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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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II.1. La sortie de Kiffe kiffe demain

Nous avons remarqué que dès la page 173, les allusions à la fin commencent à se succéder :

"Ça y est j'ai eu seize ans. Seize printemps, comme ils disent dans les films." (p.1 73)

L'expression "ça y est" marque une rupture dans la diégèse avec son effet d'arrêt. Une année de la vie de l'héroïne s'est ainsi écoulée, on a l'impression que l'histoire

1 Zekri , Khalid, Etude des incipit et des clausules dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni et dans celle de Jean-Marie Gustave Le Clézio, op. cit., p.56.

2 Ibid.

3 Armine Kotin-Mortimer, La clôture narrative, José Corti, 1985, p.21.

4 Ibid.

5 Larroux, Guy, Le mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris, Nathan, coll. -Le texte à l'oeuvre-, 1995, p.33.

s'est arrêtée à cette date. Certes, l'anniversaire est un évènement important dans la vie de chaque personne mais Guène en profite pour faire allusion à la fin de l'histoire. L'héroïne saisit cette occasion et remue le passé en regrettant d'avoir passé toute une année sans la compagnie de son père et encore une fois le thème de la progéniture surgit:

"Mais si j'étais un garçon (...) mon père serait encore là. IL ne serait pas reparti au Maroc (...) il m'aurait raconté pas mal d'histoires" (p.174)

A partir de cet évènement le rythme du récit commence à s'accélérer. Le lecteur à droit alors à une avalanche de bonnes nouvelles pour chaque personnage:

La libération de Youssef : « Tante Zohra va bien. Elle a promis de nous rendre visite bientôt. Elle nous a dit que Youssef serait libéré en mai » (p.175)

La victoire de Fatouma et ses collègues : "Pour les bonnes nouvelles (...)Fatouma Konaré, l'ancienne collègue de ma mère au formule1 de Bagnolet (...)" délégué syndicale". Le commentaire disait que les filles avaient gagné la lutte. Leurs revendications seraient entendues prochainement." (p.175)

Le mariage de Hamoudi :

"Hamoudi et Lila qui se marient en avril prochain" (p.177)

L'amélioration de la santé de sa mère : "Le changement de maman depuis un an. C'est en la voyant aller mieux tous les jours (...) j'ai commencé à me dire que tout se rachète, et qu'il va peut être falloir que je fasse comme elle." (p. 177)

La succession des bonnes nouvelles dans l'histoire de Doria nous fait penser aux fins heureuses des contes. En effet, dans un conte chaque actant passe par des épreuves difficiles mais à la fin de l'histoire les situations de crise sont dénouées. Cependant, Guène rompt avec la fin euphorique d'un conte car Doria déclare que son bonheur n'est pas totalement atteint :

"Par exemple je sais toujours pas ce que je veux faire pour de vrai. Parce que la coiffure, disons que c'est un truc en attendant. Un peu comme Christian Morin. Il a fait la roue de la fortune pendant des années, mais sa vraie voie, c'était la clarinette..." (p.181)

Examinons encore quelques signes de fin dans ce passage :

Mme BURLAUD m'a dit que la thérapie était terminée. Je lui ai dit si elle était sûre. Elle a rigolé. Ça veut dire que je vais bien. Ou alors qu'elle en a marre de mes histoires. (p.179)

Mme Burlaud qui a accompagné le récit depuis le début, et jouait un rôle important dans la vie de l'héroïne, l'auteur décide dans ces derniers moments du récit, de lui donner congé. La psychologue symbolisant l'état de malaise de l'héroïne, annonçant à sa patiente la fin de la thérapie marque le passage d'un état de déséquilibre à un état d'équilibre. En annonçant la fin de la thérapie, Guène annonce de même le début de la fin du récit.

En outre, nous lisons un peu plus loin :

« En partant elle m'a dit quelque chose qui m'a fait bizarre : "Courage". J'avais l'habitude d'entendre : "A lundi prochain!" Mais là, elle m'a dit : " Courage." Ça m'a fait la même chose que la première fois quand j'ai fait du vélo à deux roues » (p.180)

L'expression "à lundi prochain" fait écho à l'incipit "chaque lundi". Cette habitude de l'héroïne de partir chaque lundi voir sa psychologue touche à sa fin. Ce rendez-vous chez la psychologue semble ainsi encadrer le récit.

Les allusions à la fin ne finissent de se succéder :

"Le courage de Mme Burlaud, il m'a fait le même effet que "j'ai lâché!" de Youssef. Ça y est, elle m'a lâchée." (p. 180)

L'expression "ça y est, elle m'a lâchée" rejoint les lexèmes employés précédemment : "ça y est j'ai seize ans" et "la thérapie est terminée". En utilisant des signes introduisant la fin de l'histoire, l'auteur dévoile son hésitation à exécuter son récit. Faiza Guène commence ainsi à lâcher un par un les fils de l'histoire.

Cependant, son héroïne finit par la trahir et annonce explicitement le désir de clôturer son récit :

« En sortant, je me suis sentie un peu comme dans l'avant-dernière scène d'un film, quand les héros ont à peu près résolu le problème et qu'il est temps de construire la conclusion. Sauf que moi, la mienne de conclusion, elle sera plus longue et plus dure que celle de Jurassic Park. » (p181)

Cette déclaration explicite du désir de formuler les derniers mots de l'histoire offre au texte une fin en "cadence déclarative"1.

Nous avons remarqué également un changement de temps. On parle de changement de temps quand la fin du texte utilise un temps différent de celui de l'ensemble du récit. Ainsi, le passé composé qui a accompagné l'ensemble du texte Kiffe kiffe demain, cède la place vers la fin de ce dernier au présent :

"Ils ont peut être raison les gens qui disent tout le temps que la roue tourne (...) C'est pas grave non plus si j'ai plus mon père parce qu'il y a plein de gens qu'ont plus de père. Et puis j'ai une mère..." (p.192)

Le présent employé dans ce passage prend une valeur générale. La narratrice se référant ainsi à une vérité générale affirme qu'on ne peut faire l'exception et arrêter le monde à un moment de détresse. En effet, Doria se rend compte que la vie ne s'arrête pas à un moment de désespoir, mais tout au contraire continue son parcours et prouve à l'homme qu'elle est un spectacle interminable de hauts et de bas. Ainsi, la narratrice énonce ces phrases en se référant au code gnomique2 :

"J'ai remarqué qu'on se console toujours en regardant les pires que soi." (p. 50).

1 Zekri, Khalid, Etude des incipit et des clausules dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni et dans celle de Jean-Marie Gustave Le Clézio, op. cit., p.56.

2 « L 'un des très nombreux codes de savoir ou de sagesse... »: Roland Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970, p. 25

« Des fois, je me dis que la vie c'est vraiment un coup de chance quand même. On trouve qu'on a pas de bol, mais on pense pas aux gens qui en ont encore moins que nous... » (p89)

Kiffe kiffe demain a ainsi l'allure d'un "roman d'apprentissage" : apprendre à surmonter son malheur, à comprendre les bizarreries de la vie, à être compatissant, à ne jamais perdre l'espoir et surtout à aimer la vie. A ce sujet, la narratrice ajoute : "Moi, j'ai appris que ça fait mal d'apprendre" (p.134)

Cependant, le passage au présent n'a duré que quelques lignes car le récit reprend son souffle et fait appel au futur simple. Quand le texte se termine par un futur "qui raconterait prospectivement des événements à venir, permettant d'entrevoir un nouveau commencement", on parle de "la fin-commencement"1. Nous pouvons ainsi lire :

Moi, je mènerai la révolte de la cité du Paradis. Les journaux titreront "Doria enflamme la cité" ou encore la pasionaria des banlieues met le feu aux poudre". Mais ce sera pas une révolte violente (...) on se soulèvera pour être reconnus, tous(...) Comme Rimbaud, on portera en nous" le sanglot des infâmes, la clameur des Maudits". (p. 193)

Doria donne libre cours à son imagination et se projette dans l'avenir en proférant des espoirs et ambitions surprenants, et du coup, le lecteur ne reconnaît plus Doria "la pessimiste". Cette nouvelle Doria est pleine d'espoir et de détermination. En outre, nous remarquons dans ce passage une certaine maturité de l'héroïne : elle désire mener une révolte au nom des gens de la banlieue, mais que ce soit une révolte intelligente sans violence. Cette maturité est le fruit de plusieurs épreuves pénibles que Doria a pu surmonter. Cependant, le récit nous surprend en s'énonçant de nouveau au présent tout en marquant une "clôture épigrammatique". En effet, le texte proclame sa fin en une seule phrase constituant, pour elle seule, un paragraphe : "Faut que je côtoie moins Nabil, ça me donne de forts élans républicains..." (p.193)

1 Armine Kotin-Mortimer, La clôture narrative, José Corti, 1989, pp. 22-23.

Cette "Phrase-fin" est une auto-analyse faite par l'héroïne Doria qui réalise qu'elle a changé de l'intérieur. Elle remarque que son espoir a non seulement repris vie, mais qu'elle devient de plus en plus enthousiaste. Outre les évènements heureux qui ont contribué à ce changement, la fréquentation de Nabil en est apparemment la plus marquante.

L'homogénéité du récit peut aussi être rompue, comme nous l'avons signalé plus haut, par le changement de la voix et de la personne. En effet, la substitution d'une personne grammaticale par une autre est un fait de rupture qui doit être interrogé. Ce genre de changement est justement repérable dans l'avant dernier paragraphe de Kiffe kiffe demain. En effet, nous passons d'un "je" dominant au pronom indéfini "on". Ce pronom indéfini inclut non seulement le narrataire mais tous les habitants de la banlieue :

"Ce sera une révolte intelligente, sans aucune violence, où on se soulèvera pour être reconnus, tous. Y a pas que le rap et le foot dans la vie. Comme Rimbaud, on portera en nous "le sanglot des infâmes, la clameur des maudits". (p. 193)

L'histoire considérée comme signifié retrouvant sa concrétisation dans un texte, ne peut s'arrêter tout simplement à l'imposant point final de la narration. Mais, elle le dépasse amplement en promettant d'autres histoires à venir. En effet l'auteur de Kiffe kiffe demain pour clôturer son texte l'a tout simplement ouvert en marquant trois points de suspension. Prétendre clôturer un récit est ainsi une idée illusoire, et pour reprendre les paroles de Frédérique Chevillot :

"En faisant du mouvement de clôture une mise en scène de la mort de l'écriture, le texte aménage l'espace nécessaire à sa réouverture et conjure ainsi l'angoisse liée à sa perte. La seule clôture possible du texte, c'est sa réouverture"1

Cette fin n'est donc pas cyclique mais plutôt ouverte et dynamique : espoir et projection dans le futur.

1 Chevillot, Frédérique, La Réouverture du texte, Stanford French and Italian Studies/Anma libri, 1993, cité par : Khalid Zekri, Etude des incipit et des clausules dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni et dans celle de Jean-Marie Gustave Le Clézio, op. cit, p 51

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore