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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. Le mystère de la couleur

« La couleur de Diaz, dans ses ébauches, est le chef-d'oeuvre de l'éclat dans l'harmonie. Jamais pinceau n'eut de plus savants artifices, ne rapprocha des tons plus heureux ; il y a dans les Bohémiens de M. Diaz, des jeux de lumière et de couleur jusqu'ici inconnus de l'école française, et dont il n'y a point d'exemples, si ce n'est peut-être dans certaines fantaisies de Watteau200. »

Ces mots flatteurs de Charles Blanc disent implicitement le travail empirique de Diaz pour arriver à produire un effet nouveau. Avant d'arriver à la disposition de couleurs vives et progressivement dispersées sur la surface du tableau que peut illustrer La Magicienne, Diaz passe par une multiplicité d'essais picturaux. Sa démarche artistique n'est pas spécialement dans le prolongement des maîtres espagnols, la critique de l'époque évoque d'ailleurs bien plus souvent à son propos l'inspiration de Corrège et de Prud'hon.

Diaz est en effet plutôt autodidacte et choisit ses maîtres en fonction d'un principe de plaisir, comme Stendhal avait pu le préconiser201. Dans sa collection on trouve trace d'un exemplaire de manuel de dessin, qui prouve en tout cas l'importance à ses yeux d'avoir un dialogue direct avec les maîtres en s'affranchissant de l'atelier des aînés202. Mais plutôt que de se livrer à une étude systématique, le peintre cherche à explorer la nature, et obéit d'abord à la sienne. Dans ses lectures, Lady Morgan écrit à propos de Salvator Rosa « comme Vasari l'a dit du Corrège, "lui aussi était un peintre" formé par la nature plutôt que par aucun maître en particulier203 ». Diaz a sans doute suivi ce principe de plaisir et a d'abord cherché à établir un lien direct avec la nature et donc la matière picturale comme élément du monde sensible.

Les tons disposés de façon harmonieuse mais chaotique, la posture du personnage, désinvolte et équivoque, renvoient à l'attitude de Diaz lui-même désinvolte et hermétique dans ses procédés.

199 Viel-Castel, Horace de, Mémoires du comte Horace de Viel Castel : sur le règne de Napoléon III, Paris, chez tous les libraires, 1883-1884, p. 184.

200 Blanc, Charles, Histoire des peintres au XIXe siècle, t. I, Paris, Curville, 1845, p. 47.

201 Stendhal, Histoire de la peinture en Italie (1817), préf. Henri Martineau, t. 1, Paris, Le Divan, 1929.

202 Le Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu Diaz de la Pena, op. cit., mentionne : « Jombert, Nouvelle méthode pour appendre à dessiner sans maître, 1740. 91 planches. Une série de 30 planches intitulée Diverses figures d'amour est ajoutée à l'exemplaire. ».

203 Morgan (Lady), Mémoires sur la vie et le siècle de Salvator Rosa, Paris, 1824, p. 134. L'ouvrage figure également dans le catalogue des livres vendus.

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Claretie n'essaie pas de détailler son idée lorsqu'il dit « Tout ce bonheur ressemble à du hasard204 ». Derrière le hasard apparent, il y a effectivement une méthode empirique. Les croquis datés d'avant 1832 (repr. 3) attestent de l'affinité de Diaz avec le dessin d'illustration205 ; l'artiste pouvait dessiner mais préférait la matière picturale. Abandonnant le trait, l'idée avant l'oeuvre, Diaz plonge dans la couleur « à l'état vierge206 » et la matière pour en tirer une science personnelle. Mêlant les tons, donnant à voir sur la surface peinte ses propres essais, superpositions, le peintre exhibe un travail qui ressemble à celui d'un alchimiste cherchant à changer le plomb en or... De fait, sa matière se change sous les yeux des spectateurs en « joyaux ». Silvestre dira qu'il avait « trouvé la pierre philosophale de sa palette207 », empruntant l'expression à Rubens. À travers la matière picturale c'est la matière au sens large, l'incarnation, dont Diaz semble explorer le mystère. Dans une scène de bonne aventure, L'Horoscope (repr. 17 a et b), Diaz emprunte à Jean Broc208 (ill. 19) le regard désabusé vers le spectateur de la cliente, les yeux mi-clos, mais change la posture de sa main : se laissant dérober par l'escroc, elle pointe du doigt un coin du tableau où il n'y a rien. Rien sinon un tronc d'arbre dont la gravure laisse deviner un traitement riche et coloré comme dans La Magicienne d'Orsay. La cliente sait que tout le mystère est dans la nature-même, et l'illusion des sens qui conditionne parfois jusqu'à la destinée des individus.

Relativement vite l'art de Diaz aboutit à un usage de la couleur facilement reconnaissable. La Magicienne nous renseigne bien sur la manière « orfévrée » des tableaux de Diaz. La matière permet de créer de légers effets d'ombres d'où la peinture brillante pouvait mieux ressortir et scintiller. Charles Baudelaire appelait ce type de scènes de genre qu'il affectionne chez Diaz, un « kaléidoscope209 », pour lequel il pardonne à Diaz l'absence du « mouvement du coloriste », alors qu'il ne peut cautionner le même immobilisme des figures dans une allégorie. Mais si les personnages sont dépourvus de mouvement, la couleur de Diaz n'est pas hiératique, elle renvoie au contraire à un sentiment de vitalité, comme le souligne Champfleury, pour qui Diaz est à Ingres ce que le coq fait d'après nature est aux jeunes grecs néo-classique du Combat de coq de Gérôme (1846)210. Sans doute à travers cette existence propre de la matière, Diaz obtient d'une manière élégamment simple l'« authenticité » du sentiment.

204 Claretie, Jules, cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit. p.162 ; voir aussi Silvestre, Théophile, op. cit., cit. p. 153.

205 Diaz, proche de Nanteuil, collectionne les ouvrages illustrés par Tony Johannot. Le catalogue de la vente des livres mentionne également un ouvrage de Doré.

206 Silvestre, Théophile, Les artistes français, p. 150.

207 Idem., p. 146.

208 Le tableau exposé au Salon de 1819 et exposé au musée du Luxembourg a pu de ce fait plusieurs fois croiser le chemin de Narcisse Diaz.

209 Baudelaire, Charles, « Salon de 1845 », dans Écrits sur l'art, Paris, Le livre de poche, 1999, p. 90. Il réutilise l'expression dans son « Salon de 1846 », idem., p. 185.

210 Champfleury, OEuvres posthumes, op. cit., p. 92.

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Le seul genre que Diaz abandonne complètement est la peinture d'Histoire, dès le tollé de La Bataille de Médina Coeli (1835). D'autres tableaux, aussi peu marqués de succès, comme le Supplicié pendu la tête en bas (c. 1835-1840), du musée des Beaux-arts de Reims, dénotent de l'influence du romantisme noir, et de l'orientalisme. Durant les années 1830-1835, la formation du style parait passer par l'empirisme, son oeuvre présentant des différences de styles diamétralement opposées, passant d'une finition léchée à une touche apparente et énergique, diversité qu'on trouve par exemple chez son ami de longue date Ary Scheffer. Ainsi il considérera l'orientalisme léché d'un de ses tableaux, Le Vieux Ben Emeck comme une « erreur de jeunesse », pour y préférer l'opposé complet de ses Femmes orientales au repos (repr. 18). Vers 1840, Henri Zerner décrit une situation « figée », où l'antagonisme des manières d'Ingres et Delacroix s'essouffle211. Couture impressionne alors le public, et de la même manière les procédés picturaux de Diaz et de Decamps tranchent avec la tournure qu'a prise la bataille romantique.

Plutôt que de tenter en si peu d'espace de tenir un propos général sur l'ensemble des peintres que Diaz a pu étudier pour sortir de cet essoufflement, il est intéressant à propos de la « magie » de sa couleur d'évoquer la façon dont il a pu lui-même être amené à multiplier ses intérêts pour les maîtres suivant sa propre quête du mystère de la couleur.

En premier lieu, comme s'il était d'abord frappé par la description du mystère dans la nature chez les coloristes, Diaz semble privilégier les maîtres qui usent du paysage, c'est-à-dire se faire en quelque sorte sa propre histoire du paysage, où il a tôt fait de rencontrer le mythe. Chez Rubens, il peut admirer des nus féminins en forêt, des allégories mythologiques, et des motifs floraux. Il prise encore des scènes où l'allégorie est placée sur fond de nature, comme dans La Tempête de Giorgione (c. 1510), et L'Antiope de Corrège (1524-1527) ; puis dans la peinture anglaise du XVIIIe siècle avec Reynolds et Gainsborough. Si Diaz privilégie la couleur sur le trait, c'est que lui aussi la trouve magique, il se voit dans la lignée « magiciens » que seraient Corrège, Rembrandt, Rubens et de Hooch : « Les lumineux, les magiciens ; il me semble que tous ces cocos-là sont mes parents212 ».

Là où de Vinci préconisait la primauté au dessin, puis le rétablissement de l'effet optique avec le sfumato, Diaz reprend à Corrège son interprétation sensualiste de la technique léonardienne pour finalement s'éloigner du dessin et donner à voir la matière-même. Le peintre romantique montre à la suite de Delacroix le sentiment dans la couleur, le mystère propre à une matière tangible, en contournant le pouvoir illusionniste de la peinture.

211 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 134.

212 Diaz, rapporté par Silvestre, Théophile, « Diaz », Les artistes français, op. cit., p. 140.

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C'est aussi de Corrège que se sont inspirés les maîtres de Fontainebleau, puis plus tard Watteau et encore Prud'hon. Revisiter la Renaissance fonde pour lui comme pour beaucoup, la validité d'une démarche révolutionnaire en art, dans la lignée des multiples réhabilitations de styles passés213. Corrège, adulé par Stendhal, est en 1832 à l'honneur en même temps que Watteau chez Théophile Gautier214. Corrège rend un sentiment merveilleux et étrange, propice à la légende ovidienne, par la tonalité et l'éclairage, ainsi que le hiératisme des figures215, ce que Diaz a réussi à imiter tout en déployant des couleurs qui trompent l'immobilisme des personnages et en maintenant leur suspension dans le temps. Diaz est un « Corrège à Barbizon », pour Jules Claretie, car il en revisite la sensibilité ; mais comme La Magicienne le met en abîme son art est également, comme celui du Corrège, un mystère d'apparente facilité. Castiglione en 1528 attribue à Corrège « (...) une certaine désinvolture (...) qui montre que ce qu'on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser216 », ce qui préfigure exactement la même impression que fera Diaz, depuis son apprentissage chez Sigalon jusqu'à la fin de sa carrière.

La désinvolture du peintre est à l'origine de la diversité de sa manière. Lorsque Diaz fait resurgir Diane (repr. 19) de la mémoire de Fontainebleau, comme il le faisait avec la Nymphe de Fiorentino accompagnée de chiens dans La Mare aux Fées, la déesse et effigie de Diane de Poitiers217 apparaît dans le halo de la mémoire du lieu, avec la couleur de Nicola dell'Albate, Rosso Fiorentino, Primatice et du Maître de Flore. En comparant le colorisme de l'École de Fontainebleau et celui de Diaz, le parallèle est frappant. Comme si les décorations du château s'étaient enfuies dans les bois, retournant à la nature originelle, les « kaléidoscopes » de Diaz en reprennent la couleur surprenante. Les tons violacés, oranges, bleus roses et jaunes de La Charité du Maître de Flore (c. 1550) (ill. 20) ne sont pas sans rappeler « la vision de haschisch » qu'est La Magicienne. C'est peut-être de ces maîtres qu'il tire l'idée d'abandonner la couleur locale, pour peindre des arbres orange ou bleus dont la disposition en contraste de complémentaire recrée empiriquement une intelligibilité (repr. 20). Le mystère de la couleur est mystère du monde sensible ; la préoccupation du peintre rejoint celle qu'avaient eu les artistes de la Renaissance218 tel Altdorfer qui fait resurgir de la forêt la légende de Saint George et le dragon (1510), crypté dans la nature.

213Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 195.

214 Maurouard, Elvire, Les beautés noires de Baudelaire, Paris, Karthala, 2005, p. 150.

215 Riccomini, Eugenio, Corrège, Gallimard, 2005, p. 151.

216 Castiglione, Le Courtisan, 1528, cité par Riccomini, Eugenio, Corrège, Gallimard, 2005, p. 25.

217 Pour des renseignements généraux sur Diane de Poitiers et l'art à Fontainebleau, voir Lévêque, Jean-Jacques, L'École de Fontainebleau, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1984, p. 97.

218 Pour un propos général sur l'attitude Renaissante vis-à-vis de la relation entre art du paysage et imaginaire, voir Aston Margaret, (dir.), Panorama de la Renaissance, Thames and Hudson, p. 190-168.

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La Renaissance italienne revisitée, depuis l'École de Fontainebleau jusqu'à Corrège, apporte à l'artiste un répertoire de formes picturales issu de la relecture d'Ovide aux XVe et XVIe siècles219. Sous le règne de François Ier, la magicienne était un personnage énormément représenté, surtout au théâtre florentin ; La Magicienne et la Scène d'Incantation dans le répertoire d'un artiste s'étant formé à Fontainebleau dans les années de la bohème galante, amènent ainsi irrésistiblement sur les traces de l'art de cour renaissant. Tant chez Ovide que chez Pic de la Mirandole ou Marsile Ficin220, l'Eros et la magie sont des préoccupations centrales, permettant de canaliser des forces pulsionnelles dans un but mystique.

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