B- ...ENTRE UNIVERSEL ET LOCAL
Les disquaires font aussi cohabiter le monde et la
région, confirmant au passage l'adage suivant lequel « L'universel
c'est le local moins les murs ». Que l'on adopte une approche
géographique (origine de la musique, de l'artiste qui la compose ou de
la production), que l'on opte pour une approche culturelle (appartenance
identitaire, expression spécifique) ou linguistique, stylistique,
artistique, ou autre, on est tenu de constater qu'aucune d'elle n'est
pleinement satisfaisante.
L'univers de Musiques du Monde donne lieu à un «
fourre-tout pratique ». Ce que Denis Constant Martin, chercheur à
la fondation Nationale des Sciences Politiques appelle « Le grand
bazar de la rencontre des cultures au supermarché de l'exotisme ».
Qu'il soit curieux, initié ou candide, l'acheteur de
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CD, le spectateur d'un concert, s'oriente spontanément
dans ce fourre-tout qui finira par déterminer son appréhension et
son rapport avec la « sono mondiale »
Aujourd'hui, « l'homme de la rue » se fait une
idée bien large du champ des Musiques du Monde. Les acteurs et
observateurs des Musiques du Monde ne réussissent pas eux-mêmes
à accorder leurs violons sur le partage des frontières. Le champ
étant si large, riche et diversifié à l'image du monde
lui-même, qu'il ne saurait constituer un ensemble homogène.
Schématiquement, les partisans de l'authenticité défendent
une vision puriste-forcement réductrice-des Musiques du Monde.
Ils les veulent sans altération et sous un masque qui
les protège de la pollution commerciale. D'autres militent pour une
vision plus large, ouverte et libérale. Ces deux logiques ne manquent
pas de légitimité. Mais dès lors qu'il s'agit des musiques
qui par excellence véhiculent les valeurs d'ouverture, d'écoute,
de tolérance et de respect de l'autre, toute discrimination nous semble
contrenature.
C'est-à-dire que nous devons nous situer à
l'opposé des intégrismes quels qu'ils soient, y compris ceux de
certains acteurs qui revendiquent « la pureté absolue et originelle
», hors de toute altération ou déviation mercantile.
L'authenticité complète, totale, existe-t-elle ?
A cette question, des experts et professionnels réunis en colloque en
Mai 98 à l'Institut du Monde Arabe à l'initiative de Zone
franche, avaient répondu avec fermeté par la négative.
Pour eux, « toutes les musiques ont
évolué avec certes plus ou moins de bonheur, et l'on ne saurait
occulter les influences multiples qui sont venus les enrichir, comme
elles-mêmes ont enrichi d'autres musiques » (*)
(*) Actes du colloque tenu à l'Institut du
Monde Arabe en Mai 98 à Paris à l'initiative de ZONE
FRANCHE.
Il nous paraît donc inévitable de
considérer le champ des musiques du monde dans son
périmètre le plus large. Cette délimitation faite, il
convient de
distinguer à l'intérieur de cet espace, la
spécificité des diverses musiques qui la composent et la prise en
compte que chacune d'elle nécessite. Car il va sans dire que Linda LEWAY
citée plus haut, la Lambada, le groupe corse I MUVRINI et autres coups
exotiques portant la marque World Music comme on marquerait « bio »
sur un hamburger de chez Mc DO, disposent de moyens économiques et
médiatiques considérables. Ils n'ont besoin d'aucun soutien
supplémentaire. Les campagnes de communication éblouissantes dont
ils bénéficient affectent la « visibilité »,
menacent et fragilisent d'ailleurs les autres productions avec lesquelles ils
cohabitent. Pour certaines de ces dernières, il y'a même de la
sauvegarde du patrimoine musical de l'humanité, du respect et de la
préservation de sa diversité. Les Musiques du Monde ont au moins
le mérite de développer la curiosité, l'ouverture
intellectuelle et le besoin d'échanges. Dans ce contexte, il convient de
relativiser la question du public des Musiques du Monde telle que
l'appréhendent les spécialistes du marketing.
Peut-on objectivement définir le profil des amateurs de
world. Existe-t-il un ou des profils ? Doit-on, comme l'estiment certains,
réduire ce public à une élite, seule apte à baigner
dans ces musiques « étranges » venues d'ailleurs ? Les
musiques du monde sont-elles accessibles au plus grand nombre ? Et si l'on
considéré le champ de Musiques du Monde dans son
périmètre le plus large, pourrait-on encore trouver un
dénominateur commun à tous les amateurs de ces musiques ?
Le public est d'autant plus difficile à cerner qu'il
est aujourd'hui volatile, « zappeur ». C'est le règne de la
« génération télécommande », peuple
nomade qui passe d'un genre musical à l'autre, selon ses envies du
moment.
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