TROISIEME PARTIE
Etre réfugié politique
Pour beaucoup de demandeurs d'asile, la France reste un
objectif à atteindre, une sorte de havre de paix. Pour d'autres, c'est
l'Angleterre et une naturalisation directe pour quiconque foule le sol
britannique. Cette population ne demande qu'une seule chose : vivre mieux et
pouvoir trouver une place au sein de la société française.
Alors se met en place la machine administrative, un quadrillage
systématique, une sorte de filtre ne laissant que les «
méritants » (de ce fait, c'est déjà une sorte «
d'immigration choisie »). C'est en fait la distinction entre les
immigrés (ceux qui partent de leur pays pour trouver une meilleure
condition de travail), et les réfugiés politiques.
« Le terme réfugié s'appliquera à toute
personne :
[...]
qui, par suite d'événements survenus avant le
1er janvier 1951 et craignant avec raison d'être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de
nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa
résidence habituelle à la suite de tels événements,
ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
(Convention de Genève du 28 juillet 1951, Chapitre
1er, Article 1er, paragraphe A)
L'Office Français de Protection des Réfugiés
et des Apatrides (OFPRA) qualifie le réfugié, dans son Code
d'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA),
en ces termes :
« La qualité de réfugié est reconnue
à toute personne persécutée en raison de son action en
faveur de la liberté ainsi qu'à toute personne sur laquelle le
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés exerce son
mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par
l'Assemblée générale des Nations Unies le 14
décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l'article
1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au
statut des réfugiés. Ces personnes sont régies par les
dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la Convention
susmentionnée. »
(CESEDA., Livre VII, Chapitre 1er, Article L.
711-1, code relatif à l'Asile)
Toujours selon l'OFPRA, le statut de réfugié
politique se distingue de l'Asile territorial, et du statut de l'Apatride, les
deux autres formes de demandes d'entrée, de séjour et de droits
d'asile. L'Asile territorial est délivré par le Ministère
de l'Intérieur, en consultation du Ministère des Affaires
Etrangères ; il est alors délivrée une carte de
séjour d'une année, pour le demandeur et son conjoint, si «
sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu'il y est
exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la
Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme ». La
notion d'apatride, quant à elle, s'applique aux personnes ne
possédant plus de
nationalité, sans aucunes autres considérations
; ce statut passe par l'OFPRA pour être examiné et
entériné.
Lorsque le statut du demandeur est reconnu (celui du statut de
réfugié), il obtient de ce fait une carte de résident de
10 ans, l'autorisant à séjourner dans son pays d'accueil ; son
conjoint ainsi que ses enfants mineurs bénéficient des
mêmes conditions. Un titre de voyage est aussi délivré. Par
son principe de protection, l'OFPRA a le devoir de fournir tout document
officiel indispensable à la vie quotidienne (article 9 du
décret n°2004-814 du 14 août 2004).
La carte de résident en poche, le possesseur rentre
alors dans le droit commun, c'est-à-dire qu'il aura les mêmes
droits et les mêmes devoirs qu'un citoyen français. Une
proposition de loi en 2000, visait à accorder le droit de vote et
d'éligibilité aux étrangers non ressortissants de l'Union
Européenne aux élections municipales. Mais pour l'instant ce
projet n'a toujours pas été entériné par une
décision de l'Assemblée Nationale. Ces droits s'apparentent
à l'accès à la formation professionnelle, au travail, au
logement, aux droits sociaux, aux soins médicaux, à la
sécurité sociale (CMU) ou à tous autres droits
correspondant au traitement le plus favorable accordé dans les
mêmes circonstances aux ressortissants d'un pays étranger en
situation régulière ou aux nationaux. Cette carte de
séjour permet aussi la libre circulation dans n'importe quel pays
européen ou non européen.
« Tout étranger résidant en France, quelle
que soit la nature de son titre de séjour a le droit de quitter
librement le territoire français ».
Article L 321-1 du CESEDA
L'accès au même droit qu'un citoyen implique
aussi le même respect envers les lois du pays, et les devoirs qui en
découlent. En plus de cela, le réfugié ne doit pas rester
en contact, ou être en contact avec les autorités de son pays
d'origine car il a été reconnu officiellement que ce pays est une
menace à sa personne, et de ce fait pourrait contredire et rendre
caduque toutes les démarches entreprises lors de la demande d'asile.
Toute démarche considérée par l'OFPRA comme acte
d'allégeance aux autorités du pays d'origine peut entraîner
le retrait du statut. Cependant, en cas d'un voyage exploratoire ou d'un
désir de se réinstaller dans son pays d'origine, les
autorités françaises peuvent laisser la possibilité au
réfugié de se déplacer dans ce pays, soit sous couvert
d'une durée limitée avec un visa de retour, soit si la situation
géopolitique est stabilisée et permet une réinstallation
définitive ; ce fut le cas pour certains réfugiés kosovars
en 2000.
« ... avoir le statut c'est vraiment le début d'une
nouvelle vie mais alors il faut tout reconstruire ... tout recommencer...
»
Commentaire de Haïat AIT MOUHOU, Assistante Sociale du
Centre d'Hébergement Provisoire de la Croix-Rouge à
Quetigny
Et après ?
Après une arrivée en France, souvent très
éprouvante psychologiquement et physiquement, due aux conditions
difficiles d'un voyage, et due aussi à la cause même de la fuite,
après des jours passés dans la rue, dans les squats, dans les
foyers ou les centres de nuit, après une attente de 2 ou 3 ans d'un
examen puis d'un réexamen de leurs dossiers, et enfin un titre de
séjour délivré, quel peut-être l'avenir du
réfugié ?
L'ensemble des bénéficiaires d'un titre de
séjour de plus d'un an (pour l'année 2006), représente 120
000 personnes. Il se compose de conjoints de français, de regroupement
familial (liens personnels et familiaux), de résidents de plus de 10 ans
et de réfugiés. Ceux-ci représentent 8%, soit 9600
individus. Les conditions d'arrivée sont différentes selon la
nature du titre, les personnes réfugiées sont le plus souvent
jeunes (29% ont entre 18 et 24 ans, 64% ont moins de 34 ans), et sont rarement
en couple (19% sont seules, 26% vivent avec d'autres personnes). Leur
réseau relationnel est très faible, la maîtrise de la
langue est souvent partielle (42% parle peu le français). De plus,
l'accès à l'emploi est fortement lié aux relations,
à la pratique de la langue et à l'expérience
professionnelle. Parmi les réfugiés français, 47% des
hommes et 12% des femmes travaillent (Chiffres basés sur les personnes
ayant un 1er titre de séjour permanent en 2006, DREES).
1) EXISTER ou la condition du
réfugié
« exister : è-gzi-sté ; du latin existere :
sortir de, du préfixe ex :hors de, et de sistere :être
établi, posé ; avoir la vie, vivre, en parlant d'être
vivant ; être en réalité, représenté dans le
temps et l'espace ; avoir une réalité ; exister auprès de
quelqu'un de quelque chose, avoir de l'importance, de la valeur ; exister,
s'affirmer, se faire reconnaître comme personne aux yeux de la
société. »
Grand Larousse Universel, Tome 6,
Edition Larousse 1997, page 4058
« Croyez-moi... quand les gens sont dans l'action et
qu'il leurs faut un logement, un travail, qu'il faut subvenir à ses
besoins, qu'il faut avoir un statut, qu'il faut exister... c'est
énormément de pression.... »
Commentaire de Haïat AIT MOUHOU, Assistante Sociale
du Centre d'Hébergement Provisoire de la Croix-Rouge à
Quetigny
Lorsqu'elle parle des structures administratives et des
papiers à remplir qui n'en finissent pas, Hélène
évoque l'idée d'une prison dans la mesure ou elle doit, en tant
que demandeur d'asile rendre des comptes à l'Etat sur ses actes, faits
et gestes. La comparaison n'est pas anodine, bien au contraire. Exister dans un
système culturellement différent, sans cesse avec l'obligation de
se justifier, de prouver que l'on ne dit que l'entière
vérité lorsqu'on raconte ce que l'on a vécu est difficile.
Pour Hélène, le fait d'avoir obtenu son statut de refugié
lui a facilité la vie. Lorsqu'elle put bénéficier d'un
logement à Quetigny, un F3, par le biais du C.P.H., qui la suivait lors
de l'acquisition de son statut, cette sensation de prison s'est effacée
peu à peu. Elle y habite maintenant depuis 5 années. Agée
de 70 ans, elle vit avec une petite retraite de 600 euros, cultive un jardin
loué à la mairie. Toujours habillée en noir, sans bagues,
anxieuse, diabétique, ayant beaucoup de mal à parler en
français, malgré les cours suivie. Elle nous confie qu'elle vit
mieux. Sa vie s'est stabilisée. Avant sa naturalisation,
effectuée en avril 2008, lors de son entretien, elle avouait que sa
condition de vie en tant que réfugié politique,
s'améliorait avec le temps surtout avec un logement décent.
Maintenant Hélène semble plus posée et reposée.
Elle parle de calme en parlant de sa situation actuelle.
Comme tout français ou ressortissant européen,
le réfugié peut ainsi bénéficier d'aides
financières (APL), ou obtenir un logement social. C'est une
véritable étape dans l'intégration. Sortir du Centre
Provisoire d'Hébergement, ou d'un foyer, avoir une vraie adresse, ne pas
dépendre d'un organisme, c'est exister par rapport aux autres, c'est
exister socialement, et comme elle l'exprime « trouver le calme » ;
c'est une progression sociale. C'est aussi avoir une vision d'avenir positive,
se sentir plus libre psychologiquement. C'est la représentation sociale
de son existence. Il y a là, la notion d'établissement dans la
durée, la possibilité d'un projet de vie social et familial.
La vie active est le deuxième lien solide avec la
société. Logement et travail sont l'un des fondements principaux
de la construction d'une citoyenneté à part entière. Sous
l'officialisation du statut de réfugié, concrétisée
par la carte de séjour, l'individu bénéficiaire a le droit
de travailler et, par conséquent d'entrer dans les dispositifs
d'insertion par le travail (ANPE, AFPA), d'obtenir le revenu minimum (RMI) ou
de bénéficier d'autres aides financières via des
organismes concernés comme la CAF. Omar, réfugié politique
d'origine soudanaise, possédait une solide expérience de soudure,
en Libye et au Soudan. L'accès à une formation de
complément
lui a été possible dans le cadre d'une
évaluation et d'un bilan de compétence proposé par l'ANPE.
Ainsi, de 2005 à 2007, en Côte d'Or, il put travailler dans le
secteur du BTP. En ce qui concerne l'apprentissage de la langue, il passa par
l'association CESAM, organisme dijonnais lié au Centre Académique
pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des Enfants du Voyage
(CASNAV)1, directement dépendant du Ministère de
l'Education Nationale, favorisant l'éducation des mineurs venus de
l'immigration. Pendant la période de la demande d'asile, l'interdiction
de travailler est de rigueur.
« on n'a pas le choix... ici, sans travail... cela devient
très dur... »
Paroles de Dico
D'origine arménienne, Dico l'un des premiers
arméniens arrivés au C.P.H. de Quetigny, fut contraint de
s'adapter aux exigences de son pays d'accueil avec toutes ses
spécificités. Femme et enfant, dès son statut
officialisé, Dico savait qu'il devrait tout mettre en oeuvre pour vivre
dans les meilleures conditions possibles. Motivé par sa stabilité
familiale (Sa femme est intégrée et sa fille inscrite à
l'école) et son jeune âge (30 ans), il a pu
bénéficier d'un suivi efficace. Son assistante sociale du C.P.H.,
a mis en place une réactualisation de ses compétences, elle lui a
fait repenser la façon de rechercher un travail, et surtout comment
démontrer ses capacités face à un éventuel
employeur. Des contacts ont été pris avec l'A.N.P.E., pour
l'élaboration de son dossier. Dico a donc envoyé des centaines de
C.V., et a persévéré pendant la durée de sa
recherche. Après un 1er contrat de 3 mois en C.D.D. dans le BTP, il
trouve un C.D.I. (assez rare pour un statut réfugié), dans une
chocolaterie locale. La situation peut être difficile lors de l'entretien
lorsque le réfugié doit mentionner son statut ou lorsqu'il doit
expliquer pourquoi il a passé des années sans travailler. Il se
retrouve aux yeux des employeurs dans la même situation qu'un
chômeur ou qu'un bénéficiaire du RMI qui n'a pas fait ses
preuves dans la vie active. Il faut noter qu'il n'existe pas de type de contrat
spécifique pour les réfugiés politiques : ils sont des
demandeurs d'emploi comme les autres et rentrent dans le cadre
général du régime commun. Dico s'est adapté
à la vie française, établissant un réseau de
contact et d'amitié (collègues français, algériens,
réfugiés arméniens), il possède une voiture et un
logement décent. Cependant, cela n'a pas été facile au
départ, car il a été fragilisé par la rupture avec
sa culture d'origine.
« Paradoxalement le statut ... c'est une délivrance
mais c'est aussi une pression... par où je commence le travail... la
maison... »
Paroles de Dico
1 Anciennement CEFISEM, crée en 1975, devenu
CASNAV en 2002.
Si le fait pour les demandeurs d'asile d'obtenir leur statut
les délivre d'un poids considérable, il n'empêche que de
nombreuses responsabilités leur tombent dessus au même moment :
l'avenir est alors à construire car il devient possible. Force est de
constater que le réfugié ne s'est pas du tout
préparé au but de son voyage ; ses actions ne sont
établies que pour des finalités à court terme. Il ne pense
pas généralement à la durabilité de sa vie dans son
pays d'accueil. Il peut donc y'avoir un choc psychologique qui fait suite
à la joie d'avoir le statut de refugié. Heureusement, les
refugiés trouvent à leur disposition de nombreux organismes qui
peuvent les orienter et les appuyer pour qu'ils puissent s'insérer au
mieux dans la société française.
Dans le cadre officiel, et selon la Convention de
Genève, les réfugiés politiques ont les mêmes droits
que les nationaux. Ainsi l'accès au travail, aux soins, aux aides
sociales, sont inscrits dans le Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI
voire en annexe). C'est un dispositif national d'insertion par l'apprentissage
de la langue, des droits et des devoirs dirigé par un organisme,
l'Agence Nationale d'Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM),
créé lors de la loi de programmation pour la cohésion
sociale du 18 janvier 2005. Ce contrat en place s'est étendu à
l'ensemble des départements français à partir de 2006. Au
31 décembre 2006, il représente 207 805 contrats. Ce contrat
stipule deux engagements, celui de l'Etat qui met en oeuvre une visite
médicale, un bilan linguistique, une formation linguistique, civique et
sociale, et celui du signataire, respectant ce contrat par sa présence
et son assiduité.
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