WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

( Télécharger le fichier original )
par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.1.3 Un coup d'arrêt aux projets de Bessner

Le plan de Malouet comporte un dispositif de peuplement de la Guyane, que l'on envisage de réaliser par l'enrôlement des esclaves fugitifs du Surinam, et par l'établissement de missions religieuses pour fixer les Amérindiens dans le but d'en faire des agriculteurs. Ces deux perspectives, imaginées par le baron de Bessner et fortement soutenues par Sartine, illustrent bien la distorsion qui existe entre la vision métropolitaine du monde colonial en général, et les réalités locales. La

908 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 140.

909 ANOM C14/44 F° 99

910 ANOM C14/45 F° 213

911 ANOM C14/44 F° 99

912 ANOM C14/45 F° 213

216

prise en compte du contexte guyanais permet à l'ordonnateur de déconstruire l'édifice échafaudé à Versailles.

Enrôler les esclaves fugitifs du Surinam

C'est avant son départ pour Cayenne, en juin 1776, que Malouet commence à travailler sur cette question. Le 15 juin, dans une note à soumettre au ministre, il pense qu'il faut envoyer quelqu'un en Hollande pour trouver deux domestiques noirs connaissant la langue de Surinam, qui seraient chargés d'attirer en Guyane les esclaves révoltés de cette colonie913. S'il avait rapidement fait part de ses doutes à un ministre visiblement convaincu de la réussite de ce projet, les réalités locales semblent donner raison à Malouet. Le 29 novembre, il écrit qu'il « est incertain que cette nation soit mécontente de son état actuel et en désire le changement914. » Il propose d'attendre que la méfiance des habitants de Cayenne à leur encontre se dissipe, après quoi les marrons passés en Guyane seront installés sur la rivière Mana où il est plus facile de les surveiller. Il suggère également de soudoyer les meneurs afin de garantir leur loyauté915.

Mais le 26 mars 1777, l'ordonnateur fait savoir que le point de vue en France est faussé. Accueillir des fugitifs en Guyane risque de faire des émules, ce qui ne manquera pas de renforcer le marronnage au Surinam. De plus, comment se fier à des gens qui changent de camps contre de l'argent ? Ce peuple a acquis par les armes sont indépendance. « Ils ne quitteront pas la patrie qu'ils se sont faite, explique Malouet, le terrain qu'ils ont fortifié pour un établissement incertain, pour courir le risque d'être détruits dans leur émigration. » Les tractations engagées avec Camoupi et Atis, deux leaders marrons, échouent car ils ne sont pas intéressés pour passer en Guyane. Pour Malouet, il s'agit de prendre aussi en compte le risque encouru. Un tel peuple ne se déplacera pas sans exigences et risque de vouloir s'accaparer les établissements français installés à proximité du leur. Les chances de succès s'avèrent minces, aussi faut-il impérativement contenir ces nouveaux arrivants « par la religion et la police, et alors, le temps aidant, peut-être deviendront-ils de fidèles sujets de sa majesté916. » Malouet demande alors au ministre d'envoyer des prêtres pour les « civiliser », de préférence des hommes ayant déjà oeuvré en Afrique dans les missions établies dans les royaumes de Congo et Loango. « La connoissance de l'une de ces langues est nécessaire aux envoyés. Il nous paroît très-intéressant, M., que vous vous en procuriez deux au moins de cette

913 ANOM C14/43 F° 176

914 ANOM C14/45 F° 39

915 Ibid.

916 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 228-229.

217

espèce917. »

Son voyage au Surinam est déterminant pour cette question. En réalité, ces esclaves dont Bessner veut faire les alliés de la France, sont peu nombreux. Ils sont « attachés à leurs villages et à leurs plantations » et reçoivent tous les ans du gouvernement hollandais des armes, des vêtements et du matériel, si bien qu'ils n'ont aucun intérêt à rejoindre la Guyane918.

Ainsi, même si le projet s'avère prometteur depuis Versailles, sa mise en oeuvre est contrecarrée par la réalité locale qui en fait une chimère. Il en va de même pour ce que le ministère envisage pour les Amérindiens.

« Une république d'Indiens civilisés »

Nous l'avons vu, sous l'influence du baron de Bessner, le gouvernement souhaite en effet procéder à un peuplement de la colonie par l'évangélisation des Amérindiens afin d'en faire des agriculteurs « civilisés » qui, selon l'idée établie au XVIIIe siècle que nous avons développé par ailleurs, seraient mieux à même de défendre leur terre en cas d'invasion. Il s'agit, concrètement, de rassembler les Amérindiens au sein d'un établissement sous l'autorité de religieux, dans le but d'évangéliser ces peuples indigènes.

Cette idée de civiliser par la religion est à mettre en perspective dans un contexte religieux plus large qui trouve ses racines dans la Contre-réforme catholique. En effet, suite au concile de Trente (1545-1563), les ordres religieux sont mobilisés pour rassembler au sein de l'Église catholique les foules européennes ayant versé dans la Réforme. Leur action vise également à convertir les peuplades du Nouveau Monde au catholicisme. La Compagnie des Jésuites, fondée en 1534 par Ignace de Loyola, est un des fers de lance de cette entreprise. Les pères se donnent pour mission l'instruction des fidèles catholiques, et la conversion des hérétiques et des infidèles par la prédication, la confession, les exercices spirituels et l'éducation des plus jeunes. De fait, l'action missionnaire est indissociable de l'entreprise de colonisation919.

En Guyane, les premiers contacts entre jésuites et amérindiens commencent dès le XVIIe siècle. Les missions sont itinérantes tout au long du XVIIe siècle, et se déplacent le long du littoral à

917 Ibid., p. 236.

918 ANOM C14/44 F° 227

919 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 211 ; Gérard COLLOMB, « Missionnaires ou chamanes ? », op. cit., p. 435.

218

la rencontre des Amérindiens920. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que des missions permanentes voient le jour. En 1709, les pères Lombard et Ramette créent une mission sur le Carouabo. Elle est déplacée en 1711 à l'embouchure du Kourou. En 1740, une autre mission voit le jour à Sinnamary. Dans le même temps, les pères de Cayenne créent les missions de Saint Paul et de Sainte Foy sur l'Oyapock921. Ces trois missions rassemblent chacune environ 500 Amérindiens, même s'il est difficile d'avoir un dénombrement précis. Dès les années 1740-1750, les missions se répartissent ainsi :

À l'ouest de Cayenne .
·

- Mission de Kourou fondée par les pères Lombard et Ramette.

- Mission de Saint-Joseph du Sinnamary, du père Carnave.

À l'est de Cayenne .
·

- Mission de Saint-Paul de l'Oyapock, du père Dayma

- Mission de Notre Dame de la Foi du Camopi (ou Sainte-Foy) des pères Bessou et Huberland - Mission de Ouanary du père d'Antillac

- Mission des Palicour du père Fourré

- Mission de Saint-Joseph de l'Approuague922

Toutefois, l'arrêt du Parlement du 6 août 1762 et l'édit royal de novembre 1764 abolissent en France la Compagnie de Jésus. L'expulsion des jésuites est effective en 1765 en Guyane. Conséquemment, les missions périclitent. Cependant un certain nombre de pères choisit de rester et leur présence perdure jusqu'à la fin des années 1780. La pénurie de prêtres dans la colonie et le retard pris dans le remplacement expliquent cette pérennité : les premiers pères spiritains n'arrivent qu'en 1778923.

Ainsi, en 1776, à la demande de Louis XVI au pape Pie VI, quatre anciens jésuites portugais sont envoyés en Guyane pour, à nouveau essayer, de rassembler les Amérindiens des régions de Macari, Couani et de l'Oyapock924. Malouet, dans le compte-rendu d'administration pour l'année 1777, rapporte au ministre la création à Couani d'une mission employant trois prêtres portugais. Les débuts sont toutefois difficiles. Parmi les religieux, deux meurent rapidement, « le troisième est en mauvais état ». Malouet lui envoie en aide le père Lanoue. De plus, les contacts sont difficiles car les Amérindiens pensent avoir affaire à des envoyés du roi du Portugal, dont ils se méfient car les

920 Gérard COLLOMB, « Missionnaires ou chamanes ? », op. cit., p. 438.

921 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 214-219 ; Gérard COLLOMB, « Missionnaires ou chamanes ? », op. cit., p. 438.

922 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 345.

923 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 261-262.

924 Ibid., p. 261 ; Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 347.

219

Portugais les réduisent en esclavage925.

La mission est un projet religieux donc, mais également politique, économique et administratif926. À plusieurs reprises, la correspondance entre l'ordonnateur et le ministre fait état de projets de cultures que l'on pense développer au sein de la mission de Couani. Dans une lettre datée du 2 novembre 1777, Malouet informe Sartine qu'il confie aux missionnaires le soin de réaliser des expérimentations de culture de tabac en tâchant de tirer profit des techniques utilisées au Brésil927. Ce qui fait partie intégrante de la mise en valeur de la mission et de son maintien, par les revenus générés. Certaines missions connaissent même un développement important, à l'image de celle de Kourou qui, au plus fort de son développement vers le milieu du XVIIIe siècle, est gérée comme une habitation très rentable, et rassemble environ 450 Amérindiens928.

Du point de vue de l'ordonnateur, la mission revêt également un aspect administratif important. La lecture des Mémoires et de la correspondance de Malouet suggère un homme peu préoccupé par le fait religieux. Il considère que c'est un outil à mettre au service de l'intérêt national, utile pour créer du lien social et pacifier les rapports maître/esclave929. Cependant, il déplore le manque de moyens alloués à cet objectif. Il écrit au ministre le 18 janvier 1778 que le séminaire du Saint-Esprit de Cayenne n'a pas encore formé un seul missionnaire et manifeste un doute certain quant aux aptitudes de ceux en place :

« Quand on auroit voulu donner la préférence aux plus idiots, on n'auroit pas mieux réussi. J'en connois particulièrement quatre qui n'ont pas l'ombre du sens commun : de pareils hommes sont hors d'état de prêcher, de confesser, d'instruire les esclaves, et de se faire respecter des maîtres930. »

De fait, ceux que le supérieur Robillard envoie sont recrutés en France et sont incompétents, explique Malouet. Ainsi, les missions ne fournissent jamais de bons sujets car « elles recrutent partout, et engagent quels qu'ils soient ceux qui se présentent931. »

Face aux difficultés rencontrées, tant pour établir des établissements durables que du fait de

925 ANOM C14/50 F° 96

926 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 219.

927 ANOM C14/44 F° 333

928 Gérard COLLOMB, « Missionnaires ou chamanes ? », op. cit., p. 438.

929 ANOM C14/50 F° 91

930 ANOM C14/50 F° 92

931 Ibid.

220

l'incompétence des missionnaires, Malouet juge impossible la création d'une « république des Indiens civilisés » en employant le clergé régulier. Il considère, éventuellement, que le clergé séculier serait plus efficace932. La réalisation du projet de Malouet se heurte également aux réalités locales, propres au microcosme guyanais cette fois.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe