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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 3. La figure du magicien

Si la Magicienne relaye une sensibilité artistique portée sur le pouvoir du charme féminin, et installe dans l'oeuvre l'autre figure de la fée charmeuse et capable d'infléchir la volonté des mortels sans en être les marraines protectrices, elle est aussi le versant féminin du « magicien » qui nous renvoie directement au personnage artistique de Diaz. Le mot magicien n'intervient que sous la plume des critiques et historiens de l'art au sujet de Diaz et jamais dans les titres que ce dernier donne à ses sujets, ni dans les personnages de ses tableaux à l'exception peut-être des deux sorciers dans les premières versions des Maléfices (nous y reviendrons), dans les sujets tirés de Faust, et dans une estampe non imprimée et non datée intitulée l'Astrologue (repr. 27).

Cette dernière estampe, gravée par Louis Marvy, considéré comme le meilleur graveur de Diaz, confirme l'intérêt du peintre pour le personnage du savant versé dans la science occulte. Déjà en choisissant de peindre le couple Frollo/Esméralda lors de la tentative de viol du premier sur la

270 Deschanel, Émile, op. cit., p. 255.

271 Diaz, rapporté par Théophile Silvestre, op. cit., p. 147 ; cité par Billy, André, Les beaux jours de Barbizon, préf. Christian

de Bartillat, Etrépilly, Les Presses du Village, 2002, p. 72.

272 Martin, Roxane, « la féérie théâtrale au XIXe siècle : de la magie « mise en scène » à la magie de l'écriture », Bernard-Griffiths, Simone et Bricault, Céline (dir.), op. cit., p. 266.

273 Bricault, Céline, op. cit., p. 15.

274 Friedrich, Caspar David, cité par Max Ernst dans Gille Vincent, « Paysages imaginaires : le rêve de la nature », dans Gille Vincent (dir.), cat. exp. Trajectoires du rêve, du romantisme au surréalisme, Paris, Pavillon des arts 7 mars - 7 juin 2003, Paris, Paris musées, 2003, p. 61.

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deuxième dans une oeuvre de jeunesse conservée au musée Fabre de Montpellier, puis dans ses différents sujets mettant en scène Faust. Claude Frollo et le Dr Faust sont tous deux férus d'alchimie, quoiqu'ils soient tous les deux rentrés initialement dans des carrières éloignées de la magie : la religion pour l'un et la science pour l'autre. C'est au croisement des deux que se trouve Diaz également, en tant qu'artiste, à l'époque où l'art tente d'être compris à l'aune du raisonnement scientifique, exaltant les sentiments à la manière de la foi, sans jamais s'asservir ni à la Raison, ni au Dogme.

Section 1. Diaz et l'identification à Faust

Une série de sujets tirés de la légende de Faust en 1865 attire notre attention. Diaz imite Delacroix, dont il achète un sujet tiré de Faust275, et suit un engouement général pour l'oeuvre de Goethe, mais il semble investir particulièrement le thème. Faust est une « figure légendaire de savant et de magicien, issu d'une synthèse entre un certain Dr Jorge ou Johannes Faust de Souabe (v. 1480-v. 1539) et des mages ou alchimistes comme Albert le Grand ou Simon Magus276. » Avant de devenir philosophe dans ses adaptations littéraires, ce personnage aurait été plutôt charlatan. Christophe Marlowe, dans The Tragical History of Doctor Faustus (1589-1592)277, Goethe avec ses deux versions de Faust en 1808 et 1833, introduites par Gerard de Nerval dans une édition française de 1840278, puis Gounod dans un opéra de 1859 ont chacun à leur tour interprété le thème. L'opéra de Gounod met l'accent sur l'amour de Faust pour Marguerite, donnant au savant une raison passionnelle à sa pactisation et à son renoncement au Ciel. En cela, cette version rejoint le motif de la passion de Claude Frollo pour Esmeralda, autre sujet de Diaz.

Diaz a fait son autoportrait en Faust, et investit le thème dans plusieurs tableaux et de façon répétée au cours de sa carrière là où d'ordinaire il ne traite que brièvement des sujets littéraires. Le sujet est traité à travers cinq toiles à ses tout débuts, gravées par Tony Johannot, dont trois nous sont parvenues ; par exemple Dans les coulisses du théâtre, effectué pour Desforges (repr. 29). Il réitère le thème en étant cette fois le modèle. Entre temps il est devenu ce « magicien » aux yeux de la critique. C'est au moment où sa femme se meurt, et qu'après s'être enivré de biens matériels il doit faire face à ses créanciers, et à la perte d'intérêt de la critique, qu'il réitère une série de Faust et Marguerite. Faust, dont la talent est factice, vendait son âme au Diable pour Marguerite ; la série mise en relation avec le contexte familial donne le sentiment d'un parallèle fait par l'artiste. Celui-ci

275 Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du décès, op. cit.

276 Catherine Rager, « Faust », Dictionnaire des fées et du peuple invisible dans l'occident païen, Turnhout, Brepols, 2003, p. 307.

277 La légende de Faust, qui met en scène la force inquiétante de la nature, et s'illustre pour Couliano dans la sensibilité renaissante. Couliano, I. P., op. cit., p. 282-293.

278 Voir à ce sujet Benichou, Paul, Le sacre de l'écrivain, op. cit., p. 245-253.

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peint au même moment un Don Quichotte, enfermé dans un monde chimérique, qui comme Faust nourrissait des ambitions au-delà de sa portée. Le peintre en voyant s'écrouler un édifice construit dans le bonheur, a pu avoir le sentiment de le voir s'évanouir comme un rêve ou un artifice.

Lors de la vente du 11 mai 1865, composée de dessins à l'essence, les quatre premiers numéros sont consacrés à des sujets tirés de Faust, exclusivement axés sur le couple Faust/Marguerite. On y trouve dans l'ordre Méphistophélès montrant Marguerite à Faust (285 F), Marguerite effeuillant une fleur (parfois précisé, une marguerite) (420 F), Faust et Marguerite (525 F) (repr. 28) et Marguerite sortant de l`Église (320 F). Faust et Marguerite est un double portrait de Diaz et sa femme Marie, peut-être peint pour l'occasion. Soit le tableau venait, comme le premier, d'une collection de sujets faustiens que Diaz gardait chez lui et ne mettait pas en vente, dont il espérait en temps de crise tirer un bon prix. Dans ce cas, le double portrait nous permet déjà d'interroger une identification de Diaz pour Faust, au-delà du simple intérêt que l'artiste porte pour le personnage littéraire. Cela pourrait s'interpréter comme une déclaration à sa femme, d'un amour qui le ferait renoncer au Ciel, doublé du luxe de se voir portraiturer à la manière des privilèges de nobles. Soit, la pochade est réalisée pour la vente, auquel cas une interprétation plus précise s'offre pour caractériser l'identification à Faust : Diaz aux prises avec ses créanciers avoue ne pas avoir un succès assuré, un prestige à la hauteur du faire des grands maîtres, lui qui esquisse, qui jouit d'une facilité à séduire le public. Il avoue dans un dessin esquissé être pareil à Faust, prêt à tout pour amasser les richesses qui combleront sa femme, et enchanteront la vie de ses enfants, par amour prêt à user de l'artifice, de la ruse, d'un calcul stratégique. Le Diaz que nous décrivent ses amis et contemporains, est de nature à douter de son talent. Peut-être a-t-il eu l'intuition le premier de la valeur marchande et intrinsèque au marché de l'oeuvre d'art, au moment où s'essoufflaient les batailles romantiques ?

L'étonnement de trouver une telle pratique mercantile au milieu du XIXe siècle a déjà poussé Lhinares à le comparer à Damien Hirst. Cependant le peintre était sans doute étonné lui-même de repousser à un point jusqu'alors inconnu les potentialités de l'empirisme du goût. Léopold Robert pratique dans la scène de genre, avant Diaz, une tactique que Pascal Griener décrit comme une « ambigüité », permettant de s'adresser au plus large public possible. Robert cherchait à « créer un objet de consommation optique adapté à son investissement initial279 », puis pratiquait comme le fait Diaz ce que l'auteur nomme « leitmotiv », « sérialisation différentielle », et « permutation », permettant de faire varier un thème une fois son succès vérifié. La pratique mercantile de Diaz pose indubitablement un cas de conscience à double tranchant pour l'artiste et pour ses accointances : la « noblesse » de l'artiste fixée par Vasari inclut une belle prestance, des qualités morales, une énergie

279 Griener, Pascal, « Pour une analyse économique du genre au 19e siècle. Le cas de Léopold Robert », dans Elsig, Fréderic, Darbellay, Laurent, et Kiss, Imola, Les genres picturaux, Genèse, métamorphoses et transpositions, Paris, Métis Press, 2010, p. 161.

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créatrice, une instruction étendue, l'aisance en société et une absence d'activité mercantile280. Si l'évolution du contexte artistique depuis le XVIIe siècle a assoupli cette assertion de principe, elle est reprise sur le dernier point par la bohême romantique, dont la vocation artistique doit se traduire par l'ascèse281. D'un côté Diaz défie l'idéalité de l'artiste « classique » en bien des points, et par son succès triomphe d'une conception traditionnelle de l'art, mais d'un autre il nie l'idée de pouvoir reconnaitre la vocation de l'artiste par son habitus. À côté de ses ventes aux enchères, dans une tension paradoxale, Diaz expose exclusivement au boulevard des Italiens dans la salle d'exposition de Louis Martinet qu'Astruc nomme le « Salon intime », un « projet en décalage avec le monde de plus en plus industrialisé et médiatisé282 ». De même, la fuite dans l'imaginaire et l'anachronisme,

Fort d'une connaissance empirique de la psychologie de ses clients, capable de repousser les limites des convenances artistiques en faisant aimer la lumière de ses tableaux, Diaz peut se comparer à Faust, qui avait trouvé son maître en Lucifer, « porteur de lumière », de connaissance283. Cette lumière porteuse de renommée mondaine et de faste pourrait menacer la fraternité simple de l'Arcadie barbizonienne, comme Faust dût renoncer au Paradis.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus