Chapitre III : approche clinique.
1. Méthodologie.
Lors de mon expérience de terrain, j'assistais aux
entretiens psychologiques en tant qu'observatrice. Les cas qui sont
présentés pour cette recherche ont été
réalisés par la psychologue du service. Je me tenais en retrait
derrière le patient face à la psychologue et je prenais des
notes. La psychologue a des références freudiennes et travaille
uniquement à partir d'entretiens. Les entretiens ont une durée
d'une demi heure à trois quarts d'heure. La fin de la séance se
finissant par une question ou une observation sur laquelle le patient pourrait
réfléchir. Lors de l'entretien, le sujet parle et la psychologue
laisse libre court à ce flux de parole, en l'interrompant lorsque un
mot, une phrase ou une expression lui fait écho.
Pour ma part, je notais le discours du patient et les
interventions de la psychologue. Après chaque entretien, je discutais
avec la psychologue du sujet afin de définir sa structure psychique et
de l'évolution du discours dans le temps.
Les 4 cas cliniques présentés pour cette
recherche ont été diagnostiqués par le psychiatre comme
étant de personnalité hystérique. Les patients que suit la
psychologue ont été envoyés par le psychiatre pour un
diagnostic différentiel ou une orientation psychothérapeutique.
Les patients restant dans le service pour une courte durée, le nombre
d'entretiens n'est pas équivalent.
La présentation des cas cliniques se fera de la
façon suivante : où se fait l'hospitalisation, les raisons
de l'hospitalisation, la demande d'entretien psychologique, le nombre
d'entretiens. Puis, vient la description de la vie familiale et professionnelle
du patient et des relations qu'elle entretient avec son entourage.
En fonction du discours du patient, cette étude
s'attachera à expliquer la tentative de suicide et ses motivations. De
plus, elle permettra de mettre en lumière les traits hystériques
de la personne et de décrire ses attitudes dans le service et lors des
entretiens.
Je finirai par mettre en lien les quatre cas et les
confronter à mon hypothèse qui est que chez les patients de
personnalité hystérique, la perte de l'objet induirait une
« blessure narcissique » dont une des manifestations serait
la tentative de suicide.
2. Présentation des cas cliniques.
Madame C.
Après sa troisième tentative de suicide (par
absorption médicamenteuse et phlébotomie) ayant
entraîné 5 jours en réanimation, Madame C. a
été hospitalisée en service libre. C'est à la
demande du psychiatre que la psychologue la prend en charge pour rechercher les
symptômes à mettre en lien avec la tentative de suicide et pour
connaître la structure de la patiente.
Madame C. est une femme de 52 ans qui est soignée et
fait attention a son apparence Elle se décrit comme quelqu'un de
toujours bien habillée « Ce n'est pas parce qu'on est
dépressive qu'on doit se laisser aller ». Elle a une posture
statique et rigide. Elle présente une labilité des affects qui la
fait passer lors de l'entretien du rire aux larmes. Elle relate des histoires
plaquées qui manquent d'authenticité. Au cours des rencontres
suivantes, son discours semble répété. Ses propos sont
ambivalents en particulier sur son désir de vouloir rester à
l'hôpital et de rentrer dans son appartement. Dans le service, lorsque un
soignant passe, elle théâtralise le fait qu'elle aille mal pour ne
pas être sortante. « Je ne veux pas sortir. Le psychiatre veut
me faire sortir de l'hôpital parce qu'il m'a vue rigoler avec d'autres
patients. »
Elle a une relation conflictuelle et de rivalité avec
sa mère et ses soeurs. Elle se pose la question du désir et
d'être désirée puisqu'elle était la quatrième
de cinq enfants et que sa mère lui aurait confié qu'elle n'aurait
pas eu tant d'enfants si elle avait connu la pilule. Elle se plaint de ne pas
avoir reçu d'affection de la part de sa mère et de se sentir
comme le « vilain petit canard de la famille ». Madame C.
reproche à sa mère une absence de la transmission de la
féminité puisque sa mère critique la coquetterie de sa
fille qu'elle associe à un des trait de caractère de sa
grand-mère : « le mauvais côté ».
De plus, elle lui reproche le fait de ne pas avoir pris la place qu'une femme
devrait prendre dans un couple c'est-à-dire le fait de s'occuper et
d'être présente auprès du mari. « Maman aurait pu
prendre le temps de venir avec nous le dimanche voir les matches de
rugby ». Elle idolâtrait son père même s'il
était autoritaire. « Il était fier d'avoir des filles.
Il nous prenait partout avec lui. » Depuis la mort de celui-ci, elle
le défend contre sa mère qui accuse son mari d'adultère et
de l'avoir laissée seule pour jouer au cartes avec ses amis.
Aujourd'hui, elle est divorcée depuis 9 ans. Elle vit
seule, mais son ex mari est resté très présent dans sa vie
et il vient lui rendre visite 2 à 3 fois par semaine. Cependant, lors
des entretiens elle se plaint de cette situation qui s'est
dégradée depuis qu'elle entretient une relation avec un ami
intime avec qui elle n'arrive pas à se résoudre
d'emménager. Elle a 2 enfants de son mariage. L'aîné vit
à 30 minutes de chez elle. Le cadet est parti travailler dans les
îles 3 semaines avant qu'elle soit hospitalisée. Elle se sent
seule et inutile depuis qu'ils sont partis. « J'ai l'impression de ne
plus être utile quand mes enfants grandissent. La maison est comme ils
l'ont laissée. » La relation avec ses enfants est centrale
dans sa vie au détriment de sa vie amoureuse. Lorsqu'elle a
rencontré son ami elle lui a signalé qu'ils étaient trois,
« donc soit tu nous prends tous les trois ou tu nous
laisses. ». Son ex-mari et son ami lui font le reproche de vivre plus
pour ses enfants que d'être une femme, mais pour elle, « une
maman, c'est une maman. ». Elle fait part alors de sa
frigidité et de sa difficulté de prendre sa place en tant que
femme dans un couple.
Elle a déjà fait trois tentatives de suicide.
La première était lorsqu'elle avait 17 ans, ses parents lui
avaient interdit de revoir un garçon. Elle avait donc attenté
à ses jours après la perte de cet objet d'amour. La
deuxième fit suite à un réveillon qui s'est mal
passé avec sa famille. Elle a alors absorbé des cachets.
Après un cours temps aux urgences, elle a été
renvoyée chez elle, seule. Elle aborde une seule fois l'explication de
ce qui l'a conduite dans le service. « J'ai voulu mourir parce que
mes enfants sont casés et que mon divorce se passe mal. » Sur
le moment, son geste était très impulsif. Cependant elle avait
préparé une lettre quelque jours auparavant adressée
à ses enfants. Il semble que sa difficulté de passer de la place
de mère indispensable à une juste distance est difficile pour
elle parce que c'est la seule identité féminine qu'elle sait
investir. Or suite à la séparation avec ses enfants, elle se
retrouve donc seule face à elle-même.
Madame C. a une structure névrotique dont les traits
de personnalité hystérique sont prédominants comme
l'histrionisme, l'hyperréactivité émotionnelle, les
dépendances affectives à ces fils et le trouble sexuel
(frigidité). La problématique dominante chez elle est en rapport
avec sa féminité et la difficulté de prendre une autre
place que celle de mère. L'absence de ses fils qui sont ses objets
d'amour provoque une baisse du sentiment d'estime de soi du au fait qu'elle se
sente inutile. La tentative de suicide serait alors une réponse à
ce sentiment et au vide réel (laissé par ses fils) qui est
difficile à assumer.
Monsieur B.
Monsieur B. a été hospitalisé dans le
service libre suite à une tentative de suicide en voulant être
percuté par un train. C'est à sa demande, pour ne pas interrompre
un travail entrepris avec un psychiatre, que la psychologue ne l'a vu que deux
fois avant qu'il ne parte contre avis médical.
Monsieur B. a 25 ans et il se décrit comme
« bourru, serviable, humain, gueulard, très
généreux et surtout je marche à l'affectif ». Il
a des marques visibles sur les mains et les avants bras de brûlures de
cigarettes qu'il explique comme des automutilations pour se soulager de
l'intérieur. Il annonce qu'il en avait « marre d'avoir mal au
fond de lui ». Lors des entretiens son discours est faussé par
des mots et des concepts psychanalytiques qu'il utilise à mauvais
escient. « Ma relation amoureuse était une relation de
transfert à ma mère », il tente par tous les moyens de
relier tout ce qui lui arrive et d'interpréter de façon
erronée les événements. Il n'élabore pas certains
événements en particulier lorsqu'ils sont liés à
des mouvements d'impulsivité. Dans le service, monsieur B. est discret,
il a une certaine labilité de l'humeur. Il est ambivalent sur ses
explications et ses attitudes, ainsi il laisse le numéro du service sur
son répondeur de téléphone portable mais personne ne doit
savoir où il est.
Une grande souffrance et un affect douloureux sont
reliés à sa mère qu'il décrit comme alcoolique et
dépressive. Il la critique sur ses actes et particulièrement
quand elle l'a « abandonné » en se suicidant alors
qu'il n'était encore qu'un adolescent. « Elle m'a
abandonné [...] C'était une grande dépressive qui a
tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours. ».
Cependant il a le sentiment de lui ressembler ce qui lui est insupportable.
« Les mots que ma mère emploie dans son journal sont les
mêmes que les miens. Elle apprivoise la mort tous les jours et je refuse
de prendre le même chemin. » Il a un sentiment de manque qui
pourrait être relié à l'absence de sa mère qu'il
n'arrive pas à combler. Depuis la mort de celle-ci, Monsieur B est en
recherche constante de cet amour perdu qu'il croit avoir retrouvé chez
sa dernière amie.
La relation avec son père fut interrompue pendant
longtemps suite à la rencontre de celui-ci avec sa nouvelle femme.
Depuis le commencement de son travail psychothérapeutique, monsieur B. a
écrit une lettre à son père pour renouer les liens. Il dit
avoir depuis une nouvelle famille qui habite loin mais qui est
présente.
Monsieur B. est actuellement célibataire et travaille
dans le bâtiment. Il décrit ses liens avec son patron comme
très fort et l'idolâtre. Suite à une discussion avec lui,
il apprend que son contrat ne sera pas reconduit, il sent alors que
« ça tourne au vinaigre » dans sa tête. Les
infirmiers ne répondant pas correctement à sa demande d'aide, il
s'enfuit alors avec un sac de médicaments. Son comportement impulsif va
être stoppé par la rencontre impromptue avec son amie. Il
déclare être blessé du fait que celle qu'il aime l'ait vu
dans un moment de perte de sa maîtrise. Monsieur B. vit dans l'angoisse
qu'elle le quitte s'il fait « une crise » et qu'il
s'emporte violemment. « J'ai peur qu'elle m'abandonne. ».
Plus tard il nous apprend que la relation amoureuse qu'il entretient avec cette
amie est finie depuis peu. Il déclare que pour « les grandes
décisions » à prendre, son psychiatre lui donne les
directives à suivre. Il expliquera que son psychiatre lui a
conseillé d'être hospitalisé pour être
« dans sa bulle » comme lorsqu'il était dans le
service fermé. Cependant il ne sera pas plus explicite sur cette
hospitalisation antérieure.
Il a déjà fait une tentative de suicide 4 mois
auparavant, suite à la lecture du journal de sa mère, son
sentiment de ressemblance à sa mère lui étant
intolérable. Cette fois ci il explique sa tentative de suicide par le
fait qu'il a rencontré son amie dans le bar le soir même et qu'il
a beaucoup bu. Nous notons que l'alcool a été présent lors
des deux passages à l'acte. Avant de passer à l'acte (se mettre
sur les rails), il appelle différentes personnes qui lui sont
importantes (amie, amis, patron et psychiatre), pour leur dire au revoir Il
renonce à sa tentative de suicide attend une « demi
heure » qu'un train arrive. Il se rend compte alors qu'il avait
reçu « beaucoup de coups de téléphone de ses
amis en pleurs ».
Monsieur B. a une personnalité hystérique qui
se manifeste par recherche constante de l'attention d'autrui, par une
hyperémotivité, une labilité émotionnelle, une
dépendance affective envers son amie, son patron et son psychiatre et
une forte suggestibilité d'autrui. Il souffre depuis son enfance de la
relation qu'il avait avec sa mère et des conséquences du suicide
de celle-ci dans sa vie adulte. Il s'identifie énormément
à sa mère, tout en rejetant et en critiquant avec
agressivité les actes de celle-ci. De plus, la vue de certaines femmes
dans le service lui est difficile parce qu'elles lui renvoient la vision
décevante et négative qu'il a de sa mère. Dans son
discours, la problématique de l'abandon est présente à
chaque instant. La rencontre avec son amie le soir précédent sa
tentative de suicide a réanimé pour lui la séparation qui
lui était douloureuse et lui a ravivé son sentiment de ne pas
pouvoir être un objet d'amour pour l'autre.
Madame L.
Après une tentative de suicide médicamenteuse,
Madame L. a été hospitalisée dans le service fermé
durant quinze jours. Suite à la demande du psychiatre pour faire un
diagnostic différentiel, la psychologue a eu trois entretiens avec la
patiente.
Madame L. est une femme soignée qui fait attention
à son apparence. Toujours maquillée et coiffée, elle est
souriante lors des entretiens. Nous notons une labilité des affects au
tant dans le service que lors des faces à faces avec la psychologue.
Elle ne comprend pas pourquoi elle est hospitalisée. Mais, elle
adhère volontiers aux soins même si, elle se plaint des entretiens
répétés avec différentes personnes sur un seul
sujet qui est la raison de sa venue dans le service. Tout au long du suivi, son
discours reste souvent vague et imprécis. Elle finira par demander une
orientation psychothérapeutique à la psychologue. L'entretien
suivant, lorsqu'elle parle de son suivi à l'extérieur, elle exige
le meilleur. « Je veux qu'on m'emmène chez le bon dieu, pas
chez les saints. » En même temps, elle cherche à savoir
si pour « sa pathologie » il vaut mieux qu'elle soit suivie
par un homme ou une femme. Elle s'est très vite adaptée au
service et à ses contraintes institutionnelles finissant par en parler
comme « une pension de famille », ne voulant pas quitter
« ses camarades ».Elle se plaindra du comportement et des
réflexions des infirmiers sur sa façon d'être dans le
service et auprès des autres patients. « Je veux les aider,
leur apporter des marques d'affections. » « Ils sont venus
vers moi, je leur donne de l'affection et ils ne me repoussent
pas. ». Elle en veut particulièrement à un aide
soignant qui ne lui laisse pas faire ce qu'elle a envie comme venir prendre son
petit déjeuner en pyjama. Elle aborde alors la question somatique du
sentiment de haine qu'elle éprouve pour cette personne qui se traduit
par un boule dans le ventre et des frémissements dans le corps.
Lorsqu'il lui propose de s'expliquer elle refuse parce qu'elle a peur de ses
gestes. Elle va donc se punir en restant dans sa chambre.
Le regard de son père est quelque chose d'important et
de primordial pour son bien être. Elle le décrit comme un
père qui l'idolâtre parce qu'elle a réussi
professionnellement. Ce sentiment est réciproque. « Il m'a
tout appris. » Elle donne alors l'exemple du moment où elle a
posé la question de la féminité et des relations sexuelles
à sa mère, c'est son père qui lui a répondu avec
« pudicité ». Plus tard elle évoque sa
position féminine en déclarant : « J'aimerai
frapper comme un homme mais comme je suis une femme, je fais des crises de
tétanies. » La relation entre le père et la fille est
nouée par un secret de famille qu'ils partagent. Le frère cadet
de madame L. aurait pour père l'amant de sa mère. Elle
répète avec insistance et à chaque entretien la tentative
d'assassinat réel ou fantasmé de la mère et de son amant
sur le père lorsqu'elle avait 4-6 ans. Elle ne voit plus son père
depuis trois ans ce qui la fait souffrir. Elle est en rivalité constante
avec sa mère depuis qu'elle est jeune. « J'apporte à
mon père ce que ma mère ne pouvait lui apporter. ».
Elle se compare systématiquement à sa mère en se
valorisant. « J'ai toujours fait mieux que ma
mère. » Elle est en procès continuel avec sa
mère. « Ma mère me déteste. »
Aujourd'hui, elle est divorcée et vit avec ses trois
enfants et son nouvel ami. Au niveau professionnel, elle est chef d'entreprise.
« Dans mon métier, je suis le maître. » Son besoin
de se valoriser fait qu'elle se sent indispensable pour son entourage et se
sent investi dans la tâche d'être la personne
référente pour toutes choses. « Je suis un
modèle pour ma fille. » Son concubin qu'elle nomme mari, l'a
demandée en mariage et elle a refusé parce qu'elle avait peur
« de l'euphorie amoureuse ». De plus, sa famille et la
famille de son conjoint sont contre cette union. Elle aborde alors le
problème des troubles sexuels dont souffre son couple. Ce qui lui a
posé la question du désir. Or elle n'a aucun doute sur le
désir qu'elle suscite.
Madame L. a déjà fait une première
tentative de suicide parce qu'elle ne voyait pas ses enfants au début du
divorce avec son ex-mari. Elle explique celle ci par le fait qu'elle ne voyait
pas son père, qu'elle en a marre de la justice et de ses souffrances
physiques. Elle avait prémédité son geste en le
préparant administrativement. Elle savait que cela ferait de la peine
à son mari mais elle est tout de même partie en voiture pour se
jeter contre un camion, ne se sentant pas capable de le faire, elle rentre chez
elle et décide de se pendre à la balançoire de ses enfants
mais elle trouve cela alors « trop diabolique » et finit
par prendre les médicaments de sa fille qui est diabétique et
s'enferme dans sa chambre. Sa fille et son mari étant présents,
ce dernier « défonce la porte » et ils la retrouvent
évanouie. Lors de son réveil, elle s'est retrouvée dans le
service.
Madame L. a une structure névrotique de type
hystérique qui se manifeste par un histrionisme, une
hyperréactivité émotionnelle, un égocentrisme, une
suggestibilité, une dépendance affective envers sa famille,
particulièrement son père et des troubles sexuels. Elle a une
tendance à falsifier la réalité pour lui permettre de la
tournée en sa faveur et expliquer que tout événement dans
sa vie proviennent d'un choix de sa part. Je souligne dans le discours de
madame L. une carence affective que se soit lorsqu'elle parle de sa mère
qui est « rigide » ou de ses enfants qu'elle englobe pour
n'en faire qu'un tout inséparable. La tentative de suicide pourrait
être expliquée alors par l'absence de la personne qui lui
permettait de pouvoir être un objet d'amour. C'est pourquoi l'absence de
son père et la place qu'il prend dans l'imaginaire de Madame L. est
importante. Aussi le regard de son père est quelque chose d'important et
de primordial pour son bien être et la perte de ce regard constant,
dû à son absence, fait qu'elle se sent seule et démunie. Il
semble que cet objet soit autant un objet d'amour « il est tout pour
moi » et aussi un objet d'identification « je lui
ressemble. ».
Madame G.
Madame G. a été hospitalisée dans le
service libre suite à une tentative de suicide médicamenteuse.
C'est à la demande du psychiatre que la psychologue la suit durant les
deux mois d'hospitalisation, soit 11 entretiens.
Madame G. est une femme de 38 ans. Lors des entretiens,
à part pour les deux derniers où elle est souriante et coquette,
elle a une posture effondrée avec des crises de larmes. Elle a un
discours statique, plaqué et répétitif sur la
séparation avec son mari, qu'elle ne peut pas vivre sans lui et que lui
seul peut l'aider. Dans le service, elle a d'abord été en
retrait, puis au fil des jours, elle a lié connaissance avec d'autres
personnes qui ont une structure névrotique.
Madame G. est mariée depuis vingt ans et a trois
enfants dont un qui vit avec sa compagne dans un appartement loin de la maison
familiale. Son mari a rencontré, il y a quatre mois, une autre femme, il
a parlé de divorce avec son épouse quinze jours auparavant.
Dans son discours seul son mari existe, elle évince
les enfants de tout affect. « Je ne suis pas maman, pour l'instant je
suis femme, amante, mais pas maman. » « Il me reproche
d'être sa mère mais il m'a donné cette place là et
je l'ai prise. » « Ma seule famille c'est mon
mari. ». La maîtresse de son mari fut introduite dans la
famille par leur fille cadette, qui s'était liée d'amitié
avec l'enfant de cette dame. La position de Madame G. face à sa fille va
être de plus en plus agressive en lui reprochant l'adultère de son
mari. « Elle a une part de responsabilité. [...] C'est
à cause d'elle que cette femme est entrée dans notre
vie. » De plus, elle rentre en rivalité avec l'adolescente qui
prend à la maison la place de la mère, autant au niveau des
taches ménagères que dans le lit conjugal pour dormir avec son
père. Madame G finit par refuser de voir sa fille. Cependant, elle
l'introduit dans la relation de couple comme tiers en lui
téléphonant et lui demandant des nouvelles de son conjoint qui
refuse de lui parler et de la vie quotidienne dans la maison familiale,
« son territoire ». Elle manipulera sa fille en
« la poussant dans ses retranchements » pour savoir ce
qu'elle veut, c'est-à-dire si son mari continue à avoir des
nouvelles de sa maîtresse et s'il fait vraiment des démarches
auprès d'un avocat.
La relation avec son mari et le regard qu'elle porte sur la
situation d'adultère vont évoluer au cours des deux mois. Au
début, elle dénie tous les problèmes de couple qu'ils
peuvent avoir. « Il n'y a rien de tangible pour que notre couple
divorce. On ne se sépare pas de quelqu'un avec qui on a des
sentiments. » Mais peu de temps avant, elle se plaint de la
difficulté de son mari à lui montrer qu'il l'aime et
décide alors qu'elle « aime pour deux ». Elle se
plaint d'être incomprise par son mari. De plus, elle a le sentiment qui
lui manque quelque chose. « Je me sens
désoeuvrée. » « Il y a un grand
vide. » Son mari semble être un prolongement d'elle même,
un faire valoir qu'elle ne veut pas laisser. « Il ne peut pas se
débrouiller seul. » « On a toujours tout fait tous
les deux. » « On a toujours tout partagé »
Cette demande de divorce est pour elle une blessure narcissique.
« Une partie de moi a été arrachée [...] je ne
me reconnais plus moi-même ni physiquement ni moralement, je n'ai plus
d'image de moi. »
Elle projette alors son mal être et la façon de
pouvoir sortir de cet issue sur lui. Ainsi, lorsqu'elle parle de leur
séparation et de la résolution de cette situation, elle
dit : « Il a la possibilité de s'en sortir mais il ne
veut pas. » « Je me demande comment il va faire pour s'en
sortir. ». « Il joue des sentiments des autres. »
Elle devient alors très ambivalente puisqu'elle veut que son mari lui
parle mais elle ne veut pas le voir. Elle se sent en rivalité avec cette
femme, en danger de perdre l'amour de son mari. Au fil des entretiens, elle
change de mécanisme de défense face à cette perte et elle
finit par instaurer le déni de cette relation adultère,
même si des éléments de la réalité viennent
parfois confronter ce mode de pensée imaginaire. Au début, c'est
cette « créature » qui « a mis le grappin
sur » son époux, parce qu'elle « n'avait rien
à se mettre sous la dent », puis elle va traiter son mari
d'impuissant face à une autre femme qu'elle. « Il
n'était pas son archétype physique. [...] Il m'a trompé
moralement mais pas physiquement. » Pour finir, elle le traite de
menteur et dit qu'il a monté cette histoire de tout pièce comme
il avait déjà fait pour tenter madame de le quitter.
« Si quelque chose devait se passer, ça se serait
déjà passé. »
Tout au long du suivi, elle dénigre beaucoup son
conjoint, qui est incapable de faire quelque chose sans elle et qu'elle ne
croit pas en sa parole.
Lors des deux derniers entretiens, il semble que
l'entrée d'un patient et le rapprochement avec cette personne a permis
à Madame G. de transformer son discours puisqu'elle finit par parler
d'avenir (qui pourrait être) sans son mari alors qu'auparavant les
projets d'avenir étaient impossibles seule. L'investissement libidinal
aurait il enfin retrouvé un nouvel objet d'amour ?
Madame G. a fait trois tentatives de suicide en trois
semaines et toujours pour la même raison qui est le fait que son mari
veuille la quitter pour une autre. Elle pense que les deux premières
n'ont pas été assez spectaculaires et graves pour qu'elle se
fasse hospitaliser. La première fois qu'elle arrive aux urgences le
psychiatre qui la voit lui dit qu'elle ne peut que dormir avec des
somnifères et qu'il n'y a rien de dangereux. La deuxième fois,
elle va ingurgiter tant de cachets différents que la réaction
immédiate est le vomissement. Pour elle, sa tentative n'est pas une
simulation comme lui reproche son mari. Elle veut qu'il reconnaisse qu'elle va
mal et que lui seul peut l'aider en restant en couple.
Madame G. a une labilité de ses affects, un
égocentrisme, une ambivalence, une dramatisation de son état de
détresse et un histrionisme face à ses différents
interlocuteurs qui soulignent sa structure de personnalité
hystérique. De plus, elle transforme la réalité à
son avantage, elle ne veut plus le voir pour ne pas replonger or, il se trouve
que son mari ne vient plus lui rendre visite. Le suivi de Madame G. illustre un
bout du processus de deuil qui est fait lors d'une perte symbolique de l'objet.
Ainsi, après un temps de latence où l'estime de soi du Moi est
bas dû à la perte d'être aimé, Madame G. finira par
investir un autre objet d'amour qui lui, répond à sa demande
d'être désirée et aimée comme une femme.
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