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Du patient objet au patient sujet.


par Marie Jutteau
IFSI des diaconesses - Université Paris Descartes - Diplôme d'état infirmier 2019
  

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III.2.2. Un patient humanisé par le respect de sa dignité grâce à la pratique soignante

Les enquêtes ont permis de connaître les représentations du corps et la considération du patient par les infirmiers dans leurs pratiques. Même si reconnaître la capacité de raisonner d'un individu et donc la faculté de consentir pourrait permettre d'humaniser le patient, les quatre infirmiers ont introduit d'autres concepts qui sembleraient nécessaires à l'humanisation du malade.

Ainsi l'IDE1 et l'IDE2 introduisent la notion de « pudeur » et d'« intimité ». En effet, l'IDE1 dit se représenter le corps du patient dans ses soins avec « beaucoup de pudeur [...] même si tu regardes un corps handicapé ou abîmé », il oppose cette manière de « regarder pudiquement » en écarquillant les yeux pour mimer un regard insistant. L'IDE2 complète cette notion en disant que face à un corps « désacralisé » dans le contexte de l'hôpital, il faut pour « chaque partie du corps faire preuve de pudeur » et « intimité ». Il est donc intéressant de définir le concept de pudeur pour comprendre le lien qu'il a avec le concept de l'intimité. La pudeur serait un trait de personnalité d'une personne que tout le monde n'aurait pas. Elle serait « une réaction émotive, assimilée à la vulnérabilité, timidité, retenue [...] qui tend à préserver ce que l'on a de plus secret, elle est alors de toute évidence une «naturelle autoprotection de l'intime«»1. De cette manière, selon le Larousse, le mot intimité se définit par « caractère de ce qui est intime, profond, intérieur ». Finalement la pudeur serait la manière dont une personne réagit ou non à un potentiel dévoilement d'intimité.

Martine Meder-Klein, sociologue, offre alors une définition plus élargie de l'intimité dite sociale qui peut s'inscrire dans le contexte hospitalier : « Partager une intimité sociale, c'est partager un territoire dans des distances et des espaces définis par les personnes, c'est consentir à l'intrusion de l'autre et c'est se mouvoir sous la protection du secret professionnel ». Cette approche est particulièrement intéressante car le professionnel doit, tout le long de sa prise en charge, trouver une juste distance avec son patient. On parle alors de la proxémie, cette réflexion sur la façon dont nous occupons l'espace pour ne pas empiéter la zone dite « intime » d'autrui. Ainsi, dans le cadre d'un soin, l'infirmier se voit partager l'intimité de son patient grâce à l'accord de ce dernier. Etant donné que cette distance spatiale varie notamment selon

1 LE MOAL, S.2007 (vol.30/ n°122), pages 215-221

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les cultures, l'âge et le sexe, il est nécessaire pour le soignant de l'évaluer pour chaque patient afin de la respecter et d'adapter sa pratique lors du soin.

L'IDE4 rappelle par la suite que « le corps du patient [...] est pas juste un objet de soin [...] mais c'est vraiment un être sensible » qui fait écho à ce qu'elle disait à propos du soin « tu ne viens pas parce que tu as des soins à faire, tu viens parce que tu veux prendre soin de la personne ». Cette approche se réfère au fondement du principe de dignité théorisé par Emmanuel Kant : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans celle de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais comme un moyen ». Par ces dires, Kant démontre qu'il s'agit de respecter la dignité de l'humanité chez chaque personne et non pas la dignité de chaque personne. Ainsi, le soignant doit respecter le patient comme une fin en soit, donc sa dignité humaine et jamais comme un objet de soin.

Le concept de dignité est alors directement lié à celui de la personne. Il renvoie au respect : le respect de soi et le respect d'autrui. Cette considération de la personne et donc d'autrui est aussi analysée par Hegel, philosophe allemand du XIXème siècle. Selon lui, « Je ne suis pas humain si je ne suis pas reconnu comme tel par autrui. Le secret de ma dignité se trouve dans le regard qu'autrui porte sur moi ».. Ce « regard » introduit par Hegel est particulièrement présent dans la pratique infirmière et c'est ce que les infirmiers révèlent dans leurs entretiens. L'IDE1 aborde l'outil de l'observation dans ses soins en énonçant qu' « il regarde pudiquement » et que son métier demande de « regarder tout le corps [...] dans sa globalité » afin de détecter le moindre problème et de s'assurer que le patient « est dans un bon environnement ». Il ajoute l'importance d'adopter un « oeil professionnel », un regard « sans jugement ». Tout comme l'IDE1, l'IDE3 confie que dans le cadre d'un soin, il « regarde un peu partout » pour vérifier que le corps ne soit pas abîmé ou altéré, cette observation est utilisée comme un outil préventif dans le soin. L'IDE2 révèle que, selon lui, « le regard soignant-patient » permet « d'avoir un contact un peu plus facile » avec ce dernier. Enfin ce « regard » qu'une personne porte sur autrui selon Hegel est très illustré par les dires de l'IDE4 lorsqu'elle explique l'image que renvoie l'infirmier lors d'un soin. En effet, d'après elle, la manière dont le soignant approche le patient renvoie un message sur le regard qu'il lui porterait. Elle conclut cette illustration en rappelant que le patient « est vraiment un être sensible que l'on doit vraiment prendre soin, en faisant attention, même [à la] façon de toucher ».

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Enfin, l'IDE2 ajoute à l'observation un nouvel outil pour considérer les patients, « la communication ». En effet, d'après lui, la communication complète l'observation pour connaître le degré d'autonomie de son patient. Il s'agirait donc de poser directement la question au patient pour connaître ses capacités. Ensuite l'infirmier ajoute l'importance de l'évaluation afin de s'assurer que le patient ait bien les capacités qu'il aurait énoncées, en fonction de cette évaluation, l'infirmier réajusterait alors sa pratique pour s'adapter au patient. L'IDE 3 rejoint cette idée selon laquelle « tout [serait] dans la communication » et ajoute que la solution contre cette déshumanisation du patient serait « l'écoute active ». Ce concept est théorisé par Carl Rogers, psychologue humaniste américain du XXème siècle, qui n'utilise pas l'expression d'« écoute active » mais plus celle de « relation d'aide ». Cette « écoute active » apparaît les années suivantes chez les auteurs post-rogériens. Ainsi, selon Rogers, « en relation d'aide de type non-directif [...] les techniques primordiales de l'aidant consistent à aider le client à reconnaître et comprendre plus clairement ses sentiments, ses attitudes et ses formes de réactions, et à l'encourager à en parler ». La technique de reformulation adoptée par l'aidant dans cette démarche est primordiale car elle permet au client de trouver « quelqu'un qui l'écoute et accepte ses sentiments, il devient peu à peu capable de s'écouter soi-même ». Philippe Kaeppelin, docteur en philosophie au XXème siècle énonce dans son ouvrage L'écoute que « l'écoute devient active avec la parole et la parole en devenant écoutante (c'est-à-dire questionnante, reformulante, encourageante, facilitante pour le locuteur) se fait entendre. [...] Ce qu'il est convenu d'appeler écoute active correspond en fait, à une écoute parlante ».1 De cette manière, nous comprenons mieux la nécessité de la communication et donc de « l'écoute parlante » dans le soin afin de savoir ce que pense et ce que ressent le patient au coeur de la prise en charge.

Pour finir, l'IDE4 a relevé un aspect important dans la considération du patient, c'est le rôle propre que doit adopter et pratiquer les infirmiers dans leurs soins. Dans un premier temps, elle souligne l'importance de « s'adapter » au patient c'est-à-dire vérifier si « c'est le bon moment » pour réaliser un soin, « s'il veut que tu reviennes dans 5 minutes », « si la personne est prête » afin d'ajuster « les soins au rythme du patient ». En effet, « il ne faut pas se substituer à ses capacités » mais il faudrait « toujours donner le temps, qu'il fasse ce qu'il peut faire » et donc « l'accompagner ».

1 SIMON, E (de), FORMARIER M. (sous la dir.), 2012, p.310-311.

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Par la suite, l'infirmière évoque le travail de stimulation et de motivation qu'elle effectue auprès des patients notamment grâce à la valorisation : « vraiment mettre une valeur sur les capacités d'opérer du patient et encourager, [...] faut toujours encourager, ça stimule et ça le motive, ça lui donne de l'importance, même s'il est malade et qu'il peut faire très peu de choses, il peut quand même en faire ». De la même manière, l'IDE2 fait référence à la considération de la personne par son autonomie en énonçant l'importance de «la solliciter progressivement ». Cette façon de travailler est finalement inscrite dans le Code de Déontologie des infirmiers du 25 novembre 2016. A l'article R. 4312-10, concernant les devoirs des infirmiers envers les patients, l'infirmier doit « consacrer le temps nécessaire en s'aidant, dans toute la mesure du possible, des méthodes scientifiques et professionnelles les mieux adaptées ». Tout comme dans le Code de la Santé Publique régissant les activités et les compétences de l'infirmier, l'article R.4311-2 énonce que l'IDE se doit « de protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale des personnes ou l'autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques en vue de favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion ». Enfin l'article 4311-3 rappelle que « relèvent du rôle propre de l'infirmier les soins liés aux fonctions d'entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d'autonomie d'une personne ou d'un groupe de personnes. ».

Pour finir, il semble nécessaire de relever les dires de l'IDE3 lorsqu'il parle des « habitudes » et des « automatismes » adoptés par les soignants qui conduiraient à l'instrumentalisation des patients. Selon une étude de Swanson1, les « automatismes » dans la pratique infirmière sont la conséquence d'un travail dans un milieu où l'approche du caring n'est pas implanté2. Rappelons que, selon la théoricienne Jean Watson, le caring est l'essence de la pratique infirmière et vise à promouvoir et préserver la dignité humaine.

Finalement, comme le suggère le devoir d'humanité de l'IDE envers le patient inscrit à l'article R-4312-3, le professionnel de santé se doit de respecter la vie humaine de son patient en respectant sa dignité et son intimité. Ainsi, ce respect de la pudeur, de l'intimité, de la dignité, de l'autonomie, notamment grâce à la communication, au regard soignant et à l'écoute active

1 Kristen Swanson, directeur de American Association Of Colleges Of Nursing

2 ST GERMAIN, D, BLAIS, R, CARA, C, 2008, p. 57-69.

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conduiraient à humaniser le patient. Cette démarche estimerait alors le patient comme une fin en soi et non comme un moyen.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote