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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.1.4 Conflits de personnes et difficultés administratives

Dès son arrivée à Cayenne, Malouet se retrouve absorbé par un travail administratif intense. Les premiers temps de son administration sont placés sous le signe de la cordialité. Ses relations avec les différents interlocuteurs sont plutôt bonnes, voire amicales avec l'ordonnateur de Lacroix. Ils travaillent ensemble quelques semaines, au terme desquelles Malouet est introduit devant le Conseil supérieur, le 25 novembre 1776. De Lacroix y tient un discours fort élogieux en faveur de son successeur933. Suivant son habitude, Malouet observe et tente de se rapprocher des groupes les plus influents de la colonie. Cependant, méfiant, il avance masqué. « J'observai auparavant les gens auxquels j'avois affaire, écrit-il, et quoique je sois naturellement simple et franc, j'avoue que je combinai avec artifice toutes mes relations selon l'ordre et la qualité des personnes934. » Il parvient à s'attirer la sympathie des militaires, qui ne sont pas source de problèmes particuliers. Il décrit un groupe sans prétention qui, d'une façon générale, lui rend plus de services qu'il ne crée de problèmes935.

Cependant, l'état de grâce est de courte durée. En effet, placé sous la protection du procureur-général Macaye par de Lacroix, Malouet attend beaucoup du Conseil supérieur pour mener à bien ses projets. Cependant, celui-ci se révèle rapidement peu coopératif. L'ordonnateur déplore la médiocrité de ses membres qui, selon lui, rivalise avec l'intérêt qu'ils ont à contrecarrer ses projets par des méthodes abusives et irrégulières. En réaction, l'ordonnateur les harangue et les avertis en réunion du Conseil. « Il a fallu prendre sur ces messieurs un ascendant absolu, écrit-il, et je l'ai pris ; ainsi je décidai que je serois froid et sévère avec tous les officiers de justice, et je l'ai été936. » Il doit faire face à l'opposition de certains conseillers, en particulier Patris et Berthier, qui lui vouent une farouche hostilité. Ils profitent du moindre faux pas pour alimenter des calomnies. Ils font courir le bruit que Malouet ne serait qu'un homme de main à la solde de Monsieur, le frère du

932 Jacques François ARTUR, Histoire des colonies françoises de la Guianne, op. cit., p. 767.

933 ANOM C14/43 F° 32

934 ANOM C14/50 F° 66

935 Ibid.

936 ANOM C14/50 F° 76

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roi, et de Mme Adélaïde, qui oeuvrerait pour confisquer tout le commerce au profit de la Compagnie de Guyane, au détriment des petits armateurs particuliers qu'on chercherait à évincer. Malouet et Fiedmond les réprimandent en réunion du Conseil, et l'ordonnateur conseille à Berthier de solder ses dettes « au lieu de calomnier les entreprises bienveillantes du gouvernement. » Lors de la remise des mémoires des députés de l'Assemblée, Malouet s'aperçoit que certains tournent outrancièrement en dérision son projet, comme celui d'un certain Rubert937. Il n'est pas dupe de la manoeuvre et s'emporte. Il réprimande les députés :

« Je fis remarquer la distance qu'il y avoit de la liberté à la licence938. »

Il s'avère que Patris manoeuvre en sous-main et exerce des pressions sur certains députés, dont certains viennent d'ailleurs présenter des excuses à l'ordonnateur939.

L'hostilité des habitants va grandissante. La plupart d'entre eux sont endettés auprès des commerces et du roi, et ne remboursent pas leurs dettes. En conséquence, Malouet décide de suspendre les prêts aux habitants tant qu'ils ne se seront pas acquittés de leurs créances et de leur refuser l'accès au magasin940. Très rapidement, il se voit affublé d'une réputation de « censeur austère de la paresse et de l'intrigue941. » On se méfie de lui : un tel homme ne peut être que le promoteur d'une compagnie exclusive, qui va soumettre à son monopole toute la colonie942. L'extrait suivant, tiré du compte rendu de ses six derniers mois d'administration que Malouet adresse au ministre le 20 août 1778, témoigne à lui seul du climat de tension et de défiance dans lequel l'ordonnateur se débat deux années durant :

« Plus j'ai montré de franchise et d'authenticité dans les opinions et mes censures, plus on m'a opposé d'intrigues secrètes, de machinations de toute espèce. f...] Ils ont essayé tous les moyens, toutes les ressources analogues à leur cause : menaces, lettres, placards anonymes. f...] Enfin, un a fait mon épitaphe. J'ai été peint comme un homme méchant, autoritaire, auquel il faut se victimiser, et qui n'aime pas son prochain comme lui-

même943. »

937 Ibid.

938 ANOM C14/50 F° 77

939 Ibid.

940 ANOM C14/50 F° 96

941 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 110.

942 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 24.

943 ANOM C14/50 F° 97

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Il est également l'objet d'attaques des représentants de la Compagnie. Suite aux prévarications et aux négligences dont se rendent coupables M. Voiturier, directeur général, et son adjoint M. Olivier, Malouet ne cesse d'avertir le ministre. Il dénonce leur manque de sérieux dans les approvisionnements qui sont faits à la légère. Le 16 juin 1777, M. Dalbanel, commandant du poste d'Oyapock, adresse une plainte au gouverneur Fiedmond à propos du comportement de Voiturier. Il exerce des pressions sur les habitants et possède un cabaret qu'il gère « soit-disant au nom de ses commettans944. » De plus, il fait venir des esclaves du Sénégal « qui supportent moins qu'aucune autre nation le travail de la terre. » Plus grave encore, Malouet soupçonne la Compagnie de se livrer à des actions frauduleuses pour toucher la prime sur l'introduction d'esclaves. En effet, ses agents effectuent un tri dans la cargaison et envoient en Guyane les plus mauvais et revendent les meilleurs aux Antilles945. La correspondance entre Malouet et Sartine est régulièrement émaillée des avertissements de l'ordonnateur à l'encontre de la Compagnie. Mais à force de tirer la sonnette d'alarme, il s'attire les foudres du prince de Conti946, qui accorde sa protection à la Compagnie. Malouet apprend dans cette lettre que, de surcroît, Voiturier et Olivier affirment qu'ils agissent sous l'autorité de l'ordonnateur qui leur impose ses directives. Il est contraint de se justifier auprès du prince de Conti et de Sartine, à qui il demande de prendre sa défense contre cette manoeuvre destinée à le discréditer947.

Les difficultés décrites ci-dessus ne sont en rien exceptionnelles, en réalité. Dans une si petite colonie où l'on s'ennuie, les intrigues et les querelles font figure de distractions de choix. Les correspondances officielles et les nombreux rapports font état des difficultés permanentes que rencontrent ces hommes pour travailler ensemble. Ainsi, Malouet se plaint rapidement des relations de travail difficile qu'il entretient avec Fiedmond. « Je n'entends pas ce qu'il veut, écrit-il au ministre, ni ce qu'il pense, ni ce qu'il fait948. » Fiedmond se décide avec peine et reste très évasif. Pour Malouet, il réfléchit comme un soldat et un homme de cabinet coupé des réalités. Dans une lettre datée du 1er décembre 1776, reproduite dans ses Mémoires, il avoue les difficultés qu'il a à mener « honorablement et utilement » sa mission, car il est « subordonné à l'influence d'un militaire ignorant et obstiné949 ». Il peut difficilement imposer son autorité sur les magistrats car le gouverneur tempère : « Lorsque j'en conclus qu'il faut punir et réformer, il excuse, il intercède. Lorsque je distingue par un accueil différent les gens sans reproches de ceux qui en ont mérité, tous

944 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 377.

945 Ibid., p. 334-335.

946 Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti (1734-1814), prince de sang, comte de La Marche puis dernier prince de Conti.

947 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 2, op. cit., p. 69-71.

948 ANOM C14/43 F° 84

949 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 401.

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éprouvent de la part du gouverneur les mêmes signes de bienveillance950. » Il craint de voir son autorité bafouée par le Conseil supérieur et le gouverneur. Il demande donc au roi un ordre interdisant au Conseil de s'immiscer dans les affaires d'administration et prescrivant à l'ordonnateur de maintenir la juridiction et la police qui lui sont attribuées par les ordonnances951.

« Dans cette machine mise au point par Colbert, écrit Céline Ronsseray, les attributions de chacun sont normalement définies afin d'éviter toute ingérence. Pourtant dans la pratique, des tensions peuvent apparaître952. » Au-delà du simple conflit de personne, il faut voir dans ces tensions une conséquence du système voulu par Colbert. Le problème est que la frontière qui sépare les attributions des deux chefs et du Conseil est sinueuse, si bien que chacun a tendance à empiéter sur les prérogatives des autres. Pierre Pluchon estime que Colbert a manqué de clairvoyance en instituant ce système de tempérance mutuelle entre l'épée et la plume, avec le Conseil supérieur en position d'arbitre. En transposant le système français dans les colonies, il aurait agi en homme de robe et en métropolitain, l'esprit encombré de préjugés. « [Colbert] ne perçoit pas que les possessions, dit Pluchon, à la fois par leur éloignement, et à cause de la guerre qui les assiège souvent, ont besoin d'un commandement unique et fort et non de deux chefs que l'humeur peut jeter l'un contre l'autre au détriment des intérêts du roi953. » Ainsi de nombreux conflits animent la Guyane au XVIIIe siècle. Citons par exemple les tensions entre Guillouet d'Orvilliers et Morlhon de Grandval, quand celui-ci écrit au ministre pour lui décrire le désordre de la colonie. Ou bien entre Grandval et l'ordonnateur Lefebvre d'Albon, quand ce dernier prend l'initiative d'enregistrer un édit sur les invalides954.

Ce genre d'incohérences administratives est rapporté par Malouet, dès 1776. Il remet en cause du mode de gouvernance. Placer deux hommes à la tête de la colonie complique les choses. « Il faut à la tête de celle-ci un homme sage et instruit, mais il n'en faut pas deux », écrit-il au ministre955. Il dénonce la dégradation des rapports entre l'ordonnateur et les conseillers depuis le passage de Maillard-Dumesle956, ainsi que la trop grande influence du Conseil. Non seulement Maillard-Dumesle ne parvient pas à faire payer aux conseillers ce qu'ils doivent au roi, mais il reçoit « de quelques-uns des apostrophes mortifiantes et l'on voit par ses lettres qu'il [ne cesse] de demander son rappel pendant deux ans. » À la même époque, Fiedmond usurpe les fonctions judiciaires de l'ordonnateur en faisant juger devant un conseil de guerre deux habitants, coupables

950 ANOM C14/50 F° 62

951 ANOM C14/43 F° 272

952 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 457-459.

953 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 607.

954 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 465.

955 ANOM C14/43 F° 84

956 Jacques Maillard-Dumesle, ordonnateur de 1766 à 1771.

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d'un vol dans un magasin. « M. Maillard [n'est] informé du jugement qu'au moment de l'exécution957. » Ainsi, considérant une éventuelle absence de sa part, Malouet nourrit des craintes quant à la bonne gestion des affaires. Ses appréhensions se révèlent fondées à son retour du Surinam, dix-huit mois plus tard. Il s'aperçoit que le Conseil supérieur a abusé de la faiblesse de Fiedmond. Profitant de son absence, certains conseillers ont fait annuler les arrêts que l'ordonnateur avait faits émettre. La sanction est sans appel : il démet de leurs fonctions les responsables. Puis il recommande au procureur du Conseil supérieur, Claude Macaye, d'empêcher toute délibération sans l'aval des administrateurs958.

Dans ces conditions, Malouet marche sur des oeufs car, de son propre aveu, sa marge de manoeuvre est assez réduite. En outre, l'éloignement de la métropole complique les choses. Dans son dernier compte rendu pour l'année 1778, il se montre quelque peu agacé que les dernières instructions du ministre aient mis huit mois à lui parvenir, le privant « de son soutien et de ses instructions », rendant parfois sa position difficile959. La transmission de la correspondance officielle et le retour des ordres et instructions est donc particulièrement longue. S'ajoute un manque chronique de liaison maritime jusqu'au XIXe siècle, en raison de la pauvreté de la Guyane960, si bien qu'un arbitrage royal est assez aléatoire, quand il a lieu.

L'administration pointilleuse et parfois intransigeante de Malouet suscite donc une levée de bouclier quasi générale au sein de la colonie. Il avoue que c'est une erreur de sa part car « cette façon de faire ne manqua pas son effet, qui étoit de déplaire et d'indisposer tous ceux qui tiennent à leurs préjugés, à leurs habitudes, et qui les voient attaquées sans ménagement961. » qui lui ont valu des attaques de toutes part pendant deux années : mémoires, lettres, placards anonymes, chansons, épitaphe. Il est « dépeint comme quelqu'un de méchant, sévère, et arbitraire ». Certains agitateurs, « cinq ou six magistrats et conseillers », estime Malouet, ont « aposté, pendant la nuit, des gens qui jetoient des pierres aux passans, afin d'exciter sans doute un soulèvement962. » Mais ces difficultés ne semblent pas entamer la détermination de l'ordonnateur à mener à bien la mission qui lui est confiée et qui en fait un acteur important sur le terrain des sciences et techniques au sein de la colonie.

957 ANOM C14/42 F° 272

958 ANOM C14/44 F° 198

959 ANOM C14/50 F° 96

960 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane (1720-1848), op. cit., p. 29.

961 ANOM C14/50 F° 62

962 ANOM C14/50 F° 96

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams