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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. L'intuition pulsionnelle

Les couleurs que prennent les arbres rappellent une hallucination, un phénomène optique et psychologique. Ce tableau illustre bien la veine dans laquelle Diaz envoyait ses tableautins aux Salons entre 1844 et 1850 environ. Le sujet anecdotique traité de cette façon gagnait les faveurs de Baudelaire241, comme cela a été dit précédemment, sans doute parce que le tableau pouvait alors se comprendre comme un genre à part entière, où le peintre rend compte d'une sensibilité hallucinatoire, d'un moment lui aussi anecdotique de psychédélie imaginaire. L'intérêt de Diaz pour le fonctionnement psychologique se vérifie dans tout son oeuvre, ce que le critique ne perçoit pas.

240 Marx, Claude-Roger, « Narcisse Diaz de la Peña », Le Figaro Littéraire, 14-29 juin 1968, p.1.

241 Baudelaire, Charles, « Salon de 1846 », dans Écrits sur l'art, op. cit., p. 185.

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Le personnage mythologique, souvent découpé sur un fond naturel très resserré sur lui, est un arrêt du peintre sur un petit morceau de nature, où il fait apparaitre au-delà du microscopique, l'invisible. Corot aussi produira des tableaux similaires, où la forêt réunit l'artiste avec le monde mythologique, qu'il choisit alors de représenter dans son intimité, son quotidien, et non par des épisodes particuliers. S'élevant contre une peinture mythologique qui éloigne de la teneur originelle du mythe, l'« artisse » du Second Empire, détenteur d'une culture et d'un gout authentiques242, renoue avec la vie pour comprendre le mythe : la joie d'une nature paisible, à l'origine de l'allégorie de la naïade ou de la dryade ; l'ivresse du vin pour renouer avec l'esprit de la bacchanale (annexe 8). Cependant Diaz en resserrant le plan sur la figure, ne montre jamais de nymphes vivant dans la nature, en nous transportant dans un ailleurs mythologique, que l'on pourrait interpréter comme un temps passé et très lointain. Il n'y a pas de temporalité, ni d'action, ou de « quotidien » de la nymphe décrit par le peintre. Celui-ci démontre au contraire l'atemporalité, l'interpénétration entre la nature actuelle, celle de toujours, et le mythe. Celui-ci est à l'oeuvre dans le vivant, comme une dynamique insaisissable, qui préfigure la notion de « pulsion ».

Du tableau inquiétant de Romney, où le charme d'une femme devient plus manifestement une force à part entière, une fois maitrisée et utilisée, qui menace la liberté du spectateur masculin du XVIIIe siècle, Diaz peut retenir l'idée d'une force exercée par la Magicienne mais contourne la théâtralité expressive du geste. Cette force décrite par Ovide est bien, déjà dans l'antiquité, l'intuition de ce que la science empirique a établi en psychologie243.

Attentif au rôle maternel dans la formation psychique, Diaz dans La Bohémienne jouant rejoue encore L'Amour désarmé, faisant de la mère aux yeux de l'enfant une déesse. Il induit ce faisant que l'enfant, comme Cupidon, a une force désirante pour sa mère. Le peintre emprunte à la scène de Romney, Les Enfants Leveson-Gower (1776-1777), la posture de la femme déguisée à l'antique, peut-être suivant une mode d'intérieur, un tambourin à la main, figurant une bacchanale et la mettant en scène pour les enfants (ill. 22). Ceux-ci, pris dans le rythme d'une ronde et enivrés par la sensation d'ivresse de ce tourbillonnement, et par le jeu, lèvent les yeux vers la belle jeune adulte et leur expression traduit l'admiration, la fascination que porte un jeune esprit dans sa découverte du monde pour la beauté qui émane d'un corps formé et en pleine possession de ses moyens. Autrement dit, l'image d'une divinité comme la Ménade ou Vénus, découle de la formation

242 Sur l'antagonisme de l'artiste et du bourgeois, voir Heinich, Nathalie, L'Elite artiste, Paris, Gallimard, 2005.

243 Pour conforter l'idée que Narcisse Diaz peut avoir une intuition de la psychologie, il faut considérer que ses sources d'inspirations sont elles-mêmes tenues comme des réflexions sur la psyché humaine. Pour un parallèle entre la démarche socratique d'interrogation abyssale et la psychanalyse, ainsi que sur la réflexion sur le désir chez Ovide, voir Néraudau, Jean-Pierre, dans Ovide, op. cit., p. 16. Giordano Bruno, théoricien platonicien fait reposer sa méthode de contrôle sur les individus et les masses, dans De Magia (1589), sur « une connaissance profonde des pulsions érotiques personnelles et collectives », d'après Couliano, I. P. op. cit., p. 14.

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psychique du regard enfantin sur le corps d'une femme. Ce pouvoir féminin, pour La Magicienne ou l'incantatrice n'est pas maternel, mais découle de la position désirante qui s'est nécessairement formée dans l'esprit de tout spectateur.

La Magicienne est proche d'un autre tableau que nous ne connaissons que par la gravure : Les Maléfices de la Beauté (repr. 26). L'apparition furtive d'une femme plantureuse furetant dans les bois, tenant une longue baguette, rappelle Circé par ces deux attributs (la baguette et la lascivité). En cela elle fait le lien entre la fée et les Maléfices, en s'inscrivant comme Morgane et Circé dans la figure d'une femme dont les pouvoirs doivent être redoutés. Dans les Métamorphoses, Circé devient une métaphore des excès de l'orgueil auxquels conduisent le savoir et le pouvoir : elle confond son désir et son droit sur la réalité. Ne pouvant à trois reprises obtenir les faveurs d'hommes dont elle s'éprend, Glaucus, Macarée et Picus, elle use de la magie pour les retenir captifs. Quand ils la dédaignent et expriment leur fidélité aux femmes qu'ils aiment, elle les punit en exerçant son pouvoir de métamorphose244. D'une part c'est son pouvoir et son savoir accumulés qui créent le sentiment d'outrage quand les trois hommes restent indifférents à sa nature divine. Mais c'est surtout un sentiment propre à la femme, qui d'ordinaire séduit et peut en être victime, que Circé exacerbe de l'immensité de son pouvoir. Avant de changer Picus en oiseau elle s'écrie :

« Ce que peut une amante outragée, ce que peut une femme, tu vas l'apprendre par le fait ; mais plus que jamais, car aujourd'hui l'amante, la femme outragée, c'est Circé245. »

Autrement dit, la beauté a ses propres maléfices sur la femme, qui dans sa vie doit tour à tour être prisée, méprisée, puis niée de façon égale pour l'un ou l'autre de ces sentiments. Le désir allié au pouvoir quant à lui peut en venir à condamner l'amour.

Au sein de l'épopée ovidienne, et parmi ses autres références littéraires, il sélectionne des personnages qui ont plus particulièrement trait à la violence passionnelle exercée par et contre la femme. Ainsi le romantisme noir de son Esméralda (1835, Montpellier, musée Fabre), fille arrachée à la Sachette et recueillie par les bohémiens, puis niée par sa propre mère aux yeux de laquelle elle est étrangère et déchue, trouve un écho thématique dans l'histoire de Callisto. La nymphe, violée par Jupiter, est répudiée par Diane puis transformée en constellation de l'Ourse : la même violence sexuelle est doublée d'une répudiation de la part d'une autorité féminine. Le thème, traité par Titien et gravé par Cornelius Cort, correspond à la relecture renaissante d'Ovide moralisé, qui a fait le lien

244 Elle change Scylla, la nymphe aimée de Glaucus, en monstre puis en rocher ; elle change Macarée et ses compagnons en pourceaux et Picus en oiseau.

245 Ovide, Les Métamorphoses, XIV, vers 365-390, préf. Jean-Pierre Néraudau, trad. Georges Lafaye, Paris, Gallimard, 1992, p. 459.

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entre la fable antique et le monde christianisé246. Eros, le désir, configure des intrigues immémoriales qui font la matrice psychologique non pas seulement des femmes, mais de tous, puisque les hommes naissent d'une mère.

Diaz ne charme pas pour charmer mais ne fait que ce qui lui plait. Il va à contrecourant des modes en vantant les toiles de Millet et en apportant son soutien à des peintres peu estimés247. Il se situe toujours dans une bohème qui méprise le sens Académique et bourgeois au profit de ses propres connaissances. En projetant sur la nature le fruit de son imaginaire, il décrit de façon spontanée et novatrice, soumise au principe de plaisir, les mouvements de ses pulsions. Ce faisant, il renoue avec une attitude Renaissante, usant d'Eros pour approcher le divin, qui renoue elle-même avec l'orphisme d'Ovide. La méthode introspective et projective permet au sujet d'avoir une intuition juste de la psychologie.

Le principe de plaisir est un abandon désinvolte, un laisser-aller qui caractérise à la fois sa peinture, et la rêverie qu'elle doit susciter. Ce même abandon est suscité chez ses acheteurs, qui s'offrent une peinture où pointe l'onirisme et se manifeste un esprit cultivé et esthète. C'est la « valeur ajoutée » de Diaz par rapport à la représentation courante du nu, qui induit toujours un érotisme « lié au droit de propriété du spectateur248 ».

Du Pays ne tolère pas la façon dont Diaz emploie sa palette à séduire une clientèle249, et transforme sa visite à l'atelier de Diaz, en une longue diatribe, que l'on confondrait presque avec un prêche contre le Tentateur, qui menace l'art français. Pour Kelly la réponse est toute trouvée, Diaz joue de la transgression érotique des sujets pour commercialiser des paysages250. L'auteur s'appuie sur l'image frappante que donnait Thoré liant la manière de Diaz à une hallucination due au haschisch, pour avancer l'idée que l'artiste endort la vigilance de la classe bourgeoise, « comme si elle était intoxiquée251 ». C'est en effet peut-être une des raisons pour lesquelles le succès quasi immédiat de Diaz tarde à être connu et compris par les historiens : sa manière esquissée et hasardeuse le replace parmi les artistes qui ne peuvent atteindre le succès, si l'on suit la logique la plus courante du collectionneur de l'époque.

246 Weinquin, Fanny, « Les premières représentations du mythe de Callisto dans la gravure », dans Catherine Périer-d'Ieteren (dir.), Annales d'Histoire de l'Art et d'Archéologie, XXXII, publication annuelle de la filière d'Histoire de l'Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2010, p. 57-74.

247 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit. p. 83.

248 Berger, John, cité par Nochlin, Linda, « Érotisme et image du féminin dans l'art du XIXe », Femmes, art et pouvoir et autres essais, Paris, J. Chambon, 1993, p. 197.

249 Du Pays, op. cit., p. 185.

250 « Diaz enhanced the commercial appeal of his landscapes by peopling them with gypsies and scantily clad nudes », Kelly, Simone, op. cit.., p. 39.

251 «In 1846 indeed, Thoré noted that his fantastical subjects had the effect of hashish on his middle-class collectors, who bought as if in a state of intoxication, ignoring all their usual suspicions about lack of finish», ibidem.

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L'érotisme des nus de Diaz franchit un seuil dans la représentation du nu qui saute aux yeux de ses contemporains. Les Goncourt rapportent que Rachel Félix, actrice très en vogue sous le Second Empire, renvoie "une nudité de Diaz" que lui offre son amie Nathalie252 de la Comédie Française, en opposant « le déshabillé charmant » qu'elle pourrait tolérer à la nudité de la figure du tableau253. Dans le même ordre d'idées la presse regrette souvent l'imprécision anatomique, et les « poitrines vulgaires »254, reprochant ad hominem à l'artiste de ne pas savoir apprécier la beauté des formes réelles.

« Diaz a eu le malin génie de les peindre seules dans les bois afin que vous fussiez avec elles255 », observe un chroniqueur de L'Artiste. De même les sujets galants et inspirés des amours de Vénus sont passés de l'art aristocratique aux mains du néo-classicisme de la Révolution, puis à l'époque de Diaz deviennent les motifs des « enlumineurs de boîtes à bonbon256 ». L'adéquation mercantile de ces motifs permet à Diaz de connaitre l'attraction qu'ils suscitent, et d'acquérir une science empirique de la valeur pulsionnelle de ses sujets.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon