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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.1.1 Assainir les finances

Quand Malouet clôt l'exercice comptable de l'année 1776, le déficit de la colonie est de 50 000 francs. Dans les commentaires qui accompagnent l'envoi des comptes au ministre, il pointe deux causes principales auxquelles il faut remédier. La première : l'endettement chronique des habitants. Il y a, d'une façon générale, des arriérés de plus de trois années. Il cite l'exemple de la

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société Oblin, qui doit 56 000 francs depuis 1774. La seconde raison est à imputer aux dépenses inutiles, qui pourraient être évitées. En cela, il incrimine les approvisionnements trop aléatoires, qui ont contraints l'ordonnateur de Lacroix à tout acheter sur place le double du prix en France880.

« La Guyane rapporte annuellement 5 à 600 000 livres et coûte autant au roi depuis quinze ans, sans aucun accroissement881 », constate Malouet. En effet, le déficit de la colonie est en fait endémique. Sur la période 1725-1755, les dépenses du roi sont multipliées par quatre, alors que les recettes fiscales ne suivent pas. En 1733 par exemple, l'impôt rapporte environ 20 000 livres, alors que la dépense est plus de deux fois supérieure (voir tableau ci-dessous)882.

1725

1740

1744

1745

1746

1747

1755

40765

70760

70874

65914

69666

78224

164841

Tableau 11 : Dépenses du roi dans la colonie (livres)

De plus Malouet doit travailler avec des comptes qui sont souvent mal tenus, et présentés avec beaucoup de retard, quand ils ne cachent pas des recettes fictives afin de dissimuler des opérations frauduleuses de la part des administrateurs883. Aussi est-il prudent et il signale qu'il n'exagère pas l'état des comptes, comme ont pu le faire certains de ces prédécesseurs afin d'obtenir plus facilement des aides. Toutefois, il espère que son zèle lui vaudra de l'aide du ministre en cas de besoin884.

Recouvrer les dettes

Le premier chantier auquel Malouet s'attaque est celui du recouvrement des créances. « Les habitans sont presque tous débiteurs au roi et au commerce, écrit-il au ministre, accoutumés à recevoir du gouvernement des secours qui ont toujours été faciles par l'abus qu'ils en ont fait885. » Ainsi, Dès le 5 décembre 1776, il fait promulguer une ordonnance selon laquelle les débiteurs du roi doivent régulariser leur situation avant le 1er février 1777 sous peine de poursuites. Toutes avances en argent, animaux, vivres et marchandises sont suspendues jusqu'au recouvrement du tiers des

880 ANOM C14/44 F° 252

881 ANOM C14/50 F° 65

882 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 137.

883 Ibid., p. 138.

884 ANOM C14/43 F° 84

885 ANOM C14/50 F° 67

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dettes. Les débiteurs reconnus insolvables ne pourront prétendre à aucune avance ni encouragement, « hormis le secours de la charité. » Enfin, les débiteurs du roi depuis plus d'un an, seront « saisis et inscrits au registre des interdits de distribution des secours de Sa Majesté886. »

Toutefois en mars 1777, face à la pauvreté générale de la colonie et à l'insolvabilité de la plupart des habitants, il avoue au ministre Sartine qu'il ne peut se résoudre à engager des poursuites contre tous les débiteurs, malgré l'ordonnance du 5 décembre 1776. La Guyane doit trois ans de revenus au roi, or il est impossible de lui faire payer la totalité en une récolte. Il cite l'exemple de M. Demontis pour appuyer ses dires :

« La cession que M. Demontis, conseiller, a faite de ses biens à ses créanciers est un autre sujet d'alarme pour les débiteurs. Cependant il étoit temps de l'y déterminer , car en leur abandonnant tout, il fait perdre encore soixante-dix pour cent à ses créanciers887. »

Pour solutionner au mieux ce problème, Malouet est contraint de se montrer conciliant. Il accorde des délais, il interdit l'assignation des plus pauvres en justice, il efface les dettes des habitants insolvables, comme c'est le cas pour M. Rochelle par exemple. Criblé de dettes, il est ruiné et il lui est impossible de rembourser888. Malouet reçoit pour paiement tout ce qu'on lui donne, mais finalement il ne récupère que peu d'argent : 110 000 livres au total. Le reste est composé de vivres, de bois, de terrains cédés au roi, de « denrées de toute sorte et au prix qu'on a voulu », précise-t-il. Il cite le cas du chevalier de Bertrancourt :

« Le chevalier de Bertancourt devoit 10 000 livres à la caisse, il m'a cédé pour cela une mauvaise habitation attenante à celle du roi , je lui ai donné quittance, et lui aurois pas donné de sa terre et de sa maison 50 louis s'il avoit fallu les sortir de la caisse. Le plus grand nombre de débiteurs, qui paroissent avoir payé, sont dans le même cas889. »

886 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 276.

887 Ibid., p. 353.

888 ANOM C14/50 F° 72

889 ANOM C14/50 F° 96

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Quand il quitte la Guyane, la question des dettes semble close. « Enfin voilà la grande affaire des dettes du roi réglée et terminée890 », déclare-t-il. Toutefois son travail ne s'arrête pas là, car les deux années qu'il passe en Guyane sont placées sous le signe des économies à réaliser.

Faire des économies, rationaliser les dépenses

En premier lieu, Malouet insiste pour recevoir des approvisionnements réguliers et de bonne qualité, dispensant ainsi l'administration de devoir acheter ce qui lui manque sur place et au prix fort. Il signifie au ministre que les économies procèdent « par le choix, l'envoi et l'emploi bien ordonné des matières, souvent même par des dépenses faites à propos. » Il se plaint de la piètre qualité des munitions et des autres fournitures qui arrivent de France. Les farines entassées pourrissent vite. Les marchandises sèches manquent, les fournitures de bureau également. « Je viens d'acheter des fournitures de bureaux le triple de ce qu'elles auroient coûté en France » écrit-il. L'habillement des troupes est réalisé sans aucun soin : les guêtres sont mal faites si bien qu' « il faut en payer à nouveau la façon. » Il manque la doublure des vestes. Les draps sont de mauvaise qualité891.

Le 15 décembre 1776, dans son envoi du relevé des dépenses de l'hôpital, Malouet écrit que des économies d'environ 10 000 francs pourraient être réalisées grâce à une organisation plus rationnelle. En effet, les bâtiments sont « ouverts aux quatre vents », les malades peuvent boire et manger à volonté. Ils peuvent également aller et venir à leur guise : beaucoup en profite pour aller au cabaret. De fait, ce fonctionnement aggrave les maladies et coûte cher. En conséquence, Malouet ferme la pharmacie « où chacun se sert à sa guise » et ordonne qu'on ne délivre des remèdes que sur ordonnance du médecin. Il demande par ailleurs au ministre le soutien d'un second apothicaire et le retour en Guyane du médecin Laborde892

Il cherche donc à réduire au maximum les dépenses inutiles. Il supprime des emplois qu'il juge superflus en réformant la moitié de la brigade du port. Il ne garde que quinze hommes sur les trente employés. Il envisage à terme de ne conserver que quatre officiers et trois timoniers, et de former vingt esclaves « à l'apprentissage de la mer et au service des ports893. » Il y a un trop grand nombre de procédures criminelles contre les esclaves, alors que la plupart des faits qui leur sont reprochés sont du ressort de la police domestique. De fait, les dépenses dues à l'emprisonnement des

890 ANOM C14/50 F° 73

891 ANOM C14/44 F° 212

892 ANOM C14/43 F° 79

893 ANOM C14/50 F° 70

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esclaves marrons sont considérables, c'est pourquoi Malouet en fait supporter le coût aux maîtres894.

L'exemple des postes de garde est en ce sens assez significatifs. Le 22 décembre 1777, l'ordonnateur adresse au ministre une longue lettre sur leur situation. Il y désapprouve la façon dont ils sont créés, parfois en dépit du bon sens : Fiedmond installe une garnison le long du Maroni pour défendre la frontière avec le Surinam alors que cette zone n'est pas contestée par les Hollandais. Pour Malouet, c'est du gaspillage d'argent et de ressources. Les postes coûtent annuellement 60 000 francs et dispersent les forces militaires, qui sont de toute façon « trop peu nombreuses pour en imposer » : 15 soldats au poste d'Oyapock, 7 à Approuague, 8 à Kourou, 20 à Sinnamary et 25 à Maroni. Les garnisons sont sous-employées, indisciplinées, se livrent à la débauche et à la boisson. Les officiers et sous-officiers, « privés, dans ces déserts, de toute société, d'étude, de culture, d'émulation, [...] s'abrutissent souvent, et deviennent incapables de donner des ordres raisonnables895. »

De plus, trop de colons ruinés se reposent sur l'aide apportée par les magasins et les hôpitaux implantés autour des postes. Pour Malouet, c'est un vrai problème. « À mon dernier passage à Sinnamary, écrit-il, je retrouvai à l'hôpital les mêmes individus, toujours ivres, toujours misérables. » Il souhaite donc prendre des mesures contre « ceux qui profitent et ne produisent rien » et propose au ministre, d'une part, de renvoyer en France, sous six mois, tous ceux qui ne sont pas capables de subvenir à leur propre besoin ; d'autre part de supprimer les hôpitaux et les magasins. À défaut de pouvoir supprimer tous les postes, il faut les réorganiser différemment, ne laisser sur place qu'un chirurgien, un commandant et deux archers, qui seront visités deux à trois fois dans l'année par un officier ou un administrateur, et concentrer toutes les forces militaires à Cayenne. De cette façon, il n'y a plus à entretenir inutilement des bâtiments, des corps de garde, une garnison, des infirmiers, etc896.

Des économies à réaliser dans tous les secteurs, Malouet s'attache également à reprendre en main la circulation monétaire dans la colonie.

Réforme monétaire

La pénurie de numéraire est un problème constant en Guyane. Administrateurs et habitants ont généralement recours au troc, à différentes monnaies de papier internes à la colonie et aux

894 ANOM C14/45 F° 213

895 ANOM C14/44 F° 362

896 ANOM C14/44 F° 362

213

lettres de change897. Depuis la fin du XVIIe siècle, il existe une monnaie de compte coloniale, la livre coloniale, indexée sur la production de la Guyane, qui vaut 30 % de moins que la livre tournois. Pour 100 livres de denrées importées, il faut verser 150 livres coloniales898.

Malouet estime ce système préjudiciable pour la colonie. Il résume sa pensée à ce propos dans deux lettres datées du 28 octobre et du 22 décembre 1777899 où il expose la situation concernant la circulation monétaire en Guyane. Pour lui, la différence entre la valeur intrinsèque et la valeur à Cayenne de 30 % pour la livre et d'un septième pour les piastres est absurde : si ses appointements sont versés en livre, il gagne 30 %, alors que s'ils sont versés en piastres, il n'y gagne qu'un septième. Recevant des rouleaux de quatre livres dix sous pour six livres payables en France, Malouet explique que « l'esprit du commerce, en général, est l'avidité », et que de fait les marchands augmentent systématiquement leurs prix de 30 %. Ce qui est problématique à double titre, parce que les marchandises coûtent plus cher, et que la la Guyane, toujours à cours de numéraire, se retrouve « absolument [dépourvue] de grosse et petite monnoie » pendant six mois de l'année900.

En conséquence, il présente au ministre deux propositions. La première consiste à envoyer à Cayenne les deux tiers des fonds assignés en espèces, ayant cours à Cayenne pour un tiers en plus de sa valeur. « En somme, écrit C.F. Cardoso, le système monétaire guyanais deviendrait pareil à celui des Antilles. » La deuxième solution consiste à envoyer de la monnaie de France, percée au milieu pour en soustraire le dixième ou le douzième de sa valeur nominale, pour constituer une réserve permanente de 100 000 écus, suffisante à la circulation au sein de la colonie. Les pièces étrangères ne seront plus reçues que comme marchandise au poids. C'est cette deuxième mesure qui sera partiellement adoptée en 1781 par la loi sur la circulation monétaire901.

Après une mesure destinée à encadrer la circulation monétaire en Guyane et éviter ainsi un trop grand désavantage commercial, Malouet remet de l'ordre dans les affaires judiciaires de la colonie.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote