2) DEVENIR ou la naturalisation : la solution ?
« devenir : du latin devenire :arriver à ; traduit
le passage d'un état à un autre ; mouvement progressif par lequel
les choses se font ou se transforment ; avenir ou futur de quelqu'un ;
évolution dans l'histoire de la réalité des choses, du
monde. »
Grand Larousse Universel, Tome 5, Edition Larousse 1997, page
3196
Les principales conditions à remplir pour demander la
naturalisation en tant que réfugié sont d'avoir son statut en
règle, « d'être assimilé à la
société française » (avoir une pratique suffisante du
français) et « d'être de bonne vie et de bonnes moeurs »
(ne pas avoir subi certaines condamnations). Cette demande se fait
personnellement à la préfecture, qui est transmise au
Ministère des Affaires Etrangères, celui-ci, en cas de
décision favorable, établira un état-civil français
(acte de naissance français). Lors de la remise officielle d'un livret
de nationalité, la naturalisation est rendue officielle, en
présence du préfet ou de son représentant, par la
délivrance d'une lettre en tant que citoyen français du
Président de la République, une ampliation du décret
signé par le Premier Ministre et le Ministre chargé de la
naturalisation.
Dico dû passer deux entretiens et un test de
capacité à l'expression française pour obtenir sa carte
d'identité nationale; ces examens se sont déroulés dans
les bureaux du Commissariat de Police de Dijon.
En 2006, 40.28% des nouveaux français étaient
auparavant des réfugiés politiques.
Une simple finalité administrative ?
Cette idée est généralement confuse dans
l'esprit des réfugiés. Pour eux, c'est d'abord une
nécessité administrative, une suite logique au long cheminement
accompli. Sans cette procédure de naturalisation, les personnes
interrogées ressentent un manque de reconnaissance. Un logement, une
adresse, un travail ou une petite retraite, n'ont pas la même valeur
officielle que la nationalité française. Ils sentent le besoin
d'obtenir aux yeux de leur pays d'accueil une identité
véritablement légitime.
Une protection ?
Il ne faut pas oublier qu'avant de venir en France, les
personnes interrogées dans le cadre du mémoire, ont souvent fuit
leur pays pour des régions limitrophes. Ils ont déjà subi
un passé de réfugié : pour Cyprien ce fut le Mozambique,
pour Omar la Libye, pour Hélène la Russie, et pour Dico la
Russie. Certains réfugiés vécurent ainsi des
périodes répétées où l'idée
d'égalité avec les autres nationaux n'était que de
façade. Un sentiment de racisme, de méfiance permanent
règne souvent à l'encontre des minorités ethniques dans
les différents Etats que les demandeurs d'asile peuvent être
amenés à traverser. De 1994 à 1999, la famille de Dico
avait l'obligation de montrer en permanence ses papiers1, subissant
parfois les brimades de la milice et des autorités russes. Les personnes
étrangères de couleur devaient souvent montrer leur autorisation
de séjour aux immigrés ou alors leur donner de l'argent pour
pouvoir circuler librement. Après 1999, sa famille ne reçut plus
d'autorisation de séjour (ce fut le cas pour les réfugiés
établis en Russie); commença alors une période de
clandestinité.
« Depuis la guerre des tchétchènes tout le
temps la police demande les papiers ...elle regarde les personnes noires ... ou
t 'as autorisation ou alors tu payes quelque chose... »
Paroles de Dico
1 L'autorisation de séjour est renouvelable
tous les 6 mois
Pour les russes, les personnes noires
représentent les immigrés, ceux qui se sont
réfugiés dans les régions frontalières du Caucase,
ceux qui ne sont pas russes. Beaucoup de régions ont obtenu leurs
indépendances depuis la création de la CEI. L'effondrement de
l'empire soviétique, et depuis 1999, avec la guerre entre la Russie et
la Tchétchénie, les pays caucasiens ont vu fuir les
minorités de leur pays vers d'autres régions notamment la Russie.
Cette période charnière a engendré beaucoup de conflits
internes sur certaines régions litigieuses, sur les différentes
ethnies ou confessions religieuses. Cela a eu comme conséquence la
montée d'un racisme nationaliste russe envers cette immigration. Ce fut
le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan qui obligea la famille
de Dico à fuir son pays d'origine pour se réfugier en
Russie1.
Hélène, de mère russe, et de père
allemand, vivait en Géorgie avant de fuir vers la Russie2.
Cyprien, lui, dût fuir le conflit rwandais, passant du Congo au
Mozambique, poursuivi par des bandes organisées continuant à
traquer les hutus hors de leurs frontières.
Toutes ces expériences traumatisantes expliquent que
les refugiés voient souvent l'obtention de la nationalité
française comme une protection contre le fantôme passé de
la répression politique.
Par ailleurs, l'obtention de la nationalité
française permet aussi aux personnes récemment
naturalisées de pouvoir se projeter sur le long terme, de pouvoir
renouer de véritables contacts avec la famille restée au pays.
Installés en France, ils pensent souvent à faire venir leurs
parents ou leur famille. Cette volonté de retrouver les siens naît
d'un sentiment de solitude ou de culpabilité. Dico dut partir avec sa
femme et sa fille, ils étaient alors âgés d'une vingtaine
d'année. C'est son père qui a décidé que lui seul
partirait, le passage coûtant trop cher, environ 10 000$, laissant
derrière lui sa famille et celle de sa femme. Lorsqu'il eut la
nationalité en 2005, il voulut repartir en Russie. Son père
étant mort, il se sentit responsable de la sécurité de son
frère, de sa propre mère et de la mère de sa femme
restés en Russie. Son frère refusa de venir en France : il est de
tradition chez les Arméniens qu'un homme ne doive pas laisser des femmes
seules dans le besoin et il ne pouvait donc pas venir en France et laisser
notamment sa mère, qui elle était trop âgée et
refusait de venir en France construire une nouvelle vie.
Certes, ils ont acquis leur carte d'identité
française, obtenu un logement, et pour certain un travail, mais ils ont
un passé enraciné dans des conflits ethniques et
géopolitiques que le système administratif ne peut
résoudre par un simple tampon et une signature.
1 Conflit entre 1988 et 1994, sur l'occupation
arménienne du territoire du Haut-Karabagh situé en
Azerbaïdjan, conflit qui ne s'est toujours pas apaisé et qui a
provoqué la répression et le déplacement de population
arménienne
2 conflit en Abkhazie, région
séparatiste de Géorgie, qui dès 1992 demanda son
indépendance
Quelle identité pour ces nouveaux
français ?
« ...
- Vous vous sentez de quel pays ? France, Russie, Géorgie
?
- Je ne sais pas ... c'est trop dur...
- Dans le coeur ?
- C'est les enfants...
- C'est le pays de vos enfants ?
- Voir les enfants ... moi habite en France... c'est fini pour
moi Georgia.... »
Entretien avec Hélène
Pour les nouveaux Français, la question de leur
état d'esprit et de leur possible projection dans l'avenir se pose. Pour
Hélène, même si elle attend toujours sa naturalisation,
elle se sent française, ou plutôt, elle ne se sent plus
géorgienne, voulant finir sa vie en France avec son petit jardin, sa
retraite. Son fils, a lui obtenu la nationalité française, s'est
marié avec une française, et est rentré dans
l'armée. Etant plus jeune, et s'étant intégré par
le travail, il se sent plus Français que sa mère.
Quant à Omar, il se sent Soudanais et français,
mais c'est très flou ; son projet n'est pas de s'installer en France, en
raison de sa formation, il a plutôt le désir de travailler dans
les stations off-shore, à l'étranger.
Une famille, sa fille à l'école, un CDI, Dico
est le plus inséré socialement ; mais là encore, il se
sent Français, Arménien et Russe. Il ne pense pas repartir dans
son pays mais plutôt s'installer définitivement ici, en France.
Entre les demandeurs d'asile, les réfugiés
politiques et ceux devenus français, il y'a dans le cadre de cette
étude un point commun qui les relie: le pays d'accueil. Leurs destins
sont différents, leurs vies ne sont pas les mêmes et leurs
ambitions divergent. La France devient pour eux une escale, une étape
dans leurs vies. La constatation est que parmi les personnes intervenues dans
les entretiens, personnes n'a dans le passé vraiment rêvé
de vivre en France et certains prévoient même de retourner dans
leur pays dés que cela leur sera possible. Ainsi, Venantia
prévoit sérieusement de retourner au Congo si elle est
naturalisé pour développer là bas un projet de
développement d'établissements scolaires et contribuer au
développement de son pays d'origine. Sous cet angle, Dijon semble aux
yeux des demandeurs d'asile comme un quai d'une gare ou un hall
d'aéroport : beaucoup se croisent, certains s'arrêtent, d'autres
repartent, tout cela dans l'espoir d'arriver à un point ou le bonheur
puisse être enfin trouvé et le quotidien en mesure de
bénéficier d'un peu d'enchantement.
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