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La blockchain et l'offre au public de titres financiers


par Lise Wantier
Université Paris Nanterre - Master 2 Droit des affaires 2017
  

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Partie II. Une régulation difficile à appréhender

Nous avons compris que des règles spécifiques sont nécessaires afin d'assurer la mise en oeuvre effective de la technologie blockchain. Toutefois, il convient de savoir comment réguler. Savoir s'il est nécessaire d'élaborer une réglementation propre à la technologie blockchain ou si le droit commun peut s'adapter à celle ci en intégrant la technologie au cadre législatif déjà existant, comme l'a fait l'ordonnance du 8 décembre 2017 (Titre I). Il convient également de s'interroger sur la compatibilité de cette technologie avec les droits existants ne concernant pas directement le droit des marchés financiers (Titre II).

Titre I. Comment réguler ?

Il existe trois types de facteurs clefs pour une application effective de la technologie blockchain aux marchés financiers93. Premièrement, des facteurs environnementaux incluant l'acceptation institutionnelle de la technologie, notamment par la régulation, et le facteur de marché qui comprend la taille, la structure, les pratiques, les conditions législatives et le niveau de coordination des différents acteurs. Deuxièmement des facteurs technologiques qui comprennent la maturité de la technologie et son interopérabilité avec les systèmes existants. Troisièmement, des facteurs financiers, à savoir si le projet offre un retour sur investissement suffisant.

De ces facteurs va dépendre l'application plus ou moins large de la technologie blockchain aux marchés financiers. En l'espèce, le premier facteur intéresse grandement l'objet de ce mémoire. C'est pourquoi nous analyserons comment la régulation peut permettre, soutenir, voire étouffer le développement de cette technologie selon la régulation choisie, voire selon les impératifs qui relèvent de la matière.

Nous allons dans un premier temps analyser dans quelles conditions une régulation peut avoir lieu à droit constant, faisant de l'utilisation de la technologie blockchain non pas une révolution, mais une évolution au service des acteurs déjà en place sur le marché (Chapitre 1). Puis dans un second temps nous comprendrons que pour permettre une utilisation massive du registre distribué dans les marchés financiers, « une révolution blockchain », la réglementation actuelle concernant l'offre au public de titres doit être bouleversée (Chapitre 2).

Chapitre 1. Les conditions d'une régulation à droit constant

Actuellement il semble que l'approche consiste davantage à ajouter des règles complémentaires à la législation existante pour reconnaître l'utilisation de la technologie, comme le confirme l'ordonnance du 8 décembre 2017, plutôt que de créer un système juridique nouveau propre à la blockchain. Cela semble opportun car les services financiers qui font usage de la technologie de la chaîne de blocs font déjà l'objet d'une réglementation. Ces activités sont en effet réglementées de par leur nature même, ce que l'usage de la technologie blockchain ne change pas.

Ainsi Thierry Bonneau et Thibault Verbiest94 ne voient aucune raison de soustraire les Fintechs95 de la supervision des autorités bancaires et financières existantes. Le seul usage d'une

93 COMITEE ON PAYMENTS AND MARKET INFRASTRUCTURES, « Distributed ledger technology in payment, clearing and settlement », p.11

94 T. Bonneau et T. Verbiest, Fintech et droit

95 Start-ups proposant des initiatives dans le domaine bancaire et de la finance

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technologie innovante ne justifie pas une supervision particulière, même si elles poussent le régulateur a faire preuve de souplesse afin de ne pas étouffer les innovations.

Section I. La régulation à droit constant concernant le marché secondaire

Il convient de s'interroger sur les conséquences juridiques possibles de l'utilisation de la technologie blockchain sur l'offre au public de titres financiers (§1), voire sur les conséquences de la réglementation sur cette technologie. En effet, une régulation à droit constant semble favoriser la mise en oeuvre de blockchains privées permettant aux tiers de confiance de garder une place centrale, mais remodelant donc l'idée de la chaîne de blocs originaire (§2).

§1. La blockchain au service des tiers de confiance

Il faut peut-être voir dans la blockchain une nouvelle technologie qui, appropriée par les institutions en place pourra apporter des progrès importants. Elle ne remplacera alors pas le tiers de confiance mais sera au service de ce dernier. La technologie pourra remplacer toutes les opérations ou institutions qui ne sont que matérielles, pour lesquelles il n'y a aucune valeur intellectuelle ajoutée. Les registres classiques pourraient ainsi disparaître96.

Nous allons donc analyser les deux acteurs qui interviennent afin de comprendre ce que la blockchain pourrait leur apporter, et dans quelle mesure la technologie pourrait être utilisée au sein de la réglementation actuelle. Comme nous l'avons compris les principales innovations peuvent avoir lieu au stade du marché secondaire. Ainsi, interviennent à ce stade, la chambre de compensation qui va garantir le règlement-livraison des transactions et absorber le risque de contrepartie et également, un dépositaire central qui tient des comptes-titres où s'opère le transfert effectif des titres du vendeur à l'acheteur97. Analysons donc le rôle spécifique de ces acteurs, afin de comprendre dans quelle mesure la blockchain peut les soutenir, voire les remplacer.

Le mécanisme de compensation est défini par les règles de compensation de LCH.Clearnet.SA98. Selon l'étude réalisée par la bourse de Tokyo, étant donné que les transactions sont inscrites les unes à la suite des autres, il ne serait plus utile de recourir au mécanisme de compensation car ce sont les mêmes transactions qui sont négociées, réglées puis livrées. Le risque de marché et de contrepartie serait nul du fait de la réduction des délais, d'où la possibilité de supprimer la chambre de compensation99. C'est également l'avis de la Place de Paris100.

Les chambres de compensation ne sont plus obligatoires sur les marchés réglementés depuis la transposition de la première directive MIF101. Toutefois, le règlement de l'AMF exige pour ces marchés un mécanisme de dénouement des transactions102 et en contrôle les règles de fonctionnement103. La compensation par une contrepartie centrale a été rendue de nouveau obligatoire par les instruments dérivés négociés sur un marché réglementé104. En pratique, les règles de marché d'Euronext prévoient le recours à une chambre de compensation sur les marchés réglementés par LCH.Clearnet SA105. Ainsi, le registre distribué pourrait remplacer la chambre de

96 D. LEGEAIS, Jurisclasseur commercial

97 Ibid

98 Règles de compensation de LCH.Clearnet.SA, art. 1.3.1.5

99 D. LEGEAIS, Jurisclasseur commercial

100 PARIS EUROPLACE, p.48

101 Dir. 2004/39/CE du 21 avril 2004 transposée par l'ord. n°2007-544 du 12 avril 2007

102RG AMF, art. 511-3, 2° et 511-8 4°

103RG AMF, art. 541-1

104Art 29 §1, Règl.(UE) 600/2014, du 15 mai 2014

105 Règles de marché harmonisées d'Euronext, art 2502/2

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compensation. Les règles à modifier se situent au niveau de l'AMF et de l'entreprise de marché mais pas au niveau Européen, en tout cas pour les instruments non dérivés négociés sur un marché réglementé. De plus lorsqu'elles sont obligatoires, les règles européennes sont souples puisque le règlement EMIR n'exige que la personnalité morale et permet aux états d'imposer des exigences supplémentaires. Cependant comme nous le verrons dans le Chapitre 2, pour supprimer complètement la chambre de compensation, une reconnaissance des smart contracts est nécessaire.

Egalement, intervient le dépositaire central qui a une place majeure dans l'organisation, la sécurité et la stabilité des marchés financiers. Sa fonction première est de faire le lien entre les sociétés émettrices de titres financiers et celles qui conservent les titres des investisseurs. Il a également une mission de gestionnaire de système de règlement-livraison, puisqu'il assure la bonne circulation entre les intermédiaires bancaires, des titres financiers, et des espèces à échanger à la suite des négociations106. Parmi ses obligations, le dépositaire central enregistre les titres financiers composant chaque émission admise à ses opérations dans des comptes et il ouvre des comptes aux sociétés qui ont en conservation les titres financiers. Avec cette double comptabilité, il garantit qu'il n'y a pas de création ou de disparition de titres financiers au fur et à mesure des échanges. Dès lors la technologie blockchain peut remplir les fonctions technique d'un dépositaire central et les simplifier. L'inscription en compte dans une chaîne de blocs peut en effet garantir qu'aucun titre n'a été crée ou n'a disparu par son registre infalsifiable et l'historique qu'elle propose.

Le dépositaire central est obligatoire concernant les titres cotés et doit être agrée par l'AMF107. Il est soumis à des règles prudentielles et organisationnelles. Les règles prudentielles reposent notamment sur des exigences de capital, sur une identification des risques auxquels ils sont exposés (économiques, juridiques et opérationnels, notamment concernant la sécurité des outils informatiques mis en oeuvre) et une obligation de se doter de contrôles et procédures appropriées pour les gérer. Concernant les règles d'organisation, le dépositaire central doit mettre en oeuvre une procédure de contrôle sur la gouvernance et la gestion des risques de blanchiment afin d'assurer ses obligations en la matière. Ainsi un dépositaire central qui utilise la technologie blockchain devra s'assurer de respecter ces exigences.

Si le dépositaire central peut utiliser la technologie blockchain, il semble difficile que la technologie blockchain remplace le dépositaire central à droit constant. Comme nous l'avons vu, un agrément sera en effet nécessaire et une chaîne de blocs publique ne pourrait se voir octroyer le visa de l'AMF aux vues des conditions à remplir. Par contre, le dépositaire central pourrait utiliser en revanche une blockchain privée, voire déléguer certaines de ses activités à une legaltech utilisant une blockchain. La chaîne de blocs semble donc pouvoir être davantage propice à être un outil au service du dépositaire central que le remplacer, notamment à droit constant.

Mais partant d'une vision plus globale, les tiers de confiance ont un rôle plus large que leurs seuls apports techniques. Par exemple, le processus de règlement-livraison qui a pour finalité le transfert de propriété contre paiement, a également d'autres tâches : établir la confiance avant le règlement de la transaction, assurer la validité juridique des échanges, et enfin, traiter des exceptions lorsque la confiance et la validité juridique ne sont pas automatiquement établies. Ce rôle ne peut pas être délégué aux sociétés émettrices ou aux gouvernements en raison du désalignement des motivations économiques que cela créerait. La confiance en les droits que les titres portent est nécessaire pour permettre le financement des entreprises sur le marché primaire ainsi que la transformation des échéances, le stockage de la valeur, et la couverture, sur les marchés secondaires. De plus, les tiers de confiance permettent non seulement d'appliquer et faire appliquer la législation en vigueur mais endossent également le rôle de responsable en cas de problème.

Selon la BCE la possibilité que, à un moment donné, les émissions de titres en circulation

106 AMF, «Les infrastructures de marché & de post-marché » Amf-france.org

107 C. mon. fin., art L.441-1 issu de l'art. 6 de l'ord. n°2015-1686 du 17 déc 2015

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puissent migrer en masse vers un grand livre distribué est irréaliste, mais un système dual provisoire avec des transactions réglées dans les systèmes traditionnels et dans le DEEP, par leurs opérateurs actuels, est techniquement réalisable.

§2. L'utilisation d'une blockchain privée

Selon l'AFG, l'ordonnance du 8 décembre 2017 devait être « axiologiquement neutre sur la technologie retenue par le DLT et laisser aux opérateurs et émetteurs le choix de la technologie108 » afin de ne pas brider ab initio le développement et le mode de fonctionnement des DEEP. L'AFG reconnaît toutefois qu'une blockchain publique serait plus difficile à réguler malgré ses avantages en termes de sécurité et de transparence. Le législateur ne s'est pas encore positionné entre les différents types de blockchain concernant les minibons et les titres financiers non cotés. Concernant les titres financiers non cotés la réglementation et le rôle des tiers de confiance sont moins prégnants, la question d'une blockchain publique se pose donc à plus forte raison pour les titres cotés, où l'intervention des tiers de confiance est obligatoire.

Si une blockchain ouverte, publique, pourrait remplir toutes les fonctionnalités techniques des tiers de confiance concernant l'admission aux négociations, elle ne pourrait être compatible avec la législation existante concernant la responsabilité comme nous l'avons vu plus tôt. A contrario, une blockchain privée, utilisée par les tiers de confiance actuels, permettrait une application des DEEP aux marchés financiers, sans modification profonde de la réglementation. En effet, les teneurs de comptes-conservateurs peuvent faire appel à des tiers afin d'exécuter leurs obligations mais la responsabilité repose toujours sur eux109. Ainsi, les modalités techniques pourraient même être transférées à une legaltech utilisant la chaîne de blocs (à charge pour le tiers de confiance de s'assurer du respect de ses obligations). Ainsi, les modalités de conseil (qui constituent une plus-value non remplaçable par la technologie) et de vérification resteraient mis en oeuvre par les tiers de confiance traditionnels. Une reconnaissance juridique de l'inscription en compte pour les titres cotés, dans une blockchain privée serait donc un atout pour les marchés.

De plus d'autres variables convergent vers l'utilisation d'une chaîne de blocs privée. Dans une blockchain publique, la localisation des serveurs n'est pas contrôlable. Ils peuvent en effet être partout, et dès lors, l'application des règles d'un état est difficile. Personne ne contrôle la qualité et la sécurité du code de la blockchain, or une chaîne de blocs qui ne subirait aucun contrôle de son code par un acteur de confiance en vertu de règles définissant sa responsabilité et ses pouvoirs, est potentiellement très vulnérable, comme a pu l'illustrer le cas The DAO. Egalement, l'identité des participants étant inconnue, toute responsabilité n'est pas envisageable en cas de comportement frauduleux à l'intérieur de la blockchain et il ne semble pas possible d'imposer des normes législatives. Or la question de la sécurité est majeure pour les marchés réglementés, et une absence de contrôle sur les différents acteurs est difficilement envisageable.

Le comité des paiements et des infrastructures de marchés de la Banque des règlements internationaux a publié, en février 2017, un rapport analytique indiquant qu'une blockchain privée pourrait être inclue dans le système juridique actuel110. Les créateurs et les premiers acteurs de la blockchain voulaient en faire une technologie disruptive utilisant le consensus pour se passer des tiers de confiance, or finalement, ce sont ces tiers de confiance qui utilisent cette technologie, en la modulant. Le choix d'une blockchain privée est considéré par de nombreux auteurs111 comme

108 AFG, « Réponse de l'AFG à la consultation publique »

109 RG AMF, art 322-35

110 CPMI, « Distributed ledger technology in payment, clearing and settlement », p.9

111F. G'SELL, « Projet d'ordonnance relative à l'utilisation de la technologie blockchain pour la transmission de certains titres financiers - Une avancée réelle, des précisions attendues », JCPG n° 41, 9 oct 2017, 1046 ; Dominique LEGEAIS, Jurisclasseur commercial

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s'éloignant de l'idéal de la blockchain qui n'est pas utilisée dans sa forme initiale112. Elle semble également contraire à l'idée de Satoshi Nakamoto qui indiquait que « les principaux bénéfices sont perdus si un tiers de confiance est encore nécessaire113. »

Ce qui fait la différence entre une chaîne de blocs et une base de donnée conventionnelle est la structure distribuée, c'est-à-dire l'inscription des données dans des locations multiples. Cela les rend plus robustes car elles ne sont pas vulnérables en cas de défaillance du serveur central. De plus, une blockchain privée est moins sécurisée. En effet, la fiabilité d'une blockchain repose en grande partie sur un nombre élevé de noeuds. Plus une blockchain comprend un nombre important de noeuds, moins elle sera falsifiable114. Pour falsifier la blockchain, un usager devrait pouvoir valider les nouvelles transactions plus rapidement que le tout le reste du réseau. Dès lors plus un réseau est grand, plus il devient difficile voire impossible d'atteindre la capacité nécessaire à ces fins. D'autant que comme le relève la BCE, puisque la validation d'une transaction est rémunérée, il serait même non rentable de falsifier la blockchain si cette capacité de calcul était atteinte, il serait en effet plus rentable de recevoir la rémunération liée à la bonne validation d'une transaction115.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault