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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 3. Projection à l'oeuvre d'un art sur-naturel

L'exploration de Diaz dans la matière implique une exploration psychologique, qui pousse à un autre degré la continuation des mots de Botticelli rapportés par Vinci221, qu'avait déjà entamée Alexander Cozens. Comme la Magicienne tenant une longue baguette, Diaz projette du bout de son pinceau ce qui émane de sa psyché. Il dit lui-même à propos de son orientalisme qu'il n'est « allé en Orient qu'en imagination222 » (annexe 11).

Lieu envahi par une génération de peintres pour la création, dortoirs saturés de décorations, Barbizon est l'école buissonnière où on fuit la réalité de la vie citadine, en vivant de l'art, un lieu magique. Loin de l'Académie, la peinture se fait sur la palette même, sur les murs223 ; de cette désinvolture sans doute nait l'idée de Diaz de parier sur un motif brossé à l'avance et de partir le trouver en forêt, comme le rapporte Gassies :

« Quelque fois aussi Diaz posait sur un panneau, au hasard avec le couteau à palette, des tons brillants sans aucune forme qui lui servaient de maquette. Il emportait cela en forêt, dans les sous-bois, en

219 Pour un propos général sur la redécouverte de la philosophie classique à la Renaissance, le néoplatonisme et et l'usage du mythe païen en peinture, voir Aston Margaret (dir.), Panorama de la Renaissance, Paris, Thames and Hudson, 2003, p. 42-52.

220 La relecture des textes néoplatoniciens antiques chez Pic et Ficin fait passer le démon déchu de la théologie chrétienne à un esprit intermédiaire, en réhabilitant le paganisme. Voir Morel, Philippe, Mélissa, Démons et Magie à la Renaissance, Paris, Hazan, 2008, p. 28. Chez Ficin en particulier la pulsion érotique doit pouvoir servir une cause mystique, voir Couliano, I. P., Eros et Magie à la Renaissance. 1484, Flammarion, Idées et Recherches, 1984, ainsi que Chastel, André, Marsile Ficin et l'art, Genève, Droz, 1954.

221 Cozens, Alexander, A New Method of Assisting the Invention in Drawing Original Compositions of Landscapes, Londres, Dixwell, 1795, reed. avec une postface de Danielle Orhan, trad. Patrice Oliete-Loscos, Paris, Allia, 2005.

222 L.A.S. de Diaz reproduite pour Paul Mantz, « Diaz », Le Musée Universel, t. IX, n° 210, octobre 1876 - mars 1877, 1er semestre 1877, p. 134.

223 Caille, Marie-Thérèse, op. cit, p. 40-46.

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disant : c'est bien le diable si je ne trouve pas ce motif-là !... La nature aidant, cette tartouillade, comme il l'appelait, devenait un tableau et souvent un des meilleurs224. »

Diaz retranscrit sa vision par taches de couleurs, et recompose aussi d'après souvenir à l'atelier. Il laisse sur la toile quelques indications au crayon blanc pour le guider, puis travaille au couteau à palette de façon intuitive225. Son imagination est beaucoup sollicitée dans le travail de création, même pour les peintures de paysages. La nature est un espace sur lequel on rêve, et ne peut parfaitement s'imiter, ainsi que Leonard de Vinci le pense en suivant Botticelli, dans son Traité de Peinture dont Diaz possède un exemplaire qui ne sera vendu qu'à sa mort226 :

« [Botticelli] a raison : dans une telle mâchure on doit voir de bizarres inventions ; je veux dire que celui qui voudra regarder attentivement cette tache y verra des têtes humaines, divers animaux, une bataille, des rochers, la mer, des nuages (...) et si tu les considères attentivement, tu y découvriras des inventions très admirables, dont le génie du peintre peut tirer parti, pour composer des batailles d'animaux et d'hommes, des paysages ou des monstres, des diables et autres choses fantastiques qui

te feront honneur227. »

Dans son attitude projective face à ce qu'évoque le bois, Diaz fait plus qu'imiter la nature dans une oeuvre de paysagiste réaliste, il agit selon un procédé naturel qui l'unit à la nature. En laissant surgir l'image, ne sacrifiant à la technique que le nécessaire et laissant à l'esquisse le fruit de ses hallucinations dès qu'il le peut, c'est une peinture à l'état naturel que produit Diaz. Il nous semble judicieux de dire : un art sur/naturel, car pour nous, Diaz montre la part occulte du monde sensible, la part d'invisible qu'il laisse tour à tour suggérée dans la lumière du paysage ou incarnée dans un corps de Nymphe ou même d'Orientale. Paysage ou scène de genre, ce que peint Diaz est un être-là du peintre en forêt, où son imagination est active : qu'il en montre le fruit ou laisse scintiller ce que son esprit interprète comme un scintillement, Diaz colle au près à sa propre perception. Diaz semble plutôt se concevoir comme l'homme de la caverne, à qui ne peut parvenir que ce qu'autorise sa propre psyché.

Au plus près de sa nature, laissant ses taches guider le résultat, l'empirisme et la désinvolture de Diaz ne peuvent échapper à ses contemporains, au point de dire, que sa peinture n'est pas de l'art228.

224 D'après Gassies, Jean-Baptiste-Georges, Le Vieux Barbizon : Souvenirs de jeunesse d'un paysagiste (1852-1875), Paris, Hachette, 1907 ; cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit.., p. 27.

225 Silvestre, Théophile, « Diaz », Les artistes français, op. cit., p. 150.

226 Le catalogue des livres mentionne : « Vinci, Léonard de, Traité de peinture, Paris, Deterville, 1796. Avec Figures. » Il acquiert ce traité à la vente Marcille du 4 mars 1857 (voir Lhinares, Laurence, op. cit., p. 86.).

227 Vinci, Léonard de, Traité de peinture, cité par Max Ernst dans « Au-delà de la peinture » (1936), repris dans Écritures, Paris, Gallimard, 1971, p. 241-242.

228 Du Pays utilise cette assertion pour dresser un réquisitoire dans sa « Visite aux ateliers : Diaz », op. cit., p. 186.

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Même son admirateur et ami Zacharie Astruc voit ainsi déjà la façon dont Diaz colle au naturel dans sa technique-même, et déplore :

« Il n'a manqué qu'une cellule à ce fou qui courait les champs dans l'ivresse de son caprice, en compagnie des Grâces ses maîtresses vagabondes. (...) Éternels regrets ! Diaz pouvait être un grand peintre, il n'est qu'une précieuse nature229. »

Le chroniqueur du Salon Intime semble noter déjà la façon dont les personnages qui peuplent ses scènes de genre sont des émanations de « l'ivresse de son caprice », lorsqu'il retourne à la nature.

Cherchant dans la tache un correspondant naturel, Diaz étaye le travail d'Alexander Cozens en lui trouvant une variante originale. Dans sa continuité, il cherche dans l'informe de la tâche et de la nature une correspondance. Les « hallucinations » que décrit Thoré230dans les scènes de genre, sont une intuition juste de la démarche du peintre. Il procède à la façon dont Stendhal prodiguait des conseils aux jeunes artistes, en leur expliquant la façon dont Corrège et Giorgione étaient devenus de grands peintres « à force d'être eux-mêmes » :

« Travailler, pour un artiste, dans ces circonstances, ce n'est presque que se souvenir avec ordre des idées chères et cruelles qui l'attristent sans cesse. (...) Peu à peu les sensations de l'art viennent se mêler à celles que donne la nature. Dès lors le peintre est sur la bonne route231. »

L'artiste n'a en effet de cesse de répéter les mêmes scènes sur les mêmes fonds, comme une vision personnelle revenant lui tenir compagnie lors des balades en forêt. Cela explique la récurrence de détails et de thèmes, dans une diversité de tableaux qui émanent tous d'un même exercice. La peinture de Diaz met donc « en lumière » un monde intime, onirique, qu'il imagine prendre corps dans les lieux qu'il parcourt. Sa vision de lettré le pousserait à se demander si les arbres sont habités par les dryades et les demi-dieux punis ? La réalité est transformée au gré de son imagination. Ainsi la bucheronne, dont on dit qu'il décrit la silhouette gracile, devient bohémienne, portant des corbeilles de fruit avec le même geste. En effet si La Magicienne en est bien une par son attribut, c'est une silhouette similaire, féminine et gracile, qui s'impose continuellement au peintre.

Si sa production fait une grande place aux scènes de genre, genre pour lequel il accède à la reconnaissance, ce n'est pas une erreur de le « classer » inlassablement parmi les peintres de paysage aujourd'hui. Le peintre défend le paysage, mais en plus, le paysage est omniprésent dans ses

229 Astruc, Zacharie, « Diaz », Le salon intime : exposition au boulevard des Italiens, Paris, Poulet-Massis et de Broise, 1860, p. 72.

230 Thoré, Théophile, Le Salon de 1846, op. cit., p. 109.

231 Stendhal, op. cit., p. 204-205.

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tableaux. Pas un tableau sans arbre, sauf rares exceptions. La notion de décorum convient mal à ces arrières plans boisés. Art sur fond de nature, art sur-naturel, où le bois est le support qui conditionne la « vision » de l'artiste, la peinture de Diaz est unifiée dans sa démarche artistique. La Fantaisie orientale, ou les Baigneuses du Louvre (repr. 21), donnent un bon exemple de cet effet « collé » dû à la projection d'une rêverie « brute » sur l'écran naturel, suivant un procédé imaginé à la Renaissance dont se réclameront tout aussi bien les surréalistes. La Fantaisie orientale (1840-1845), conservée au Museum of Art de Philadelphie, donne à voir une réunion d'hommes du désert dans une forêt luxuriante, et un couple très « troubadour », qui brouille l'unicité de temps et d'espace, synthétisée dans la vision du peintre. Chaque clairière parait être empreinte d'une mémoire ancestrale, où les hommes antiques, ceux du moyen-âge, ceux du siècle qui précédait, renouvelaient la même histoire. Diaz visite la mémoire du lieu, qui peut avoir partie liée avec différentes époques. Il s'attache à réactualiser l'image de La Nymphe de Fontainebleau accompagnée de ses chiens et de putti, et perpétue incidemment le paganisme, hérétique, de la famille de Diane de Poitiers232. Les Sylvains en particulier et Diane dont le nom signifie « fée », jouent un rôle important en sorcellerie233. Mais la force de l'Eros, universelle, est la même qui préside aux réunions en forêt de tous les groupes, avec leurs lots de rumeurs, la même qui fait croître les arbres et qui anime les pulsions imaginatives du peintre.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery