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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 2. Du charme au pouvoir de la peinture

Circé, qui change les marins d'Ulysse en pourceaux dans l'Odyssée, est représentée avec une baguette. Narcisse Diaz rencontre Jules Michelet en 1842, auteur de La Sorcière, qui propose une relecture historique des procès en sorcellerie comme une volonté d'écraser l'insurrection populaire. La magie, « tentative d'affirmation de l'individu234 », d'après l'exposition de la Bibliothèque Nationale en 1973, renvoie au déploiement des capacités humaines. Le sujet de Diaz renvoie ainsi plus largement au « pouvoir nocturne » des femmes235, dont l'omniprésence dans l'oeuvre laisse peu de place aux personnages masculins.

Non pas terrifiante comme dans la version de Circé que donne George Romney (ill. 21), portraitiste anglais de la génération de Reynolds et Gainsborough, la Magicienne de Diaz hérite de la nymphe ovidienne son appartenance aux forces naturelles. Le geste du bras levé, déployant une puissance menaçante sera repris à la fin du siècle par John William Waterhouse, tandis que Diaz ellipse cet

232 Cat. Exp., Les Sorcières, Paris, Bnf, 1973, p. 15.

233 Dominique Lesourd, cité dans Ibidem. Sur Diane voir également Couliano, I. P., Eros et Magie à la Renaissance. 234Préaud, Maxime (dir.), cat. exp., Les Sorcières, Paris, Bibliothèque nationale, 16 janvier-20 avril, 1973, préf. Étienne Dennery, Paris, Bnf, 1973, p. II.

235 Voir Kant, Emmanuel, Observations sur le sentiment du Beau et du Sublime, Paris, Vrin, 1997, p. 53-55.

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aspect du personnage. On retrouve le motif de l'épaule et du sein quasiment dévoilés, la main droite tenant gracieusement une longue baguette abaissée vers le sol. Cependant La Magicienne se rapprocherait mieux d'une esquisse pour une attitude de Lady Hamilton (c. 1782, Tate Britain), où la narration est évacuée au profit de l'image sensuelle. L'« état de nature », par opposition à une sociabilité extrêmement codifiée, coïncide dans les deux tableaux avec un principe de plaisir. Le plaisir comme condition créatrice : Diaz envoie ce qu'il lui plait, et s'entête dans une production de petits tableaux de scènes de genre qui créent un monde de Diaz. La pulsion désirante vers ce qui plait et permet de créer une oeuvre, parait être souvent le sujet même déguisé sous de multiples anecdotes, que présente l'artiste. Son oeuvre parle de création, en montrant inlassablement des conditions au geste créateur : plaisir, beauté, manière.

La Magicienne semble tirer son pouvoir des forces naturelles, et contrairement à la terrifiante Circé elle parait en tirer un plaisir serein. Figure projetée par l'imagination du peintre, elle aussi projette. Si elle n'est pas forcément Circé, la lecture que fait Diaz des Métamorphoses semble influer beaucoup son oeuvre, tant dans ses métamorphoses incessantes soumises au principe de plaisir du peintre que dans la place primordiale qu'il accorde à Eros. Ces deux aspects font du tableau La Magicienne un miroir idéal de la démarche artistique de Diaz, que l'on nommait « magicien ».

Section 1. Circé et les métamorphoses de l'Eros

Comme si de l'être diaphane au centre du tableau émanait une force fantastique, les arbres qui l'entourent prennent des teintes extravagantes : jaune de Naples, vermillon, vert émeraude et turquoise surgissent de la masse brune des troncs et feuillages. La couleur pulse sur la forêt épaisse comme la rétine fait des taches sur les paupières fermées. De la même façon, Diaz opère une série de métamorphoses en exerçant son principe de plaisir.

L'attitude projective de Diaz, puisqu'elle est l'origine de toute sa production, suppose un maniement de la pulsion, du moins d'un laisser-aller au plaisir. Diaz et la chair sont inextricablement liés, dans l'esprit de Millet qui s'écrie « Vive Diaz ! vive la chair236 ! », lorsque son ami lui prête six cent francs. Son talent de coloriste s'applique à décrire le corps, la matière dans des évocations charnelles qui suivent les leçons de Delacroix, avec l'ambition secrète de ruiner la renommée d'Ingres et de la manière lisse et finie. Le maniement du fantasme ne peut manquer de nous donner un éclairage nouveau de cette dimension charnelle de l'oeuvre, en y expliquant l'omniprésence des amours et de

236 Sensier, Alfred et Mantz, Paul, La vie et l'oeuvre de Jean-François Millet, intr. Geneviève Lacambre, Paris, Edition des champs, 2005, p. 185.

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Cupidon. Là où le dieu du désir n'est pas, l'amour est sans doute le thème qui se décline dans l'oeuvre à travers tous les genres auxquels il s'est essayé, dont les lascives protagonistes de La Magicienne et de la Scène d'Incantation. Le paysage peut se prêter à la contemplation de la force aimante du vivant, pour un artiste catholique dont le Dieu « est amour », mais surtout, tout nous incite à penser que Diaz souscrit, au moins poétiquement, à la place primordiale d'Eros accordée par la cosmologie orphique237.

Lorsqu'il laisse son imagination oeuvrer, la forêt et les légendes qui s'y rattachent s'allient à une recherche du vivant, de l'âme dans la nature. Il en ressort immédiatement le répertoire mythologique des Métamorphoses d'Ovide : les nymphes qui peuplent le répertoire de l'artiste, et présentement La Magicienne qui ne saurait trouver iconographie plus pertinente que celle de Circé. Chez le poète qui inspirait Corrège, les métamorphoses sont celles que provoquent l'amour et sont à la fois le sujet et la forme de l'épopée238. Diaz semble puiser profondément dans Ovide une intuition artistique, en laissant libre cours aux métamorphoses des personnages tirés de son onirisme. L'artiste parait clairement souscrire à la vision poétique d'Eros animant la vie, agglomérant les atomes pour construire l'ensemble du monde, dans Amours s'allaitant, 1847 (repr. 22).

Circé « fille du Soleil », apparait dans les Métamorphoses d'Ovide, et peut ainsi doublement se lire comme une mise en abîme du charme du peintre : la manière de Diaz lumineuse fait écho à l'ascendance de Circé, et l'importance d'Eros dans la cosmologie ovidienne est la même qui se dégage de l'oeuvre de l'artiste. La place qu'occupe Eros tant chez Ovide que chez Diaz est celle d'une force primordiale de laquelle découle le monde sensible. C'est aussi là que se rejoignent sa démarche de peintre de paysage et celle qui le conduit au genre et à l'allégorie : dans la nature se trouve le divin, Eros, force d'attraction et d'impulsion, qui est aussi l'évocation d'un mythe tirant sa force de situations réelles incontournables.

Eros est en effet à l'oeuvre dans la vie de tout un chacun. La force surnaturelle de La Magicienne est en réalité l'amour, et elle-même n'est que l'image poétique de la femme amoureuse. C'est un parallèle qu'approfondit Jules Michelet dans La Sorcière. Partant, l'omniprésence de la jeune fille en sous-bois dans l'oeuvre de Diaz, bûcheronne ou déesse, « Dianes ou Parisiennes239 », peut se lire comme une rhétorique dont le but est de démontrer l'origine du mythe dans la réalité.

237 Voir Néraudau, Jean-Pierre, préface, dans Ovide, Les Métamorphoses, préf. Jean-Pierre Néraudau, trad. Georges Lafaye, Paris, Gallimard, 1992, p. 9-36, notamment p. 15 s.

238 Pour une approche synthétique de la construction de l'épopée d'Ovide, voir la préface de Jean-Pierre Néraudau, op.cit., p. 9-36, et notamment p. 22-26 et 31-36.

239 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 65.

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Pour comprendre la mythologie d'Eros et Vénus, Diaz tire de sa vie de famille une intuition du sens authentique du mythe. Du moins sa peinture nous montre un raisonnement partant d'éléments incontournables de la vie humaine, en l'occurrence la relation mère/enfant, pour en tirer une scène mythologique, comme l'illustre Callisto (repr. 15). L'Amour désarmé (repr. 23) se métamorphose en Bohémienne jouant avec enfant (repr. 24) : Diaz transpose une scène classique en un sujet personnel, faisant à la fois descendre le genre allégorique à l'anecdote, et du même coup l'abstraction de l'Idée à son incarnation dans des protagonistes imaginaires plus vivants, souples. La flèche devient une fleur, la Vénus statique et digne devient une bohémienne vive et riante.

Quoique le poème antique dépeigne une figure fatale et enragée là où le personnage de Diaz semble léger et riant, La Magicienne apparait aussi au sein d'une oeuvre de métamorphoses incessantes. Diaz, en plus d'être « son propre plagiaire240 » par l'effet de la surproduction, multiplie les variantes par intérêt pour ses thèmes. Son oeuvre est comme un rêve où la même idée se déguise en de multiples formes.

Le plaisir du peintre, jouant des fantasmes comme la Bohémienne avec l'enfant, mu par une certaine désinvolture, lui fait privilégier l'esquisse et lui permet aussi de changer à son gré de style et de ton. Il peut traiter une allégorie de façon solide et grave, marquant l'intérêt qu'il porte à la prégnance millénaire du mythe. Mais il peut donner plus de légèreté, rappelant avec une veine picaresque, qu'Eros nous donne des aspirations infantiles, grivoises, dont on peut sourire. Dans Quel vacarme fait l'Amour ! (c. 1840-1848) une nymphe se bouche les oreilles, assaillie par les petits amours qui ne lui laissent pas de répit (repr. 25). Obsession du désir, qui ne laisse pas d'espace à l'esprit, la métaphore pourrait aussi, pourquoi pas, être une allusion prosaïque. Ces instants de grâce perçus dans le vacarme ont la portée du mythe parce qu'ils s'adressent à chacun.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld