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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.1.2 Un vecteur de développement pour la métropole

Malouet justifie le fait accompli. L'utilité des colonies se manifeste chez lui par le fait que leur perte ou leur abandon aurait des conséquences désastreuses et surtout imprévisibles sur l'économie258. Durant les années 1780, Jacques Pierre Brissot, co-fondateur avec Etienne Clavières de la Société des Amis des Noirs, chiffre à 167 millions de livres le produit annuel des colonies pour la métropole. Il divise ce produit entre 8 millions d'ouvriers français pour constater que chacun

253 Jean MEYER, Histoire du sucre, Paris, Editions Desjonquères, coll. « Outremer », 1989, p. 145.

254 Paul BUTEL, Histoire de l'Atlantique : de l'antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 1997, p. 65.

255 Jean MEYER, Histoire du sucre, op. cit., p. 145 ; Paul BUTEL, Histoire des Antilles françaises XVIIe-XXe siècle, op. cit., p. 119.

256 Jean MEYER, Histoire du sucre, op. cit., p. 146.

257 Paul BUTEL, Histoire des Antilles françaises XVIIe-XXe siècle, op. cit., p. 115.

258 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 27.

65

d'eux ne tire des colonies qu'un profit de 13 deniers. Brissot en conclut que les colonies sont donc sans intérêt pour la métropole. Malouet répond en économiste, avec des chiffres nettement plus proches de la réalité. Les colonies produisent pour 240 millions de livres annuellement. Grâce à la transformation et à la réexportation, la métropole génère un volume de 400 millions de livres en valeur ajoutée, ce qui fournit à l'échelle de l'Europe, la solde journalière de 600 000 personnes et sur l'ensemble, en fait vivre près de 10 millions. Ce qui justifie à ses yeux l'utilité des colonies, et le péril pour l'économie française que représente leur perte259.

En effet, comme le fait remarquer Alain Clément, la colonisation des îles à sucre laisse entrevoir pour la métropole une possibilité de synergie entre l'activité des îles et l'activité métropolitaine. « Les colonies et les îles à sucre en particulier, écrit-il, ne sont plus analysées comme de simples pourvoyeuses de produits non disponibles sur le territoire national. Les colonies, de par leurs productions inédites, incitent indirectement au développement des productions nationales260. » De fait, on retrouve chez Gournay ou Forbonnais l'idée que le commerce colonial a des effets induits importants en métropole. Il stimule l'économie et intéresse en particulier le commerce maritime. En 1775, les exportations françaises vers les colonies américaines représentent 18 à 20 % du total des exportations, contre 8 % en 1720. Ce courant est composé de produits fabriqués et alimentaires. Tous les textiles, pour habiller les planteurs comme les esclaves, viennent de métropole, en particulier de Cholet. Il en est de même pour les objets industriels (chaudières, armes, poudre, coutelleries et même ardoises d'Angers) ou alimentaires (farine, viandes salées, vin)261.

Port

St-Domingue

Martinique

Guadeloupe

Total

 

Nombre

Cargaison*

Nombre

Cargaison*

Nombre

Cargaison*

Nombre

Cargaison*

Dunkerque

11

1431

 
 
 
 

11

1431

Le Havre

27

6005

 

39

 

6205

27

12249

Saint-Malo

6

1570

1

80

1

30

8

1680

Nantes

85

25025

5

880

11

2444

101

28349

La Rochelle

5

1300

 
 
 
 

5

1300

Bordeaux

116

30544

61

15182

29

6075

206

51801

Bayonne

6

756

3

444

 
 

9

1200

Marseille

36

8473

36

8196

7

1125

79

17794

Total

292

75104

106

24821

48

15879

446

115804

* Cargaison en tonneaux

Tableau 1 : Le départ des navires coloniaux des ports de France en 1773

259 Abel POITRINEAU, « L'état et l'avenir des colonies françaises », op. cit., p. 47.

260 Alain CLÉMENT, « Du bon et du mauvais usage des colonies », op. cit., p. 106.

261 Patrick VILLIERS et Jean-Pierre DUTEIL, L'Europe, la mer et les colonies: XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Hachette, coll. « Carré Histoire », n° 37, 1997, p. 154.

66

Le tableau 1262 montre à quel point le commerce colonial pèse sur le développement et la hiérarchie des ports au XVIIIe siècle. Les lettres patentes de 1717 et 1727 fondent véritablement le système de l'Exclusif et précisent la liste des ports français autorisés à armer pour les possessions d'outre-mer. Ils sont treize : Calais, Dieppe, Le Havre, Rouen, Honfleur, Saint-Malo, Morlaix, Brest, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne et Sète. S'ajoutent en 1763 Marseille, Dunkerque, Vannes, Cherbourg, Libourne, Toulon et Caen263. Dans l'ensemble, le commerce colonial reste entre les mains de quelques ports : Bordeaux, Nantes, Marseille, Le Havre. Le port de Bordeaux devient dès la fin du règne de Louis XIV le premier port français, devançant le port de Nantes. Possédant en main tous les atouts pour dominer le commerce avec les Antilles, Bordeaux voit son trafic augmenter tout au long du XVIIIe siècle. De 75 navires armés pour les îles en 1720, le nombre passe à 162 vers 1750, 241 en 1777. Il en va de même pour le tonnage : 5 000 tonneaux en 1715, 50 000 en 1773, et 78 000 en 1777264. Ainsi, chaque port développe une stratégie particulière, comme le montre le tableau ci-dessous265 :

 

Bordeaux

Nantes

France

Sucre

40119940

48111400

88231340

Café

37328660

9366000

46694660

Coton

70144

1096680

1166824

Indigo

806005

303150

1109155

T ableau 2 : Importations des produits coloniaux, Bordeaux, Nantes, France en 1775 (en livres poids)

Le commerce colonial est par ailleurs à l'origine de véritables dynasties de négociants qui ont leur base en métropole et aux colonies, à l'image des frères Foäche. Originaires du Havre, ces derniers créent une société de négoce engagée dans le commerce maritime et coloniale. La compagnie « Foäche frères » fondée en 173 est animée au Havre par Martin-Pierre (1728-1816) et au Cap à Saint-Domingue par Stanislas (1737-1806), qui deviendra ami personnel de Malouet. Stanislas Foäche pratique dans son comptoir du Cap l'import-export colonial. Cosignataire aux négriers dont il assure les ventes et les recouvrements, il charge en retour ses navires avec les denrées coloniales comme le sucre, le café, l'indigo et le coton. Les difficultés sans fin qu'il éprouve

262 Ibid., p. 155.

263 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 575-576.

264 Patrick VILLIERS et Jean-Pierre DUTEIL, L'Europe, la mer et les colonies, op. cit., p. 154.

265 Ibid., p. 156.

67

à faire payer les colons débiteurs le conduisent peu à peu à se constituer un ensemble d'habitations dont il contrôle l'exploitation et qui lui assure une bonne partie du fret, sous le contrôle de son comptoir du Cap. Propriétaire des plantations de Jean Rabel et du Trou, procureur partout ailleurs des biens qui lui sont confiés, comme l'habitation Le Febvre au Quartier Morin ou encore l'habitation Destouches à Limonade par exemple, Stanislas Foäche mêle le négoce et la culture266.

Le XVIIIe siècle est également une période durant laquelle la traite atlantique connaît un essor prodigieux et se constitue en véritable entreprise commerciale, sous la houlette de la Hollande, de l'Angleterre et de la France. Pour le cas français, le trafic négrier connaît une croissance continue, facilitée par l'instauration d'un cadre réglementaire favorable. Dans un courrier daté du 29 août 1779, le sieur Sérol, « représentant en qualité de fondé de procuration du sieur Ruelland de Gallinée, commandant le senaut l'Aimable Victoire » demande « très respectueusement au ministre de vouloir bien [verser] la prime qu'il a décidée devoir être accordée aux chambres de commerce pour leurs vaisseaux destinés à exporter les Noirs traités au-delà du Cap de Bonne Espérance, jusqu'aux colonies de l'Amérique267. » En effet, des primes sont allouées aux négriers, en fonction du tonnage de leur navires, et en 1786 ce dispositif est étendu au nombre de captifs qu'ils importent à Saint-Domingue. Pour l'année 1788, les Antilles françaises exportent vers la métropole une valeur de 205 millions de livres, dont 116 millions pour Saint-Domingue. « Plus que les dispositions réglementaires, qui ne font que l'accompagner et l'encourager, c'est donc l'essor des îles qui entraîne celui de la traite, conclut Olivier Pétré-Grenouilleau268. » Le trafic négrier profite énormément à un port comme Nantes, qui voit en son sein se former de véritables lignées de négriers, à l'image de la famille Mosneron-Dupin, qui fait fortune en pratiquant la traite aux XVIIIe et XIXe siècles269.

Enfin, l'effet de synergie se manifeste par la demande intérieure. Pour Gournay, il est essentiel de considérer que les colonies sont à l'origine de nouveaux besoins, donc de nouvelles demandes qui, en retour, stimulent la production. Ces effets sont visibles dès la fin du XVIIe siècle dans la consommation des produits de luxe. Malgré une consommation réservée aux élites, Gournay et Forbonnais pensent que les colonies présentent l'avantage de produire des biens que l'on ne peut produire en France270. Les produits coloniaux correspondent, dans une certaine mesure, à des produits de luxe. Ainsi le café, le cacao, le sucre ou le tabac, deviennent des consommations

266 Bernard FOUBERT, « Les habitations Foäche et Jérémie (Saint-Domingue) 1777-1802 », Outre-mers, 2009, vol. 96, no 364-365, p. 164-165.

267 ANOM E 299 F°34.

268 Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, Les traites négrières, op. cit., p. 206-211.

269 Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, L'argent de la traite : milieu négrier, capitalisme et développement: un modèle, Paris, Aubier, 2009, p. 47-56.

270 Alain CLÉMENT, « Du bon et du mauvais usage des colonies », op. cit., p. 107.

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courantes dans les milieux bourgeois, urbains et aristocratiques271. Toutefois ces arguments sont à relativiser. La consommation de sucre ne dépasse pas 1,2 kg par habitant et par an, 200 grammes pour le chocolat. Le café est un produit à la mode à la cour de Louis XV et parfois en ville, mais les volumes restent modestes272.

Ainsi, il est aisé de constater que le commerce colonial entraîne dans son sillage de nombreux acteurs qui ont, à des niveaux différents, intérêt à son développement. Cette interdépendance justifie pour Malouet, comme pour d'autres, l'utilité des colonies et les risques de désorganisation que leur abandon entraîneraient. La réflexion de Malouet s'oriente enfin vers une conception globale dans les années 1790, qu'il étend à l'échelle européenne.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus