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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 3. L'artiste, le marginal et le magicien

Marcel Mauss dans son essai sur la magie consacre un chapitre au magicien, dont les « vertus magiques » sont données par « l'attitude prise par la société à l'égard de tout leur genre ». Ce genre qu'il tente de circonscrire en tant qu'« espèce de classe sociale », est composé de marginaux, distingués par des « phénomènes nerveux, signes de dons spirituels », tels qu'une manière brusque, par des dons poétiques, des « particularités ou une dextérité extraordinaire », une encore une infirmité qui peut être suffisante295.

Diaz est à coup sûr décrit comme un personnage fabuleux dans les descriptions bigarrées que font certains commentateurs contaminés par une fièvre baroque. Lui-même, faisant construire une maison médiévisante et imprimant son papier à entêtes de ses initiales comme un sceau, ne laisse pas de doute sur sa volonté de mener la vie d'un marginal anachronique. « Magicien » au sens figuré, la description du personnage en fait un esprit marginal trouvant son génie dans une fuite extrême de son imagination propre, faisant de lui comme Nodier un demi-fou296. Zacaherie Astruc déplore qu'il manque un peu de rigueur à Diaz pour être en pleine possession de son imagination, ce qui lui fait dire « C'est un grand magicien de moins. Quel gaspillage d'enchantements297 ! ». « Dans ses tableaux les plus applaudis (...) il y avait des lacunes, des imperfections qui montraient que le magicien n'était qu'un écolier298 ». Cependant si son esthétique trouve des détracteurs qui ne peuvent voir en lui le magicien que

293 Baudelaire, Charles, op. cit., p. 186.

294 Caractérisant un mouvement général de l'histoire, Diaz accuserait cette transformation de plein fouet. Hofmann, Werner, Une époque en rupture 1750-1830, Paris, Gallimard, 1995, p. 672.

295 Mauss, Marcel, op. cit., p. 19-20.

296 Sur la folie de Charles Nodier voir Bénichou, op. cit., p. 59 ; et Lund, Hans Peter, « Deux Bohémiens ou l'art de la folie chez Nodier et Nerval », Romantisme, n°24, 1979, p. 108.

297 Zacharie Astruc, « Diaz », op. cit., p. 72.

298 Mantz, Paul, op. cit., p. 151.

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d'autres voient, le don de l'habileté à produire de la richesse, fait de lui un Bateleur, figure fixée dans le tarot de Marseille connu chez les anglo-saxons sous le nom du Magicien (Magician)299. Son intuition des goûts et de la corrélation avec ses propres ressorts, lui permet de s'imposer, lui, son histoire et son oeuvre, et de s'insérer très finement dans un contexte plus global pour finalement tirer un succès à partir d'un travail certes acharné mais plaisant, très adapté à ses propres penchants, et « facile ». Du point de vue du marché, comme nous avons pu abondement l'évoquer, Diaz a une certaine fibre ; mais il a aussi de l'inventivité et peu de scrupules face à la légalité. Ce point nous intéresse pour être mis en perspective avec la figure du magicien, passant outre les cadres connus. Une anecdote : Diaz une fois, connait un marchand peu complaisant avec sa philosophie, avec un sens du commerce bien plus agressif. Encore un détail qui ferait de la vie de Diaz un véritable conte, ce marchand se nomme Couteaux300, et lui interdit de faire la moindre vente de ses oeuvres avant d'avoir remboursé ses dettes et produit exclusivement pour lui. Il cherche à contourner cette interdiction en proposant à Alfred Sensier de vendre ses oeuvres comme si elles étaient dans sa collection, ou encore organise des ventes sous un prête-nom.

Mauss décrit encore que le magicien « tombe dans des extases, parfois réelles, en général volontairement provoquées. Il se croit alors, souvent, et parait toujours, transporté hors de l'humanité301. »

Dans une histoire onirique, Charles Monselet fait discourir un certain M. de Cupidon au sujet de la « généalogie de Diaz », apparaissant plutôt comme la description de ses vies passées jusqu'à sa forme contemporaine. Il énumère d'abord : « UN RAYON DE SOLEIL. / UNE VAGUE DE LA MER. / UN HOMARD. / UNE TULIPE. / LE DIAMANT LE REGENT302. » Sans autre explication, ces merveilles plus ou moins prestigieuses de la nature sont de des motifs qui font écho à la peinture de l'artiste et caractérisent la source de son inspiration poétique, comme si Diaz avait tiré son vocabulaire plastique de vies antérieures. Le soleil d'une couleur lumineuse, la fleur, le diamant (aujourd'hui classé au Louvre parmi les oeuvres rococo). De Cupidon poursuit (in extenso dans annexe 12) :

« (...) l'âme de Diaz fut trempée aux sources les plus brillantes et plus vives de la nature ; il fut OISEAU DE PARADIS (...) GOUTTE DE ROSEE (...) BOHEMIEN (...) et s'en alla dans un coin allemand mourir de jalousie et d'un coup de poignard. Je le retrouve BOSTANGI303 dans les jardins de Sa Hautesse. (...) Il vit parmi les fleurs de la plus ardente beauté et à quelques pas des femmes du sultan, mais il n'aime que les fleurs.

299 Voir Biedermann, Hans, Encyclopédie des Symboles, Paris, Le Livre de Poche, 1996. « Tarot », le Bateleur, « créateur des mondes qui ne sont pourtant qu'illusions et qui appellent de ce fait au processus de la vraie connaissance. », p. 662-665.

300 Théodore Rousseau aura lui aussi des démêlées avec ce marchand. Voir Miquel, Pierre et Rolande, Théodore Rousseau, Somogy, 2010, p. 130-138.

301 Mauss, Marcel, op. cit., p. 19.

302 Diamant découvert en 1698 à Golconde (Inde), taillé en Angleterre et acquis par Philippe d'Orléans en 1717. Conservé au Louvre depuis 1887 (inv. MV 1017), il est toujours considéré comme le plus beau diamant au monde.

303 Gardien des jardins du sérail.

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C'est un homme heureux ; ce n'est pas même un philosophe. Il sait qu'il figure bien dans le paysage, et il s'estime heureux de voir son ombre se profiler sur le sable brûlant des allées. Le bostangi devient un riche PATRICIEN DE VENISE, un homme du livre d'or. Il a des robes de brocart et des palais regorgeant de chefs-d'oeuvre. Il pourrait s'aveugler dans ses tonnes de sequins et dans les yeux réunis de ses maîtresses. (...) C'est un des Foscari304. (...) Le noble vénitien de tout à l'heure s'est transformé en lord spirituel et joyeux. Il s'appelle ROCHESTER305. Aujourd'hui, il s'appelle Narcisse Diaz.306 »

Le même auteur, pour commenter l'évolution de la langue à son époque, prend comme exemple la phrase « Cet enchanteur fier et lumineux, qu'on appelle Diaz307. » Ses mots serviront d'oraison funèbre, où il explique qu'il s'intéressait à la métempsychose. L'image doit frapper les esprits, si bien qu'en 1888 à propos des copies signées Diaz par un certain Vernon circulant sur le marché, Bergerat semble y faire allusion : « Voilà un homme qui, sans s'en douter, par phénomène de métempsychie, reçoit de la nature le génie de Diaz et en hérite308 ! ».

L'excentricité du personnage nous pousse à continuer plus avant l'analyse de son étiquette de « magicien » lancée par la critique de l'époque, qui est le fondement de notre étude sur la « magie » de Diaz. En effet, il serait intéressant d'explorer, à l'aune du « genre » décrit par Mauss par exemple et avec les travaux engagés sur la notion de « bohême », les affinités entre la façon dont un artiste se construit un personnage excentrique, où s'exprime son propre génie, et la façon similaire dont se construit le personnage de l'occultiste, lui aussi excentrique et « génial ». L'excentricité de l'artiste étant, comme le magicien, comprise comme un retrait « en dehors de l'humaine piste309 », comme dit Tristan Corbière. Cette analyse demande une approche du positionnement de certains individus en marge des activités bienséantes et normales que l'on encourage. Le génie créateur est sans doute le point de rencontre de ces deux figures, qui appellent chacune leurs activités « Art » et « OEuvre ». Ce « génie » ou l'activité magique, qui recoupe celle du prophète, du guérisseur ou du politicien, est supporté par la croyance d'un groupe. D'autre part beaucoup d'occultistes produisent des oeuvres et sont artistes à un moment de leur vie ou tout au long de leur vie s'ils peuvent en tirer rémunération310. C'est le cas d'Eliphas Lévi à l'époque de Diaz, ce sera celui d'Aleister Crowley, et enfin et surtout d'Austin Osman Spare dont les suiveurs donneront à la production artistique une

304 Monselet fait allusion à la famille de Francesco Foscari, doge de Venise de 1423 à 1457. L'intrigue historique est reprise par Byron en 1821, puis par Verdi dans Les deux Foscari en 1844. Delacroix en tire un sujet pour l'Exposition universelle, Les Deux Foscari, 1855, h/t, 93x132 cm, Chantilly, Musée Condé, inv. PE 456.

305 Très certainement John Wilmot, deuxième comte de Rochetser (1647-1680), écrivain proche de Charles II d'Angleterre. Il s'est illustré pour ses textes libertins.

306 Charles Monselet, Monsieur de Cupidon, Paris, V. Lecou, 1854, p. 50-53.

307 Charles Monselet, Statues et statuettes contemporaines, Paris, Giraud et Dagneau, 1852, p. IV.

308 Bergerat, Émile, op. cit., p. 246.

309 Le quotidien sous le second empire, p. 234.

310 Jodorowsky, initialement cinéaste au sein de Panic, aux côtés d'Arrabal, s'inspire déjà des tarots et de diverses traditions occultes dans ses réalisations, puis associe dans sa carrière bande-dessinée et tarologie.

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portée elle-même ésotérique. Pour Henri Zerner, la notion d'avant-garde, avant d'être une notion d'histoire de l'art appliquée a posteriori aux événements, est une attente du public, qui en 1820 comme en 1920, demande à l'artiste avant-gardiste « les mêmes extravagances311 ». Il est intéressant de noter la veine prosaïque de Crowley, que l'on pourrait rapprocher de celle de Diaz : l'attitude anticonformiste et prompte à choquer et éloigner des rapports convenus. La marginalité lie les deux hommes, dans des contextes historiques certes différents mais unifiés dans le même type de sociabilité individualiste induit par un contexte économique. C'est à la marge du même type de sociabilité façonné par des impératifs industriels, que l'artiste rejoint le fou et le magicien, tenus de s'éloigner des sentiers battus pour saisir d'une vue d'ensemble un mécanisme social, quitte à en perdre pied en défiant l'évidence de la sociabilité, comme Charles Nodier312. Sensier fait cette remarque qui traduit bien comment Diaz est perçu du moins comme un personnage vivant dans son monde merveilleux : « Diaz cherchait si quelque Castillan n'apparaîtrait pas avec un lingot d'or », ou encore, lorsqu'il relate comment Diaz s'était enquis auprès de Rousseau sur sa palette, il écrit « [Diaz] croyait presque à du sortilège, car lui, si amoureux de la couleur, cherchait sans les trouver la finesse et la force de ton des études de Rousseau313. »

René Ménard, dans un reportage sur Barbizon évoque l'imitation par les « Peint' à Ganne » d'un rituel initiatique (annexe 4). Arrivé devant la cheminée ornée de peintures il décrit :

« En guise de pendule ; elle porte une formidable pipe culottée. La pipe de Diaz, et tout nouvel arrivant est invité à la fumer. On voit par là à qui on a affaire, car si c'est un coloriste, la fumée prend aussitôt des tons irisés. Quand je suis venu pour la première fois à Barbizon, j'ai dû subir mon épreuve comme tout le monde, et comme la fumée que j'ai tirée de la pipe était tout simplement grise, j'ai été rangé d'office parmi les partisans de l'art classique. » 314

L'auteur nous invite à nous demander à mots couverts, si Diaz ne bourre pas sa pipe de cannabis, en perpétuant à Barbizon les pratiques qui ont cours au Club des Haschischins fondé en 1844 par le docteur Moreau et dont Théophile Gautier a relayé les expériences315, de la même manière que la décoration des murs de l'auberge reprend les activités de la bohème du Doyenné. Diaz apparaitrait en effet aussi à l'île Saint-Louis où se tiennent les séances du Club, pour goûter à la « confiture verte316 ». En rapportant ces moeurs, pastiches d'une communauté chamanique, le chroniqueur du Musée Universel contribue à édifier une légende de l'artiste qui avoisine celle du magicien et a

311 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 146.

312 Lund, Hans Peter, op. cit.

313 Sensier, Alfred et Mantz, Paul, La vie et l'oeuvre de Jean-François Millet, intr. Geneviève Lacambre, Paris, Edition des champs, 2005, p. 185.

314 Ménard, René, « Barbizon », Le Musée Universel, avril 1876 - septembre 1876, t. VIII, 2e semestre 1876, p. 291.

315 Gautier, Théophile, « Le Club des Haschischins », Revue des Deux Mondes, 1er février 1846.

316 Ibidem.

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minima celle du marginal et du fou, en mettant en évidence une pratique artistique chez lui cherchant à renouer avec une dimension introspective propre à la transe chamanique. La cheminée de l'auberge devenue âtre d'un autel devant lequel se réunissent les artistes, exhibe la pipe de Diaz dont l'usage sert de calumet et d'instrument initiatique.

La bohême, en calquant ses moeurs sur l'idée reçue d'un rituel chamanique, assume son caractère initiatique pour l'individu. Cet élément va dans le sens de Seigel pour qui la bohême est un mode de vie expérimental qui permet de « réconcilier l'individu avec l'appartenance sociale317 », comme dans celui d'André Chastel, qui considère ces expériences de la jeunesse artistique du XIXe siècle comme un phénomène comparable aux rites de magie et d'exorcisme dans d'autres cultures318. Ces expérimentation peuvent se lire précisément comme un passage initiatique du jeune adulte devant trouver sa place dans la société individualiste, en fouillant dans sa propre volonté et en expérimentant des modes de vies différents, figurant à la manière du bohémien un voyage symbolique.

La Magicienne traduit cette démarche charmeuse, qui a délaissé le romantisme noir au profit d'une balade onirique et galante au travers de la mémoire du désir des hommes, laissant au relief de la matière lumineuse le soin de créer une petite ombre qui la fait mieux ressortir et qui rappelle la chair dans toutes ses implications poignantes ainsi passées sous silence.

D'autre part, si la démarche projective de Diaz lui fait visiter une mémoire collective et rêvée du lieu de la forêt, c'est aussi sa propre imagination qu'il sonde et revisite sans cesse. Eros, figure pulsionnelle, habite le bois, labyrinthe de vies silencieuses, dans les tableaux du peintre. Cette vision du bois, support et lieu de l'imaginaire, rejoint l'interprétation commune que l'on donne à la symbolique du bois des contes de fées : symbole de l'inconscient, où se déroule la quête personnelle, le roman familial. Si Diaz parle d'inconscient, à l'inconscient de son public charmé, peut-être le fait-il aussi en toute inconscience, ce qui fait de lui non pas un occultiste dont la science permettrait de telles manipulation, mais bien un artiste doué de la même habileté que la figure du bateleur. Peinture-jeu que le peintre assume comme un fatum dans la Fée aux joujoux, l'oeuvre est aussi une quête de l'essence de la condition humaine, tout comme le jeu permet au peintre de trouver un rapport au monde authentique calqué sur celui de l'enfant.

317 Seigel, Jerrold, Paris bohème. 1830-1930, trad. Odette Guitard, Paris, Gallimard, 1991, p. 374.

318 Chastel, André, « L'art moderne et le jeu », conférence prononcée le 19 novembre 1955 à la Sorbonne ; « Le jeu et l'art sacré dans l'art moderne », Critique, 1955, t. XI, n° 96, p. 428-446 et n° 97, p. 515-533.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo