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Le régime de l'immigration irrégulière par voie maritime en droit international public


par Mariette Amandine Fleur GNAMBA
Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d'Ivoire) - Master 2 Spécialité Droit public 2017
  

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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Cette première partie a exploré les différentes règles de droit international s'appliquant aux États sur leurs obligations envers les migrants clandestins en matière de sauvetage et de droits de l'Homme. Elles sont nombreuses mais chacune d'elle doit être respectée, à défaut l'État engage sa responsabilité internationale.

Cependant, devant ces règles bien établies, force est de constater que leur application est très difficile dans les faits en raison notamment des pratiques étatiques qui ne respectent pas les instruments précédemment développés auxquels pourtant ils sont parties.

Ces insuffisances mettent à mal l'efficacité du droit international public en la matière.

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DEUXIÈME PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE INSUFFISANT

Le droit international en vigueur précédemment évoqué supra fait face malheureusement à plusieurs insuffisances externes et même internes. Les États sensés remplir les obligations par eux-mêmes souscrites essaient par tous les moyens de s'en libérer à travers des politiques sécuritaires qui mettent les droits de l'Homme au second plan. La mise en oeuvre du droit en est donc compromise (Chapitre 1). Mais le droit lui-même n'est pas exempt de plusieurs tares qui rendent difficile son application concrète. Mais ce droit est perfectible (Chapitre 2).

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CHAPITRE 1. UNE MISE EN OEUVRE COMPROMISE EN

PRATIQUE

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le monde est ébranlé par la menace terroriste. Cette menace invisible a servi, pour rassurer les populations, à ériger l'étranger en menace et servi à justifier un régime juridique répressif à l'égard de l'immigration. Ces manipulations politiques ont des conséquences directes sur les droits des migrants y compris le droit universel garanti de quitter tout pays y compris le sien. À cet égard, les pratiques étatiques sont variées et multiples mais tendent au même but : celui de combattre l'immigration irrégulière (Section 1). Mais le phénomène récent le plus inquiétant pour les libertés est l'externalisation des politiques migratoires en particulier, pour notre étude, au Maghreb (Section 2).

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SECTION 1. DES PRATIQUES ÉTATIQUES CRIMINALISANT LA MIGRATION

L'immigration irrégulière est devenue dans le discours politique une menace à l'ordre public214. Cette vision a entraîné l'adoption de mesures de sécurisation. Les exemples étudiés dans cette partie sont l'Union Européenne, un exemple flagrant de coopération multilatérale (Paragraphe 1) et l'Australie qui a adopté une politique unique de refoulement systématique : la « solution du Pacifique » (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Une coopération multilatérale pour la régulation de l'immigration : l'exemple de l'Union Européenne

L'Union européenne est un organe continental a mis sur pied tout une organisation juridique normative et institutionnelle pour lutter contre l'immigration irrégulière. La gestion intégrée des frontières est un pilier de la construction européenne (A). Frontex est l'un des visages institutionnels marquants de cette politique (B).

A. La politique communautaire sur l'immigration irrégulière : de la libre circulation à la gestion intégrée des frontières extérieures215

L'histoire de la gestion intégrée des frontières extérieures fait suite aux institutions de Schengen et de leur principale nouveauté, c'est-à-dire, la suppression des frontières entre les États de la zone Schengen, créant ainsi un espace de circulation unique au monde sans frontières. La frontière s'est alors déplacée de l'État vers l'extérieur de l'Union pour créer une frontière européenne commune216.

Cette idée s'est développée à partir du Conseil européen de Tampere de 1999. Mais le concept est véritablement introduit avec le Conseil de Laeken de 2001. Le Conseil de Séville de 2002 adopte un plan d'action pour des objectifs législatifs et opérationnels. Il contient plusieurs thèmes relatifs à l'immigration irrégulière.

214 Catherine WIHTOL DE WENDEN, « Les flux migratoires légaux et illégaux », Ceriscope Frontières, Sciences Po - CERI, (2011), p. 4.

215 Denis DUEZ, « La sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne : enjeux et dispositifs », Sécurité globale, (Printemps 2012), p. 65.

216 Idil ATAK, « La coopération policière pour la lutte contre la migration irrégulière au sein de l'Union européenne », Revue générale de droit, vol. 36. Number 3 (2006), p. 462.

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Le Sommet de la Haye de 2004 met l'accent sur la coopération policière217. Cette vision sécuritaire de la migration fait suite aux évènements du 11 septembre 2001 et tendent au « renforcement de la coopération contre l'immigration clandestine »218.

Les accords de réadmission constituent l'un des plus anciens instruments de la politique migratoire de l'UE. Ils peuvent se définir comme « des actes par lesquels les États signataires s'engagent à réadmettre sur leur territoire leurs ressortissants qui sont interpellés alors qu'ils se trouvent en situation irrégulière sur le territoire d'un autre État, mais aussi d'autres étrangers qui ne sont pas leurs ressortissants mais qui ont transité par leur sol avant d'être interpellés dans l'autre État »219.

Les accords de réadmission ont évolués d'accords bilatéraux à des accords communautaires qui sont donc intégrés à l'UE. Ces accords étaient initialement signés dans les années 1960 entre deux États de manière bilatérale. Le traité de Maastricht instituant l'Union européenne, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993, a introduit les « trois piliers » de l'UE : les Communautés européennes, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (JAI). Les questions d'immigration sont alors au centre de la politique européenne. L'article 63.3 (b) du Traité instituant la Communauté européenne (TCE) donne compétence au Conseil Européen pour prendre des décisions concernant l'« immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ».

Ces accords n'offrent cependant aucune garantie aux personnes concernées de voir leurs droits respectés. Les accords de réadmission signés avec les pays-tiers posent le problème de la protection des droits de l'Homme220. Les partenariats avec les pays africains en particulier sont basés sur une « conditionnalité à sens unique »221 qui consiste à réadmettre les migrants dans

217 Catherine WIHTOL DE WENDEN, « L'Europe, un continent d'immigration malgré lui », Strates [En ligne], vol. 15. (2008), p. 7.

218 P. BERTHELET, « L'impact des événements du 11 septembre sur la création de l'espace de liberté, de sécurité, et de justice », Culture et Conflits, no 46 (2002). ; cité par Idil ATAK, « La coopération policière pour la lutte contre la migration irrégulière au sein de l'Union européenne », loc. cit., p. 463.

219 Claudia CHARLES, Accords de réadmission et respect des droits de l'Homme dans les pays tiers, Bilan et perspectives pour le Parlement européen, Sous-commission des Droits de l'Homme du Parlement européen, 2007, p. 7.

220 Zoé LEJEUNE, Sécurisation, externalisation et virtualisation dans l'espace européen: Mutations des frontières et de la sécurité. Le programme Eurosur, Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Master en Etudes européennes, Université de Liège-Faculté de Droit Département de Sciences Politiques, 2008, p. 48.

221 Matthieu TARDIS, « L'UE est-elle prête pour les prochains défis migratoires? », politique étrangère, no 3 (2019), p. 7.

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les États contractants. Il a ainsi été mis en place un Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique en échange de cette coopération au Sommet de La Valette en 2015.

Cette politique d'accords de réadmission a évolué ensuite vers une « politique d'externalisation » ce qui signifie que l'UE sous-traite le contrôle de ses frontières à des pays tiers et leur impose une responsabilité dans la gestion de la migration en contrepartie d'aides222. L'externalisation est un terme emprunté aux économistes qui la définissent comme « le recours à un prestataire ou à un fournisseur externe, pour une activité qui était jusqu'alors réalisée au sein de l'entreprise », celle-ci étant généralement assortie d'un « transfert de ressources matérielles ou humaines vers le prestataire choisi »223. Ce terme économique créé dans les années 1990 désigne une organisation du travail où chaque prestataire se concentre sur ses compétences propres et qui se base sur la sous-traitance224. Elle a pour but latent de neutraliser les salariés organisés, brouiller la chaîne hiérarchique et les responsabilités qui en découlent.

La logique de l'externalisation dans les politiques d'asile consiste en 4 points selon Emmanuel Blanchard. En premier lieu, la délocalisation qui consiste à contrôler les frontières dans les pays de départ. Ensuite sous-traiter aux États la responsabilité de la surveillance des frontières. En troisième lieu, privatiser la surveillance des frontières en imposant des sanctions aux transporteurs par qui les migrants irréguliers atteignent les États européens. Enfin, toutes ces étapes mènent à une déresponsabilisation qui rend impossible la détermination des normes applicables et des instances responsables225. Les normes les plus élémentaires en matière de droits fondamentaux sont remises en cause par ces politiques.

La politique d'externalisation de la politique migratoire européenne a atteint le summum de sa consécration avec l'accord de 2016 avec la Turquie. Cet accord consiste à déléguer le contrôle des frontières européennes à la Turquie. Il peut être résumé ainsi : toutes les personnes qui traversent illégalement la Turquie vers la Grèce après mars 2016 et qui n'ont pas besoin de protection internationale seront refoulées vers la Turquie qui est un pays sûr. En échange, l'UE

222 Pauline DELESTINNE, « Quel impact de l'externalisation de la politique migratoire européenne sur le respect des droits de l'Homme dans les pays-tiers? L'exemple de la Turquie, de la Lybie et du Maroc. », EULogos Athena (en ligne), (février 2020).

223 Cédric AUDEBERT et Nelly ROBIN, « L'externalisation des frontières des « Nords » dans les eaux des « Suds ». L'exemple des dispositifs frontaliers américains et européens visant au contrôle de l'émigration caribéenne et subsaharienne », Cultures & Conflits, n°73 (printemps 2009), p. 36.

224 Emmanuel BLANCHARD, « Externaliser pour contourner le droit », Revue Projet, n° 308 (2009), p. 63.

225 Ibid., p. 64.

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fournit 6 milliards d'euros à la Turquie226. C'est le mécanisme du « un contre un » : pour un migrant renvoyé en Turquie, un migrant de Turquie est réinstallé en Europe227. Cet accord vient de la volonté d'éviter que les migrants et réfugiés venant de Syrie et des pays voisins qui se sont installés en Turquie aspirent à franchir les frontières de l'UE.

Un pays est dit sûr s'il remplit les conditions suivantes :

· La vie et la liberté du concerné n'est pas en danger ;

· Le pays en question respecte le principe de non refoulement ;

· Le concerné n'a pas de risques d'être en danger ;

· Les droits de l'Homme sont respectés par le pays ;

· Il y a possibilité d'obtenir le statut de réfugiés ;

· Le concerné a un lien avec le pays en question228.

Or la Turquie n'est pas un pays sûr selon les ONG qui dénoncent régulièrement des refoulements systématiques229. Catherine Teule dénonce un « troc indigne »230. Cet accord a été reconduit en février 2020 pour une durée de trois ans supplémentaires sans aucun amendement231.

Le mécanisme du pays tiers sûr est un autre mécanisme juridique européen qui consiste à choisir un pays tiers considéré comme sûr par les standards de ce mécanisme juridique. Il est régi par la Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres232. Cette directive identifie trois types de pays sûrs que sont le « pays d'origine sûr », le « pays tiers sûr » et le « premier pays d'asile ».

226 Pauline DELESTINNE, « Quel impact de l'externalisation de la politique migratoire européenne sur le respect des droits de l'Homme dans les pays-tiers? L'exemple de la Turquie, de la Lybie et du Maroc. », loc. cit.

227 Georges DALLEMAGNE, Antoine DE BORMAN et Eugenia BARDARO, Pour une refondation des politiques d'asile et de migration. Une réponse globale, une approche différenciée, Cepess, 2018, p. 53.

228 Mariana GKLIATI, « The EU-Turkey Deal and the Safe Third Country Concept before the Greek Asylum Appeals Committees », Journal for Critical Migration and Border Regime Studies, vol. Vol. 3. Issue 2 (2017), p. 215.

229 Catherine TEULE, « «Accord» UE-Turquie : le troc indigne », Plein droit, n° 114 (octobre 2017), p. 25.

230 Ibid., p. 24.

231 Théo BURATTI, Externalisation des frontières de l'union européenne. Enjeux et perspectives, POUR LA SOLIDARITÉ-PLS, 2020, p. 11.

232 Directive 2005/85/CE du Conseil Européen relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, 2005.

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D'abord, le « pays d'origine sûr ». L'annexe II de la directive définit la méthode pour qualifier un pays de « pays d'origine sûr ». Il convient notamment de tenir compte des lois nationales de protection contre la persécution et les mauvais traitements et de leur mise en oeuvre, de la manière dont sont respectées les normes fondamentales relatives aux droits de l'homme telles que contenues par les principales conventions internationales, ou encore de l'existence d'un système de sanctions efficaces contre les violations de ces droits.

Ensuite, le « pays tiers sûr». Au sens de l'article 27, il s'agit d'un pays tiers dans lequel les autorités compétentes ont acquis la certitude que le demandeur sera traité conformément à un certain nombre de principes définis à l'alinéa 1. L'alinéa 2 précise que l'application de la notion de pays tiers sur est subordonnée aux règles fixées dans le droit national.

Enfin, le terme « premier pays d'asile » désigne, au sens de l'art.26, un pays dans lequel le demandeur d'asile s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié et peut encore se prévaloir de cette protection, ou dans lequel il jouit à un autre titre d'une protection suffisante, y compris du bénéfice du principe de non -refoulement. Le demandeur doit en outre pouvoir être réadmis dans ce pays.

Ces pratiques instaurent, selon Samir Ben Hadid, « un traitement différencié de la demande d'asile suivant la provenance géographique des demandeurs »233.

Les systèmes d'informations personnelles sur les migrants en Europe sont le dernier instrument moderne de la stratégie européenne. Il s'agit du SIS (Système d'information Schengen), d'Eurodac (Système d'enregistrement dactylographique des demandeurs d'asile), du VIS (Système d'information sur les visas), du CIS (Customs Information System). Le SIS a été créé en 1990 et est l'une des plus grandes bases de données pour le contrôle de l'immigration en Europe. Le VIS contient toutes les informations sur tous les visas émis. Quant à l'Eurodac, il contient les empreintes digitales de tous les demandeurs d'asile pour faciliter l'application de la Convention de Dublin sur les demandes d'asile dans l'Union Européenne234. Cette convention a pour objet de déterminer l'État-membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. Elle est basée sur la présomption que chaque État de l'Union possède les mêmes

233 Samir BEN HADID, Le statut des étrangers dans le droit de l'Union européenne, Thèse en droit, Université Nice Sophia Antipolis, 2014, p. 175.

234 Convention de Dublin sur la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile

du 15 juin 1990, ,
http://www.cvce.eu/obj/convention_de_dublin_sur_la_determination_de_l_etat_responsable_de_l_examen_d_un e_dema nde_d_asile_15_juin_1990-fr-8299847c-3aff-426c-a990-675774627e5a.html.

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instruments et les mêmes garanties pour que les demandeurs d'asile voient leur demande examinée dans les mêmes conditions235. Cependant, cette responsabilité pèse surtout sur les États du Sud de l'Europe, qui sont la principale porte d'entrée maritime pour les migrants236. Il s'agit de la politique dite du « one stop, one shop»237.

Le plus grand instrument concret de cette politique est toutefois Frontex, organe ambigu qui concentre le plus de critiques.

B. Étude d'un organe régional intégré : l'agence de garde-côtes et de garde-frontières Frontex

L'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures ou « Frontex »238, a été formalisée en 2002, proposée en 2003, créée par règlement de l'Union européenne en 2004 CE n° 2007/2004 du Conseil européen du 26 octobre 2004239 et est entrée en fonction le 3 octobre 2005240. Il s'agit d'une agence comprise dans un « système européen de gestion des frontières ». C'est un organisme doté de la personnalité juridique distincte de celle de l'Union européenne241. Son rôle principal est d'assurer la coordination des activités menées par les États membres, d'assurer une répartition plus équitable des charges entre les États en matière de contrôle frontalier et de formation des garde-frontières. Elle est également chargée de l'analyse des risques, c'est-à-dire de surveiller les mouvements de migrants. Frontex est passée à sa création en 2004 d'un simple rôle de coordination à une Agence européenne des gardes-frontières et des gardes côtes en 2016, soit un acteur à part entière dans la gestion des frontières de l'Union européenne242.

235 Maria-Teresa GIL-BAZO, « The Safe Third Country Concept in International Agreements on Refugee Protection: Assessing State Practice », Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. Vol. 33/1. (2015), p. 66.

236 Michelle FOSTER, « Responsibility Sharing or Shifting? «Safe» Third Countries and International Law », Refuge: Canada's Periodical on Refugees, vol. 25. Number 2 (2008), p. 65.

237 Catherine WIHTOL DE WENDEN, « L'Europe, un continent d'immigration malgré lui », loc. cit., p. 7.

238 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la migration transfrontière, op. cit.

239 Benoît GRÉMARE, L'agence Frontex et la marine nationale, op. cit., p. 10.

240 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe: un enjeu sécuritaire. Causes et conséquences des politiques migratoires européennes sur les migrants, op. cit., p. 30.

241 Benoît GRÉMARE, L'agence Frontex et la marine nationale, op. cit., p. 15, 59.

242 Annabelle KARGL, FRONTEX, symbole d'une gestion des frontières européennes en évolution, Comité Europe - ANAJ-IHEDN, 2018, p.1.

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Comparée à une armée243, institution dont le silence est la caractéristique centrale, l'Agence concentre toutes les critiques des défenseurs des droits de l'Homme qui s'interrogent sur sa nature réelle et son degré de responsabilité pour les violations des droits des migrants lors de ses opérations.

Son règlement créateur de 2004 a été modifié en, 2007244, en 2011245, en 2016246 et enfin en 2019247.

L'agence a une personnalité indépendante pour les fonctions techniques248.

La détection d'une embarcation impose aux États l'obligation de porter secours au navire en détresse. Les zones de recherche et de sauvetage sont de la responsabilité unique des États249. L'activité de l'Agence ne remet pas en cause la compétence des États de l'UE dans la surveillance et le contrôle des frontières extérieures250. En clair, la responsabilité du contrôle et de la surveillance des frontières extérieures est du ressort exclusif des États-membres. Frontex ne fait que coordonner ces différentes opérations251. La surveillance des frontières reste donc une mission souveraine252. Avec son nouveau mandat de 2016, Frontex a désormais le pouvoir d'organiser des opérations de retour conjointes de sa propre initiative.

Dès lors, quel est le rôle exact de Frontex ?

Les opérations de Frontex se sont multipliées au cours des années suivant sa création.

Les opérations Héra se sont déroulées en 2006, sous le commandement de l'Espagne aux îles Canaries pour la première du nom. Ensuite, Héra II en 2006 s'est tenue au Sénégal et en

243 Claire RODIER, « Frontex, la petite muette », Vacarme, N° 55 (2011), p. 38.

244 Règlement Parlement européen et Conseil de l'Union européenne, Règlement (CE) n° 863/2007, 2007.

245 RÈGLEMENT (UE) N o 1168/2011 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 octobre 2011 modifiant le règlement (CE) n o 2007/2004 du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, Tome L 304, 2011.

246 Règlement (UE) 2016/1624 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, 14 septembre 2016, 2016.

247 Parlement européen et Conseil de l'Union européenne, Règlement (UE) n° 2019/1896. Novembre 2019.

248 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe: un enjeu sécuritaire. Causes et conséquences des politiques migratoires européennes sur les migrants, op. cit., p. 30.

249 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la migration transfrontière, op. cit., p. 180.

250 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe: un enjeu sécuritaire. Causes et conséquences des politiques migratoires européennes sur les migrants, op. cit., p. 30.

251 Jasmine COPPENS, Migrants at Sea A Legal Analysis of a Maritime Safety and Security Problem, Dissertation presented to the Faculty of Law of Ghent University in order to obtain the degree Doctor of Law, Ghent, Ghent University, 2012, p. 211.

252 Claire GATINOIS. « Frontex, cache-misère de la faiblesse de la politique migratoire européenne », Le Monde (27 octobre 2013).

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Mauritanie. Les deux dernières sont respectivement Héra III en 2007 et Héra 2008 en 2008. Les opérations Nautilus en 2006, 2007 et 2008 concernent une opération conjointe entre Malte et l'Italie. Poséidon quant à lui s'est déroulé entre 2006 et 2007. Il s'agit d'une coopération entre la Grèce, la Turquie, l'Albanie et la Bulgarie253.

Les opérations Héra de 2006 avaient pour but d'empêcher les embarcations venant des côtes mauritaniennes et sénégalaises254. Ces opérations sont une entrave grave au droit de quitter tout pays y compris le sien255 qui est garanti par l'article 13.2 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 et l'article 12.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'article de la DUDH dispose que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Le PIDCP reprend presque dans les mêmes termes, « Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien ».

Ces opérations s'apparentent plutôt au premier abord à l'interception. Or elle est contraire au droit de la mer et au principe de non refoulement256.

L'interception peut se définir comme toute mesure prise par un État en dehors de son territoire national, dans le but de prévenir, interrompre et arrêter un convoi de personnes sans les documents requis pour traverser les frontières terrestres, aériennes et maritimes, et d'atteindre leur destination prévue257. Cette définition renforce le caractère extraterritorial de l'interception. C'est une définition proposée par le Haut-commissariat aux réfugiés en 2000.

En 2003, le même organisme propose une autre définition. « L'une des mesures prises par les États pour :

i. Prévenir l'embarquement de personnes pour un voyage international ;

ii. Empêcher que le voyage qui a débuté continue ;

253 Anneliese BALDACCINI, « Extraterritorial Border Controls in the EU: The Role of Frontex in Operations at Sea » dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 238.

254 LES VERTS /ALE (PARLEMENT EUROPÉEN), Agence Frontex : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de son mandat, 2010,

p. 10.

255 Ibid., p. 10.

256 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and humanitarianism at sea », loc. cit., p.12.

257 Efthymios PAPASTAVRIDIS, « Interception of Human Beings on the High Seas: A Contemporary Analysis under International Law », Syracuse Journal of International Law and Commerce, no 36 (2009 2008), p. 2. ; Barbara MILTNER, « Irregular Maritime Migration: Refugee Protection Issues in Rescue and Interception », loc. cit., p. 7.

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iii. Contrôler les navires dont on a des raisons sérieuses de croire qu'ils transportent

des personnes en violation du droit international et national ».

Cette définition efface toute mention d'extraterritorialité et augmente ainsi la portée de l'interception, fait une différence claire entre l'interception et le sauvetage, mais en même temps brouille la distinction entre ces deux termes en suggérant que l'interception protège aussi la vie des migrants258. En clair, l'interception est constituée de mesures physiques prises de manière extraterritoriale pour éviter l'entrée de migrants non désirés sur le territoire national.

Es-ce que l'article 110 de la convention de Montego Bay peut fournir une base légale à l'interception d'êtres humains ? Le fait de transporter des migrants clandestins en haute-mer n'est pas un crime international en soi. Ces personnes ne peuvent être arrêtées que si elles sont entrées dans la zone territoriale ou la zone contiguë de l'État côtier en violant ses lois sur l'immigration. Si les personnes ont une nationalité, elles ont droit à la protection de leur État de nationalité indépendamment du fait qu'elles se trouvaient sur un navire sans nationalité. L'article 11 (1) (b) de la convention de Montego Bay peut être une base légale valable pour le droit de visite auprès de navires en haute-mer qui sont susceptibles de transporter des esclaves. Il peut donc, sous certains aspects, être un fondement légal pour l'interception d'êtres humains en haute-mer259.

L'interception de migrants ne viole pas en soi le principe de non refoulement. Ce principe, en effet, n'inclut pas l'obligation d'admettre les migrants dans un pays. Le droit international humanitaire fait une distinction entre le devoir de ne pas exposer les migrants à des risques sécuritaires et leur droit de demander l'asile. Le premier devoir est une obligation et le second relève des prérogatives souveraines des États. Ce n'est pas aux personnes secourues de choisir le port de destination260.

La migration est, cependant entravée dans la pratique par Frontex. Ses interceptions sont en principe limitées à la répression du trafic de migrants, mais elles ont été étendues à la prévention de la migration irrégulière261. L'interception pour sauver des vies a laissé place à

258 Barbara MILTNER, « Irregular Maritime Migration: Refugee Protection Issues in Rescue and Interception », loc. cit.

259 Efthymios PAPASTAVRIDIS, « Interception of Human Beings on the High Seas: A Contemporary Analysis under International Law », loc. cit., p. 20.

260 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat people under search and rescue and border control operations with reference to recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in the Hirsi case », The Journal of International maritime law, no 18 (2012), p. 6.

261 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la migration transfrontière, op. cit., p. 157.

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l'interception utilisée pour empêcher des personnes d'entrer dans les pays développés. Nombreuse de ses opérations ne se font pas dans le respect du droit international. Elles ne sont pas transparentes. Ainsi, le principe de non-refoulement n'est pas respecté parce que les personnes interceptées sont obligées de retourner vers le pays d'embarquement262.

La mission confiée à Frontex est ambiguë car il y a une conciliation difficile et compliquée entre le rôle de police aux frontières avec celui de secouriste263.

L'une des préoccupations importantes au plan juridique est la nature des accords que conclut Frontex avec les pays tiers. En effet, les règlements donnent une compétence juridique à Frontex pour signer des accords qui ne sont pas des traités internationaux264.

La médiatrice européenne a demandé le 14 novembre 2013 dans un communiqué de presse265, à Frontex « de mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes relatives à des violations des droits fondamentaux découlant de son activité ». En effet selon Frontex, les violations des droits de l'Homme relèvent exclusivement de la responsabilité de l'État-membre concerné. Ce qui pose un véritable problème juridique car l'Agence se trouve donc dans un vide juridique inquiétant. Vers qui les requérants devront donc se tourner pour obtenir réparation ? Frontex possède la personnalité juridique et est en même temps reliée et sous le contrôle des institutions de l'Union et des États-membres266. Elle peut signer des accords avec des États tiers et les dit accords ne tombent pas sous le régime des traités internationaux, ce sont des accords dits « techniques ».

En 2016, un nouveau règlement européen du 14 septembre 2016267 modifiant le règlement de 2004 créant Frontex a institué une « responsabilité partagée ». Avant ce règlement,

262 Efthymios PAPASTAVRIDIS, « `Fortress Europe' and FRONTEX: Within or Without International Law? », Nordic Journal of International Law, no 79 (2010), p. 75-111.

263 Claire GATINOIS, « Frontex, cache-misère de la faiblesse de la politique migratoire européenne », loc.

cit.

264 Claire RODIER, « Frontex, la petite muette », loc. cit., p. P. 39.

265 MÉDIATEUR EUROPÉEN. « La Médiatrice demande à Frontex de traiter les plaintes relatives aux violations des droits fondamentaux », Communiqué de presse n°17/2013 (14 novembre 2013).

266 LES VERTS /ALE (PARLEMENT EUROPÉEN), Agence Frontex : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? Étude sur l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de la refonte de son mandat, op. cit., p. 22.

267 « Règlement (UE) 2016/1624 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, 14 septembre 2016 », loc. cit.

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chaque État était responsable de l'opération qu'il requiert268. Il s'agissait d'une responsabilité purement étatique. Désormais, Frontex doit aussi répondre des dommages causés par ses opérations. Cependant que recouvre cette notion ambiguë de responsabilité partagée ? L'article 5 du règlement est celui qui l'institut, mais la ligne de responsabilité n'est pas aussi aisée à départager.

L'article 5 du règlement comporte un mécanisme de dépôt de plainte auprès d'un Officier aux droits fondamentaux, une réforme attendue par les détracteurs de Frontex. Néanmoins, cette procédure est qualifiée de « coquille vide »269 car cette responsabilité n'est encore qu'administrative. En effet, elle ne permet encore que de mener des enquêtes administratives qui conduisent éventuellement à une sanction administrative des agents concernés sans possibilité de réparation. Une autre auteure propose plutôt l'expression de « guichet »270 pour qualifier cette procédure qui donne un rôle de réception de plainte à l'officier des droits fondamentaux. Toujours est-il que ce mécanisme n'est pas l'évolution attendue pour faire respecter les droits de l'Homme des requérants en raison de la limite temporelle de 1 an maximum après les faits allégués.

L'Australie fait preuve d'une politique plus affirmée encore contre la migration irrégulière.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore