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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. L'art désacralisé, l'art réinvesti d'une puissance pragmatique

Comme un prêtre qui renoncerait à l'idéalité du paradis, comme un savant renonçant à la supériorité de la science, confronté aux limites perceptives, Diaz n'est pas un artiste d'idéal. Ses allégories floues nous montrent leur pouvoir diffus, incontestable et vérifié par la vente elle-même : le pouvoir de La Magicienne, d'Eros, le même charme de Vénus, et des nymphes. Mais Diaz ne mène aucune bataille qui vise des dimensions historiques, sauf pour les Dernières larmes, sujet mystique. L'art est un moyen, l'art est un savoir-faire. Il n'a pas un absolu extérieur à lui-même qui révèlerait autre chose que le pouvoir pragmatique de l'imaginaire. Les allégories floues, sans dessin, que déplore Baudelaire en premier ne sont pas supports de croyance, mais sont décrites comme des forces dont la forme est incertaine. Il n'y a pas de concept que Diaz puisse dessiner sous une forme, et qu'il puisse penser indépendante du vouloir à l'oeuvre chez qui évoque cette force ; ainsi elles sont rendues à l'état de taches. Les mythes se meurent dans la peinture de Diaz, prolongeant d'une certaine façon les mots de Runge. L'allégorie traitée de façon analogue à La Magicienne, présente une figurine que seul peut mettre en action l'imagination du spectateur. La projection rapide du peintre ramène à l'espace plan,

280 Duby, Georges et Laclotte, Michel (dir.), Joëlle Cornette et Alain Mérot, op. cit., p. 194.

281 Heinich, Nathalie, op. cit.

282 Poggi, Jérôme, « Les galeries du boulevard des Italiens, antichambre de la modernité », 48/14, La revue du Musée d'Orsay, automne 2008, n°27, p ?

283 Biedermann Hans, « Diable », Encyclopédie des Symboles, Paris, Le Livre de Poche, 1996, p. 193-195. Voir aussi dans le même ouvrage à l'article « Tarot », le Bateleur, « créateur des mondes qui ne sont pourtant qu'illusions et qui appellent de ce fait au processus de la vraie connaissance », p. 662-665.

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et donne à voir la manière du peintre, sa propre faculté à manipuler le sens donné à des touches de peinture et en faire émerger un signifiant.

C'est ainsi que Diaz comme Frollo et Faust renonce à la cause idéale de sa vocation. Il n'est pas l'artiste prophète, le succès dont il jouit est stratégique, mercantile, contextuel. L'étiquette de magicien peut s'entendre sous la plume de certains commentateurs qui soulignent la façon dont Diaz tire son succès de sa seule habileté, décriant un manque patent d'idéal. Cela expliquerait à la lecture de Mauss la persistance de l'étiquette de « magicien » après que Diaz ait fatigué son public, car « les mauvais prêtres, tout particulièrement ceux qui violent leur voeu de chasteté, sont naturellement exposés à cette accusation de magie284 ».

Mais aussi à la façon dont Diaz comprend et semble se jouer des codes culturels. Le peu de solidité des formes, le dessin noyé sous la couleur peut être analysé sous cet éclairage. Comprenant à quoi tient la valeur symbolique de l'art, non pas seulement sa valeur marchande, mais aussi sa valeur esthétique, le peintre sait qu'elle « ne tient pas » à la rigueur de l'idée, la valeur intellectuelle ou plastique du faire. La valeur tient à l'usage de codes, qui permettent de reconnaitre la Magicienne même si elle tient aussi peu debout qu'une poupée de « chiffon »285. Elle-même met en abîme cette science de l'imaginaire, l'art de charmer. Claude-Roger Marx dans un très court article du Figaro Littéraire à l'occasion de la seule exposition du XXe siècle consacrée à Diaz, organisée par le pavillon des Arts en 1968, fait allusion à la « déception » qu'aurait rencontré Pierre Miquel dans les recherches qu'il avait déjà commencées pour faire le catalogue qui paraitra après sa mort, « en constatant combien chez ce bohême généreux, véhément et versatile, l'habileté manuelle prévaut sur la conception286 ». La production de l'artiste pousse effectivement à regarder son art comme une science de l'habileté et une conception de l'art qui découle en premier lieu d'une désacralisation de l'idéalité picturale. En en sens, ses toiles qui attirent l'attention sur l'artifice de la peinture peut correspondre à l'idée d'un réalisme devant « montrer la médiocrité dans toute sa nudité », comme l'écrivait Champfleury287 à Sand.

Cependant cette tendance n'est pas propre à Diaz, elle est accusée par lui d'une façon singulière. Le mythe de Faust occupe le romantisme allemand, Goethe, de la même façon que Philippe Otto Runge décrit que « les allégories périssent, tout est plus lumineux et plus immatériel qu'auparavant, tout porte vers l'art du paysage, tout est en quête d'une certitude au milieu de l'incertitude et ne sait

284 Mauss, Marcel, « Esquisse d'une théorie générale de la magie », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 2009, p. 22.

285 L'image est encore de Baudelaire, « Salon de 1846 », op. cit., p. 186.

286 Marx, Claude-Roger, « Narcisse Diaz de la Pena », Le Figaro Littéraire, 14-29 juin 1968, p.1.

287 L.A.S. de Champfleury à George Sand. Salins, 23 août 1856, cité par Bonnenfant Luc, « « Retournons aux bois... », Chroniques annoncées de la mort et de la renaissance de la poésie », Romantisme, n°158, 4e trimestre 2012, p. 122-132.

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comment commencer288. » Diaz partage avec Couture l'usage d'une matière qui attire l'oeil vers la surface peinte. Boime fait de ce dernier un héraut de l'impressionnisme, et situe Gauguin et Jackson Pollock dans sa filiation289. Mais la citation de Runge nous incite à voir un sentiment chaque fois renouvelé par le même contexte qui s'implante à l'époque du poète allemand, et qui retentit sur l'art en poussant les artistes à toujours mieux accuser cette immatérialité, et ces incertitudes. Pour Baudelaire, Diaz est impressionnant et reflète très bien la façon dont l'évolution technique croissante excède toute possibilité de circonscrire une idée, d'établir un état pérenne aux formes. Ses figures ont des membres « dispersés par l'explosion d'une locomotive290 ».

À l'auberge de Ganne à Barbizon, le jeune Diaz et ses compagnons logent en échange de décorations. Ils peignent les portes et accrochent certaines de leurs toiles. Diaz agrémente de fleurs et de femmes sur des balançoires des médaillons où des paysages barbizoniens sont peints. Loin de l'Académie, il ébauche des paysages et forge aussi son habitude de la peinture décorative.

Il faut attribuer cette désacralisation au marché de l'art, qui dès la fin du siècle impose l'idée de la mort de la peinture :

« Proposez donc au plus dilettante de nos marchands-experts un Diaz splendide, le plus beau de tous les Diaz, enfin un Diaz tel que Vernon savait les faire quand il était flagellé par son génie n°5 (...), il vous en offrira le prix du cadre. « Me prenez-vous donc pour un musée, s'écriera l'expert, ou, qui pis est, pour un Salon ? Je suis marchand de tableaux, je ne vends pas de peinture ! » (...) Huitième chambre, ma mie, vous fûtes plus difficile que les amateurs et plus experte que les experts, et vous crûtes à la peinture. La peinture n'existe pas. Ce qu'on appelle peinture n'est qu'une association de la calligraphie avec l'ameublement. On parafe un carré de toile et on le borde de moulures d'or. Le reste n'est que

jus et trouille 291»

Diaz qui appelait lui-même ses tableaux préparatoires des « tartouillades », met l'art dans la manière et le geste, dans la vie, dont la tableau est la trace. En 1853, L'Illustration diffuse une image de lui au chevalet, où une petite assemblée est venue observer la peinture en train de se faire. Lorsque Claretie dit en 1871 que « tout ce bonheur ressemble à du hasard292 », il met le doigt sur l'aspect performatif de sa peinture. La magie de Diaz qui a réellement opéré son charme sur les contemporains est inextricablement lié au happening permanent que constituait son activité artistique dans son ensemble, alors particulièrement extravagante. Lorsqu'il ne fait pas un esclandre

288 Philippe Otto Runge, cité par Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit.p. 56.

289 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 139.

290 Baudelaire, Charles, « Salon de 1846 », op. cit., p. 185.

291 Bergerat, Émile, Figarismes de Caliban, Paris, A. Lemerre, 1888, p. 244.

292 Claretie, Jules cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit. p.162.

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pour Rousseau, qu'on ne fume pas sur sa pipe rituelle à Ganne, et qu'il ne met pas d'esquisses aux enchères pour sauver les meubles de son hôtel particulier, Diaz à son atelier reçoit des curieux qui scrutent à la lunette optique la « magie » en train de se faire, comme l'atteste la gravure de son atelier parue en 1853. C'est ce qui explique le mieux la façon dont l'importance de Diaz a été oubliée, au moment où mouraient ceux qui avaient connu l'agitation artistique autour de son personnage. Comme le dit Baudelaire lorsqu'il attaque l'absence du « dessin du mouvement » pour structurer les figures, « ses tableaux ne laissent aucun souvenir293 », car, comme dans la Magicienne, la technique de la couleur dont il use attire l'attention sur le geste artistique plus que sur le sujet. De même la division des touches fige la narration dans l'instant, tout comme la carrière de Diaz à une dimension événementielle294, et incertaine.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery