2) le traumatisme originel du réfugié
politique et du demandeur d'asile
Le traumatisme, au sens psychologique du terme
désigne selon Crocq par 4 critères: - brutalité de
l'événement
- rencontre avec la mort
- culpabilité
- répétition
Si un entretien semi structuré comme ceux que nous
avons réalisés ne permet pas scientifiquement et dans le strict
respect de la déontologie psychologique de diagnostiquer les
états de troubles personnels des réfugiés politiques
entendus, il nous est néanmoins permis, au travers de leurs discours et
de leurs subjectivités, d'y repérer les éléments,
symbolisés ou non, d'événements traumatiques. Ceux-ci
créent une souffrance qui doit interpeller tout Etat à vocation
humanitaire. Nous regrouperons pour l'étude ces 4 critères
symptomatiques en deux mouvements: l'événement dans sa dimension
psychique et ses suites au sein de la personnalité.
1 Enquêtes annuelles de recensement 2004 et 2005
Près de 5 millions d'immigrés à la mi-2004
Catherine Borrel, cellule Statistiques et études sur l'immigration,
Insee
a) l'événement déclenchant
Si jamais il n'est pris en compte par les services publiques
spécialisés à tous les niveaux de la prise en charge du
demandeur d'asile, l'événement traumatisant déclencheur
préexiste à toute décision de fuite ou d'exil. La
singularité individuelle fera toute la différence quant au
vécu de celui-ci, quant à sa mémorisation et à son
aménagement psychique (c'est le concept de «
résilience » que nous n'examinerons pas ici). Rappelons
qu'il est nécessaire de distinguer l'événement en
lui-même, dans sa réalité, du ressenti de cet
événement chez la personne.
Tous les demandeurs d'asile entendus, du moins ceux
qui ont voulu l'exprimer, évoquent un événement
traumatique. Pour Venantia il s'agissait de l'emprisonnement à
Uvira, en RDC pendant 2 mois et de l'obligation de livrer aux tortionnaires ses
collaborateurs alors qu'elle faisait une étude socioéducative,
« coupée de tout contact » et période pendant laquelle
ses « jours étaient comptés ». Cet isolement l'a
conduit à faire des tentatives de suicide, révélatrices
d'un trauma. Pour Cyprien qui revenait tout juste de Belgique où il
effectuait une formation,c'est avant tout la psychose de ses compatriotes
rwandais lors de l'éclatement du génocide des Hutus qui l'a
marqué, même s'il reste très pudique là-dessus:
« C'est affreux; faut que je me sauve » nous confie-t-il. Mais comme
on l'a vu ce fait n'a fait que motiver sa fuite hors du pays mais en restant en
Afrique. Ce n'est qu'au Mozambique qu'il subit trois agressions «vraiment
fortes» contre lui (en 2005) l'une sur la route (tentative d'encastrage),
une seconde dans la rue (bastonnade) et une troisième tentative:
d'assassinat cette fois avec un repérage peu de temps avant. Sa
façon de raconter l'événement montre qu'il mobilise toute
sa mémoire et comme il l'exprime: «tes yeux sont ouverts à
360 degrés on enregistre même tout ce qui n'est pas
nécessaire» dans ce genre de situation. Il se dit : «il faut
prendre des mesures, comment je dois sortir du Mozambique».Enfin pour
François du Burundi c'est l'assassinat de sa femme alors qu'il
était en Chine parti négocier l'achat de couveuses pour un
programme d'élevage avicole.
Sans confronter forcément à la mort,
l'événement traumatisant peut avoir une origine raciste.
Cette cause d'exil revient souvent dans le discours des réfugiés
politiques en provenance des pays de l'Est et de l'ex-Russie. Dico a
vécu toute son enfance en Russie (il a quitté l'Arménie en
1992) où la guerre de Tchétchénie a poussé au
paroxysme et à la plus grande violence le racisme nationaliste russe.
Hélène également a subi ce racisme en Géorgie cette
fois où elle est considérée comme « noire de peau
» en raison de ses origines arméniennes. Un tel rejet
ségrégationniste a les mêmes effets qu'une
vision de mort: il aboutit à une intériorisation de
l'événement d'ostracisme, à un sentiment
d'insécurité alarmant.
Il faut noter que beaucoup de réfugiés
politiques refusent d'évoquer ces événements traumatiques
auprès de l'OFPRA pour de multiples raisons, individuelles (pudeur pour
les femmes, peur d'être jugé pour un mauvais agissement) et
culturelles aussi (raconter cet événement serait
apprécié par la Cour comme sur jouée et
témoignerait d'un mensonge, chose que la communauté d'immigrants
a appris à gérer comme le montre l'étude canadienne :
Le mythe du réfugié menteur : un mensonge indispensable ?
De Cécile Rousseau et Patricia Foxen)
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