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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.3 L'asséchement des terres basses : l'élan donné par Malouet

Le cheval de bataille de Malouet pour la Guyane reste la mise en valeur des terres basses. Cette poldérisation des côtes Guyanaises répond principalement à deux préoccupations relevant d'objectifs politiques de maîtrise du territoire, et d'objectifs économiques en rapport avec une mise en valeur de nouvelles terres agricoles que l'on juge plus productives1013. D'après la définition donnée par Frédéric Bertrand et Lydie Goeldner, « les polders désignent des étendues de marais maritimes endiguées, asséchées et mises en valeur à des fins, sinon exclusivement, du moins en premier ressort, agricoles1014. » Leur réalisation s'appuie sur de puissants moyens humains,

1011ANOM C14/43 F° 248 1012ANOM C14/43 F° 42 1013Raphaël MORERA, L'assèchement des marais en France au XVIIe siècle, op. cit., p. 17. 1014Frederic BERTRAND et Lydie GOELDNER, « Les côtes à polders. », op. cit., p. 79.

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financiers et technologiques, à l'origine de cette forme de « bonification particulièrement achevée des marais maritimes1015. » Cette technique ancienne, qui remonte à l'Antiquité romaine, est largement utilisée en Europe, principalement en Hollande, qui l'exporte notamment dans sa colonie du Surinam1016. Sous la houlette de Jean Samuel Guisan, ingénieur que Malouet recrute dans cette colonie, la dessiccation des terres basses connaît des avancées significatives, bien que limitées, en Guyane.

2.3.1 Une technique ancienne exportée dans les colonies

Fondées principalement sur l'augmentation de la production agricole à des fins commerciales, les conquêtes de terres sur la mer sont attestées en Europe depuis l'Antiquité. La conquête de la Bretagne par les légions romaines en 43 av. JC conduit aux premiers endiguements du pays sur 29 000 hectares afin de nourrir l'armée1017. L'image négative renvoyée par les marais, auxquels on associe maladies, miasmes, moustiques et pourriture, est à mettre en parallèle avec une conception hygiéniste qui soutient un « discours dessiccateur » hostile à ces espaces. Il trouve un regain d'intérêt durant la Renaissance dans toute l'Europe, par la diffusion des techniques hollandaises, comme le montre assez l'usage du terme désormais universel de « polder »1018. Les travaux hollandais se déploient à grande échelle dès la fin du Moyen-Âge, afin de contenir une pression démographique grandissante. Ce qui est rendu possible par une disponibilité constante de main-d'oeuvre et une production agricole entretenue par l'augmentation de la surface agricole. Dès le XVe siècle, les autorités sont attentives à l'entretien des dunes ainsi crées. On procède à la plantation de carex des sables, une herbe qui permet d'éviter l'affaissement et l'érosion du cordon dunaire sous l'effet combiné du vent et de la mer. On évacue les eaux et on maintient l'assèchement de manière efficace par la mise en place de moulins à vent, qui déversent le trop plein d'eau dans des canaux ou des rivières. La construction d'un moulin et l'entretien des canaux est un lourd investissement qui demande la collaboration de plusieurs investisseurs. D'où la nécessité de clore l'espace drainé par des digues. Ce qui fait des polders des biens privés. De fait, il s'avère nécessaire de participer aux frais de construction et d'entretien pour en bénéficier. « Le drainage par moulin est donc en règle générale lié à des entreprises de type capitaliste », précise Raphaël Morera1019.

1015Ibid.

1016Raphaël MORERA, L'assèchement des marais en France au XVIIe siècle, op. cit., p. 18. 1017Frederic BERTRAND et Lydie GOELDNER, « Les côtes à polders », op. cit., p. 81.

1018Ibid., p. 85 ; Raphaël MORERA, L'assèchement des marais en France au XVIIe siècle, op. cit., p. 17. 1019Raphaël MORERA, L'assèchement des marais en France au XVIIe siècle, op. cit., p. 19-20.

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Cette entreprise de desséchement est à l'origine d'innovations économiques et techniques qui permettent à la Hollande de connaître une mutation environnementale radicale. De fait, ce modèle fait florès en Europe, surtout à partir du XVIIe siècle. On le retrouve en Grande-Bretagne dans la région de Fens, en Italie dans la région de Venise et la plaine du Pô, sur les côtes allemandes de la Frise et du Schlewig-Holstein, et de façon plus marginale en Espagne. Cette domination hollandaise doit beaucoup aux travaux de deux ingénieurs renommés (Vierlingh au XVIe siècle, spécialiste des polders d'atterrissement, et Leeghwater au XVIIe siècle, spécialiste des polders d'assèchement) qui contribuent largement à cette diffusion1020. En France, les entreprises de bonification des zones humides sont plus tardives, mais, sous l'impulsion du roi, permettent de définir un cadre juridique, technique et économique.

Les précédents français

Les travaux d'assèchement du royaume se placent dans le prolongement de cet élan européen. Les marais sont aménagés dès le Xe siècle pour y pratiquer la pisciculture, profiter de leurs ressources cynégétiques, ou transformer les parties les plus hautes en prairies pour le bétail. À la fin du XIIe siècle, les marais poitevins sont desséchés grâce à un plan de drainage élaboré par les cisterciens, en regroupant plusieurs abbayes. Les moines apportent leur savoir faire et perfectionnent les techniques largement empiriques employées jusque-là par les habitants1021. Les premières initiatives royales ont lieu sous le règne de Henri III, notamment autour de l'étang de Pujaut en 1583, mais sont encore très secondaires. L'action de quelques exilés français en Hollande, en particulier Joseph Juste Scalyger qui, en 1597, encourage Henri IV à assécher ses marais, donne un nouvel élan aux projets de bonification des zones humides. Deux arguments prévalent : d'abord la réussite indéniable de l'entreprise dans le reste de l'Europe, ensuite les nombreux marais disponibles en France1022.

Ainsi, l'édit de 1599 ordonne l'inventaire des terres disponibles et susceptibles d'être asséchées. En 1610, Bradley, en procédant à des visites systématiques, chiffre à plus d'un million d'arpents la surface de marais disponibles. En 1630, le chancelier Séguier l'évalue à 130 000 ha, principalement localisés dans le Poitou, la Normandie et la Provence. Par leur diversité et leur

1020Frederic BERTRAND et Lydie GOELDNER, « Les côtes à polders », op. cit., p. 85 ; Raphaël MORERA, L'assèchement des marais en France au XVIIe siècle, op. cit., p. 22-23.

1021Jean-Luc SARRAZIN, « Maîtrise de l'eau et société en marais poitevin (vers 1150-1283) », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1985, vol. 92, no 4, p. 337-338.

1022Raphael MORERA, L'assèchement des marais en France au XVIIe siècle, op. cit., p. 18.

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étendue, les marais apparaissent comme un filon à exploiter, que justifie la réussite des différentes entreprises menées un peu partout en Europe1023. En effet, la bonification des zones humides depuis le XVe siècle renforce les puissances commerciales hollandaises et vénitiennes, d'autant plus qu'elles s'accompagnent d'un essor démographique1024.

La mise en valeur des zones humides s'accompagne nécessairement d'un questionnement sur les moyens mobilisés pour la réalisation de cette entreprise. « Les dessiccateurs ont de fait largement bénéficié du soutien royal avec lequel ils ont élaboré un système tout autant juridique qu'économique d'une redoutable efficacité », souligne Raphaël Morera1025. Sous l'impulsion de Sully puis de Richelieu, le modèle français se caractérise donc par un investissement durable de l'aristocratie ministérielle et financière dans les travaux, permettant de fixer un cadre juridique stable1026. La conduite des travaux s'opère dans le cadre de sociétés de type commercial, dont les droits sont garantis par l'État et répartis à hauteur de l'investissement consenti par chaque investisseur. Sur le plan technique, la réalisation des ouvrages est confiée à des ingénieurs - notamment le brabançon Humphrey Bradley, employé par Henry IV, qui constitue une référence en la matière. L'exploitation des sites est ensuite confiée à des agents recrutés parmi les officiers de justice ou de finance locaux1027. Les lourds investissements consentis sont compensés par la grande rentabilité des marais, dont l'essentiel des revenus provient de la céréaliculture et de l'élevage1028. Ce système politique, économique et financier participe fortement à marquer l'emprise royale sur le territoire et renforce l'autorité du pouvoir central1029. Il profite également à l'étroite élite politique et marchande proche du pouvoir, dont il affermit l'assise politique et contribue largement à son enrichissement1030.

Les ressources des marais, reconnues et exploitées depuis des siècles, connaissent un regain d'intérêt au tournant du XVIe siècle en Europe. La France suit cet exemple en mettant en valeur progressivement ses zones humides. S'inspirant des techniques hollandaises, elle met en place un cadre juridique et économique, à travers lequel il faut lire les projets de drainage engagés en Guyane.

1023Ibid., p. 24. 1024Ibid., p. 49. 1025Ibid., p. 51. 1026Ibid., p. 51-52. 1027Ibid., p. 110. 1028Ibid., p. 234. 1029Ibid., p. 110. 1030Ibid., p. 235.

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Les pionniers en Guyane

En Guyane, l'épuisement des terres hautes est un facteur déterminant de la mise en valeur des terres basses. La culture itinérante sur brûlis atteint ses limites et n'est pas compatible avec une agriculture moderne, tournée vers l'exportation. Les marécages deviennent donc de nouveaux territoires à conquérir1031.

La constitution progressive en Europe d'un corps d'ingénieurs spécialisés permet d'exporter les techniques de poldérisation à l'époque de la conquête coloniale, où elle sert les objectifs d'une agriculture exportatrice1032. Ainsi, au Canada, l'estran de la baie de Fundy est conquis à partir de 1632 par les Français puis les Britanniques, pour nourrir la colonie et produire du fourrage d'hiver, dont les surplus sont exportés vers les Treize Colonies anglaises1033. Suite à la la perte du Canada par la France, quelques Acadiens arrivent en Guyane vers 1762-1764. Ils s'installent dans les régions de Kourou et Sinnamary et ces défricheurs d'eau importent avec eux leur savoir faire, illustrant un transfert de savoir inter-colonial. Au côté de cette paysannerie, d'autres Canadiens arrivent en 1763 et son acquis aux terres basses. Il s'agit du gouverneur Fiedmond et de l'arpenteur Tugny. Enfin, il faut ajouter l'arrivée de scientifiques requis pour accompagner l'expédition de Kourou : les ingénieurs Mentelle, Dessingy et Brodel, et le naturaliste Fusée-Aublet. Ceux-ci contribuent à ce que Yannick Le Roux appelle « la révolution agricole des terres basses1034 » qui reprend les formes de la poldérisation réalisée au Surinam.

La mise en valeur de la plaine côtière du Surinam débute dans les années 1650, sous la direction de la Compagnie Néerlandaise des Indes Occidentales. Elle se prolonge d'ailleurs rapidement au siècle suivant au Guyana, alors sous domination britannique. Les investissements massifs sont un facteur crucial de réussite d'un tel projet car les coûts des aménagements sont très élevés, en plus de l'immobilisation des capitaux jusqu'à ce la terre soit en rapport. Cette nécessaire disponibilité de capitaux explique qu'on retrouve partout, et de tout temps, les mêmes types d'investisseurs, c'est-à-dire l'aristocratie marchande, qui rachète en 1770 la Compagnie des Indes Occidentales, finance la colonisation et étend les polders1035.

Les Français de Guyane ne sont pas ignorants des succès rencontrés en terres basses par leurs voisins hollandais. L'un des premiers à se lancer dans l'aventure de la bonification des zones

1031Yannick LE ROUX, « La révolution agricole des terres basses au 18ème siècle en Guyane », op. cit., p. 333. 1032Frederic BERTRAND et Lydie GOELDNER, « Les côtes à polders », op. cit., p. 85.

1033Ibid., p. 81.

1034Yannick LE ROUX, « La révolution agricole des terres basses au 18ème siècle en Guyane », op. cit., p. 331. 1035Frederic BERTRAND et Lydie GOELDNER, « Les côtes à polders », op. cit., p. 85.

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humides est l'ingénieur François Fresnau en décembre 1741, qui reçoit l'approbation du ministre pour entreprendre la création de marais salants1036. Mais les premières mises en culture de ces espaces ont lieu à partir de 1763. Hubert de La Hayrie exécute la mise en valeur d'une parcelle mais sans résultats probants, par manque de savoir faire. Sa veuve se remarie avec Patris qui reprend l'expérience en 1773. Dans le foulée de La Hayrie, Claude Macaye aménage en 1764 un polder de près de 20 ha sur le Fonds de Rémire où il cultive du café. Enfin, en 1767, Claude François de Kerkhove conduit des travaux de desséchement dans son habitation de la Rivière du Tour de l'Île, mais il échoue. Le gouverneur Fiedmond, conscient du manque de savoir faire des Français, concède des terres à des colons hollandais, à un certain Touzet notamment, pour que les Français puissent avoir des modèles. Par ailleurs, il autorise Kerkhove en 1774 à se rendre au Surinam afin qu'il comprenne les raisons de son échec. De retour à Cayenne, fort des informations qu'il a récupérées, il mène de nouveaux essais qui, cette fois, s'avèrent fructueux1037. Toutefois, l'engouement des terres basses chez les colons reste assez marginal. En 1775, seulement 7 habitations sur 250 y pratiquent des cultures1038.

Alors que Malouet s'attribue volontiers l'introduction des cultures en terre basse en Guyane, les précédents travaux réalisés par les Acadiens, puis les initiatives de quelques colons inspirées des pratiques du Surinam, démontrent l'inexactitude du mérite que s'octroie l'ordonnateur. Par ailleurs, nous pouvons tout autant contredire l'affirmation de Rodolphe Robo qui fait de Malouet et de Guisan les responsables de l'introduction de la culture en terre basse1039. Malouet s'affiche davantage comme un organisateur, et en ce sens il insuffle une nouvelle dynamique à ce projet grâce au voyage qu'il effectue au Surinam.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams