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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.2.2 Une liberté de commerce relative aux circonstances

La réflexion que développe Malouet sur les relations commerciales entre la métropole et ses colonies évolue quelque peu dans le temps. Défenseur de l'Exclusif colonial dans les années 1770, il n'en est pas moins hostile à toute application stricte de la législation. Sa vision est centrée sur

287 Philippe MINARD, La fortune du colbertisme, op. cit., p. 15.

288 Ibid., p. 16.

289 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 105.

290 Philippe MINARD, La fortune du colbertisme, op. cit., p. 16.

291 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 575.

292 Ibid. ; Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 106.

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l'intérêt général, qui justifie l'attitude à adopter en regard des circonstances. Son approche évolue quelque peu dans les années 1790, où il établit un modèle colonial qui dépasserait les rivalités armées européennes et concourrait la paix.

Une justification de l'Exclusif

Pour Malouet, le commerce est « une relation de besoins et de secours ». Ainsi, s'il est une chose oeuvrant dans le sens du bonheur des peuples, c'est de libérer le commerce de nation à nation sur toutes les denrées et marchandises possibles. Il va même plus loin : les colonies, prises dans leur ensemble, sont le bien commun de l'Europe. Par conséquent tout le monde a intérêt à commercer avec les îles293. Toutefois, si certains écrits de Malouet laissent penser qu'il est favorable à la liberté de commerce, une analyse plus fine nous démontre qu'il est avant tout sceptique à ce sujet. En admirateur de Montesquieu, « l'arbitre des nations, l'immortel auteur de l'Esprit des lois », il reprend à son compte l'analyse selon laquelle l'objet des colonies est de faire le commerce à de meilleures conditions qu'on ne le fait avec des peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. Ce qui justifie l'Exclusif, car le but de la métropole en regard de ces territoires est l'extension de son commerce. La perte de liberté de commerce des colonies est compensée par la protection de la métropole : protection militaire et législative. Pour lui, donc, l'Exclusif se justifie pleinement dans la mesure où il sert à préserver les intérêts de la métropole294.

En ce sens, son analyse relaie celle développée par Melon. Celui-ci estime en effet que la liberté de commerce pour les colonies, au fond, est bien plus efficace que la protection de la métropole, car la seule force du commerce peut tenir lieu de protection. Mais, le principe de liberté de commerce doit être subordonné à celui de l'intérêt national, ce qui justifie la domination métropolitaine définie par Forbonnais. Pour résumer, « la colonie doit enrichir exclusivement la métropole, écrit Alain Clément. Cette richesse ne peut se révéler que par le commerce entre la colonie et la mère patrie. » La liberté est donc contenue dans les étroites limites de l'intérêt national295.

Malouet raisonne à partir des faits. Il examine le cas de la Guyane. Théoriquement soumise à la réglementation de l'Exclusif depuis 1698, l'éloignement et le manque de liaisons régulières limitent son application. Des liens commerciaux s'établissent avec les Antilles, le Surinam, le Para

293 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 156.

294 Ibid., p. 160-161.

295 Alain CLÉMENT, « Du bon et du mauvais usage des colonies », op. cit., p. 109.

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portugais et l'Amérique du Nord. Les responsables de la colonie ferment d'ailleurs bien souvent les yeux sur ces entorses, comme le montre Catherine Losier, car ils sont en général les premiers à en profiter. Par exemple, les fouilles archéologiques menées sur les habitations Macaye et Poulain montrent que jusqu'à 38 % des fragments d'objets retrouvés sont des productions extérieures à la France296. Peu à peu, des assouplissements sont apportés à l'Exclusif, qui permettent aux navires étrangers d'accoster à Cayenne pour ravitailler la colonie en denrées. En 1748, Lamirande et d'Orvilliers demandent une extension de cette autorisation aux navires de toutes nationalités. En 1763, les textes organisant l'expédition de Kourou prévoient la fin de l'Exclusif, qui sera effective le 1er mai 1768, pour une période de douze ans. La mesure est renouvelée une seconde fois, portant la limite de ce libre commerce à 1792297. Pour Malouet, le cas de la Guyane est symptomatique. En le généralisant, il doute que les colonies soient capables de tirer profit d'une quelconque ouverture commerciale298.

Toutefois, il est réaliste et son expérience de planteur lui fait voir les limites de l'application stricte de l'Exclusif, en s'appuyant sur les contingences auxquelles sont parfois soumises les colonies, dès lors que le ravitaillement de la métropole fait défaut.

Vers une ouverture conditionnelle du commerce colonial

Malouet concède qu'un assouplissement de l'Exclusif peut être nécessaire quand la survie de la colonie est en jeu. Il prend l'exemple vécu de la disette de farine de Saint-Domingue, survenue en 1772 :

« La farine est, pour les colons qui s'en nourrissent, un premier objet de nécessité , et, quand il est question de subsistance, la métropole même ne peut avoir de privilège exclusif pour l'approvisionnement, qu'en l'assurant invariablement. En vain feroit-on valoir ici les droits, les conditions de la

296 Catherine LOSIER, « Les réseaux commerciaux de la Guyane de l'Ancien Régime: apport de l'archéologie à l'étude de l'économie d'une colonie marginale », in Jean-Pierre BACOT et Jacqueline ZONZON (dirs.), Guyane: histoire et mémoire. La Guyane au temps de l'esclavage, discours, pratiques et représentations, Matoury (Guyane), Ibis Rouge Editions, 2011, p. 349.

297 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 106-108 ; Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 280-281.

298 Jean TARRADE, « Malouet et les colonies: législation et exclusif », in Jean EHRARD et Michel MORINEAU (dirs.), Malouet (1740-1814), Riom, Société des amis des universités de Clermont, 1990, p. 38.

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concession ,
· il n'en est pas qui ne doive céder à la première loi, celle de subsister. Ainsi, toutes les fois que la colonie a lieu de craindre une diminution ou une suspension dans le transport des comestibles, son administration locale est très-fondée à appeler les secours étrangers : c'est ce qu'on a fait à Saint-Domingue en 1772299. »

En fait nous le voyons bien, Malouet n'est pas stricto sensu opposé à la liberté commerciale des colonies. Comme à son habitude, il navigue entre deux eaux. En esprit pratique et réaliste, il s'élève contre la prohibition et les monopoles absolus, donc contre l'Exclusif strict appliqué par principe300. En prenant l'exemple des pénuries de farines, il déplore les situations parfois contradictoires et potentiellement conflictuelles qui naissent de l'application stricte de la réglementation. Suite à de mauvaises récoltes en France ou à une conjoncture spéculative défavorable à l'envoi de farine aux Antilles, la métropole ralenti son approvisionnement et Saint-Domingue se trouve en situation de pénurie301. Colons et négociants, dans cette affaire, se renvoient la balle : les marchands français cessent leurs livraisons parce que les colons font appel à la farine de Nouvelle-Angleterre, meilleur marché. Les colons rétorquent qu'ils ont été obligés de faire appel aux Anglais parce que les Français ont cessé leurs livraisons302. Toujours est-il que « la colonie a manqué de farines de France en 1772, dit Malouet ; j'y étois, je l'ai vu. » Dont acte: « On a eu recours aux Anglais, et on a fait sagement303 ! »

Pour Malouet, donc, l'Exclusif se justifie par le fait qu'il soutient le rôle dévolu aux colonies, c'est-à-dire servir les intérêts de la métropole. Toutefois, une certaine marge de manoeuvre doit être tolérée quand les circonstances l'imposent, dès lors que la survie des colonies est en jeu. Cette conception économique chez Malouet est à mettre en perspective avec l'autre caractéristique de l'exploitation coloniale qui est l'esclavage.

299 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 179-180.

300 Abel POITRINEAU, « L'état et l'avenir des colonies françaises », op. cit., p. 47.

301 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 180.

302 Jean TARRADE, « Malouet et les colonies: législation et exclusif », op. cit., p. 39.

303 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 180.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld