas l'imitation de la peinture espagnole qui donne les clés de la réussite : Édouard Manet sera au contraire descendu en flèche par la critique, parce qu'il emprunte à Goya notamment une manière, qu'il y puise au lieu d'affiner son propre caractère, qui ne peut être que français192. C'est ainsi que raisonne la scène artistique, qui scrute le caractère de la peinture. Mais Diaz, en tant qu'Espagnol, a raison d'abuser de la couleur espagnole de son tempérament, c'est une des raisons pour lesquelles sa peinture plait, en tant qu'objet authentique.

187 Joyeux, Béatrice, « Art moderne et cosmopolitisme à la fin du XIXe siècle. Un art sans frontières ? », Hypothèses, 2002/1, p.195.

188 Mantz, Paul, « Diaz », Le Musée Universel, octobre 1876 - mars 1877, 1er semestre 1877, t. IX, n° 210, p. 134.

189 Deschanel, Émile, Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle, Paris, Hachette, 1864, p. 255256.

190 Duby, Georges, et Laclotte, Michel, op. cit., p. 370.

191 Thoré , Théophile, Salon de 1846, Paris, Alliance des arts, 146, p. 116.

192 Idem, p. 194.

50

C'est ainsi que présente V. Fournel le peintre Narcisse Diaz, « ou plutôt Don Virgilio-Narcisso Diaz de la Peña », ajoutant après sa mort un titre de noblesse, « (...) sa peinture, vraie, peinture d'hidalgo, lumineuse et ronflante, était en harmonie avec son origine et avec son nom193. » Gautier aussi, auteur du Voyage en Espagne, et promoteur du charme sensuel et féérique de la bohémienne, se souviendra de « Ruy Narciso Diaz de la Peña, ce magicien de la palette194 ». Sensier, plutôt que de comparer son faire avec celui de Goya, lui trouve les mêmes caprices lorsqu'il se remémore comment « Diaz excitait le bon rire de Rousseau par ses caprices inattendus, comme les explosions humoristiques de Goya195 » ; Houssaye se contente de dire de lui qu'il est le « petit-fils de Murillo196 ».

Les excès de tempérament tant dans la peinture de Diaz que dans son attitude sont attribués à son origine espagnole tant par les commentateurs que par l'artiste lui-même, qui aurait eu l'habitude de dire : « Ma brutalité d'expression c'est mon Espagne197 ! ». Diaz est pourtant natif de Bordeaux et ne connait l'Espagne que par ses lectures et dans son sentiment intime sur lequel il est difficile de spéculer. Élevé en France, il connait sans doute d'autant mieux les clichés français au sujet de l'Espagne et peut jouer des attentes de son public. Les plus récents historiens d'art qui se sont penchés sur Diaz ont cherché du côté de la psychologie de l'homme, en posant la question des facteurs culturels, pour expliquer ce que la peinture en elle-même laisse d'équivoque. « Faut-il imputer à ses origines hispaniques sa fierté naturelle, son besoin d'être admiré et son inépuisable ardeur ? Quoi qu'il en soit ce caractère naturel est renforcé par l'adversité qui frappe si tôt le jeune garçon198 », écrit Pierre Miquel. Il parait pourtant possible de voir chez Diaz un jeu de ces codes et même de sa propre biographie.

Fort de ce tempérament espagnol, il coïncide parfaitement avec ce que l'on attend d'un artiste. Il est même artiste à l'excès ; ainsi à propos de l'amour-propre des artistes, Horace de Viel-Castel rapporte une anecdote au sujet de Diaz qui occupe toute une page :

« Ainsi Diaz commençant un tableau, s'enthousiasme, s'enflamme et se livre au monologue suivant : "Allez donc, Mossieu Ingres, allez donc voir si vous êtes fichu pour cirer mes bottes !..."

Il donne un coup de pinceau.

"Enfoncé le père du gris, jamais vous ne trouverez une figure comme celle-là !"

193 Fournel, V., « Narcisse Diaz », Les Artistes français contemporains, Tours, Alfred Mame et fils, 1884, p. 239-240.

194 Gautier, Théophile, Souvenirs de théâtre, d'art et de critique, Paris, E. Fasquelle, 1904, p. 298.

195 Alfred Sensier, cité par André Billy, Les beaux jours de Barbizon, p. 67.

196 Houssaye, Arsène, Le Roman de la duchesse, histoire parisienne. Madame de Nailhac, un sphinx de la vie mondaine, New York, C. Lassalle, 1866, p. 86.

197 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 13

198 Idem., p. 11.

51

Second coup de pinceau.

"Hein, quels contours ! quelle suavité ! quelle harmonie ! allez donc, vieux cornichon au vert de gris, allez donc prendre des leçons chez Diaz !199 " »

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon