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Les réfugiés politiques et les demandeurs d'asile à Dijon

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par Nassiri ATTAR, Thomas ROBERT et Rémi SANTIARD
Faculté de Médecine, université de Bourgogne - D.U Action Humanitaire 2008
  

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b) les suites de l'événement:

L'intériorisation d'un traumatisme aboutit toujours à sa reviviscence sous forme d'une rumination mentale. Nombre de demandeurs d'asile une fois en France sont la proie de graves troubles psychiques, même si très peu d'études évoquent la question. Martin nous avoue ne penser qu'à cela, d'autant plus que sa mère a été incarcérée pour l'avoir aidé à quitter la RDC.

La volonté de témoigner auprès de nous démontre par elle-même ce besoin d'abréaction et de justification traumatique, d'autant plus qu'aucune structure spécifique (hors les initiatives individuelles des Assistants Sociaux des différents organismes ou associations dijonnais qu'il faut saluer) ne prend en charge spécifiquement les demandeurs d'asile sur le plan psychologique. Il est même jusqu'aux psychiatres locaux qui refusent leur prise en charge ponctuelle pour le motif de la barrière de la langue (qui ne concerne qu' 1/4 des cas), obstacle à la cure selon eux alors que dans d'autres régions comme la Franche-Comté ils participent au dispositif.

Il est regrettable de noter que les services de prise en charge français n'ont pas les moyens de repérer et d'évaluer les éléments traumatiques chez les demandeurs d'asile car ceux-ci pourraient se porter au bénéfice du dossier du primo-arrivant, en devenir même un critère capital et autoriser une sélection davantage «humanitaire».On doit sur ce point constater le manque de volonté politique tant française qu'européenne (cet aspect de «demandeur d'asile en souffrance psychique» est d'ailleurs davantage reconnu au Canada par exemple mais aussi en Suède, pays pourtant membre de l'Union Européenne, notamment en autorisant le travail salarié, et que nous confirme François qui y a séjourné un temps).

La culpabilité est le symptôme révélateur du syndrome post-traumatique.

Dans les récits des demandeurs d'asile cette dimension culpabilisante se retrouve au travers de
nombreuses séquences explicatives permettant à la personne de préciser son rôle au moment de

son histoire. Ce fait, déjà noté par M.Pollack dans L'Expérience concentrationnaire :essai sur le maintien de l'identité sociale est la caractéristique même du «survivant» à un événement traumatique. La problématique de la culpabilité n'a de sens que dans une dynamique de groupe: le demandeur d'asile souffre dans sa relation avec sa famille quand il a encore des contacts avec elle, ou dans sa communauté immigrée en France.

Ce sentiment ressort directement du récit autobiographique que celui-ci présente aux autres et que sa vie d'immigré oblige à soutenir par la force du témoignage, administratif (devant l'OFPRA ou les Assistants Sociaux divers qu'il est amené à rencontrer) et privé (dans le cercle familial ou du foyer dans lequel il est logé).C'est en somme comme si pour les autres demandeurs ou parents en asile le primo-arrivant est déclaré menteur dès lors qu'il ne confesse pas tout son vécu. Très souvent, et c'est psychologique, le demandeur refuse de narrer son expérience d'exil pour des raisons d'ordre privé, de décence (cas du viol par exemple) ou tout simplement de souffrance et de deuil. Apparaît alors dans son discours un «blanc biographique» (l'expression est d'une Assistante Sociale entendue) et que la littérature du récit personnel (Philippe Lejeune notamment) mais aussi la psychologie transculturelle note comme un signe de trauma1.Le demandeur se retrouve pris entre une impossibilité de se découvrir totalement et des accusations ou méfiances de la part des autres hébergés. Les parents réceptionnent encore plus mal ces ellipses et de là s'expliquent les difficultés d'intégration au sein des communautés immigrées et la récurrence de «mythes personnels», rumeurs ou diffamations. C'est le cas de Martin qui, ancien soldat de Mobutu, ne peut s'épancher auprès des autres demandeurs d'asile et dit même avoir peur des autres africains et ne jamais se mêler à cette communauté.

Le traumatisme on le voit ne fait pas qu'envahir la personnalité dans les premiers temps de l'exil mais pourchasse, par des effets culturels le demandeur jusque dans le pays d'asile .Le récit devient comme un miroir déformant et culpabilisant pour le migrant, phénomène encore accentué par la concurrence tacite mais bien réelle pour les statuts de réfugié politique délivrés par l'OFPRA ou la CRR. C'est le cas également d'Hélène pour qui la difficulté de l'exil se conjugue à la souffrance d'avoir laissé en Géorgie le souvenir de sa fille décédée.

Il semble, pour conclure sur ce point, que la structure familiale prévient considérablement
l'apparition de ce genre de phénomène et de biais: le cas de Dico est tout à fait exemplaire de ce
constat. Arrivé en France avec sa famille (qu'il peut davantage agrandir en retrouvant, avec l'aide

1 Voir à ce sujet: Les enfants de l'exil. Etude auprès des familles en demande d'asile dans les centres d'accueil. Sous les directions du Pr Marie Rose Moro et de Jacques Barou (Octobre 2003) Préface de Boris Cyrulnik.

des avis de recherche organisés par la Croix Rouge International, ses parents en Russie) celui-ci a pourtant obtenu rapidement ses statuts et sa nationalité française même, sans souffrir pour autant du mécanisme du «blanc biographique».Le contraste de comportement par rapport aux autres réfugiés politiques célibataires, toujours en attente de traitement, est saisissant.

Enfin la réitération de l'événement dévoile un vécu traumatique.

Concernant la subjectivité ressortant du récit fait par le demandeur d'asile, le retour de ce vécu traumatique se matérialise par des insistances narratives, souvent corrélées à des insistances démontrant de la culpabilité. Venantia par exemple nous redit maintes fois le sentiment de se retrouver dans une «prison» ,alors réfugiée à Dijon: le fait de rencontrer un psychologue en tête-à- tête, d'être obligée de dormir dans un foyer d'urgence et compare la procédure administrative auprès de la Préfecture puis de l'OFPRA de «torture psychologique mise en place».Elle parle plusieurs fois, et avec passion ,de sa volonté d'écrire un jour un ouvrage sur son calvaire puis sa fuite hors de la RDC et sur son parcours au CADA, qu'elle juge «vraiment positif (...) sur le plan intérieur». Martin lui choisit presque automatiquement de commencer son récit par la situation militaire en RDC sous Mobutu, l'enrôlement de force, les déplacements forcés, les prisons pour ceux accusés d'intelligence avec l'ennemi. Il s'arrête d'ailleurs souvent pour chercher ses mots voire semble hypnotisé par une scène qu'il ne décrit jamais; Martin suit toujours en effet un mode linéaire et «commentatif» (par opposition à «descriptif» où les détails existent).L'interlocuteur peut avoir ce sentiment d'assister à une récitation, or s'il s'agit d'une redite elle est sur le plan psychique et non moral: la scène est comme figée dans la représentation du demandeur d'asile; elle obnubile sa pensée en somme.

On le pressent déjà: la réitération du contenu traumatique utilise principalement le plan de l'implicite et de l'image pour se communiquer. Jamais le langage et la réflexion ne peuvent y amener une distance critique qui serait d'ailleurs le signe d'un dépassement du trauma.

La métaphorisation est ici éclairante pour comprendre le mécanisme global qui sous-tend le rapport du traumatisé avec son récit. La «métaphore du chat en cage» qu'utilise Cyprien pour exprimer sa fuite peut se percevoir comme une tentative de mettre en forme, symbolique et non verbale, un sentiment obsédant (et répétitif).Pour exprimer son comportement après un moment passé en prison au Rwanda lors des débuts du génocide de 1994 Cyprien nous demande d'imaginer «un petit chat qu'on met dans une cage et on essaie de frapper des coups sur la cage (...) si vous ouvrez la cage ,il va sortir mais ne reviendra jamais .Il a toujours dans sa tête celui qui a frappé sur la cage».Il nous confie utiliser systématiquement cette analogie pour expliquer aux gens son geste et son point de vue. Paul Ricoeur, qui a d'ailleurs travaillé sur le problème de

l'Identité voit dans la métaphore davantage qu'une figure de style: un acte de communication véritable permettant de mettre à distance le contenu traumatique gênant tout en en conservant la charge émotionnelle (in La Métaphore Vive)

Il resterait à mentionner plus profondément l'expérience de la torture ou du sévice et sa transposition dans le récit du demandeur d'asile. Nous avons fait le choix de ne pas nous en occuper, même si plusieurs des demandeurs et réfugiés entendus dans le cadre de cette étude ont évoqué certaines scènes s'en rapprochant ou disent même avoir subi des actes de torture. Nous renvoyons pour cela le lecteur vers des ouvrages spécialisés tels : Vinãr, M (1989). Exil et torture ou le rapport d'Amnesty International. (1974): Rapport sur la torture et qui concluent par ailleurs sur quatre faits importants pour notre propre étude:

1) les survivants de la torture sont encore moins capables de contrôler leurs pensées intrusives que les victimes d'autres traumatismes d'intensité comparable (étude psychologique de :Turner, S., & GorstUnsworth, C. (1990). Psychological sequelae of torture: A descriptive model. British Journal of Psychiatry)

2) «Réactions dépressives. Les victimes de la torture ont souvent de gros problèmes pour reprendre une vie normale. Ils doivent surmonter, outre des séquelles physiques pouvant être très handicapantes, la perte de ce qui constituait leur vie avant les événements, souvent l'exil est nécessaire. La torture n'est pas seulement un événement de vie important mais elle est également la cause de beaucoup d'autres, rarement enchanteurs. Une réaction dépressive au sens large est donc très souvent observée chez les torturés, et dans une plus large mesure, chez les réfugiés» (opcit ,cité dans: Nature de la torture Une Perspective psychologique et légale de Cyril Rebetez et Philippe Robert,Université de Genève)

3) «Symptômes somatiques. Des effets au niveau organique sont souvent détectés, ceux-ci découlent la plupart du temps des mauvais traitements en eux-mêmes. Les séquelles physiques peuvent alors revêtir une multitude de significations aux yeux de la victime, augmentant parfois son état de dépression.» (opcit)

4) « le dilemme existentiel» .Le simple fait d'avoir survécu à la terrible pression du tortionnaire peut engendrer de la culpabilité, les survivants se souviennent également de tout ce qu'ils ont dû accomplir pour conserver la vie. Le dilemme existentiel reflète la nécessité pour le torturé de réconcilier son « nouveau moi » avec la nouvelle réalité du monde extérieur, d'y trouver une signification.» (opcit)

Pour conclure sur l'identification du traumatisme au sein du récit fait par le réfugié sur son exil hors de son pays d'origine, il faut mentionner les graves dégâts de l'oisiveté imposée par les services français et par la loi concernant les droits des demandeurs d'asile, compte tenu de leur interdiction de travailler. Tous les demandeurs ou réfugiés politiques, récents naturalisés même, insistent sur l'importance du travail et de l'occupation tant mentale que physique qu'il permet, en plus d'une plus complète autonomie sur le plan des moyens et des finances. Cette disposition juridique, comme nous le verrons en seconde partie de cette étude, ne repose sur rien d'économiquement valable, d'autant plus que des exceptions sont possibles, exceptions par ailleurs qui permettent, comme c'est le cas de Venantia, de travailler à condition d'avoir un certificat médical précisant une pathologie (le cas échéant la dépression et l'asthme), ce qui est le plus invraisemblable des paradoxes pour un pays à vocation humanitaire et sociale.

Cette première partie avait pour objectif de démontrer, au moyen des quelques témoignages recueillis de novembre 2007 à janvier 2008 auprès des demandeurs d'asile du CADA « Les Verriers » de Dijon et des statutaires du CPH de la Croix Rouge Française de Quetigny, la complexité des représentations culturelles et individuelles attachées au phénomène de l'immigration. Nous n'avons pas voulu pénétrer trop théoriquement dans le concept ainsi que dans celui de traumatisme motivant l'exil. L'immigration, on l'a vu répond moins d'une fuite que d'une indésirabilité sociale ressentie par les migrants, sans doute profondément liée à une incapacité de ces pays qui se vident de leurs élites et de leurs forces vives à assurer les conditions de l'Etat de Droit. Elle est aussi le signe d'un mal-être individuel qu'il est impérieux de savoir évaluer et écouter, sans quoi la France, et l'Union Européenne, se fermeraient au principe humanitaire. Prendre en charge les personnes immigrantes, demandeurs d'asile, apatrides, clandestins et immigrés économiques relèvent de la pratique humanitaire par le fait même qu'elle requiert, cette prise en charge, une ouverture sur la souffrance de l'autre et non pas une mécanisation administrative, certes neutre mais indifférente.

Trois pistes peuvent être proposées pour apporter davantage de l' «art humanitaire» au sein des services en charge de l'immigration:

- Diagnostiquer plus spécifiquement les réfugiés politiques à la source, in situ du pays d'origine. Les ONG peuvent jouer sur ce point un rôle crucial. Trop souvent les demandeurs d'asile deviennent des immigrés indifférenciés par les Etats car aucune structure sur place n'a pu les gérer et les orienter .Il s'agit moins de contrôler l'immigration depuis sa source que de permettre une meilleure intégration des demandeurs dans les pays d'asile.

- Le traumatisme, après avoir été spécifiquement détecté et évalué devrait être un argument facilitateur du dossier auprès de l'OFPRA, or à ce jour aucun professionnel de santé ou de psychopathologie n'officie à cet organisme. Sans proposer de se fermer à la nature politique du réfugié, la considération à apporter au traumatisé est un devoir social, et politique majeur pour une société démocratique.

- Comprendre que le processus de l'immigration ne jette pas que sur les côtes de l'Europe des clandestins incultes mais surtout des cadres et des intellectuels (et il s'agit de notre première représentation culturelle qui a déchu grâce à ces entretiens) et que leur interdire et de s'exprimer et de travailler c'est refuser toute possibilité d'aider l'Afrique par contre coup.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld